• L'Arbre 1 - Métamorphoses

    L'Arbre qui ne voulait pas mourir-1- Métamorphoses

    Un jour, un couple que déchire le désir d’enfant inassouvi, décide de planter un arbre pour masquer la laideur des murs environnants.

    Il est souvent parti. Elle est souvent seule, n’ayant pour lui tenir compagnie que les commères du voisinage et un chat borgne. C’est dans ce contexte, au cœur d’un minuscule jardin cerné de béton que va naître et s’épanouir entre Elle et l’Arbre, un amour hors norme, sous l’œil bienveillant d’un incroyable  matou qui se dit habité par l’esprit clairvoyant d’un vieux Sage.

    Il leur faudra subir d’incroyables métamorphoses et surmonter bien des obstacles pour vivre cet amour extraordinaire et pour le préserver en dépit de l’incompréhension des autres.

    "Métamorphoses", premier tome de "L'Arbre qui ne voulait pas mourir"  est un conte tout à la fois d'aujourd'hui, et hors du temps...

    ©Anne-Marie Lejeune

     

     

  • Le Voyageur

     

    Un jour, au hasard d’un de mes nombreux voyages, un jeune homme au regard mordoré, très beau, me parla de ce lieu enchanteur, m’enjoignant de partir à sa découverte.

    Je l’ai fait.

    Vous pouvez me croire ou me prendre pour un fou. Libre à vous. Chacun est maître de ses opinions et je me garderais bien d’essayer de convaincre les sceptiques. Je n’ai pas trop de temps à perdre pour une entreprise aussi assurément vouée à l’échec. Le temps dont je dispose, je le réserve à mes voyages, qu’ils soient réels ou imaginaires.

    Tout être humain qui possède la faculté de rêver devient comme moi un voyageur sans bagages. Tout rêveur est investi des pouvoirs magiques de l’imagination. Ces pouvoirs lui ouvrent mille portes secrètes, lui dévoilent les mystères des cités interdites, offrent à ses regards émerveillés des horizons nouveaux. Fort de ces pouvoirs, il escalade sans peine les plus vertigineux sommets, explore les forêts les plus inextricables, découvre les îles encore désertes, sonde les plus profonds abîmes…

    Pour moi, ils ont écarté les invisibles murs de la Cité- Jardin dont les hôtes ont accepté de me montrer leur vrai visage. Je suis irrémédiablement tombé sous leur charme. Ils m’ont si totalement séduit que j’ai posé mon bâton de pèlerin pour écouter leur histoire.

    Celle d’Arbre, tellement fou d’amour qu’il en a défié les lois sacrées de la Nature pour sauver l’humaine qu’il aimait.

    Celle de la Déesse aux verts cheveux que seule une extraordinaire métamorphose a pu rendre mère.

    Celle de Chat, le vieux matou borgne aux innombrables vies, doté d’une sagesse immémoriale.

    J’ai vu bourgeonner les Enfants-Arbres, j’ai vu leur éclosion quand ils sortent nus et verts de leurs cocons de branches. J’ai vu leurs lèvres émeraude aspirer goulûment la sève aux seins épanouis de leur mère. Je suis même resté assez longtemps pour en voir pousser quelques uns auprès de leur fratrie végétale née elle aussi de l’amour extraordinaire qui unit leurs parents. J’ai assisté subjugué à leur sevrage. Sitôt qu’ils sont capables de se tenir debout, ils quittent le téton maternel. Alors ils plantent leurs petits pieds profondément dans la terre, s’y enracinant pour y puiser leur nourriture.

    J’ai vu tous les miracles de la Cité-Jardin. J’ai vu et j’ai cru.

    Je suis un voyageur sans bagages.

    Je cède volontiers aux chants des sirènes, à l’appel du large, à l’appel du rêve…

    On me parlait de cet endroit depuis si longtemps que j’ai voulu voir de mes yeux voir.

    Et j’ai vu de mes yeux vu !

    Libre à vous de me croire ou de me traiter de fou. Cette histoire sera vraie si vous décidez qu’elle le soit. Sinon, brûlez ce livre.

    Qui sait ? Peut-être alors verrez-vous dans les flammes, la silhouette calcinée du grand pin de la montagne. Ou celle gigantesque et tordue d’Arbre enlacé par une femme si belle que vous aurez l’impression de mourir rien qu’en la regardant ?

    25 mars1998/30 novembre 2008

    Fin de la première partie


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  • Lui

     

    Assis près de la fenêtre, je regarde au dehors. J’ai encore laissé traîner mes lunettes. Sans elle je n’y vois goutte, le monde devient pour moi un théâtre d’ombres chinoises. Tant mieux ! Le spectacle de la rue n’a de nos jours rien de très réjouissant. Mieux vaut qu’il reste flou.

    Le flot incessant des voitures qui y circulent rend l’air presque irrespirable et particulièrement nocif pour les poumons des gens de mon âge. Seule la jeune génération, née dans cette atmosphère polluée, paraît immunisée contre la multitude des poisons qu’elle respire.

    Des hordes de plus en plus nombreuses de jeunes désœuvrés traînent à longueur de journée dans la cité sans âme. Ils y passent la majeure partie de leur temps à casser des vitrines, à saccager les lieux publics déjà passablement dégradés ou pire encore, à terroriser et à molester les rares inconscients qui s’aventurent seuls dehors à la tombée de la nuit. Même en plein jour d’ailleurs, personne de sensé ne se risquerait à sortir sans être accompagné d’un chien féroce ou de deux ou trois gros bras grassement payés.

    Pour ma part, étant donné mon grand âge, il y a belle lurette que je ne sors plus en ville. Je bénéficie d’un service de livraison à domicile, ce qui m’évite de mettre le nez dehors. Les rues sont trop dangereuses pour un vieillard. Bientôt, je m’abstiendrai même des quelques pas que je fais quotidiennement dans mon minuscule jardin entièrement clos. La vue de mes fleurs qui s’étiolent faute de soins et d’air pur me déprime trop ! Je ne vis pas dans une bulle et l’ai vicié pénètre malgré moi dans mes poumons affaiblis.

    Je le dis, c’est navrant, le monde a changé. Pas en mieux hélas ! Je sais, c’est toujours ce que disent les vieux radoteurs quand ils ne peuvent plus suivre le rythme. Et je suis vieux ! Si vieux et si seul !

    Je n’ai pas vu le temps passer, je n’ai pas compté mes années de solitude.

    J’ai arrêté de tourner les pages du calendrier à la mort de ma deuxième femme, il y a bien longtemps déjà. Elle s’est suicidée aux barbituriques pendant que j’étais au travail, trois ans jour pour jour après le décès tragique de notre dernier enfant encore en vie, le seul qui ait eu la chance d’atteindre ses vingt ans. Engagé à dix-neuf dans l’armée de métier, il a été tué lors d’une de ces stupides et nombreuses guerres qui éclatent encore régulièrement au Moyen-Orient. Les trois autres nous avaient déjà été ravis à la fleur de leur plus jeune âge.

    Le premier, un fils tant désiré, fut emporté dès le premier mois de sa vie par la tristement célèbre mort subite du nourrisson. Ma femme en conçut un énorme chagrin bien sûr mais pour moi que la stérilité incurable de ma première épouse avait si durement éprouvé, ce fut une tragédie.

    La douleur finalement surmontée, un an après naissait une adorable petite fille puis, deux ans plus tard, un autre garçon vint remplacer celui que nous avions perdu. Enfin, après une année supplémentaire, notre famille était complétée par un dernier représentant du sexe masculin. Nous étions heureux, enfin ! Et d’un commun accord, nous décidâmes d’en rester là, croisant les doigts pour conjurer le mauvais sort. Nous ne voulions pas oublier ce premier né si intensément désiré, si injustement volé par la mort.

    Notre aînée, vive, intelligente et belle comme sa maman entamait sa septième année quand une épidémie de méningite cérébro-spinale fit trois victimes dans son école. Notre ravissante fillette fut l’une d’elles.

    Il nous restait deux fils et encore beaucoup de larmes à verser !

    Ce fut le benjamin qui figura bientôt sur la liste noire de la Grande Faucheuse. À cinq ans, échappant à la vigilance de sa mère au cours d’une promenade, il traversa la rue et fut renversé par une voiture. Il mourut sur le coup.

    Restait le cadet sur qui reposait notre seul espoir de devenir un jour grands-parents. Nous reportâmes sur lui tout notre amour et tous nos soins car ma femme, traumatisée par ces coups successifs d’un sort des plus cruels, n’accepta plus de me faire des enfants. Elle se refusait, disait-elle, à donner à la Mort, cette insatiable ogresse, d’autres proies à dévorer. Elle se contenterait de veiller jalousement sur son dernier rejeton.

    Elle le fit si férocement que la Dame en noir dut patienter quatorze années avant de parvenir à ses fins. Quand notre fils rendit son dernier soupir à des milliers de kilomètres de sa ville natale, jeune soldat mort au champ d’honneur sur le sable chaud d’un désert hostile, il laissait une fiancée éplorée et des parents brisés à tout jamais. Trois ans plus tard, j’enterrai ma pauvre femme et je m’enfermai dans la solitude.

    J’ai vieilli, seul, me raccrochant à mes souvenirs qu’ils soient roses ou moroses. Souvent encore, je me demande ce qu’est devenue ma première épouse et ce qu’eût été ma vie avec elle si je ne l’avais pas quittée. Aurais-je fini par accéder à son désir d’adoption ? Cet enfant aurait-il vécu et fait la joie de nos vieux jours ? Serais-je seul aujourd’hui ? Je ne le saurai jamais.

    Quelque temps après la mort de ce bébé dont la naissance m’avait rendu si fier, sans rien en dire à ma compagne, submergé par un remords aussi incompréhensible que tardif, j’avais téléphoné à l’asile où était internée mon ex pour savoir ce qu’elle devenait. On me répondit que son état se dégradait, qu’elle ne parlait pas et était parfois sujette à des crises de violence. J’avais eu raison, me disait-on de la faire interner ! Si cela ne me donna pas bonne conscience, du moins, cela atténua-t-il ce sentiment de culpabilité qui m’avait soudain envahi. Je repris donc mon existence sans plus me préoccuper d’elle.

    Quand notre fille mourut, je me rappelai de son existence. Une nouvelle poussée de remords inexplicable, un nouveau coup de fil à l’asile. Cette fois, on m’annonça qu’elle s’était enfuie sans argent ni papiers et qu’en dépit des recherches entreprises aussitôt, on n’avait pu retrouver sa trace. Elle semblait s’être volatilisée. Elle demeura introuvable, même dans la ville où nous avions vécu ensemble et où la police pensait qu’elle avait pu se réfugier. Là-bas ne vivait plus, au milieu des ruines et d’une végétation folle, que des rats et une multitude de chiens et de chats sauvages.

    Les recherches furent abandonnées après trois semaines de quadrillages minutieux et d’appels à témoins. Ne restèrent bientôt de mon ex femme que les photos d’elle qu’on avait alors diffusées avec la mention « Avis de recherche », comme pour les criminels en fuite. Son cas vint grossir l’épais dossier consacré aux personnes disparues.

    Où trouva-t-elle refuge au terme de sa cavale ? Elle n’avait d’autre famille que moi et je l’avais abandonnée. Je ne lui connaissais pas d’amis. Vit-elle encore quelque part sous une fausse identité, décidée à fuir à jamais ceux qui l’ont trahie ? Ou en réalité est-elle morte au cours de sa fuite et son corps jamais retrouvé a-t-il fini par pourrir, solitaire, au fond d’un fossé perdu ou au cœur d’une forêt touffue ?

    Je l’ignore et cette incertitude parfois me ronge. La culpabilité m’étouffe encore aujourd’hui. Elle n’était pas folle, uniquement seule et désespérée au point de chercher consolation auprès d’un arbre et d’un chat borgne ! Je n’ai su alors ni l’aimer assez pour la comprendre, ni être assez fort pour la protéger. J’ai été égoïste, dominateur, intraitable. Après toutes ces années, je ne suis pas loin de penser, même si je sais que c’est débile, que tout ce qui est arrivé à ma famille ressemble à s’y méprendre à une punition divine ou à une terrible malédiction.

    Je sais que mes jours touchent à leur fin. Il est des indices qui ne trompent pas. Depuis plusieurs nuits déjà, je fais le même rêve, étrange et troublant : dans un jardin qui ressemble au Paradis, une femme jeune et belle, adossée à un arbre gigantesque me fait signe de la main. Ce pourrait être mon ex épouse mais ce n’est pas elle. Ou alors elle a incroyablement changé tout en oubliant de vieillir. Mais n’est-ce pas ainsi au Paradis ? Je cherche désespérément à l’atteindre pour mieux distinguer ses traits. Hélas, jamais je n’y parviens !

    Je tends les bras vers elle, encore et encore et je cours jusqu’à épuisement pour la rattraper car, bien qu’elle soit totalement immobile, son image recule sans cesse et demeure inaccessible…

    Je me réveille en nage, le cœur emballé et douloureux, le souffle court, les muscles tétanisés par cette course onirique. Et si las, si mortellement las ! Si malheureux de n’avoir pu la toucher, lui parler, implorer son pardon. Puis la honte me submerge et j’en pleure parce que je me maudis de me souvenir d’elle alors que je ne peux même pas me rappeler le visage de celle qui m’a rendu ma virilité…

    Pourquoi, après toutes ces années, tant de regrets, tant de souvenirs rattachés à ce premier amour qui nous a tellement meurtri tous les deux ?

    Je revois la maison que nous avions achetée et qui devait être celle du bonheur. Je revois le minuscule et coquet jardin plein de fleurs où elle décida un jour de planter l’arbre de la discorde. Du moins en fut-il le prétexte tout trouvé…L’arbre qui masque la forêt...Je la revois, elle, la dernière fois où nos regards se sont croisés avant qu’on ne l’emmène, emplis de haine, de rancœur et d’une douloureuse incompréhension. Nous nous étions tant aimés, comment en étions-nous arrivés là ?

    Les images défilent, celles du bonheur perdu puis retrouvé et reperdu. Ma vie n’est plus qu’un champ de ruines, comme la ville que j’ai quittée après notre divorce.

    J’ai suivi les évènements de loin, dans les journaux et à la télé où ils furent abondamment décrits et commentés. Ce mystère jamais élucidé défraya longtemps la chronique et refit la une des tribunes médiatiques quand une armada de promoteurs immobiliers se pencha sur une éventuelle reconstruction de la cité fantôme, comme on l’avait baptisée. Une ville détruite où la végétation avait repris ses droits à une vitesse foudroyante…

    C’était à l’époque où ma vie tenait encore debout malgré les séismes qui en avaient ébranlé les fondations.

    Après maintes études terriblement coûteuses, maints sondages du sous-sol, maintes expertises des bâtiments voués à une possible réhabilitation, le projet fut unanimement abandonné. Impossible d’envisager la reconstruction sur une base aussi instable à moins d’y engloutir des sommes exorbitantes. L’immense terrain couvert de ruines qui avait été une petite ville florissante et animée, fut déclaré définitivement inconstructible et dangereux. Des kilomètres de palissades furent érigées autour, sur lesquels on apposa de loin en loin des écriteaux dissuasifs : « Danger ! Sol instable ! Interdiction d’entrer ! »

    Voilà pourquoi, d’après ce que j’en sais par ouï-dire, la commune où j’ai autrefois vécu presque heureux, croule aujourd’hui sous une végétation anarchique, portion de monde surréaliste, à seulement quelque encablures des tours de béton de la métropole embrumée de gaz d’échappement et de fumées d’usine, à un peu plus de quarante bornes de là. Ce genre de grande cité inhospitalière où je ne fais que survivre en attendant la mort. En l’appelant de tous mes vœux, n’ayant plus rien à espérer de ce monde de violence.

    Je n’aspire plus désormais qu’à atteindre enfin ce Jardin d’Éden entrevu dans mes rêves, où règne en souveraine une Dame Nature qui ressemble étrangement à ma première épouse. Un lieu de paix et de douceur qui rend aux pauvres humains fatigués et usés par la vie, une jeunesse éternelle.

    Oui, Le Paradis m’attend quelque part, au ciel ou sur la terre, je ne sais et qui le sait en somme puisque nul n’en revient ?

    Toutes fautes expiées, lentement, je me hâte vers lui…


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  • Quand

     

    Quand le parfum des fleurs embaume le jardin,

    Quand le matin s’éveille emperlé de rosée,

    Quand s’égrènent les rires ders enfants mutins,

    Quand des arbres s’écoule la sève sucrée,

    Quand les larmes de pluie sur le sol déposées

    Abreuvent les sillons d’un printemps fabuleux,

    Quand la rose ouvre enfin sa robe veloutée

    Exhalant à l’envie son parfum capiteux,

    Quand la femme pleurant, ne pleure que d’amour

    En tendant vers le ciel son enfant nouveau né,

    Le grand arbre sourit car il sait que toujours

    Le bonheur renaîtra au jardin oublié.

     

    A-M Lejeune

     

    Elle et l’Arbre

     

    Grâce à nous et à cet amour hors norme qui nous lie, la cité endormie s’est réveillée. Les ruines n’abritent plus de spectres imaginaires mais nous avons cependant laissé fermé le mur invisible qui nous protège du monde extérieur. Comme il l’a fait pour le Voyageur, il ne s’ouvre que pour les cœurs purs. Pour les autres, notre Éden demeure impénétrable. Ils n’y voient que la triste réalité d’un tas de vieilles pierres dévorées par la végétation, seulement peuplées d’animaux sauvages. Quand, emplis d’une crainte qu’ils ne parviennent ni à maîtriser ni à expliquer, ces indésirables quittent les lieux comme s’ils avaient le Diable aux trousses, la vie, notre vie, reprend son cours serein. Alors de nouveau résonnent les rires de nos enfants, leurs pleurs et leurs cris, leurs jeux et leurs chamailleries de gamins turbulents auprès de leurs frères et sœurs arbres.

    Sous notre regard attentif, à l’ombre de notre vigilante tendresse, ils poussent devenant des hommes et des femmes parés de toutes les qualités dont rêvent les parents pour leur progéniture. Ce n’est en effet que lorsqu’ils parviennent à maturité qu’ils revêtent une apparence normale, totalement humaine pour qui les regarde. Parce qu’au-dedans, ils resteront à jamais des Enfants-Arbres ! Alors, nous les laissons quitter la Cité-Jardin. Nous les y enjoignons même ! Ils ont pour mission de porter dehors la bonne parole à ceux qui sont capables de l’entendre et de mêler leur sang-sève au sang rouge des humains qui s’éprennent d’eux, subjugués par leur grâce naturelle autant que par la beauté de leur cœur…


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  • Le vol du papillon

     

    Quand le premier soleil fait éclore la fleur,

    Alors le doux cocon dénoue ses fils de soie

    Pour que le papillon, sortant de sa torpeur

    Déplie enfin son aile et s’envole de joie.

     

    Il va vivre en un jour une vie éphémère

    Oubliant la chenille qu’il fut si longtemps,

    Avant qu’il ne devînt dans le plus grand mystère

    Cet elfe coloré, ce souffle du printemps.

     

    De corolle en corolle il vole si léger

    Qu’on dirait une fleur emportée par le vent.

    Insouciant il plane ignorant le danger,

    L’araignée dans sa toile et la course du temps.

     

    De ses ailes poudrées il caresse le ciel

    Et se rit de ses sœurs qui rampent sur le sol.

    Tel un dieu de l’Olympe il se croit immortel,

    Sans savoir que la mort peut le prendre en plein vol.

     

    Quand la ronde effrénée des noces a pris fin,

    Quand du soleil s’éteint la dernière lueur,

    Quand la fleur se referme étouffant son parfum,

    Alors le papillon replie son aile et meurt.

     

    A-M Lejeune

     

    Le Chat

     

    Je regarde. Je la regarde…Est-ce que je rêve ? Je n’en crois pas mes yeux…Euh…Mon œil.

    C’est Elle et c’est une autre. Plus sublime que Vénus sortant de l’onde. Plus sensuelle que l’Ève originelle. Plus lumineuse qu’une aurore boréale. Encore femme et plus vraiment femme…

    - Elle est terminée ! Me dit Arbre qui reprend vie en même temps qu’elle.

    - Qu’entends-tu par…terminée ?

    - J’aurais pu aller beaucoup plus loin dans la métamorphose mais j’ai tenu à la garder telle qu’elle fut lorsque je l’ai rencontrée tout en la faisant néanmoins différente. Désormais, elle et moi nous parlerons d’une seule voix, vivrons une commune vie. Chat, j’ai réussi au-delà de mes espérances !

    Je la regarde encore et encore, retenant à grand peine des feulements de stupeur et des miaulements stupides. Mon cœur balance entre la béate admiration et la frayeur mystique tandis qu’elle aussi me regarde en souriant. Point de moquerie dans ce sourire, ni de condescendance. Juste de la connivence et la joie de me revoir. C’est un radieux sourire comme je ne lui en avais jamais connu de tel dans ce passé déjà si lointain. Pourtant, Dieu sait qu’ils étaient beaux déjà, quand la vie la laissait sourire ! Il ressemble à un rayon de soleil tamisé par le feuillage. Devant mon mutisme et mon air ahuri, elle éclate soudain d’un rire frais et joyeux qui roule et coule dans sa gorge, pareil à une source cristalline puis devient ruisseau bondissant sur les cailloux et enfin cascade dévalant les rochers. J’en suis éclaboussé, rafraîchi, vivifié !

    - Bonjour Chat ! Me dit-elle.

    Et sa voix me fait penser au murmure du vent dans les branches, au bruissement soyeux des feuilles agitées par la brise.

    Elle se penche vers moi, me caresse ainsi qu’elle le faisait autrefois. Ses longs cheveux me frôlent. Ils n’ont plus la blondeur des blés mûrs. Désormais ils chatoient de toutes les nuances de vert dont la nature se pare et ils embaument des mille et une senteurs que l’on y respire à chaque saison. Odeur d’humus des sous-bois, d’herbe coupée, de fenaison, de terre humide, de feuilles sèches, de champignons. Parfums subtils de fleurs et de fruits…

    Son corps ployé est un roseau, une liane, une branche flexible, la tige souple d’une fleur…Il revêt la même parfaite beauté, les mêmes harmonieuses proportions, les mêmes courbes douces, les mêmes creux émouvants, la même altière grâce qu’autrefois mais il est à présent d’un vert tendre veiné de brun clair. Sa peau nue brille comme un pétale de fleur emperlé de la rosée de l’aube.

    Elle me fixe de ses yeux vairons. Arbre a fait, semble-t-il, une petite concession au passé, son œil droit est d’un joli vert mordoré, le gauche est resté bleu.

    Quand elle se redresse d’un mouvement fluide et gracieux pour enlacer Arbre, mon cœur manque un battement. Malgré l’épaisseur phénoménale du tronc, ses deux bras en font le tour…totalement ! Facétieuse, ravie de mon étonnement, elle me dévoile une à une les facultés liées à sa nouvelle morphologie. D’un coup, elle disparaît à mes yeux incrédules, pourtant j’entends encore sa voix moqueuse et mutine qui m’appelle :

    - Coucou ! Je suis là !

    - Où ?

    - Regarde bien Chat, tu me verras !

    Soudain de longs doigts fins saisissent ma queue et la tirent légèrement…Arbre a maintenant des bras qui sortent de son tronc ! Des bras démesurés, noueux et bruns comme l’écorce qui le recouvre !

    - C’est moi ! S’esclaffe-t-elle.

    Tel un caméléon, elle s’est parfaitement fondue dans le décor. Elle est devenue Arbre. Elle s’en détache et réapparaît afin de me montrer un autre aperçu tout aussi extraordinaire de ses nouveaux talents. Sans y croire vraiment, je la vois s’enraciner dans le sol. Ses pieds s’y enfoncent profondément comme dans les sables mouvants sans qu’elle perde pour autant un centimètre de sa taille. Au contraire, elle semble grandir au fur et à mesure qu’elle prend racine !

    J’hallucine ! Non, en fait je suis en train de perdre la raison.

    - Non Chat, tu n’es pas fou et tu n’es pas au bout de tes surprises ! Dit-elle en ondulant telle une grande fleur au gré du vent capricieux.

    Je dois admettre que pour une fois, l’expression belle plante est merveilleusement et parfaitement appropriée.

    Le cocon de branches nous a livré une créature bien plus belle qu’un papillon et heureusement d’après ce que m’en a dit Arbre, moins éphémère ! Bien au contraire, sa métamorphose inespérée lui assure du même coup une longévité hors norme. Elle pourra vivre aussi longtemps que lui sans prendre une ride !

     

    Mon incrédule émerveillement et ma légitime stupéfaction atteignirent le summum le jour où avec Arbre elle accomplit pour la première fois le rituel de procréation. Ce jour-là fut également pour elle le suprême aboutissement de tous ses espoirs refoulés. Elle allait enfin avoir des enfants et ainsi faire revivre le Jardin oublié.

    Et ce conte de fée qui toujours berça des millions de bambins en leur faisant croire que les bébés naissent dans les roses ou dans les choux, allait ici devenir une quasi réalité…

    Quand le moment fut venu, en ce premier jour de printemps, juste un an après sa miraculeuse sortie du cocon, elle s’accoupla avec Arbre. Je ne puis interpréter autrement l’acte dont je fus le témoin privilégié bien qu’il ne présentât aucune des caractéristiques de la sexualité humaine ou animale.

    Vêtue de sa seule chevelure, accolée à lui, presque fondue à lui, les bras refermés autour de son tronc épais, les pieds nus planté dans la terre meuble humidifiée par une printanière ondée, elle laissa couler de ses yeux, comme des larmes, la sève issue de leurs deux corps mêlés…

    Alors, ainsi que le dit le Voyageur au début de cette incroyable histoire :

    « Chaque fois qu’une larme portée par le vent touchait le sol, là où elle se posait surgissait soudain une jeune pousse… »

    Ce qu’il ne dit pas, c’est que chaque pousse devint rapidement un arbrisseau qui rapidement prit de la vigueur, de l’épaisseur sans pour autant devenir un arbre adulte. Lorsque ces petits arbres furent assez forts et larges, deux d’entre eux tissèrent en leur cœur un cocon…

    Au bout de neuf mois, chaque cocon s’ouvrit sur un enfant à la peau vert tendre et au crâne fragile couvert d’un fin duvet couleur de jeune mousse. Ensemble les bébés, un garçon et une fille, poussèrent leur premier cri. Ensemble ils trouvèrent leur juste place entre les bras de leur mère qui leur offrit ses seins gonflés de lait-sève pour une première tétée.

    Chaque arbre porteur, comme le placenta devenu inutile, s’étiola puis mourut sitôt la délivrance accomplie. Les autres allaient croître librement là où le vent les avait déposés, Arbres-Enfants auprès des Enfants-Arbres, frères et sœurs de sève et de sang…

    Arbre m’informa que ce rituel printanier n’aurait lieu que tous les deux ou trois ans au plus, pour respecter les lois de l’équilibre naturel et que le sexe des Enfants-Arbres serait déterminé en fonction de ces mêmes lois.

    La nouvelle condition, mi humaine mi végétale de sa sublime compagne lui permettait enfin d’être mère. Doublement !

    La métamorphose était parfaite  Elle avait fait d’Elle l’égale d’une fée ou d’une déesse tandis qu’Arbre devenait le plus heureux des pères en même temps que le plus comblé des amants.


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  • Elle

     

    ...Lentement, mollement, telle une feuille morte portée par la brise légère, je tombe, tombe, tombe sans fin…Atteindrai-je jamais le sol ? Suis-je morte ou seulement endormie ? Je rêve, rêve, rêve sans fin…Me réveillerai-je jamais ?

     

    …J’ai peur. L’obscurité m’engloutit…Est-ce un abîme noir et profond dans lequel je tombe, sans autre bruit que ce battement sourd et régulier ? Ou est-ce le vide sidéral qui m’aspire irrésistiblement vers le haut ? Vers le bleu nuit du ciel, au milieu d’une poussière d’étoiles…

     

    …Des pensées fugaces me traversent, dérangent ma douce quiétude…Souvenirs lointains…Réminiscences d’un monde oublié…D’une autre vie…Où ? Quand ? Dormir…Mourir…Vivre…Rêver ? Où suis-je ? Qui suis-je ? Suis-je seulement ?

     

    …J’ai mal. Des millions d’aiguilles me transpercent…Je ne suis que douleur…Je voudrais me débattre, échapper à ce supplice qui s’arrête, puis revient, s’arrête et revient encore…

     

    …Je ne peux bouger…Mes membres sont entravés…Je ne peux rien voir de ce qui m’entoure…Mes paupières sont si lourdes comme scellées…Suis-je paralysée ? Prisonnière ? Enfermée dans un cercueil ?

     

    …Il fait noir mais je n’ai pas peur…Je suis nue mais je n’ai pas froid… Je n’ai plus mal…Je n’ai ni faim ni soif… Je n’éprouve aucune envie…Je me sens bien, enveloppée, cajolée, protégée…Qui me berce doucement ? Qui me chuchote des mots apaisants ? Suis-je un enfant dans le ventre de sa mère ? Un oisillon pas encore sorti de l’œuf ?

     

    …Je rêve…Est-ce vraiment un rêve ? Je plane au-dessus d’un arbre immense…Est-ce vraiment un arbre ? Il ne ressemble en rien à ceux que je connais…Que j’ai connus…Où ai-je vu des arbres ? Quand ?

     

    Une montagne illuminée par l’orage…Un jardin…Des murs…Un grondement monstrueux…Des cris…Le déchirement…L’arrachement…La mort ! Non ! Pas la mort ! Il n’a pas voulu !

     

    …Je plane au-dessus de l’Arbre…Quelque part au milieu d’un fouillis de branches, à l’abri du feuillage dense, quelque chose dort…J’entends distinctement la respiration lente et régulière, les battements du cœur…Quelque chose…Quelqu’un ? Dort et rêve…Rêve qu’il plane au-dessus d’un arbre…

     

    …Qui cherche à me retenir ? Là-bas, à la fois lointaine et si proche, la porte d’or entrouverte sur l’autre monde m’attend, m’attire…Ô cette douce lumière qui m’appelle ! Qui que tu sois, laisse-moi partir, je suis si fatiguée…

     

    …Mes paupières frémissent…Mes membres engourdis meurent d’envie de s’étirer…Une source vive, un sang neuf coule en moi…Je sais qui je suis, je me souviens…Je devine où je suis…Je tremble de comprendre ce que je suis devenue…Celui qui me porte en son cœur est à bout de forces. Il a lutté si longtemps ! Il a usé presque toute son énergie pour me rendre à la vie…J’ai peur mais pour lui, je dois me réveiller…Il m’attend…Ils m’attendent.

     

    L’Arbre

     

    Ne tremble plus ! Réveille-toi, ouvre les yeux ! Je suis là !

    Pendant que tu dormais, immobile au creux de mon cœur, je t’ai rêvée... Longtemps, si longtemps que j’en ai oublié le monde autour de moi. Je t’ai rêvée intensément afin que tu deviennes enfin celle que j’attendais, celle dont je rêvais depuis que tu as croisé mon chemin. Je suis un arbre, tu es une femme, entre nous rien n’eût été possible sans ce que j’ai fait de toi.

    Réveille-toi ! Tu es plus belle encore que dans mes songes les plus fous. Désormais plus rien ne nous sépare, ni ton humanité ni ma nature végétale. Tu fais partie de moi comme je fais partie de toi. Ton sang court dans mes veines d’arbre, rouge et chaud. Ma sève fraîche et vive coule dans les tiennes.

    Réveille-toi ! La vie nous appartient ...


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