• Chapitre 23

    15 mars,4h

     

    Elle se dressa hagarde sur son lit, les yeux fixé sur l’obscurité environnante pour y déceler ce qui l’avait ainsi réveillée en sursaut. Pendant un instant, elle avait cru qu’on l’appelait. Elle avait dû rêver mais cela n’avait rien à voir avec son ancien cauchemar. C’était plus proche. Sur sa poitrine, le pendentif vibrait comme chaque fois qu’un péril la menaçait.

    Elle ne pouvait être en danger à cette heure, à l’abri dans son appartement. De nouveau, le cri qui l’avait réveillée se répercuta dans sa tête. Soudain, elle ressentit la peur, la panique même et la souffrance de l’être qui criait.

    Surprise ! Elle avait mal. Elle saignait. Elle était en train de faire une fausse-couche. Elle le sut instantanément.

    Aussi clairement que si elle avait été présente chez les Andrevski, elle vit l’affolement d’Alexeï tandis que sa femme se tordait en gémissant de douleur sur son lit. Sous elle une tache rouge s’élargissait. Le pauvre mari, si sûr de lui dans sa profession, était incapable de réagir face à la souffrance de celle qu’il aimait. Tout aussi instantanément, sans penser une seule seconde à sa sécurité, elle sut ce qu’elle devait faire.

    Elle appela Alexeï qui décrocha, pâle et défait. Il était trop affolé pour se poser la moindre question sur cet appel qui tombait à point nommé. Plus tard, il ne se souviendrait même plus que c’était elle qui avait appelé et non pas lui.

    - Mary… je …c’est affreux ! Surprise… elle est en train de perdre le bébé… elle va mourir…. viens vite !

    - J’arrive !

    Au volant de la voiture d’Hubert, elle s’élança dans la nuit aussi vite que le lui autorisait la limitation de vitesse. Elle ne pouvait se permettre aucune infraction alors qu’elle n’avait même pas le droit de conduire ! Ses proches l’ignoraient encore, pas les gops. Il suffisait d’un contrôle … Elle eut de la chance de parvenir sans encombre chez ses amis à l’autre bout de la ville. Le temps pressait, le pendentif s’incrustait dans sa peau mais elle ne sentait rien. Rien d’autre que la terreur, la douleur de Surprise et la vie de l’enfant qui s’écoulait avec le sang de sa mère. Elle courut jusqu’à la porte, hurla dans l’interphone :

    - Al, ouvre, c’est Mary !

    - Il apparut, décomposé, les yeux rouges et gonflés.

    - J’ai appelé une ambulance !

    - Annule, ce sera inutile !

    - Mary, tu es folle !

    - Annule, vite !

    Abasourdi par cette Mary-Anne autoritaire, décidée, qu’il découvrait et dans l’incapacité totale de prendre lui-même une décision cohérente tant la panique obscurcissait son jugement, il obtempéra tandis qu’elle se précipitait vers l’escalier qui menait à la chambre du couple. Elle grimpa quatre à quatre, entra et découvrit Surprise qui gisait, presque inconsciente à présent. Terrorisée, elle serra le pendentif brûlant entre ses doigts tremblants, y puisant la force et la détermination dont elle allait avoir besoin pour agir.

    « Aide- moi ! » Murmura-t-elle.

    Cette prière s’adressait autant au bijou qu’à Hawk, persuadée qu’il l’entendrait où qu’il se trouve. Elle dénuda le ventre de son amie sur lequel elle posa les mains. Aussitôt, une douce chaleur se répandit en elle. Ses paumes ainsi que le bout de ses doigts devenus hyper sensibles, étaient chauds. La lumière bleue en sourdait, impalpable brouillard, puis les entourait. Le Pouvoir était là, prêt à opérer. Alexeï l’avait rejointe dans la chambre. Sans comprendre ce qui se passait sous ses yeux, il assistait médusé à la scène. Surprise n’avait pas repris connaissance. Il avait de quoi être inquiet mais Mary qui sentait sous ses paumes la petite étincelle de vie du bébé prête à s’éteindre, n’avait pas le temps de s’arrêter aux états d’âme de son père.

    - Mary… que … que fais-tu ?

    - Chut ! Laisse-moi faire ! Prends-lui la main. Cela m’aidera et l’aidera aussi, crois-moi ! Et fais-moi confiance, je t’en prie. !

    Stupéfait, incrédule, tétanisé par la peur il obéit néanmoins. Se plaçant à genoux de l’autre côté du lit, il s’agrippa à la main de sa femme comme à une bouée de sauvetage. Il ne comprenait rien et se sentait en plein naufrage.

    Mary canalisa le fluide bienfaiteur qui irradia soudain. Devenu plus bleu, plus brillant, il se focalisa sur le nombril de Surprise qui tressaillit sous l’afflux.

    La lumière parut alors s’insinuer dans le ventre palpitant, sous le regard exorbité d’Alexeï qui faillit en hurler de terreur. Mais il tint bon, conscient d’assister à un prodige. Sous ses doigts, Mary sentit la vie reprendre son cours. Le sang s’arrêta miraculeusement de couler. Le souffle de son amie redevint paisible. La douleur se calma et elle cessa de gémir, apaisée.

    - Elles sont sauvées toutes les deux ! Balbutia Mary épuisée.

    - Elles? Comment peux-tu savoir ? Mary, qu’as-tu fait ? Je ne comprends pas !

    En même temps qu’il disait cela, il savait que c’était vrai. Surprise et leur fille vivraient. Une fille... Il ne douta pas un seul instant que Mary ait raison pour ça comme pour le reste. Sans pouvoir imaginer comment c’était possible, il savait que le miracle avait eu lieu. Il lâcha la main de sa femme et contourna le lit pour soutenir Mary qui tentait de se redresser, portait une main tremblante à son front et s’écroulait entre ses bras, évanouie. Il la porta sur le canapé. Puis il retourna vers le lit pour ausculter sa femme. Le cœur du bébé battait. Surprise, endormie, respirait doucement. Il revint vers cette jeune femme qu’il ne connaissait pas, il devait bien se l’avouer. Qui était vraiment Mary-Anne Conroy-Defrance ? Qu’était-elle ?

    Elle reprit connaissance sous son regard où la perplexité la plus totale le disputait à l’inquiétude.

    - Que s’est-il passé Mary ?

    - Rien. Je dois juste récupérer après…

    - Après quoi Mary ?

    - Qu’importe Al ! Elles vont bien n’est-ce-pas ?

    - Oui ! J’ai examiné Surprise. Elle dort. S’il n’y avait pas tout ce sang sur les draps, on pourrait croire qu’il ne s’est rien passé. Et le cœur de notre enfant bat normalement alors que tout à l’heure, je ne le percevais presque plus au stéthoscope. Alors oui, tout va bien pas vrai ? Et je t’ai dérangée pour rien !

    - Alex…

    - Qui es-tu Mary ?

    - Je ne peux rien te dire. Tu ne me croirais pas de toute façon ! Et tu me haïrais.

    - Comment le pourrais-je après ce que tu viens de faire pour moi ? Je ne sais quels moyens tu as utilisés mais tu as agi alors que moi, je n’ai rien su faire. Je la voyais souffrir et mourir et j’étais incapable de prendre une décision. Une vraie loque ! Pourtant je suis médecin que diable ! J’étais annihilé par le choc Mary-Anne ! Sans toi, je les perdais toutes les deux. Je veux savoir ! Dis-moi la vérité !

    Tout en sachant qu’elle risquait de voir son amitié se muer en un compréhensible dégoût, pire encore en craignant qu’au terme de ses aveux il ne la dénonce illico aux autorités, elle consentit enfin à lâcher un peu de cette surprenante vérité qu’il exigeait de connaître.

    - Comme tu t’en doutes, ce que j’ai fait n’a rien à voir avec la médecine, même la plus avancée. Je possède le don de guérir depuis ma naissance bien qu'il ne se soit révélé à moi que très récemment. Celui-là et d’autres qui font de moi une anormale aux yeux de notre société. Je ne peux rien contre cela. C’est aussi naturel pour moi que de respirer. Comprends-tu ce que j’essaie de te dire ? Je devais me taire ! Tu sais ce qu’ils font aux gens comme moi?

    - Toi Mary, tu ferais partie de ces…

    - Monstres ? Oui !

    - Je n’y crois pas ! Et d’ailleurs, je m’en fous ! La seule chose qui compte pour moi c’est que tu aies sauvé ma femme et mon bébé ! Je ne veux plus savoir ni pourquoi ni comment ! Tu étais là quand j’ai eu besoin de toi. Point. Je n’ai rien vu, rien entendu. Nous avons sauvé Surprise tous les deux. Il en va de ma crédibilité de chirurgien pas vrai ? Je serais muet comme une tombe en ce qui concerne tes étranges révélations et tes…dons non moins étranges. Tu restes notre amie quoi qu’il arrive ! D’accord ?

    - Merci ! Murmura-t-elle en prenant dans les siennes les mains d’Alexeï.

    Il ne les lui retira pas. Aucun tressaillement de répulsion de sa part. Dans son esprit, encore des tas de questions à son sujet, une espèce de sainte terreur pour ce qu’il avait vu mais ni dégoût ni haine. Les larmes aux yeux, soulagée et lasse au-delà de tout, elle répéta :

    - Merci.

    Puis elle sombra d’un coup dans un sommeil de plomb qui ressemblait au coma. Il se souvint qu’il l’avait déjà vue comme ça auparavant mais où ? Et quand ?

     

    Fin mars, Surprise reprit le travail. Elle s’était rétablie avec une étonnante rapidité, semblant n’avoir gardé aucun souvenir de cette nuit tragique, pas plus que de sa miraculeuse guérison. Alexeï lui avait seulement dit qu’il avait appelé Mary à la rescousse parce qu’elle saignait un peu. Il avait paniqué, c’était normal pour un futur papa même chirurgien de renom. Mary et lui s’étaient inquiétés un peu trop vite ! Elle le crut. Par la suite les examens et l’échographie ne révélèrent aucune anomalie. C’était, ainsi que l’avait dit Alexeï à Mary cette nuit-là, exactement comme s’il ne s’était rien passé de grave. La future mère ne sut même pas qu’en fait, elle avait perdu beaucoup de sang et qu’elle avait failli y laisser sa vie en même temps que celle de l’enfant qu’elle portait.

    Fidèle à sa promesse, le chirurgien ne révéla à personne, surtout pas à Surprise, ce que Mary lui avait appris mais elle surprenait parfois son regard intrigué teinté d’inquiétude posé sur elle. Dans sa tête tournaient et retournaient les mêmes questions :

    « Qui est vraiment cette femme ? Que sait-elle encore faire d’autre ? Ai-je le droit de me taire ? » Pour l’heure, c’était encore l’amitié et la reconnaissance qui l’emportaient sur ses convictions profondément enracinées de médecin, de scientifique et de citoyen responsable. Jusqu’à quand ?

    Jusqu’à quand surtout pourrait-il tenir Surprise dans l’ignorance de la vérité sur son amie d’enfance ?

     

    Le 2 avril, Hubert rentrait d’Italie où il avait travaillé à la réhabilitation de la tour de Pise qui tombait littéralement en ruines.

    Elle l’attendait sur le quai. Il la regarda comme s’il la redécouvrait après trois longs mois d’absence. Il sentait bien qu’elle avait changé mais il n’aurait pas su dire en quoi. Il la serra contre lui, l’embrassa, attendant qu’elle lui dise ce « Je t’aime » qu’elle n’avait jamais prononcé. Elle savait ce qu’il espérait mais elle ne put, cette fois non plus se résigner à cet aveu. Il se contenta donc du baiser qu’elle lui rendit avec toute la conviction dont elle était capable à seule fin de le rassurer et de temporiser encore un peu.

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Octobre 2022 à 20:06

    Hubert a une sacré patience... amitiés, JB

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