• L'Arbre 2 -Le retour du Voyageur

     

    L'Arbre -Livre 2

    Au cœur de leur Eden préservé, Elle et l’Arbre coulent des jours paisibles au rythme des saisons sans l’amicale présence du Chat borgne réincarné loin d’eux.

    Elle est restée jeune, éternellement belle. l’Arbre lui, a vieilli. Son pouvoir de régénération s’épuise. Pour  protéger le Jardin, il a créé les Gardiens chargés d’éloigner les intrus qui en menaceraient le bel équilibre et la paix si chèrement acquise.

    Le Voyageur a vieilli lui aussi, seul ! Il craint plus que tout de voir son plus cher souvenir mourir avec lui. Son rêve, trouver un héritier spirituel et parcourir une dernière fois avec lui, l’itinéraire secret qui mène au « Jardin oublié ».

     

    Le retour du Voyageur risque bien de perturber  non seulement l’équilibre  naturel qui régit ce lieu hors du temps mais plus encore, l’existence de ses hôtes.

    ©Anne-Marie Lejeune 

  • Je suis un arbre

     

    Je suis un arbre. J’ai cent ans, j’ai cent-mille ans

    Car je suis tous les arbres de la nuit des temps

    En mes racines vit la mémoire des miens.

    Je voyage immobile par tous leurs chemins.

     

    Dans mes veines de bois coule ma sève folle.

    Ce sang que vous versez chaque fois qu’on immole

    Des arbres pour l’argent quelque part dans le monde,

    En mon être aussitôt, rugit, bouillonne et gronde.

     

    Je suis l’arbre en colère contre les humains

    Qui saccagent la terre en oubliant demain,

    Qui brûlent les forêts, bétonnent la nature,

    Prennent les océans pour des dépôts d’ordures.

     

    Je suis l’arbre qui pleure la mort des baleines

    En moi quelque fois hurle une impuissante haine.

    Je voudrais me lever et retenir vos bras

    Qui sèment trop souvent l’horreur et le trépas.

     

    Mais l’émotion m’étreint quand je vois un enfant

    Endormi à mon ombre, heureux et insouciant

    Quand le chat sur ma branche contemple la lune

    Dont la pâle clarté vaut toutes les fortunes.

     

    J’ai vieilli, j’ai souffert et je suis tout tordu

    Mon feuillage autrefois était certes plus dru,

    Mon tronc bien plus solide et plus verts mes branchages.

    J’ai résisté pourtant à des milliers d’orages,

     

    Aux mauvais coups de l’Homme, aux plus fortes tempêtes.

    Et jamais non jamais, je n’ai baissé la tête.

    C’est vrai, je suis usé, j’ai vécu si longtemps !

    Je ne suis qu’un vieil arbre mais je suis vivant.

     

    A-M Lejeune

      

    L’Arbre

     

    Je sens le soleil sur mon écorce épaisse. J’entends les oiseaux chanter dans ma ramure. Je m’étire paresseusement vers le ciel bleu. Mon bois craque et grince. Je me sens bien. Presque bien...

    Il me manque quelque chose mais je ne sais quoi…

    Ou qui ?

    Un gros matou tigré m’escalade agilement. Il saute de branche en branche jusqu’à celle qu’il a choisie pour surveiller les alentours de son œil unique. Je l’aime bien cet animal ! Et je crois qu’il m’aime bien lui aussi. Son petit crâne de félin futé bouillonne d’idées saugrenues que je ne cherche plus à analyser. La dernière fois que j’ai essayé, j’ai souffert mille morts…L’une d’elle cependant m’amuse beaucoup. Il se dit hanté par l’esprit d’un vieux sage oriental et prétend ne plus être capable de compter le nombre d’existences qu’il a vécues.

    Peut-il être aussi vieux que moi ?

    Autrefois…. Autrefois…

    Il me semble bien me souvenir que j’ai été jeune et naïf…

    Autrefois la sève circulait bien plus vite dans mes vaisseaux…

    Autrefois…

    N’ai-je pas failli mourir ? J’ai oublié tant de choses…

    Aujourd’hui, je me laisse vivre. J’ai encore de longues et belles années devant moi paraît-il. On me soigne et me bichonne comme on le fait d’une précieuse relique. Nul de mes congénères ne songe à se gausser de mon grand âge.

    Une fois, alors que j’étais un brin assoupi, j’ai bien cru entendre l’un de ces jeunots d’arbrisseaux à peine plantés dans le sol m’appeler « l’ancêtre » mais c’était plutôt avec une certaine déférence. On me respecte ici. D’aucuns disent même que je suis le roi de cette forêt qui n’a son égale nulle part ailleurs.

    « Tu l’es !  Sans conteste, comme tu es le plus ancien ici !» Me miaule le chat avant de se remettre à ronronner béatement, l’œil mi-clos. Il a l’air de me connaître bien mieux que je ne me connais moi-même.

    Aujourd’hui encore, des gosses vont tenter de grimper sur moi et leurs parents vont les en empêcher.

    - Non, pas celui-là ! C’est interdit ! Il est unique, très vieux  et il appartient aux propriétaires du parc ! Vont-ils dire avant de me prendre pour la cent millième fois en photo…

    Photo… souvenir… Où sont mes souvenirs ?

    Et en quoi suis-je unique ?

    Je ne peux me voir mais j’ai toutefois assez conscience que je ne ressemble à aucun de mes frères. Est-ce ma taille imposante qui me rend unique ? Ou alors mon âge ? À moins que ce ne soit mon essence…

    - De quelle essence suis-je au fait ? Ai-je un jour demandé au chat.

    - Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Tu es toi ! Tu es l’Arbre, un point c’est tout ! M’a-t-il répondu vivement, presque avec colère mais aussi avec une pointe de…tristesse, oui, de tristesse.

    Je n’ai pas compris pourquoi il était triste, pas plus que je ne peux comprendre par quel miracle je suis capable de définir ce genre de sentiments comme la colère ou le chagrin. Des émotions qu’on dit être l’apanage des Humains.

    Dans la maison bâtie tout près de moi, habite une famille qui respire la joie de vivre et la sérénité. Une femme, un homme, un enfant encore au sein de sa mère. Elle vient parfois le nourrir à l’ombre de mes branches, assise à même le sol, adossée à mon tronc. J’aime ces moments de douceur intense. L’homme vient la rejoindre et la regarde les yeux emplis de tendresse. Ils forment ainsi un tableau émouvant qui me charme malgré moi. Un vivant tableau aux couleurs de l’amour et du bonheur…

    Amour, ce mot semble posséder le pouvoir de me faire mal je ne sais pourquoi mais il a aussi et surtout le mérite de faire battre encore mon vieux cœur.

    Que sais-je de l’amour ? Je ne suis qu’un arbre après tout ! Eh toi, le matou, cesse de te faire les griffes sur moi s’il te plaît ! Je te croyais mon ami bon sang de bois !

    Oui, je suis un arbre ! Rien qu’un vieil arbre.

    Je suis un arbre et je suis vivant !

    Avril 2009- janvier2012


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  • Le Paradis perdu

    (ou la dernière ballade du Bâtisseur)

     

    Prends la vie qu’on te donne me disait ma mère,

    Saches la savourer, en chérir chaque instant.

    Ne pleure pas l’été lorsque s’en vient l’hiver.

    Avant que d’être un homme, il faut être un enfant !

     

    Le Paradis perdu n’est pas au bout du monde,

    Cherche-le dans ton cœur, c’est là qu’il est caché.

    Dans ce jardin secret où la richesse abonde

    Sont enfouis des trésors d’amour insoupçonnés.

     

    Je n’ai pas écouté cette femme si sage,

    Je trouvais trop simpliste sa philosophie

    Qui dit qu’il faut savoir accepter les orages.

    Car le ciel est souvent plus bleu après la pluie.

     

    J’ai voyagé longtemps sans savoir où j’allais

    J’ai cherché la fortune aux confins de la terre.

    Ce Paradis perdu dont ma mère parlait

    J’ai tant de fois voulu le bâtir pierre à pierre.

     

    Je croyais que l’argent pouvait tout acheter :

    La mer et le soleil, les fleurs de la passion…
    Je dépensais ma vie chaque jour sans compter.

    Pour moi l’amour n’était qu’une folle illusion.

     

    Aujourd’hui je le sais, ma mère avait raison,

    Le bonheur est gratuit tout comme la tendresse

    Près d’un arbre très vieux j’ai bâti ma maison

    Et dans mon Paradis habite une déesse

     

    Son corps nu est mon île, mon Éden perdu

    Où mon, cœur desséché un jour a fait naufrage.

    J’ai affalé les voiles, je ne cherche plus

    Pour elle par amour, j’ai posé mes bagages.

    A-M Lejeune

     

     

    Le Bâtisseur

     

    Il est encore tôt. Le soleil est à peine levé. La journée va être splendide. Le beau temps sera au rendez-vous des amoureux des arbres. Dans quelques heures « Le Jardin oublié » va ouvrir ses portes aux visiteurs.

    Je n’ai pas construit de ville. J’avais fait cette promesse à l’Arbre et je l’ai tenue. J’ai transformé la « Forêt interdite » en parc d’aventures, avec un parcours accro branche et un village dans les arbres. Le site s’est révélé idéal pour ce type d’activité nature. J’ai fait draguer le plan d’eau où l’on peut se balader en barque tout comme sur la rivière qui fait également le bonheur des pêcheurs.

    Outre celle du gardien et de son épouse, il n’y a que notre maison, construite à l’emplacement même où s’élevait l’ancienne près de l’Arbre, qui soit habitée toute l’année. Les autres sont plutôt des cabanes suffisamment confortables pour de courts séjours. Il y en a juste ce qu’il faut pour ne pas dénaturer le paysage forestier. Perchées dans les feuillus les plus volumineux, elles sont très appréciées des citadins en mal d’air pur.

    J’ai également réhabilité le hameau que j’ai aménagé en village de vacances en prenant un soin tout particulier à lui conserver le cachet moyenâgeux que je lui ai connu et qui fait de cet endroit hors du temps, un lieu de villégiature très original. Une partie des maisons a été mise à la disposition des membres du personnel du « Jardin oublié » qui souhaitaient résider près de leur lieu de travail.

    Si je suis toujours architecte, désormais je ne me consacre plus qu’à ce type de réalisation à vocation écologique. Et ça me comble à un point ! Jamais je n’aurais imaginé retrouver un plaisir aussi neuf à pratiquer ma profession de bâtisseur. Je suis moins côté que par le passé mais tellement plus heureux !

    Cependant les véritables raisons de mon bonheur sont là, devant mes yeux éblouis.

    Pirate, Chat devrais-je dire, ronronne sur mes genoux. Il ne me fait plus la tête et semble satisfait de vivre ici avec nous. Il voit souvent sa sœur qui réside chez le Gardien avec la marmaille turbulente qu’elle met bas chaque saison des amours. La dernière recrue de la garde rapprochée de l’Arbre, coule ici une existence des plus heureuses avec son épouse. Il me dit souvent qu’il ne regrette pas un seul instant son passé de citadin et je le crois sans peine parce que moi non plus, je n’éprouve aucune nostalgie de ma vie d’avant.

    Dans le rocking-chair, ma femme allaite notre fils, un sourire épanoui sur les lèvres. La lumière matinale allume des flammèches dans ses cheveux dont la teinte varie entre le roux et l’or. Dieu qu’elle est belle et comme je l’aime !

    Ici et là, sur les étagères en bois brut, trônent les souvenirs que j’ai récupérés dans l’appartement du Voyageur. Dans la bibliothèque où s’alignent de nombreux ouvrages reliés à l’ancienne, le livre tiré de son dernier carnet de voyage, trône en bonne place. L’original, lui, ne quitte pas ma table de chevet. Plus tard je pense, j’en lirai des extraits à ce minuscule bambin qui gigote dans les bras de sa mère pour réclamer l’autre sein

    - Petit fripon, tu as encore faim, tu n’en as donc jamais assez ? L’entends-je murmurer à mon enfant.

    Mon enfant !

    J’ai encore peine à croire en ma chance, en ce miracle qui fait que je suis aujourd’hui le plus heureux des hommes alors que probablement, je pourrais être mort !

    Je devrais être mort !

    Je me souviens très précisément de ma première et seule rencontre avec l’Arbre tel qu’il fut avant les évènements et je suis certain qu’il avait encore assez de force pour me tuer et prendre mon sang comme il l’a fait pour le Voyageur. Sauf que le vieil homme lui, était consentant.

    Moi, je voulais vivre ! Vivre et mourir auprès de cette déesse qui m’avait ravi le cœur dès que je l’avais vue.

    Son apparition presque surnaturelle ce fameux jour tellement bordélique, avait instantanément fait retomber ma colère.

    J’ai su d’instinct en la voyant s’avancer vers moi, radieuse et souveraine, qu’elle était indissolublement liée à la forêt et que dès lors, je ne pouvais plus la détruire.

    Dire que la vision de cette exquise créature m’a dessillé les yeux est un doux euphémisme ! Enfin, je voyais ce qu’avait vu de ses yeux vu le jeune homme qu’avait été mon ami le Voyageur. Je comprenais son inébranlable volonté de revenir ici, en ce lieu extraordinaire qu’il avait à juste raison baptisé « le Jardin oublié ». Enfin, je croyais en son conte de fée. Oui, la forêt était magique, oui, elle était hantée par une dame Nature si sublime que tout homme normalement constitué ne pouvait que s’éprendre d’elle pour toujours !

    Dieu  du ciel ! Elle était encore plus merveilleuse que ce qu’il m’avait dit ! Elle ressemblait étonnamment à la jeune fille qui m’en avait préféré un autre par le passé mais en mille fois plus ensorcelante. Et le lien de parenté entre les deux femmes m’avait immédiatement sauté aux yeux.

    Je n’ai su qu’après, qu’à des années d’intervalle j’étais tombé amoureux de la fille puis de sa mère. Lorsque la Dame verte me l’a appris, j’ai eu toutes les peines du monde à la croire. Elle était si incroyablement jeune, alors que pour l’institutrice qui m’avait autrefois captivé, le temps avait suivi son cours normal. Je l’avais aperçue avec un réel étonnement au premier rang des manifestants silencieux et malgré les années, je l’avais aussitôt reconnue. Elle était là, avec son apiculteur de mari et leurs quatre enfants, encore très belle dans sa maturité mais néanmoins marquée comme tout un chacun par les ans. Elle devait avoir la quarantaine, comme moi. Sa mère elle, paraissait avoir 20 à 25 ans, guère plus !

    C’est de la bouche même de l’adorable guide dont je ne pouvais détacher mon regard, que j’ai également appris avec une infinie stupéfaction que la foule massée autour de la forêt interdite était composée de la quasi totalité de sa propre progéniture. Ces gens de tous âges, accompagnés de leurs conjoints humains et de leurs enfants, petits enfants et arrières petits enfants, étaient tous frères et sœurs ! Ils étaient les Enfants-Arbres, magnifiques êtres hybrides issus des cocons, nés printemps après printemps de l’amour hors norme qui a uni cette femme superbement métamorphosée à l’Arbre biscornu auprès duquel elle m’avait conduit en me tenant par la main.

    Pour la deuxième fois, je crevais d’amour et pour la deuxième fois, la femme que je désirais, que j’aimais déjà avec une passion dévorante, appartenait à un autre. Et quel autre !

    Comment-était-ce possible ? Je ne sais mais ces deux-là ne faisaient qu’un.

    - Plus tout à fait…Non, plus tout à fait hélas ! M’a dit d’une voix caverneuse et triste l’espèce d’immense génie sylvestre qui se tenait devant moi.

    Je me serais certainement évanoui de terreur sacrée si la Dame verte ne m’avait soutenu de ses longs bras lianes. Elle avait des larmes plein les yeux et c’était pour l’Arbre gigantesque qu’elle les versait.

    Il parlait. Il ME parlait ! Il était vivant ! Aussi vivant que le sont les êtres humains et depuis très longtemps  vu son volume et sa hauteur impressionnants.

    Pour m’en assurer, j’ai posé une main hésitante contre son tronc énorme et là, à peine surpris, j’ai entendu un cœur battre à un rythme lent mais puissant et régulier.

    Rêvais-je ?

    J’avais en face de moi, majestueux en dépit de sa forme tarabiscotée, l’Arbre ! Celui que l’on avait coupé mais qui avait refusé la mort avec tant de détermination et de rage de vivre, qu’il avait poussé ses racines hors des profondeurs de la terre pour se transformer en cet étrange excroissance presque monstrueuse qui n’avait plus rien de commun avec les autres arbres…

    Celui-là même dont le Voyageur m’avait dit qu’il avait détruit tout une ville, mu par un incommensurable désir de vengeance et par la seule force de sa formidable volonté.

    C’était l’Arbre fou d’amour qui avait sauvé la vie de la femme qu’il aimait, la métamorphosant du même coup en déesse mi- humaine, mi-végétale. Des années durant, il lui avait donné sa sève afin qu’elle demeure éternellement belle et jeune…

    Dans ma tête surchauffée, je relisais le dernier carnet de voyage du disparu. Il avait écrit tout cela, me l’avait raconté de vive voix et je m’étais intérieurement moqué de lui sans vergogne tout en lui laissant penser que je ne doutais pas une seconde de la véracité de son histoire.

    Je l’avais odieusement trahi, j’avais profité de lui et de ce que je croyais être de la naïveté. Or, je pense maintenant qu’il avait tout calculé, tout deviné de ma duplicité. Et malgré cela, il m’avait amené jusqu’à son paradis perdu.

    L’avait-il fait parce qu’il m’avait entendu décrire ma passion de jeunesse, comprenant aussitôt que j’avais à coup sûr rencontré une des filles de la Déesse verte ? Il devait être persuadé qu’en venant ici, je m’en éprendrais fatalement et qu’alors, je renoncerais à mes projets et à mes rêves de gloire. Voilà pourquoi il avait paru si triste et déçu lorsque j’avais refusé de le suivre dans la forêt.

    À présent, je le croyais. Oui, je croyais en l’incroyable ! J’admettais l’impossible. Je n’eusse probablement pas été surpris plus que ça, de voir l’Arbre marcher sur l’eau  ou ma fée verte s’envoler telle une gracieuse libellule !

    La tête me tournait d’un seul coup ! Trop d’émotions fortes ! Avant d’avoir eu le temps de dire ouf, je m’affaissai entre les bras nus et verts de la Dame de mon cœur.

    Lorsque je revins à moi, je reposais dans l’Arbre et je souffrais mille morts. Ce que je craignais était en train d’arriver. Le végétal vampire allait s’abreuver impunément de mon sang. Dans un sursaut de ma volonté affaiblie, je tentai de me débattre, d’échapper aux fines branches qui pénétraient dans mes veines et dans celles de…de… Ce n’était pas possible ! L’Arbre vindicatif n’allait tout de même pas nous tuer tous les deux !

    N’y avait-il personne pour nous défendre  dans cette maudite forêt ? Je voulais désespérément crier au secours mais je n’en avais plus la force et la Déesse, très pâle, presque diaphane et les yeux clos, paraissait déjà morte.

    - Laisse-là ! Elle n’a rien fait. Je suis le seul fautif. Je l’aime...Ô comme je l’aime ! Elle, c’est toi qu’elle aime ! Je t’en supplie. Prends ma vie mais épargne-la …

    J’avais la sensation de me vider de toute substance, de toute énergie. Était-ce cela, mourir ? La punition était bien cruelle pour un forfait raté ! Et il me tuait deux fois en prenant la vie de celle pour laquelle j’étais prêt à me sacrifier tant je l’aimais ! Dire que je n’avais même pas eu le temps de la conquérir ! Une dernière fois, j’essayai de me libérer de mes entraves branchues…

    - Calme-toi ! Ne résiste pas ainsi. Tu m’épuises et j’ai besoin de toutes mes forces. Vois comme Elle est paisible. Fais comme elle et tout ira bien. Écoute-moi à présent. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Je n’ai plus beaucoup de temps pour accomplir ce qui doit l’être. Alors écoute-moi sans t’agiter ni m’interrompre avec tes verbiages si typiquement humains. Je vais te dire ce que tu dois savoir puis tu t’endormiras. Et quand tu te réveilleras, tu seras un autre homme.

    - Un … un …autre… homme ? Bégayai-je la langue pâteuse tandis que mes membres s’engourdissaient et que tout mon être assoiffé de vie, luttait pour ne pas sombrer.

     « Un autre homme oui ! Digne de son amour. Maintenant, tais-toi et écoute… » Cru-je l’entendre dire avec des sanglots dans la voix

    Il parla. Et pendant qu’il parlait, il opérait en moi, en Elle et en lui-même, son ultime métamorphose.

     

    Je regarde ma merveilleuse épouse. Dieu que je l’aime ! Même si j’ai conscience de ne l’avoir pas vraiment méritée.

    Il me l’a donnée. L’Arbre magnanime m’a donné à moi le pauvre humain tellement limité, la femme de sa vie !

    Je me rappelle le cœur serré, l’instant précis où il m’a confié en pleurant, je dis bien en pleurant, qu’elle m’a aimé dès le premier regard qu’elle a posé sur moi à mon insu. Qu’il a senti sa souffrance quand je l’ai frôlée sans la voir, aveuglé que j’étais par mon ambition…Elle m’a aimé sans cesser de l’aimer lui. Cruel dilemme pour cette femme au cœur tendre, dénuée de toute duplicité. Elle en a tellement souffert qu’elle était prête à sacrifier sa vie, juste pour ne pas risquer de le tromper, même par la pensée. Elle était persuadée que rien n’était possible entre nous. Elle était une Femme-Arbre depuis si longtemps et moi, je n’étais qu’un homme. Le pire de tous à ses yeux puisque je venais détruire son univers. Pourtant, elle s’est éprise de moi alors qu’elle n’avait été qu’une amie pour le Voyageur aux chevilles duquel je n’arrive pas.

    Cadeau suprême de l’Arbre, par je ne sais quel inimaginable procédé, il a fait en sorte que nous devenions parents du plus miraculeux des nourrissons. Un superbe petit garçon très en avance pour son âge dont les incroyables yeux mordorés qui lui viennent de sa maman, brillent déjà d’une intelligence hors norme.

    Suprême mais pas unique, loin s’en faut. À elle, il a permis l’oubli afin qu’elle puisse vivre heureuse cette troisième existence sans souffrir de ce qu’elle aurait considéré comme une trahison si elle avait dû se souvenir de tout.

    Quant à moi, la sève qu’il a transfusée dans mes veines, m’offre la promesse d’une longue vie auprès de ma femme, mon amour. Grâce à ce sang vert, je bénéficie en outre d’un don que je ne me serais pas attendu à apprécier autant, parce qu’évidemment, il n’a pas que des avantages : je lis dans la pensée de tout ce qui vit, comme en était autrefois capable ma divine épouse qui elle, ne peut plus lire que dans les miennes désormais. Et encore n’est-ce dû qu’à l’amour immense qu’elle me porte.

    Certes, elle a tout oublié de son passé de Femme-Arbre et ses enfants respectent ce vide bienheureux de sa mémoire à leur sujet comme à celui de ses vies d’avant, mais de temps à autre, je la sens perdue, hagarde et désemparée. Là, tout au fond de son esprit, je vois sa fine silhouette penchée au bord d’un abîme de perplexité. Et je ne peux l’aider, car il m’est interdit de lui révéler la vérité. Cela fait partie du marché que j’ai passé avec l’Arbre pour prix de tout ce qu’il a fait pour elle, pour moi par conséquent. Un prix pas exorbitant mais néanmoins lourd et contraignant, tant j’ai de mal à garder le silence quand je lis toutes ces questions sans réponses possibles dans la tête de la femme que j’adore.

    C’est cela finalement ma plus grande punition : être le seul à me souvenir puisque l’Arbre aussi a tout oublié.

    - Je le dois ! M’a-t-il avoué. Je le dois car si je me souvenais, j’en mourrais. Et si je meurs, elle meurt parce que le lien d’amour qui nous a unis, qui continuera à nous unir même quand nous aurons tout oublié, ne peut se rompre sans nous briser tous deux. Voilà pourquoi seule l’amnésie est notre sauvegarde.

    Alors moi, le traître, le fourbe repenti, je me souviens et je me tais.

    Mon fils aussi se taira, lui qui sait sans comprendre encore ce qu’il sait. Il est le dernier héritier de l’Arbre. Dans ses veines, coule, mêlé au sang que sa mère et moi lui avons légué, un peu de cette sève miraculeuse qui fait déjà de lui un être à part.

    Mais pour le moment, oui, je suis le seul à me souvenir.

    « Nom d’un chat borgne ! Tu n’es pas vraiment le seul ! Moi aussi je me souviens et même bien plus que toi prétentieux humain ! » Miaule le Chat en s’étirant, ses griffes acérées bien plantées dans mes cuisses.

    - Aïe ! Tiens, tu es réveillé toi ! Excuse-moi Pirate et rendors-toi je te prie.

    - Alors mon cœur, tu parles au chat maintenant ?

    M’entends-je dire par la voix rieuse de mon amour. Elle ne l’a pas entendu répondre.

    « Pas question de me rendormir. Il y a trop de bruit dans ton ciboulot d’humain pour que j’y parvienne. Je vais aller saluer mon vieil ami l’Arbre et je ne lui dirai pas bonjour de ta part, ça ne servirait à rien puisqu’il a oublié… »

     

     


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  • Le dernier Gardien

     

    Ils sont partis.

    Les gendarmes d’abord après s’être assurés que le conflit était en passe de se résoudre sans eux. Puis les hommes avec leurs horribles machines de destruction. Les Enfants -Arbres enfin, quelques jours plus tard, parce que leur présence ne s’avérait plus nécessaire. Les animaux ont regagné les entrailles de la forêt dépités de n’avoir pu livrer bataille. Quant à ma femme et moi, en attendant que se règle le litige d’homme à arbre, nous avons réintégré notre maison au hameau.

    « Ce n’est que provisoire » M’a mentalement rassuré l’Arbre. Et bien que je ne comprenne pas ce qu’il veut dire par là, je m’efforce, bon, gré mal gré, de lui faire encore confiance. N’a t-il dit que tout allait rentrer dans l’ordre naturel des choses ?

    Chaque jour, je me rends aux abords de la forêt silencieuse. Est-il trompeur le calme qui règne sur ces lieux en sursis ? Je ne perçois rien de ce qui se trame là-bas. La brèche taillée par le vieux Voyageur s’est refermée sur l’huis-clos entre l’Arbre, la Dame verte et le Bâtisseur. Même Chat s’est volontairement exilé en attendant la fin des « négociations » comme il dit. Comme il feule plutôt, parce qu’il ne décolère pas.

    - Que le Dieu des Chats me damne Gardien ou pire qu’il me transforme en souris ! Je n’y comprends plus rien ! Mais alors rien de rien ! Ne cesse-t-il de miauler, la moustache frémissante et l’œil hargneux.

    - Avoues que tu enrages plutôt ! Tout ça parce que ton ami de bois n’a pas daigné insister lorsque tu as déclaré que tu n’allais pas rester là à le regarder discuter avec ce salaud d’humain !

    A répliqué agacée Minette dont les flancs alourdis annoncent une mise bas très proche, la première fois qu’il nous a servi ce discours acrimonieux.

    D’autant que nous sommes, tout comme lui, extrêmement perplexes quant à l’issue de ces discussions qui n’en finissent pas. Depuis, elle se tait et nous aussi. Chat lui, a préféré s’éloigner, passablement énervé que nous ne paraissions pas partager sa légitime frustration.

    Pourtant, nous sommes inquiets. Et le mot est faible pour définir la peur noire avec laquelle nous attendons, en essayant de nous tranquilliser avec les promesses que nous a faites l’Arbre avant que nous ne cédions la place à l’ennemi.

    Trois jours qu’il est entré dans la forêt et toujours pas de nouvelles.

    Je le revois encore ce jour-là. Je me passe et me repasse le film des évènements qui ont précédé l’instant précis où la Dame verte est sortie de la foule assemblée. Je la revois s’avancer, souveraine et si belle vers l’homme pétrifié par cette divine apparition. Je revois, le cœur étreint d’une terrible angoisse, le regard qu’ils ont échangé…Ô comme je voudrais me tromper !

    Elle l’a pris par la main et l’a entraîné avec douceur et persuasion vers la Forêt interdite.

    Jamais je n’oublierai cette image. La Dame verte et le Bâtisseur main dans la main. Non, jamais je ne l’oublierai car à ce moment là, j’ai cru entendre résonner au loin, surgissant du plus profond du Jardin oublié un cri déchirant de désespoir et de chagrin.


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  • Le Bâtisseur

     

    J’étais chez moi, tranquille et seul hélas, puisque Pirate a disparu. Je lisais ému plus que de raison mais également frappé de stupeur, le dernier cahier de voyage de mon vieil ami baroudeur lorsque le téléphone a sonné, me tirant brutalement du songe éveillé dans lequel cette lecture effarante m’avait plongé.

    - Patron, il faut que vous vous rameniez vite fait ! On a un gros problème ! Des tas de gros problèmes plutôt !

    Hurlait paniqué à mon oreille le chef des travaux diligenté sur le site de ma future ville.

    - Calmez-vous mon vieux ! Des problèmes de quel ordre ?

    - Je ne peux pas vous dire, c’est trop… trop…Non, il faut vraiment que vous voyez ça de vous même boss ! Je vous jure ! Y’ a que vous qui puissiez régler ça sans bobo !

    - Bon sang ! Depuis quand le déboisage représente-t-il un problème ? Voyons chef, ça ne peut pas être si grave que je sois obligé de me déplacer à ce stade du chantier !

    - Si, si, si ! Je vous assure que ça craint un max ! On ne peut pas déboiser patron, parce qu’on ne peut pas entrer ! Faut que vous rappliquiez rapido !

    - Expliquez-vous nom de Dieu !

    - Venez et vous verrez ! Venez je vous dis ! D’ailleurs, c’est vous qu’ils réclament !

    - Qui donc me réclame ?

    - Ben si je vous dis, vous me croirez pas. Moi-même j’ai bien du mal à capter ce que je vois, alors…Venez patron, faites-moi confiance, y a qu’en voyant que vous pigerez peut-être quelque chose à tout ce bordel !

    - Bon, d’accord ! Je prends l’hélico et j’arrive ! J’ose espérer que je ne me déplace pas pour des peccadilles !

    - Je vous garantis que non !

    Il m’agaçait à la fin ce type à tourner autour du pot sans vouloir lâcher le morceau. Il me dérangeait même. J’avais le cerveau embrumé par le récit qui me captivait depuis que j’avais entrepris de le lire pour calmer les remords qui me tenaillaient. Il faut dire que dès les premières pages, ces remords que j’avais fermement étouffés lors de mon retour de la fameuse « Forêt interdite », étaient revenus à la charge.

    Il parlait de moi le vieux vadrouilleur. Et il disait tant de bien de ce « jeune homme » qui représentait le fils idéal à ses yeux que j’en étais tout remué de chagrin et de honte. Ce ne pouvait être moi ce fils qu’il aurait aimé procréer avec l’amour de sa vie, la déesse merveilleuse qui selon lui hantait le « Jardin oublié ».C’est pourtant ce qu’il écrivait en toutes lettres :

    « C’est pour toi que j’écris ! Disait-il. Tu es le fils que je me suis choisi. Ceci est ton héritage. Prends-en soin, et transmets-le un jour à tes enfants. Tu es digne de le recevoir et de le léguer à ton tour. Car ce secret ne doit pas disparaître avec moi. Ni avec toi… L’Arbre et sa sublime compagne doivent survivre à notre propre mort et leur histoire doit se perpétuer de génération en génération. La voici. Elle est mystérieuse et belle. Elle sera vraie si tu y crois. »

    Suivait un récit qui tenait plus du conte ou de la parabole, que de la réalité. Il avait intitulé ça « L’Arbre qui ne voulait pas mourir ».

    C’était invraisemblable, pourtant en lisant je me prenais à croire en la véracité des faits qu’il relatait avec une telle foi.

    Il m’avait déjà parlé de ces choses abracadabrantes mais je n’y avais en fait prêté qu’une oreille distraite et amusée, ne m’intéressant véritablement qu’à la description de cet Éden vierge de toute habitation qui servait si bien mes plans. Et pour le reste de ces fariboles dignes des contes de fée que ma mère me lisait pour m’endormir, en mon for intérieur je l’avais traité de fou ainsi que l’avaient fait d’autres avant moi probablement.

    Il le disait d’ailleurs. C’est même la raison pour laquelle il avait consigné précieusement l’histoire qu’il disait avoir vécue et celle que lui avait prétendument contée l’Arbre lors de son séjour là-bas, afin de transmettre le tout à une personne de confiance avant de mourir. Moi en l’occurrence. Pauvre vieux rêveur ! Il l’avait bien mal placée sa confiance !

    Je ne pouvais le nier, ce petit carnet aux pages écornées recelait un tas de détails troublants propres à fissurer mes convictions les plus cartésiennes.

    Alors que toutes les archives relatives aux évènements concernant la destruction de la ville censée s’élever autrefois à l’emplacement de la forêt, avaient mystérieusement brûlé, le vieil homme racontait avec précision l’inhabituelle catastrophe que personne alors n’avait pu expliquer, selon ses dires. Bien sûr, l’imputer à la puissance d’un Arbre vengeur, était totalement aberrant, mais il n’empêche que sa narration corroborait le peu d’informations que j’avais pu glaner ici et là à ce sujet dès mon retour à la « Bétonnière »

    La description de sa déesse verte me secouait également beaucoup car je me souvenais très bien de cette fois où il m’avait parlé d’elle. En l’écoutant, j’avais revu comme si elle s’était trouvée en face de moi, cette merveilleuse jeune femme qui m’avait fait me consumer d’amour en vain lors de mes débuts dans la profession il y a des années de cela. En relisant les passages où il l’évoquait son amour inaccessible, je retrouvais intactes les émotions violentes qui m’avaient alors remué le cœur et les tripes en repensant au mien.

    Des émotions oubliées qui remontaient soudain à la surface par grosses bouffées suffocantes. Mon voyage impromptu sur le chantier allait finalement constituer un excellent dérivatif.

    Que me prenait-il ? Il n’était pas dans mes habitudes de me laisser aller à des émotions de jouvenceau pré pubère. J’avais un projet à mener à terme et rien ni personne ne pourrait m’empêcher d’atteindre mon objectif. Si problèmes il y avait, j’en faisais mon affaire nom d’une pipe !

    J’ai refermé presque brutalement le carnet importun et j’ai pris mes dispositions pour arriver au plus vite sur MON chantier. Ce n’est ni une improbable déesse, ni même le souvenir lancinant d’un amour perdu qui allait freiner mon enthousiasme !

    Avant même d’atteindre les lieux, sans savoir d’où me venait ce sombre pressentiment, j’ai su que j’allais au devant de gros ennuis. C’est comme si une voix avait susurré dans mon crâne : « Ne t’entête pas… Renonce… ».Une douce voix féminine qui me troublait au plus haut point. Mais je n’étais pas homme à céder à des craintes à coup sûr infondées et moins encore à d’idiotes superstitions. Pourtant, alors je survolais le site pour y repérer l’emplacement où me poser, j’ai compris que ces craintes étaient bien en-dessous de la réalité.

    Les abords de la forêt avaient été dégagés du fouillis de ronciers, d’arbustes et de hautes herbes qui en gênait auparavant l’accès. Dans cet espace désormais nu, un grand cercle bien aplani avait été matérialisé à la peinture rouge pour permettre à mon hélico personnel d’atterrir sans souci. Mais devant l’endroit où le Voyageur avait disparu et où j’avais moi-même pénétré par deux fois après lui, ainsi que tout autour de la masse touffue de la forêt, une foule impressionnante de gens s’était rassemblée interdisant aux engins et aux ouvriers tout passage à l’intérieur de ma propriété. Car elle était à moi désormais cette forêt que Diable !

    Furieux, je me hâtai de poser mon hélico. À peine descendu de l’appareil, je me précipitai bille en tête vers cette incroyable ligne de front.

    Crénom, ils allaient voir de quel bois je me chauffais ces péquenauds ! Car il ne pouvait s’agir que d’une énorme manifestation des paysans du cru contre mon projet démesuré et dispendieux de ré urbanisation de la zone. Opposition naturelle à laquelle je m’attendais peu ou prou. Ce n’était certes pas le premier de mes chantiers qui se heurtât à l’hostilité des habitants alentour.

    Ce que j’ai vu alors dépasse tout entendement.

    Il n’y avait pas que des gens, des tas et des tas de gens, hommes, femmes, enfants, tous silencieux comme des tombes…Mais aussi des animaux de toutes sortes. Et leur présence inconcevable ne rendait que plus étonnant encore le silence absolu qui régnait au sein de cette assemblée hétéroclite. Aussi impensable que cela puisse paraître, toute la faune des bois semblait s’être donné rendez-vous  hors de l’enceinte naturelle formée par les hauts arbres dans lesquels étaient perchés des milliers d’oiseaux de toutes espèces dont les multitudes de grappes sombres accrochées à chaque branche, dominaient l’incroyable attroupement d’humains et d’animaux confondus.

    Il y avait là biches, cerfs, sangliers, blaireaux, écureuils, rats et ragondins, mulots, musaraignes, renards et j’en passe… Mais le plus frappant à mes yeux, c’était ces hordes manifestement sauvages de chiens et de chats mêlés en bonne intelligence aux autres spécimens de la gent animale dont certains devaient pourtant habituellement leur servir de proie. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de reconnaître, au milieu de ses congénères félins, mon bien-aimé Pirate qui dardait sur moi son œil unique luisant d’hostilité….

    Je rêvais ! J’allais me réveiller de ce cauchemar grand-guignolesque ! Il ne pouvait en être autrement. J’étais toujours chez moi. J’avais dû m’endormir en lisant ce satané carnet de voyage truffé d’histoires si hautement fantaisistes qu’elles m’avaient fait travailler du chapeau. Mais j’ai eu beau me pincer et me frotter les yeux à m’en faire pleurer, la vision de cette foule réprobatrice si totalement silencieuse, n’a pas disparu.

    Où étaient les voitures ou à tout le moins les cars qui les avaient amenés ? Ils ne s’étaient pas télé portés jusqu’ici tout de même !

    Réfugiés dans leurs engins, les ouvriers eux aussi paraissaient frappés de stupeur et ne pipaient mot. Mon chef de chantier avait appelé les gendarmes mais aucun de ces hommes et femmes pourtant aguerris et accoutumés aux combats de rue et autres émeutes, ne songeait à remuer ne fût-ce qu’un cil en face de cette vivante masse immobile de laquelle émanait un courant de puissance presque palpable.

    J’étais abasourdi au point de ne pouvoir réagir. Pas besoin de fermer les yeux pour imaginer ce qui arriverait si cette étrange assemblée se décidait sans préavis à se mettre  en mouvement. Je la voyais sans peine avancer cette armée désarmée, déterminée, droit devant les machines, sans crainte ni hésitation et dévaster tout sur son passage telle une Marabunta…

    Est-ce le fait de comparer ce flot humain et animal à une invasion de ces fameuses fourmis légionnaires qui m’a soudain piqué au vif, me remettant les idées en place ? Toujours est-il que je suis illico sorti de ma torpeur.

    - Foncez dans le tas ! Ai-je braillé à m’en égosiller.

    Et dans la foulée, je suis parti comme une flèche droit vers le premier engin qui se dressait dans mon champ de vision, dans le but de stimuler son conducteur figé au volant, bousculant au passage le chef de chantier immobile et blême dont les yeux exorbités étaient toujours fixés, incrédules, sur cette foule hybride. Terrorisé par ma réaction rageuse, il m’a agrippé le bras dans le vain espoir de me retenir.

    - Vous êtes fou patron ! Y a des gosses là-dedans ! y’a même de bébés ! Et des vieillards aussi !

    - Justement ! Ils vont avoir la trouille de leur vie et ils bougeront leurs fesses de là à toute vitesse ! Dites à vos gars de foncer, c’est un ordre !

    - Mais les flics vont…

    - Ils crèvent de peur. Regardez les, ils ne bougeront pas le petit doigt. Je n’ai pas besoin d’eux, je suis dans mon droit, cette forêt m’appartient alors j’entends bien y entrer et en faire ce que je veux. Foncer je vous dis !

    - OK ! C’est vous le boss après tout ! Mais on fonce vers les ennuis, voilà ce que je vous dis moi !

    - Il ne fallait pas me faire venir dans ce cas ! Vous n’avez pas su gérer, par conséquent maintenant on va régler les problèmes à ma manière que ça vous plaise ou non. Je vous paye pour agir et bien même, alors agissez bordel ! Virez moi tout ce populo et commencez le boulot pour lequel je raque un max !

    J’étais déchaîné, hors de moi, totalement incapable de réfléchir aux éventuelles conséquences de ma décision, obnubilé par une seule chose, ces ploucs et leurs saletés de bestioles, m’empêchaient de pénétrer dans MA propriété.

    Au mépris du plus élémentaire bon sens, zappant instinctivement l’absolue incongruité de la présence des bêtes au sein du rassemblement, j’étais décidé à les écrabouiller comme ces saloperies de fourmis rouges auxquelles j’avais été confronté lors d’un de mes chantiers au Brésil. Si personne ne se décidait à bouger, j’étais prêt à prendre le volant de l’énorme bulldozer près duquel je m’étais arrêté, raide de rage, les poings serrés et les yeux injectés de sang…

    - En avant ! Foncez ! Hurlai-je une dernière fois…

    Obéissant enfin à ma virulente injonction, l’homme qui pilotait l’engin mit les gaz et le monstre jaune s’ébranla en grondant, mu par la force inébranlable de ses six énormes roues chenillées…

    Alors se produisit l’incroyable. De la foule muette se détacha une improbable silhouette.

    Elle s’avançait vers moi…

    Femme, fée, déesse, liane, je ne sais… Elle était nue, sous le flot somptueux et….vert de ses cheveux. Un vert mordoré dans lequel le soleil allumait des flammèches aussi rousses que les feuilles en automne. « …La brise indiscrète et complice en soulevait par instant la masse soyeuse, révélant à mes yeux éblouis les courbes pleines et douces de son corps sublime… » Comme l’avait si bien écrit le Voyageur la brise indiscrète en soulevait la masse soyeuse, Je n’avais jamais contemplé plus exquise créature. Elle marchait, altière, nimbée de lumière. Plus légère qu’un elfe, elle paraissait voler. Quant à moi, déjà mes pieds ne touchaient plus terre.

    Mon cœur a cessé de battre. J’ai bien cru mourir rien qu’en la regardant. J’avais enfin devant moi la femme de mes rêves.

    J'étais foudroyé !


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  • Elle

    Cet homme qui est venu pour rendre un dernier hommage à notre vieil ami n’a rien vu de la magie du Jardin. Il l’a parcouru de fond en comble sans y projeter autre chose que ses fichus plans. Dans sa tête, il comptait, mesurait, déboisait, érigeait des bâtiments, traçait des rues rectilignes et des parcs bien ordonnés aux arbres et aux plantes dûment répertoriés…

    « …Ici une école à la pointe du progrès, là un lieu de culte hyper moderne et là l’hôtel de ville futuriste. Une aire de jeu pour les gosses, Un parc floral unique au monde, un stade, un immense gymnase, une vaste piscine-bulle dotée d’une flore exotique, une zone industrielle viabilisée, des rues nickel chrome, un vaste centre commercial, des pavillons grand confort avec des pelouses tirées au cordeau et des jardins privatifs…. Ici, et puis là et encore là, je garderai quelques uns de ces beaux arbres… Aménagement du plan d’eau, salle de spectacle… »

    Il alignait des chiffres, redessinait les rues, démolissait un immeuble pour en reconstruire aussitôt un autre, plus beau à ses yeux mais que moi, je trouvais disgracieux, froid et sans âme..

    Tandis qu’il se promenait librement dans notre merveilleuse forêt, j’errai comme une âme en peine dans son cerveau aussi glacial qu’une salle des coffres. Une pièce aux portes lourdes et blindées derrière lesquelles sont soigneusement rangées ses idées. Un empilement vertigineux et méthodique qui m’a étourdie jusqu’à la nausée. L’esprit de cet homme en apparence si séduisant, n’est qu’une incroyable banque de données et son cœur, un tiroir-caisse  tellement inhumain ! Pas de place pour l’amour, la joie, la beauté. Alors qu’il avait le Paradis sous les pieds, il n’y voyait qu’un providentiel terrain à bâtir et la corne d’abondance de ses subsides à venir. Ah oui, le Voyageur s’était bien trompé à son sujet !

    Et mon Arbre bien-aimé, si las, mais qui en avait vu autant que moi dans ce crâne aussi bien rangé qu’une bibliothèque nationale, n’avait rien tenté pour le retenir. Il n’avait fait surgir sous ses pas aucun des pièges qui en avaient rebuté plus d’un avant lui. Non seulement il l’avait laissé parcourir à sa guise notre royaume paisible puis l’avait laissé repartir tout aussi librement qu’il y était entré, mais encore  il l’a laissé revenir comme en terre conquise d’avance, allant jusqu’à faciliter son incursion comme il l’avait fait la première fois en demandant à la multitude des animaux errants de ne pas se montrer. Il avait caché la maison sous un entrelacs de branches et de lianes si indescriptible que l’intrus était passé près d’elle sans la voir. Un tel gâchis d’énergie alors qu’il est si las mon Arbre chéri ! Quant à moi, alors qu’il ne m’avait auparavant jamais donné le moindre petit ordre, il m’avait fermement intimé celui de demeurer invisible.

    Que craignait-il ? Cet homme est si matérialiste qu’il n’aurait pas vu même la plus exquise et parfumée des roses au milieu d’un tas de billets de banque ! J’aurais aussi bien pu me pavaner sous son nez nue comme la main, qu’il ne m’aurait pas remarquée pour autant ! Ce n’est qu’un rustre en dépit de son policé impeccable de citadin !

    - Alors pourquoi ce dépit ma bien-aimée ? Me demande Arbre d’un ton si dégagé que je ne puis m’empêcher de le soupçonner de s’y forcer. Il est vrai que je le boude un peu depuis…

    - Pardonne-moi ma mie ! J’ai été dur avec toi alors que tu ne m’as pourtant jamais contrarié mais j’ai perdu tellement de mon énergie vitale que je suis même devenu incapable de réfréner mes élans d’humeur.

    - Arbre de mon cœur, tu lis si facilement en moi que quelque fois ça m’horripile ! Cependant, il t’arrive de lire de travers ! Tu attribues mon…dépit à une quelconque raison personnelle et tu te trompes ! C’est uniquement pour notre vieil ami le Voyageur que je suis malheureuse et en colère contre cet étranger tellement déterminé à nous faire du mal que ça le rend totalement imperméable à la beauté de notre Jardin !

    Notre impénitent rêveur se faisait une telle joie de nous amener cet homme, persuadé qu’il était digne de notre Paradis. Je sais que tu lui en as terriblement voulu. À tel point que j’ai même cru que tu l’avais délibérément tué quand je l’ai vu exsangue à tes pieds. Mais je sais qu’il a dû te supplier pour que tu accèdes enfin à son désir de mourir ici en te faisant don de son sang.

    - Tu le trouves séduisant ce rustre comme tu dis !

    - Tu es jaloux mon Arbre ? Je n’y crois pas ! Ce n’est qu’un homme !

    - Et moi, je ne suis qu’un arbre !

    - Mais quel Arbre mon aimé ! Biscornu, mal foutu, vieux, malade et cependant si beau ! Tu es mon Arbre, celui que j’aime infiniment !

    - Le premier qu’il abattra ma douce sois-en sûre ! J’ai très bien lu en lui aussi !

    - Je ne le permettrai pas ! Non, tais-toi ! Je ne sais que trop ce que tu penses ! C’est vrai que la première fois je n’ai pu arrêter le bras du séide qui te tranchait à vif mais cette fois, je saurai, je te le jure. Nul ne te détruira !

    - Je sais mon cœur, je sais…

    « Ô mon Arbre adoré ! Dis-moi, toi qui sais si bien me percer à jour, que devines-tu de ce que je ne te dis pas ?

    Il est venu et ne m’a pas vue. Deux fois, il m’a frôlée sans rien ressentir de ma présence.

    Bientôt, il va revenir. Percevra-t-il le parfum de mon aura cette fois ?

    Demain nos enfants, les enfants de nos enfants et leurs tendres bougeons dont les veines charrient la sève des Arbres et le sang des Hommes, seront là. Je n’en aurai que plus de force pour lutter contre cet ennemi implacable bien pire que tous ceux qui se sont présentés à nos portes jusqu’à présent…Arbre, mon amour, tu m’as donnée la vie ! La plus belle, la plus parfaite qui se puisse imaginer ! Comme le Voyageur, je suis prête à la donner pour te sauver… » 

     

    Le Chat

     

    Moi, le Chat, je vous le dis, nous vivons les derniers instants paisibles de ce Paradis perdu ! Il règne ici un tel silence que même les oiseaux n’osent plus pépier dans les branches. Jusqu’à ma folle sœurette qui ne passe plus son temps à gloser sans fin sur le miracle de sa réincarnation dans ce fameux Jardin magique que je lui ai tant vanté quand nous étions reclus dans la tour.

    Elle savoure son bonheur précaire ma douce Minette. Elle s’est trouvé un compagnon. Un magnifique chat sauvage au pelage noir lustré dont elle attend la première portée. Elle est prête à fuir le Jardin pour mette en sécurité leur future descendance avant que ne débarquent les monstres d’acier. C’est le dernier des Gardiens qui doit la recueillir. Son mâle, superbe et fier, n’est pas décidé à renoncer à sa vie sauvage, même ailleurs qu’ici.

    Arbre a bien tenté de nous rassurer mais tous autant que nous sommes, animaux et végétaux qui peuplent la Forêt interdite  depuis toujours, nous craignons fort que demain ne soit que le prélude très court à la fin de notre monde libre.

    Ici, les lois naturelles sont respectées. Les Arbres et les plantes se nourrissent de la terre et se désaltèrent à l’eau du ciel. Les grosses bêtes carnivores mangent les petites en ne prélevant que ce dont elles ont besoin. Les végétariens  ne croquent pas plus de plantes comestibles que nécessaire. Tout le monde s’abreuve librement à l’étang ou à la rivière. Une place pour chacun, chacun à sa place et tout se passe à merveille au gré des saisons. Pas de guerre, ce concept-là appartient aux humains ! Mais pas de luttes inutiles non plus. Chaque acte, chaque moment, ne répond qu’à une seule et même règle : la simple survie. Pas plus, pas moins !

    Et cet homme qui se crut mon maître, veut anéantir tout cela. Car en détruisant, la forêt, c’est notre mode de vie qu’il va détruire. Arbre a beau m’assurer du contraire et me rabâcher qu’il détient une arme autrement plus redoutable que les pelleteuses et les bulldozers, comme je n’en ai pas encore vu la couleur, je ne cesse de me demander comment nous allons nous sortir de ce piège à rats !

    Les Enfants-Arbres, jeunes et vieux, sont arrivés avec leurs compagnons, leurs enfants et petits enfants. Ils campent dans la forêt et tout autour. Ils sont calmes en apparence mais je ressens leur profond courroux. J’en frémis de crainte. Bien sûr, ça fait un sacré monde ! Bien sûr il se dégage de ce rassemblement d’hommes, de femmes et d’enfants, une puissance phénoménale ! Bien sûr je sais de quoi ils sont capables ! Je sais aussi qu’ils vont se dresser, entité déterminée, devant les envahisseurs, liés étroitement par le même désir indomptable de sauver leurs parents et le lieu sacré qui les a vus naître. Pourtant, que pourront-ils face à leurs énormes engins d’acier dont je crois déjà entendre dans le lointain, les effrayants vrombissements carnassiers ?

    Arbre se tait. Il s’est enfermé dans une espèce de tour d’ivoire mentale que nul ne peut pénétrer, pas même la Dame verte. Il déploie ses dernières ressources psychiques pour lui cacher ce qu’il ressent mais moi, en dépit du voile épais qu’il a déployé sur ses pensées, je parviens quand même à capter quelques unes de ses émotions comme si rien que pour moi, il les laissait filtrer au travers de l’inviolable barrière qu’il a érigée autour de lui. Lassitude, chagrin, résignation et une espèce de détachement qui me fait encore plus peur que les engins monstrueux qui progressent lentement mais sûrement, portés par leurs énormes roues chenillées, voilà ce que je lis en lui. Mais nulle trace de colère vengeresse, nulle fureur même rentrée, nulle velléité de combattre l’ignoble ennemi…

    « Ô, pourquoi as-tu renoncé mon vieil ami ? Pourquoi ? » Murmure à ma place le Sage qui hante ma caboche de matou opiniâtre.

    « Parce que j’ai déjà perdu… » Ai-je cru l’entendre me répondre

    Mais ça, je me refuse à le croire. Peut-on perdre sans avoir livré bataille ? J’en pleurerais de rage si les chats avaient la capacité de verser des larmes.

    Je suis allé lécher les blessures de mon cœur endolori d’angoisse et de chagrin, puis j’ai rassemblé les animaux de la Forêt interdite  et nous avons tenu conciliabule secret loin des oreilles indiscrètes de la Dame et des Enfants-Arbres. Quoique mon honorable ex maîtresse d’antan était bien trop occupée à cajoler l’un après l’autre ses arrières et arrières-arrières-petits-enfants pour se préoccuper des états d’âme d’un chat borgne un chouia vexé qu’on ne lui prête pas plus d’attention qu’à une vieille souche pourrissante…

    Dieux de mes ancêtres félins, que nous sommes seuls face à l’adversité !

     

    Le dernier Gardien

     

    Tout ce à quoi j’assiste me dépasse. Enrôlé pour défendre un lieu sacré entre tous, voilà que je n’aurai même pas à combattre. Un à un les plus anciens des Gardiens du hameau se sont éteints paisiblement, tels des chandelles soufflées par la brise. Avec les quatre derniers membres de ce corps d’élite remarquable, nous les avons incinérés et nous avons enfoui leurs cendres au pied de l’Arbre. Puis ce fut leur tour d’accueillir la mort à bras ouverts, la veille même de l’arrivée des fameux renforts attendus. À l’instar de leurs compagnons, ils ont reçu les honneurs et la sépulture qui leur étaient dus.

    Pourquoi les Gardiens de la première heure n’ont-ils pas voulu attendre le dénouement ? Étaient-ils à un jour près pour rendre l’âme ? Rendre les armes plutôt ! Ce qui attend le royaume de l’Arbre est-il si horrible qu’ils aient préféré ne pas le voir ?

    Comme si elle n’avait attendu que cela, la fontaine elle aussi s’est endormie. Les cendres du dernier de mes compagnons à peine enfouies, elle a cessé de couler. Le village est mort. Ne restent que les poules, les lapins, les canards, les vaches, les moutons, les chèvres, les chiens et les chats pour me seconder. Mais me seconder en quoi ? Il semblerait que nous n’ayons plus rien à garder et de « Gardien du Jardin oublié », je n’ai désormais plus que le titre ronflant !

    D’un seul coup, je me sens vieux moi aussi. Et las, si las alors que j’ai la douloureuse sensation de n’avoir rien fait d’utile.
    Arbre ne m’a dit que ce mot : « Attends ! », comme s’il recelait à lui seul toutes les réponses à mes questions. Attendre quoi ? La fin du Jardin qui me paraît imminente ? Depuis que je vis ici, j’ai perdu la notion du temps. Je ne sais même plus mon âge ! La sève de l’Arbre nous a si bien préservés mon épouse et moi que nous avons cessé de compter les années. Nous nous sommes béatement abandonnés au rythme des saisons, à celui des lunaisons, au jour et à la nuit, nous contentant de si peu au regard de ce que nous possédions à la « Bétonnière » que nous serions incapables de retourner à notre existence citadine, même si on nous faisait un pont d’or pour cela ! L’argent sonnant et trébuchant n’a plus qu’une valeur très accessoire à nos yeux.

    Ainsi que me l’ont conseillé mes quatre derniers acolytes juste avant de mourir, j’ai décidé de quitter le hameau pour la forêt. Nous avons donc libéré de leurs enclos tous les animaux capables de survivre sans nos soins. Puis, après les avoir laborieusement embarqués dans deux antiques bétaillères, nous avons emmené les vaches les moutons et les chèvres et les avons lâchés à quelques kilomètres de là, aux abords de petites exploitations familiales à l’ancienne, certains que ces braves bêtes grasses et bien entretenues seraient de véritables aubaines pour ceux qui allaient les récupérer.

    Ces tâches accomplies non sans un pincement au cœur, nous nous sommes installés ma femme et moi dans l’ancienne maison de la Dame verte pour y attendre, avec les hôtes du Jardin et l’impressionnante descendance de l’Arbre et de sa divine compagne, le déroulement d’évènements dont seul le souverain de ce royaume jusqu’à présent hors du temps, semble connaître l’issue…


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