• Chapitre 15

    26 septembre

     

    Depuis la veille elle était en repos. Elle avait droit à trois jours. Elle en avait profité pour convier Surprise et Al à dîner. Il y avait des tas de détails à régler pour la noce où elle devait servir de témoin pour la mariée. Elle avait promis de les aider à mettre au point la liste des invités dont Félie faisait partie bien sûr. Pour cette dernière comme pour la plupart des membres de la famille d’Alexeï, il fallait prévoir les réservations de train ou de bateau dès à présent, certains venant du fin fond de la Russie. Ils discuteraient aussi décoration, plan de table, menus, toilettes…Il y avait tant de détails à régler !

    Les fiancés avaient également prévu de lui amener un invité surprise et naturellement, ils ignoraient qu’elle savait. C’était son cavalier présumé pour le mariage, témoin et ami d’enfance d’Alexeï. Les deux roublards croisaient les doigts, espérant qu’il lui plaise.

    Elle trouvait de plus en plus horripilant de lire ainsi dans les esprits des autres, contre leur gré autant que contre le sien. Elle se sentait coupable d’indiscrétion si bien que souvent, elle se prenait à rougir quand elle se trouvait en présence des amoureux dont les pensées lascives contrastaient si fort avec leur comportement en apparence plein de pudeur et de retenue !

    Celles du futur marié étaient particulièrement osées et précises. Quant à Surprise, lorsqu’elle lui confiait, langoureuse : « Au lit, il est… » Elle n’avait pas besoin d’en dire plus, car non seulement elle devinait la suite mais pire encore, elle « l’entendait » dans la jolie tête rousse, si clairement que le rouge de la gêne lui montait aux joues.

    - Mary ! Ne soit pas si pudibonde ! Se moquait la coquine. Je ne t’ai encore rien raconté que déjà tu ressembles à une pivoine !

    - Et bien ne me raconte pas sale gamine ! Celui-là est ton futur mari pas une de tes nombreuses et brèves conquêtes !

    - Tu as raison ! Je ne te dirai pas comment il me…

    - Surprise !

    L’espiègle éclatait de rire sans se douter un seul instant que sa pudibonde amie avait vécu avec Hawk, même si ce n’était que par la pensée, d’aussi brûlantes scènes d’amour qu’elle, si ce n’est d’avantage ! Si elle avait pu imaginer, c’est elle qui aurait rougi !

    Ce qui frustrait Mary jusqu’à la fureur, c’est de ne pouvoir contrôler cet indigne pouvoir qui faisait d’elle une voyeuse de la pire espèce, pas plus qu’elle ne pouvait empêcher la pluie de la mouiller quand elle sortait sans parapluie. À la différence près, c’est que dans ce cas précis; elle ne disposait pas de « parapluie »

    Il y avait cette calamité là et les autres qui se développaient elles aussi contre sa volonté. Quand elle ne faisait pas attention, il lui arrivait de déplacer des objets. Il suffisait qu’elle en ait besoin et qu’elle les évoque ne serait-ce qu’un bref instant pour qu’ils viennent à elle. Le livre qu’elle aurait aimé finir se retrouvait dans ses mains, ouvert à la page où elle l’avait laissé. Le pain ou le sel sur la table glissaient vers elle. La télé dont le bruit la gênait, s’éteignait toute seule. Quand elle se douchait, l’eau jaillissait spontanément à bonne température.

    Plus besoin de codivox, l’appartement entièrement domotisé, obéissait désormais et bien plus rapidement encore, à la moindre sollicitation de son cerveau. Il lui fallait s’obliger à se servir de sa voix pour ne pas perdre l’habitude et risquer ainsi de gaffer devant ses visiteurs. Elle faisait déjà assez de bêtises comme ça ! Depuis quelque temps, elle avait en effet la fâcheuse manie de répondre instantanément à des questions qu’on ne lui avait pas encore posées.

    Ses amis mettaient cela sur sa légendaire et exceptionnelle intuition. Mais les autres…

    Elle sentait de plus en plus souvent poindre l’étonnement, l’agacement, la curiosité voire la suspicion chez ceux qu’elle perçait ainsi trop facilement à jour. Les victimes de plus en plus nombreuses de cette inhabituelle clairvoyance commençaient à la montrer du doigt, à parler dans son dos. Le danger rôdait autour d’elle ! Si elle ne trouvait pas très vite une parade, il la rattraperait. Parfois, l’envie dévorante la prenait d’appeler Hawk à l’aide, certaine qu’il l’entendrait où qu’il soit, mais elle résistait

    Hawk…Alors qu’elle l’évoquait, Canal7 Infos, s’alluma. Il était 19h. C’était le journal du soir. Elle le regardait distraitement en mettant la dernière main à son dîner. Ses invités étaient prévus pour 20h. Soudain, avant même de le voir, elle sut qu’il était là, derrière l’écran, comme la première fois. Il la fixait de ses yeux bleus pleins de tristesse et d'amour. Anéantie, elle ne pouvait détacher son regard de cette apparition haïssable et tant …Non, elle ne l’aimait pas ! Elle le maudissait d’avoir éveillé son corps à l’amour mais elle ne l’aimait pas ! Elle se maudissait plus encore d’avoir pensé ne serait-ce qu’un millionième de seconde qu’elle pouvait l’aimer ! Le mur dans sa tête, s’effritait. Son esprit révolté hurla :

    « Va-t-en ! Tu n’as pas le droit ! »

    Avant qu’elle n’ait pu combler les fissures, elle l’entendit répondre :

    « Je sais mon amour ! C’est uniquement pour cette raison que je n’ai plus cherché à te joindre. Tu crois me haïr et ça me fait mal mais tu ne peux lutter contre moi. Je t’aime Mary ! Tu n’es pas de force en face de ce pouvoir là ! Quoi que tu fasses, où que tu ailles, je te suis des yeux. Mon cœur est avec toi. Si tu as besoin de moi, appelle-moi, je viendrai. Mais sache-le bien, je ne viendrais désormais que si tu m’appelles ! En attendant, puisque tu refuses notre aide mon amour, porte le pendentif, je t’en supplie, il est ta seule sauvegarde ! Et souviens-toi toujours que je t’aime ! »

    Sur ces derniers mots, son image s’évanouit laissant place à l’actualité. Secouée par cette apparition, elle demeura prostrée un long moment avant de réagir. La voix guillerette de Surprise à l’interphone et son image souriante sur l’écran de contrôle, la sortirent de son hébétude.

    - Alors ma belle, tu ouvres ou quoi ?

    Elle prit trois secondes pour se recomposer une attitude sereine, afficha sur ses lèvres un sourire de bienvenue et commanda l’ouverture de la porte.

    Tandis qu’ils montaient, elle se prépara à accueillir ses invités, craignant plus que tout la surprise de Surprise. Elle espérait qu’il n’était ni très grand, ni brun aux yeux bleus. Elle croisa les doigts dans le dos pour conjurer le mauvais sort.

    Ils entrèrent. Les fiancés rayonnants jubilaient déjà. Le témoin suivait, un bouquet de fleurs à la main, des roses jaunes. Pas mal ma fois ! 1m80 - juste cinq centimètres de plus qu’elle - châtain clair, presque blond, d’allure sportive et décontractée…

    Mais pouvait-il supporter la comparaison avec…Stop !

    Elle le détailla une seconde fois. S’il fut surpris par cette minutieuse inspection, il n’en montra rien car lui-même la dévorait des yeux qu’il avait noisette, heureusement ! Elle savait qu’il était architecte, ce qui la changeait agréablement des habituels « prétendants » que ses amis lui jetaient dans les pattes, tous issus de la grande famille hospitalière, médicale ou paramédicale.

    Il avait 42 ans et avait été marié très brièvement. Le souvenir de sa jeune femme morte prématurément le hantait encore. Il était au demeurant sympathique, sans aucune fatuité en dépit de sa noble ascendance. Jean-Hubert du Mercy de Combarant, ainsi qu’il se présenta lui-même avec une pompeuse solennité non dénuée d’humour, aurait eu tout pour lui plaire si…Si quoi au juste ? Elle était libre après tout!

    « Ne te mens pas Mary! » Crut-elle entendre et elle ne sut si cette pensée émanait de son propre cerveau ou de celui de Hawk. N’avait-il pas promis de la laisser vivre en paix ?

    Elle fit pénétrer ses invités dans le petit salon, les fit asseoir et leur offrit l’apéritif tout en « écoutant » leurs réflexions intimes, volontairement cette fois car cela lui permettait de faire l’impasse sur les doutes qui l’assaillaient.

    Assis l’un près de l’autre Surprise et Al se regardaient la mine réjouie, croyant avoir de bonnes raisons pour cela : ils avaient en effet remarqué l’examen détaillé qu’elle avait fait subir à Jean-Hubert, lequel le lui avait bien rendu. Tout cela leur paraissait très prometteur. « Ça va marcher ! Il va lui plaire et je vois qu’elle lui plaît déjà ! » Se félicitait Surprise.

    « Fonce mon pote, c’est dans la poche ! » Pensait Alexeï.

    Ces deux là ressemblaient à des matous venant de croquer une souris. Quant au sieur du Mercy de Combarant, elle le captait également cinq sur cinq. C’était vrai qu’elle lui avait fait forte impression. Ses pensées étaient loin d’être aussi nobles que son patronyme le laissait supposer. Il se pourléchait en la déshabillant littéralement des yeux :

    « Quelle déesse ! Ces seins, ces hanches ! Et ces jambes ! C’est un super canon, j’ai une de ces chances ! »

    Elle cessa de « l’écouter » car il devenait carrément lubrique ! Très embarrassée elle saisit le premier prétexte venu pour s’éloigner de lui.

    - Je vais mettre vos si jolies fleurs dans l’eau ! Lui dit-elle.

    Et elle fila vers la kitchenette. Elle s’y précipita même car le jaillissement caractéristique du robinet qu’on vient d’ouvrir lui parvenait. Elle arriva juste à temps pour stopper en plein vol le vase qui se dirigeait vers l’évier. Il avait suffi que l’idée l’effleure de mettre les roses dans l’eau pour que tout se déclenche. Elle avait frôlé la catastrophe ! Surprise qui voulait avoir la primeur de ses impressions sur Jean-Hubert, l’avait suivie. Fort heureusement, ni son amie ni les deux hommes n’avaient remarqué quoi que ce soit. Un miracle !

    C’était sa première erreur, elle allait devoir se surveiller d’avantage sinon la soirée risquait de tourner au désastre !

    - Alors, comment tu le trouves ? Demanda Surprise à voix basse.

    Elle était tellement émoustillée qu’elle ne vit pas que ses mains tremblaient en arrangeant les fleurs dans le vase.

    - Ça va, il est potable ce garçon. Répondit-elle de la même façon, d’un air aussi dégagé que possible en reprenant le contrôle de ses émotions.

    - Potable ? Tu le trouves potable ? Fulminait sourdement Surprise. J’aurai tout entendu ! Tu es désespérante Mary !

    - Allez, ne boude pas ! Je ne le connais pas encore, laisse-moi le temps ! Va donc poser ce vase sur le guéridon pendant que je prépare les amuse-gueules.

    - J’y vais, j’y vais grommela encore la jeune femme en s’exécutant. Mais quand même, potable…

    Avant de revenir vers ses convives, Mary-Anne se servit un petit remontant, histoire de se donner le courage de les affronter. Ce serait difficile ! Elle se sentait peu disposée à supporter leurs regards de conspirateurs et à entendre malgré elle tout ce qu’ils concoctaient à son insu croyaient-ils !

    Elle les rejoignit. Après un clin d’œil de connivence à Surprise, elle entama la conversation avec Jean-Hubert qui la regardait avec une admiration non déguisée tout en établissant déjà des plans pour l’amener dans son lit.

    - Ainsi vous êtes architecte !

    - Ah ! Alexeï vous a dit…

    Les fiancés se regardèrent surpris. Ils n’avaient rien dit du tout. Deuxième erreur ! Fichtre ! Il fallait rattraper cela. Elle parvint à les convaincre qu’ils ne pouvaient avoir omis de lui mentionner la si belle profession de leur ami.

    - Vous pensez bien, ils étaient si fiers de me présenter un bâtisseur de talent ! Il paraît que vous êtes l’un des meilleurs. Il me semble bien avoir vu à la télé l’une de vos superbes réalisations en Argentine ! Un magnifique complexe hôtelier si je me souviens bien !

    - C’est exact ! Confirma-t-il, heureux qu’elle s’intéresse ainsi à son métier. « C est déjà ça de gagné ! » Pensait-il.

    Elle poursuivit sur le sujet, tant et si bien qu’emportés par sa verve, un peu embrouillés, les comploteurs ne furent plus si sûrs de ne lui avoir rien soufflé de leur surprise.

    Ouf ! C’était moins une ! Finalement, le dîner fut un succès dont Jean-Hubert devint le héros incontesté. Peut-être qu’après tout, ce garçon gentil et déjà entiché d’elle allait enfin lui permettre d’oublier Hawk ?

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  • Commentaires

    2
    Jeudi 13 Octobre 2022 à 15:27

    C'est difficile à gérer ces pouvoirs, elle va finir par donner des doutes à ceux qui la côtoient. 

    Bon après-midi.

     

    1
    Mercredi 12 Octobre 2022 à 20:20

    Ce Jean-Hubert ne perd pas de temps ;-) amitiés, JB

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