• Les rêves d’Élisa 2 -Liberté

    "Les rêves d’Élisa" -Liberté

    Élisa a poursuivi ses errances oniriques à travers le temps et l’espace.

     Un voyage étrange où se mêlaient inextricablement le rêve et la réalité.

    Elle est passée de la préhistoire à l'an 1000 après l'Apocalypse, du  Moyen Âge au  vingt et unième siècle en se demandant sans cesse quelle époque était réellement la sienne.

    Elle vit désormais à Liberté, le village érigé pour  accueillir les prisonniers de la  Sphère.  Loin ce lieu maudit, elle mène une existence paisible auprès de Jonathan, son éternel sauveur,  l’homme de sa vie depuis toujours, présent dans tous ses songes.

     Elle ne fait plus que des rêves ordinaires jusqu’au retour inopiné de ceux au cours desquels tout se mélange.

    Puis Jonathan disparaît.

    Commence alors pour Élisa un nouveau et long voyage en solitaire. Persuadée qu’il est vivant, elle est bien décidée à le retrouver, fût-ce au péril de sa propre vie.

                Ce périple aux détours surprenants la mènera-t-il à la vérité ?

  • Noël approche. Temps d'abondance, de lumières, de faste, de bombance...

    En famille ou entre amis, nous allons nous asseoir autour d'une table bien garnie pour un joyeux repas de fête.

    Puis les yeux brillants, nous déballerons les cadeaux, témoignages de l'amour que nous nous portons les uns aux autres.

    Nous serons au chaud, à l'abri, ensemble !

    N'oublions pas ceux qui sous les guirlandes lumineuses de nos villes,  entourés de décorations scintillantes, ne connaîtront que la solitude, la faim, le froid, l'abandon.

    Pour rappeler que le partage peut être une  bienfaisante source de bonheur, je vous remets ce conte de Noêl écrit en 2021.

    Joyeux Noël à toutes et tous.

    ***

    Conte de Noël

    « Pas de pot ! » se dit Joseph en soutenant Marie qui peine à marcher ! C’est le troisième foyer qui affiche complet. Faute de mieux, Il a essayé de se faire accepter, juste pour une nuit, dans un petit hôtel miteux.

    - Tu crois que je vais te loger gratis ! C’est pas écrit « La poste » mon gars !

    Il fait froid ! Très froid !  Trouver un endroit chaud où dormir, devient une question de vie ou de mort ! L’hiver transforme le monde de la rue en une jungle encore plus inhospitalière que de coutume. Un monde où se côtoient le désespoir des uns et l’indifférence des autres.

    Chaque jour, la radio, la télé, les journaux étalent presque complaisamment, ces tristes faits divers : les milliers de sans- abri, les tentes misérables entassées sur les quais de la Seine à Paris, le pauvre type qu’on a retrouvé mort de froid sous un amoncellement de cartons.. Les lieux d’accueil qui se remplissent, les maraudes de nuit des bénévoles pour apporter un peu de réconfort aux plus déshérités…

    Et à côté de ça, l’abondance, le luxe, les vitrines scintillantes, les illuminations de Noël…

    La lumière et la bonne chair pour les uns, l’obscurité et la faim pour les autres. Le miel pour les uns, la ciguë pour les autres…

    Fatiguée, Marie s’appuie contre un arbre où brillent quelques ampoules colorées. Un maigre effort pour un quartier qui n’en demandait pas tant ! Ils n’ont avalé, pour la journée entière, qu’une tasse de café ce matin et un bol de soupe accompagné d’un sandwich distribués par l’Armée du salut ce soir. Un repas énergétique mais insuffisant pour Marie qui n’a pas qu’elle à nourrir. Quand il l’a prise sous sa protection, elle était enceinte de 3 mois et à la rue depuis le même temps. Lui, il y est déjà depuis deux ans, après avoir perdu son travail et sa maison. La jeune femme est proche de son terme ! Ça craint par ce froid mordant !

    Ils ont traversé la ville sans trouver le moindre abri acceptable. Les voici aux abords d’un petit stade de foot. Avec un peu de chance… Et enfin, elle est là ! Le portail a été forcé, ils peuvent donc entrer. Qu’importe que ce soit entre les gradins, il y aura bien une petite place pour eux. Il espère, parce que sa compagne est épuisée !

    -Joseph, regarde, il y a de la lumière là-bas. Dit Marie dans un souffle.

    Là- bas, c’est le vestiaire et en effet, une faible lueur éclaire l’entrée…

    -Attends-moi là, je vais voir ! Murmure-t-il, sur ses gardes.

    Dans le local, trois occupants : un vieillard avec son chien et deux ados faméliques, un garçon et une fille, enveloppés, dans des ponchos élimés, en train de décorer un sapin synthétique avec des guirlandes et des boules multicolores. Autour d’eux, posées çà et là de grosses bougies rouges éclairent la scène improbable ! Joseph n’en croit pas ses yeux ! Marie, qui ne lui a pas obéi, non plus

    -Alors les amoureux, on cherche un nid pour la nuit ? Entrez-donc ! Plus on sera nombreux, plus on se tiendra chaud, pas vrai ? Invite le vieil homme avec un sourire qui dessine mille rides autour de ses yeux bleus pleins de bonté.

    -Ouaip, c’est Noël lâchent les deux jeunes d’une même voix ! Même qu’on a de quoi fêter ça et qu’on veut bien partager avec vous ! Z’avez l’air affamés !

    -Oupss ! C’est pour bientôt le bébé ? Demande la jeune fille les yeux écarquillés !

    -Pour cette nuit je pense ! Répond le vieil homme ! Normal, c’est la nuit de Noël ! Au fait, moi, c’est Balthazar et mon vieux pote poilu, c’est Melchior ! Le p’tit jeune là, c’est Gaspard et sa copine, comme de juste, c’est Stella ! Voilà ! On est au complet je crois, même s’il manque le bœuf et l’âne. Vous, c’est Marie et Joseph je suppose ! Et le p’tit bout là, qui va pas tarder à pointer le bout de son nez, vous l’appellerez peut être Jésus, Non ?

     ©A-M Lejeune

    03/12/2021


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  • Elle est là, entre mes bras, dans la maison que nous avons bâtie en ce lieu que nous avons appelé Liberté pour y reconstruire notre avenir.

    La France nouvelle, peut-être même le nouveau Monde, parce que nous ne savons pas encore ce qu’il est advenu des autres Arches dispersées sur ce qu’il reste des cinq continents de notre planète.

    Elle est là, épanouie, ronde de notre premier enfant. Élisa ma rêveuse qui a failli mourir d’avoir tant et si longtemps refusé de se réveiller !

    La dernière d’entre nous à avoir enfin consenti à ouvrir les yeux dans la salle de réveil du septième niveau de ce qu’elle appelait « la Sphère », dans ses errances oniriques.

    Une année longue, si longue pour Martha et moi à nous relayer à son chevet, à guetter le moindre signe d’un retour à la conscience de notre dormeuse entêtée, en lui parlant de Liberté, ce village que nous avons érigé au bord d’une plage, sur la côte sud-ouest de ce qui fut la France avant la terrible catastrophe qui a détruit toute vie à la surface de la Terre mille ans auparavant. Puis quelques autres  dont Mélodie et Rafael sont revenus de Liberté régulièrement  pour nous prêter main forte et nous tenir compagnie ou dans le cas de Khaled, Septime et Serena en particulier pour nous enjoindre fortement d'arrêter les frais. Eux ne parlaient pas à Élisa mais à moi et ce sont leurs propos qui pénétraient le subconscient de la dormeuse. C'est par Mélodie et Rafael quelle a appris toutes les péripéties du long voyage vers Liberté, dont la mort de Jacob est le plus triste épisode. Ces histoires ont meublé ses rêves et se sont curieusement entremêlés avec ses  vrais souvenirs et avec d'autres créations  jaillies de son imaginaire, comme  Ehi Sha, son double de la préhistoire.

    Jour après jour jusqu'à son improbable réveil de l'avis de beaucoup, le village s'est agrandi pour y accueillir les rescapés de notre Arche française, au fur et à mesure qu’ils se réveillaient après ces dix siècles passés dans les caissons de cryogénisation répartis sur les huit vastes niveaux souterrains de l'immense structure que nus avons imaginée et dont nous avons dressé les plans, puis entamé la construction, sous couvert d'un gigantesque parc d'attraction, dès que nous avons su ce qui attendait notre planète Une prouesse de la technologie que nous avons conçue pour permettre à l’humanité de survivre à l’Apocalypse  qui s’est abattue sur la Terre il y a mille ans, venue des fins fonds de l’espace intersidéral.

    Elle est là et elle m’a enfin pardonné d’avoir travesti la vérité. Elle a compris que nous ne pouvions agir autrement ! Si nous avions dit à toutes celles et ceux qui ont signé en ce temps-là ce qui les attendait réellement, auraient-il accepté de nous suivre dans cette folie comme nous cataloguions nous-mêmes notre projet « Arche de Noé » ?

    Et si nous avions révélé au Monde, ce qui l’attendait au cours fatidique de cette année 2026, nous aurions vraisemblablement déchaîné sur la planète, en même temps qu’une panique incontrôlable, le feu et la violence meurtrière, bien avant que la comète justement baptisée « Armageddon » n’en anéantisse toute vie rien qu’en la frôlant ! Les gaz délétères qu’elle trainait avec elle, ne nous laissaient aucune chance !

    Elle m’a pardonné comme  elle nous a pardonné à nous qui savions ce qui allait se produire, les choix terribles que nous avons dû faire  en sachant qu’il nous était impossible de sauver tout le monde. Des choix obligatoires qui ont impliqué des sacrifices cruels à jamais gravés dans notre mémoire. Des milliards d’êtres humains. Des millions et des millions d’enfants. Et cela c’est bien le pire des cauchemars pour les « Noé », comme nous nous étions baptisés, forts de notre espoir.

    Inexplicablement, les enfants pré pubères se sont révélés inaptes à la cryogénisation. Alors nous avons placé toutes nos espérances sur des adolescents  sains et solides déjà en âge de procréer. Malheureusement aucun n’est sorti indemne des caissons. Soit ils n’ont pas survécu au long processus de cryogénisation,  soit  ils ont succombé  à leur  réveil , soit ils ont survécu mais avec de graves séquelles physiques ou mentales.  La mort dans l’âme, nous n’avons pu que constater notre échec. Celui-là et tant d’autres pertes, parce que tous les élus  adultes ne sont pas sortis vivants des caissons. Ou alors, comme nos adolescents, beaucoup sont atteints de troubles mentaux irréversibles ou d’infirmités que pour l’heure, nous ne savons pas soigner.

    Si la note à payer pour ce retour à la vie d’une petite portion de l’Humanité, est très lourde, c'était hélas prévisible !

    Elle est là, entre mes bras…. Elle sait tout et m’a pardonné ! Mais pourra-t-elle oublier mon Élisa, cet être si rare qui possède le don des rêves antérieurs parce chargés des souvenirs du monde d'avant Armaggedon.

    Il n'existe aucun autre rêveur comme Élisa chez les habitants lambda de Liberté . Nous ne l'avons pas permis. Faute d'éradiquer la faculté de rêver si nécessaire à l'équilibre humain, nous avons gommé les souvenirs d'avant. Tout comme nous avons effacé tout ce qui concerne L'Arche. Les élus  rescapés de la cryogénisation se sont tous réveillés nus de mémoire comme des enfants nouveau-nés. Leurs rêves autant que leurs souvenirs commencent à Liberté. Nous ne pouvions laisser aucune réminiscence de notre lointain passé remonter à la surface. ces souvenirs-là sont si délétères qu’ils menaceraient l’équilibre de notre communauté. 

    Nous le savons bien, nous, les « Noé » qui avons en toute connaissance de cause, gardé ces deux facultés : rêver et nous rappeler jusqu’à notre mort ce que nous avons dû faire pour que survive la race humaine.

    C’est notre punition.

    Et ma punition à moi, c'est Élisa qu'à l'insu des Noé,  j'ai voulu  par amour, garder telle que je l'ai connue. Ma rêveuse est une bombe non désamorcée même si elle a fait le serment de se taire. Souvent, le poids de ce lourd secret ternit son regard. Seule Martha, ma vieille amie de toujours connait la vérité et sait à quel point j'ai trahi la Charte  sacrée des Noé.

    A part elle, aucune des personnes qui ont attendu avec moi son réveil, ne sait quoi que ce soit des rêves d'Élisa.  Ils ne doivent pas savoir, sa liberté au sein de notre communauté de survivants est à ce prix.

     16/03/2023

     

    08/02/2023


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  • Sa mère a disparu, comme les autres, la laissant de nouveau seule et plus désespérée que jamais.

    Vaincue, elle se laisse tomber sur le sol. Elle s’y étend lasse à mourir.

    « Ce cauchemar ne finira donc jamais ! » Se dit-elle.

    - Vous ne m’avez servi à rien puisque je suis toujours là ! Lance-t-elle, remplie de colère.

    Elle s’adresse à celles qui ont fait une brève incursion dans ce songe aussi étrange que terrifiant… Les  « Élisa » qui sont « elle » sans l’être puisqu’elle n’a fait que les rêver. Sa mère qui n’est plus depuis là depuis tellement longtemps, qu’elle aurait dû l’oublier ! Elle s’adresse à Jonathan aussi. Plus en colère contre lui que contre ses visiteuses !

    - N’es-tu qu’un rêve toi aussi ? Pourquoi désirais-tu tellement que je dorme, après m’avoir tant et tant  de fois demandé de me réveiller ? Que m’as-tu fait Jonathan ? Je vais mourir, tu m’entends ! Je vais mourir !

    Elle ferme les yeux, déterminée  à attendre la mort qu’on lui prédit depuis….Elle ne sait plus combien de temps !  Et l’issue fatale ne devrait plus tarder, elle le sent par toutes les fibres de son corps.

    Elle a froid, si froid ! Mais ça ne peut pas être pire que… Quoi ? La réponse lui échappe.

    Allongée dans ce néant blanc qui la supporte, elle ne sait de quelle façon, elle s’aperçoit soudain qu’elle est nue. Comment ses vêtements se sont-ils volatilisés ?

    - C’est un rêve ! Tout est possible dans les rêves ! Prononce-t-elle tout haut !

    Elle s’est entendue parler, pourtant, ses lèvres n’ont pas remué. Encore une facétie perverse de ce lieu onirique qui la retient prisonnière.

    Elle est en train de mourir dans un rêve ! Quelle ironie du sort !

    - Qu’importe ! Je suis fatiguée… Si fatiguée…

    Une chape de glace l’enserre. Ses yeux se ferment

    - NON !  Hurle-t-on quelque part, au-dessus d’elle.

    Le cri de refus fissure l’étau de glace ! Elle essaie de bouger sans y parvenir.

    Il lui semble avoir reconnu la voix de celui qui a crié…

    Jonathan…

    D’autres voix bruissent autour d’elle. Elle ne comprend pas ce qu’elles disent. C’est insupportable ! On parle d’elle, elle le sait ! Ça ne se fait pas de parler d’une personne qui ne peut s’exprimer ! En elle renaît la colère et ce sursaut, secoue un peu la torpeur mortelle qui l’a envahie.

    Une fois encore, elle tente de remuer les bras, puis les jambes… Rien !

    - Il faut renoncer Jon’ ! Entend-elle brusquement !

    Et cette fois, la voix est assez nette pour qu’elle comprenne le sens exact de ce qui est énoncé d’un ton si froid qu’elle en tremblerait de rage si cela lui était possible. Cette voix, elle l’a déjà entendue, il y a très longtemps ! Elle n’a jamais aimé celui qui prononce ces mots cruels ! Il lui semble bien que ce n’est pas la première fois que cet homme haïssable, demande à Jonathan de l’abandonner !

    -Tu sais bien que je ne renoncerai jamais. Je l’aime Khaled ! Sans elle ma vie ne vaut pas d’être vécue! Réplique celui qu’elle aime.

    Parce qu’elle l’aime, en dépit du ressentiment qu’elle éprouve à son encontre.

    - Tu aurais fait tout ça pour rien alors ! Si tu restes, tu n’en sortiras pas vivant ! Seul dans ce tombeau, tu deviendras complètement cinglé et tu finiras par te taper la tête contre les murs à force de solitude.

    - Je m’en fous! Vous n’avez pas besoin de moi pour continuer ! Moi, j’ai besoin d’elle ! Elle va se réveiller. Je le sens  au fond de mes tripes !

    -Tu te mens à toi-même Jon’ ! Admettons qu’elle finisse par se réveiller, après aussi longtemps, elle aura de graves séquelles !

    - Tu n’en sais rien Khaled !

    - Toi non plus !

    - Elle va se réveiller, intacte et tout ira bien pour nous deux !

    - Quand ? Dans un an, dans dix ans ?

    - Bientôt, je le sais !

    - Jamais plutôt ! Elle ne va pas se réveiller mon pote ! Il n’y a que toi pour penser le contraire ! Allez, sois raisonnable ! Il faut partir maintenant, tu le sais bien ! C’est trop tard pour elle. Les autres nous attendent ! Tu ne peux tout sacrifier pour une seule personne.

    - Élisa n’est pas n’importe quelle personne ! Tu ne peux décidément pas comprendre hein ! Je l’aime Khaled. Je l’aime depuis si longtemps !

    -Ça, je ne le sais que trop et c’est ça le hic ! Si tu n’avais…

    -Stop mon vieux ! J’ai fait mon choix. Élisa est mon destin !

    - Toi et tes foutues idées à la mords moi le nœud ! Il y a les autres… Tu trouveras…

    - Aucune autre femme ne prendra la place de celle que j’aime ! Ni dans mon cœur, ni dans ma vie.

    - Tu aurais dû…

    - La renvoyez chez elle ? Á quoi bon revenir là-dessus ?

    - Tu sais parfaitement que tu n’avais pas le droit de t’éprendre d’elle ! C’était la règle Jonathan !

    - L’amour se moque des règles mon ami ! Il frappe où veut, quand il veut !

    - Tu veux donc tout sacrifier pour elle ?

    - Si elle refuse de se réveiller, oui !

    « Dormir, me réveiller… Il faudrait savoir ce que tu veux Jonathan ! «  A-t’elle envie de lui dire, mais aucun son ne peut franchir ses lèvres.

    -Nous ne pouvons plus attendre Jonathan, dit tristement une femme.

    Martha…

    - C’est vrai ! Un long …

    Elle n’entend pas la suite.. Ils se sont tous mis à parler en même temps ! C’est très désagréable !

    « Taisez-vous ! » Essaye-t-elle de hurler.

    Quand soudain la blancheur se dissout en-dessous de son corps… Et elle tombe, tombe….

    Dieu du Ciel ! Rêve-t-elle encore ? Les autres sont revenus. Khaled avec eux ! Ils sont tous là …. Elle sent leur présence dans le refuge. Elle entend le brouhaha de leurs voix tandis que Jonathan et Khaled parlent d’elle comme si elle était incapable de les entendre ! C’est intolérable !

    Elle est prise d’une rage énorme contre tous ces gens qui décident pour Jonathan et elle !

    Au comble d’une fureur née de sa frustration, elle tente de se débattre. Rien n’y fait ! C’est comme si elle était sanglée sur le châlit où elle a consenti à se coucher la veille, parce que Jonathan le lui demandait.

    Que se passe-t-il ? Pourquoi l’a-t-il attachée ? Et pourquoi ne peut-elle parler ?

    Curieusement, elle a la sensation d’avoir déjà vécu semblable situation mais elle se souvient que…Chloé l’a détrompée à ce sujet. L’hôpital, le long coma, son réveil dans la chambre toute blanche… Jonathan à son chevet…

    « Ce n’était pas toi ! » Lui affirmait son amie. Elle l’entend encore ! Elle croit l’entendre, parce que ça aussi, ce n’était qu’un rêve. Chloé ne pouvait être là, pas plus que sa mère dans le cauchemar qu’elle a fait il y a…

    Elle aussi lui demandait de se réveiller.

    Depuis combien de temps, tous les personnages récurrents de ses songes, l’enjoignent-ils de se réveiller ? Jonathan n’est-il qu’une création de son subconscient lui aussi ? C’est possible ! N’était-il pas présent dans tous les mondes oniriques que son esprit à la dérive a inventés ?

    Elle n’ose ouvrir les yeux de peur de se retrouver une fois de plus dans cet horrible endroit vide et blanc. Seule !

    « Suis-je encore en train de rêver là ? » Se demande-t-elle.

    Pourtant, elle jurerait le contraire, elle ne sait pas exactement pourquoi. Elle sent confusément que tout est différent cette fois. Sa perception de ce qui l’entoure est différente !

    Par exemple, elle est sûre qu’il y a bien quelqu’un assis près d’elle. Quelqu’un qui lui tient la main. Elle sent sa présence à la fois inquiète et attentive. Elle sent la chaleur de sa paume contre la sienne. Elle sent son regard posé sur elle, plein d’espoir. Et elle a bien entendu SA voix tout à l’heure. La sienne et celles des autres.

    Sa voix à lui, elle la reconnaîtrait entre mille.

    C’est Jonathan. Celui qui ne l’abandonnera jamais.

    Elle va lui dire qu’il doit cesser de s’inquiéter. Et Puisqu’elle ne peut parler, il y a une autre façon de lui faire comprendre qu’elle l’a entendu. Elle y met toute sa volonté, toutes ses forces amoindries. Dans la main qui serre la sienne, ses propres doigts frémissent.

    « Je suis là ! » disent-ils à sa place

    En même temps, dans sa mémoire, un voile épais se déchire….

    Et tandis qu’un missile de souvenirs la percute, elle réalise qu’elle n’est plus en train de rêver.

    Elle sait.

    - Elle se réveille ! Hurle Jonathan.

    Des bruits de pas précipités, des cris incrédules… on accourt vers la forme étendue, vers l’homme qui a hurlé.

    Quelques secondes encore, pour intégrer ce qui lui arrive… Quelques secondes pour abandonner enfin le monde des rêves…Quelques secondes pour accepter…la vie !

    Elle ouvre les yeux….

    L’homme qu’elle aime est bien là. Il la regarde, émerveillé. Ses yeux débordant d’amour posés sur elle, sont pleins de larmes.

    - Je le savais… je savais que tu reviendrais… Balbutie-t-il, des sanglots dans la voix.

    - Jonathan.. Croasse-t-elle.

    Dans l’Arche où elle est entrée il y a 1000 ans, Élisa vient de se réveiller, nue comme au premier jour de sa vie.

     

     

     


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  • Elle se débat dans d’invisibles rets dont elle ne parvient pas à se défaire totalement. En état de semi réveil, elle a la sensation d’être encore dans le cauchemar où elle s’engluait. Un horrible cauchemar où tout était blanc. La dernière image qu’elle y a vue, c’est l’Élisa 7 de la Sphère. Elle-même quoi ! Enfin celle qu’elle croyait être jusqu’à présent ! Debout en face d’elle, dans ce néant oppressant, les yeux accusateurs, elle jetait des mots terribles :

    « Il n’acceptera pas de t’abandonner. Il mourra avec toi ! »

    -Jo..na…than ? Articule-t-elle la bouche pâteuse.

    - Je suis là ! Rendors-toi mon amour…

    - Tu…Tu es sûr ? J’ai l’impression de dormir depuis des jours et des jours. Et si je ne me réveillais pas ?

    - Tu vas te réveiller ! Et je serai là !

    - Tu…ne vas pas mourir hein ?

    - Tu vas te réveiller ! Je ne mourrai pas !

    -J’ai si peur ! Je viens de faire un affreux cauchemar !

    - Calme-toi ma douce ! Tout ira bien. Dors !

    De nouveau, elle sent sa main apaisante sur son front.

    - Et… toi.. tu ne dors pas..

    - Ne t’inquiète pas pour moi. Dors !

    Obéissante, elle consent à refermer les yeux. Le sommeil la reprend si vite dans sa toile, qu’elle se retrouve aussitôt dans la blancheur qu’elle vient à peine de quitter…

    …Á une différence près, elle n’y est plus prisonnière. Enfin plus complètement, dans la mesure où elle peut à présent s’y mouvoir. Qu’importe qu’elle puisse marcher, elle est toujours coincée là, cernée de tout côté par le même néant blanc, sans savoir ce qu’elle y fait.

    Même si leur venue inopinée l’a autant surprise qu’elle l’a fait trembler d’une frayeur quasi mystique, elle espère revoir ses trois visiteuses. Ces autres Élisa nées de ses songes, elle le comprend à présent. Même celle de la Sphère !

    En même temps, elle se demande où se trouve la vraie en ce moment, ixième clone et lointaine descendante de celle du XXIe siècle. Si c’est réellement ce qu’elle est ! Elle n’est plus sûre de rien ! Est-ce bien cette Élisa qui dort dans le refuge, veillée par un Jonathan qui n’est pas censé être là lui non plus !

    Cette Élisa qui dort et qui rêve !

    Car elle a bien compris désormais, qu’elle est en plein songe et que cet homme qu’elle aime et qui l’a toujours enjointe de se réveiller, souhaite maintenant , suprême paradoxe, qu’elle dorme et qu’elle rêve.

    Pourquoi ?

    Elle sent confusément qu’elle est au bord de comprendre quelque chose d’essentiel mais qu’elle refuse pourtant de faire le pas qui la mènerait vers la vérité. Voilà pourquoi elle était comme clouée au sol avant de se réveiller à moitié dans le refuge, suppose-t-elle. Cela voudrait donc dire que puisqu’elle ne l’est plus, elle a maintenant la possibilité, si elle le désire, de franchir ce cap décisif. Que doit-elle faire pour cela ? Attendre une nouvelle visite ? Quelqu’un qui serait capable de lui apporter des éléments de réponse ?

    Le plus étonnant dans cette situation hors norme, c’est qu’elle soit capable, au sein de ce rêve des plus étranges, de se faire ce genre de réflexion !

    « Je rêve, je sais que je rêve ! Je pourrais donc me réveiller mais je ne le dois pas… »

    Dans son premier cauchemar dont celui-ci n’est que le sinistre prolongement, les trois « Élisa » qui sont venues la voir lui ont dit sensiblement la même chose : elle doit se réveiller, sinon elle mourra et pire, Jonathan mourra aussi !

    Elle en rirait presque si la crainte absolue d’être la cause de la mort de Jonathan, ne l’en empêchait pas ! D’un côté, on la supplie de se réveiller et de l’autre, celui qui a le plus à perdre si elle ne le fait pas, lui ordonne de dormir ! C’est décidément à n’y rien comprendre !

    - Aidez-moi, je vous en conjure ! Je ne sais plus où j’en suis ! Que me voulez-vous à la fin ? Lance-t-elle dans le vide qui s’est resserré autour d’elle en même temps qu’il se répand en elle ! 

    « Suis-je en train de mourir ? » Se demande-t-elle comme elle l’a fait la première fois, quand elle s’est retrouvée dans ce lieu implacablement vide.

    « Ce doit être ça ! Parce que j’ai froid, si froid d’un seul coup »

    - C’est ça ! Entend-elle murmurer à son oreille.

    Plus que simplement triste, le ton est empreint de désespoir.

    Sa mère est là, debout, si près d’elle qu’elle n’a même pas à tendre la main pour la toucher.

    -Maman…Balbutie-t-elle, submergée par une vague de bonheur si intense qu'elle en a la respiration coupée.

    Ce qu’elle voudrait plus que tout au monde en cet instant précis, c’est se jeter dans ses bras, enfouir son nez dans la masse soyeuse de ses cheveux qui sentaient si bon, ainsi qu’elle le faisait quand elle est petite. Mais elle sait que rien de cela n’est possible. Alors la vague de bonheur reflue, remplacée par un chagrin infini.

    Car enfin, sa mère a disparu depuis des siècles. Une éternité ! Et la douleur qu’elle ressent à cette idée est indicible. Sa chère, si chère maman est morte et elle n’a jamais pu lui faire ses adieux !

    - Tu peux maintenant ma fille chérie.

    - Oh maman, maman ! Quand je suis partie ce jour-là avec Jonathan, je ne savais pas que je ne te reverrai jamais. Si j’en avais eu la moindre idée, j’aurais refusé de partir !

    - Il le fallait mon petit cœur.

    - Tu savais toi, n’est-ce pas !

    Le regard de Sarah se voile mais elle ne répond pas.

    - Je l’ai vu dans tes yeux quand nous nous sommes dit au revoir. Je l’ai vu et je n’ai pas voulu interpréter ton regard si triste. Je n’ai voulu retenir que ton sourire quand je t’ai dit que nous allions nous revoir. Comment savais-tu ? Jonathan te l’avait dit ? Réponds-moi maman ! Tu savais que tu allais mourir, que des milliards de gens allaient être sacrifiés ! Que seule une infime partie de l’Humanité avait été choisie pour assurer la survie de l’espèce ? Pourquoi moi, maman ? Pourquoi pas toi, Patrick, Chloé ? Et tant d’autres sur la Terre, qui méritaient sinon plus mais au moins autant que moi d’être élus.

    Le silence de sa mère est si lourd, qu’il pèse sur son cœur à l’étouffer !

    - Bien sûr !  Tu ne peux me répondre ! Tu es morte il y a si longtemps ! Quand le cataclysme s’est abattu sur la Terre, ravageant tout sur son passage, tu as été emportée avec le reste du monde en un souffle. Réduite en cendres sans savoir si cette maudite « Arche » avait rempli son office.

    - Elle l’a rempli ! Tu as survécu mon enfant ! Et tant d’autres avec toi.

    - Je ne peux l’admettre ! Je ne supporte pas l’idée de ces milliards de sacrifiés au nom de je ne sais quelle grande opération de sauvetage de l’espèce humaine.

    - Voilà où le bât blesse ma chérie ! Aurais-tu préféré que notre Humanité périsse tout entière ? N’est-il pas merveilleux de penser que grâce à l’Arche et à ses concepteurs, la vie renaîtra sur notre planète, à travers toi et les autres survivants ?

    - Pas à ce prix maman ! Pas à ce prix !

    - Il n’y avait pas d’autre solution ma fille ! Celle-ci, aussi effroyable qu’en soit le prix, avait le mérite d’exister ! Imagine juste une seconde, qu’il aurait pu n’y en avoir aucune !

    - Il aurait dû me dire maman ! Il ne l’a pas fait ! Il a préféré me mentir et me piéger avec cette histoire de programme expérimental à grande échelle. Ils nous ont piégés tous autant que nous sommes, nous les reclus de la Sphère. Les survivants comme tu dis ! Il jure qu’il m’aime aujourd’hui, comme il me le jurait alors ! Mais il m’a menti, sciemment !

    - Je lui ai fait promettre de te taire la vérité !

    - Il aurait quand même dû me dire ce qu’était réellement ce pseudo programme ! Je n’aurais jamais dû apprendre dix siècles après et de cette horrible façon, à quoi j’avais donné mon accord ! Dix siècles maman !

    - S’il l’avait fait, tu ne l’aurais pas suivi ! En dépit de l’amour si fort que j’ai vu brûler entre vous, tu aurais refusé de partir ! Je te connaissais si bien ma chérie ! Tu serais morte toi aussi et cela vois-tu, c’était inacceptable pour moi !

    - C’est donc cela, la vérité que j’étais censée découvrir ?

    - Pas seulement mon trésor ! Il y a encore des choses que tu dois apprendre !

    - Quelles choses maman ?

    - Je ne peux rien te dire de plus ! Pour savoir, tu dois te réveiller. Tu dois le faire d’abord pour toi, parce que tout ce à quoi Jonathan a consenti pour que tu vives, ne servirait à rien sans cela ! Tu dois le faire pour lui, parce qu’il t’aime à en mourir ! Et il le fera si tu renonces ! Et enfin ma fille adorée, tu dois le faire pour moi et tous ceux que tu aimais, parce qu’il Il faut que tu saches que si tu meurs, nous mourrons tous une deuxième fois. Qui ferait vivre notre souvenir si tu n’étais plus là ?

    -Je.. Je comprends mamounette ! Je t’aime tant ! Mais Patrick, Chloé, Il aurait pu les sauver eux aussi ! Deux personnes en plus, ça lui coûtait quoi ? Ils étaient si jeunes ! ! Ils allaient se marier, faire des enfants ! Il était entre des mains comme les leurs, l’avenir de l’humanité !

    - Et tu aurais trouvé ça juste ? Il y avait des millions et des millions de « Patrick et Chloé » ! Mais les Arches ne pouvaient embarquer qu’une partie d’entre eux ! Tout comme Noé n’a pu sauver du déluge imminent, qu’une partie des créatures vivantes peuplant la Terre ! Tu es capable de comprendre ça !

    - Non! Non et mille fois non ! C’est une énormité inconcevable !

    - Allons ma fille ! Je t’ai connue plus volontaire et courageuse ! Vas-tu lâcher prise maintenant ? C’est ça qui ne serait pas juste !

    - Et les enfants ! Que fais-tu des enfants ? Ils n’ont pas sauvé d’enfant, pourquoi ?

    - Je ne peux répondre à leur place. Es-tu sûre qu’il n’y en a pas eu ?

    - Je ne me souviens pas en avoir vu un seul dans la Sphère !

    - Oh ma chérie ! I Que peux-tu prétendre avoir vu ? As-tu déjà oublié que tu rêves ? Il est vraiment temps que tu connaisses la vérité ! Dis-moi au revoir et fais ce que tu dois faire ! Réveille-toi !

    - Je t’en prie maman, ne me quitte pas ! Je t’aime ! Je t’aime tellement !

    - Il le faut, cœur de mon cœur, chair de ma chair ! Il le faut…Ne m’oublie pas ! Et reste en vie, pour moi, pour nous !...

     

     


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  • …Elle est debout, au milieu de nulle part… Où qu’elle se tourne, son regard ne rencontre que le vide. Un vide blanc, absolu, effrayant.

    Elle est seule, immobile. Elle voudrait courir qu’elle ne le pourrait pas. Ses pieds sont comme ancrés dans ce rien qui la retient prisonnière. En levant les yeux, elle s’aperçoit terrifiée que même le ciel a disparu. Au-dessus d’elle, c’est le même vide blanc, infini !

    Est-elle dans ce lieu d’avant la mort qu’ont décrit ceux qui en sont miraculeusement revenus ?

    Elle se souvient d’une histoire de tunnel au bout duquel brille une merveilleuse lumière que sont censés rejoindre ceux qui vont passer de l’autre côté. Cet endroit terrifiant ne ressemble pas à un tunnel et nulle variation de lumière ne vient en casser la blancheur totalement uniforme. Nulle trouée lumineuse ne lui indique le passage vers cet au-delà paradisiaque qui devrait l’attendre après toutes les épreuves qu’elle a traversées. Elle le mériterait pourtant.

    Non, elle n’est pas dans le tunnel qui mène au Paradis !

    Si cette impression paradoxalement étouffante d’infini ne venait pas infirmer son idée, elle pourrait penser qu’elle est l’unique personnage au milieu d’une immense page blanche. Un blanc terne, triste, mort… Vide !

    Vide et terriblement silencieux !

    Elle est envahie par la certitude que si elle hurlait là, maintenant, la blancheur illimitée lui renverrait l’écho assourdi de son hurlement.

    « Il faut que j’essaie, juste pour vérifier. » Se dit-elle.

    Elle ouvre la bouche, prête à pousser un grand cri… Rien ne sort.

    Dieu du ciel, elle est muette !

    Que fait elle là si elle ne peut ni bouger ni parler ?

    Et où irait elle si elle pouvait libérer ses pieds de la page blanche ? Á qui parlerait-elle dans ce néant qui l’enserre ?

    Si c’est ça mourir, ça n’a rien de réjouissant ! Elle comprend mieux pourquoi personne, à part les suicidaires, ne semble pressé d’arriver au terme de sa vie !

    Que lui reste-t-il comme alternative, sinon attendre qu’elle ne sait quelle entité bienveillante, vienne la libérer et la guider vers l’éternité promise. Ce jardin d’Eden ressemblera-t-il à Liberté ? Et Jonathan viendra-t-il l’y rejoindre à la fin de sa vie? 

    Elle ne le croit pas. Il l’oubliera et se construira une nouvelle existence avec une autre !

    Á cette idée, son cœur qui bat encore, se serre douloureusement.

    Non ! Hurle-t-elle désespérément.

    Et cette fois, son cri résonne à ses propres oreilles à lui en exploser les tympans !

    Autour d’elle la chape de silence semble se dissoudre et d’un seul coup, bien que l’univers soit resté le même, la blancheur lui paraît moins…pesante.

    Il y a un instant, elle sentait son cœur battre, à présent, elle l’entend.

    Elle pousse un soupir de soulagement. Puis tout aussitôt, elle éclate en sanglots convulsifs. Soulagée pourquoi ? Á quoi lui sert d’entendre ses propres cris, les battements de son cœur ou ses soupirs ? Elle est toujours aussi seule dans ce monde étrange, au milieu de sa page blanche et elle ne sait même pas pourquoi ni pour combien de temps !

    - Pourquoi suis-je ici ? Répondez-moi, je vous en supplie ! Lance-t-elle au vide. Il y a bien quelqu’un qui peut me dire ce que je fais ici ! Qu’attendez-vous de moi ?

    « Pourquoi…quoi…quoi… » Lui répond l’infini.

    Á bout de désespoir, elle ferme les yeux, résolue à ne plus les rouvrir. Ne plus voir tout ce blanc…Jamais !

    Elle va se laisser mourir si c’est cela qu’ils veulent.

    - Élisa ! Entend-elle soudain.

    Et la voix qui l’appelle, semble provenir de nulle part et de partout à la fois. Sidérée, elle tend l’oreille. Elle a l’impression de reconnaître les intonations de la personne qui vient de lancer son prénom dans le grand vide blanc.

    - Élisa ! Entend-elle une nouvelle fois.

    Partagée entre la peur et l’envie de savoir, elle se décide à ouvrir les yeux…

    D’abord, elle ne voit que l’infinie blancheur, tandis que la voix répète  «Élisa !» D’un ton presque chantonnant, comme le ferait un enfant.

    Avidement, elle scrute le vide. Brusquement une petite et mince silhouette en surgit, telle une apparition. Elle s’avance vers elle d’une drôle de démarche un peu bancale, comme celle des personnages d'un film qu'elle a vu il y a très, très longtemps. "La guerre du feu" se souvient-elle.… La morphologie dénonce une femme. Une jeune femme même ! Mais son accoutrement est des plus incongrus : elle ne porte en tout et pour tout qu’une espèce de pagne autour de sa taille fine. Le reste de son corps est nu. Une épaisse et longue et chevelure entrelacée de ce qui ressemble à des osselets et à de petits cailloux colorés, lui descend jusqu’aux reins et recouvre en partie ses seins aux tétons saillants. Une sauvageonne d’un autre temps…

    Plus elle se rapproche, plus la ressemblance entre elle et cette étonnante créature, lui semble évidente.

    - É- Lisa ? Prononce la jeune femme en détachant d’une façon bizarre la première syllabe du reste de son prénom.

    - Ehi Shah… S’entend-elle lui répondre dans un souffle, entre hésitation et question. Puis la vérité se fait jour en elle. Elle comprend brusquement qu’elle se trouve en face de son alter ego préhistorique.

    Ses rêves la rejoignent !

    - Moi Ehi Sha ! Toi É- Lisa !

    - Je ..Je… ne me voyais pas si petite… Bredouille-t-elle en guise de réponse à l’incroyable jeune femme venue du fond des âges.

    - Moi rêve. Toi réalité É-Lisa. Toi te réveiller maintenant ! Sinon plus rêves ! Alors Ehi Sha mourir avec son Roh Arh Anh. Ton Jona-Than aussi ! Si  toi mourir, nous mourir aussi. Tous.

    - Je.. Je ne comprends pas !

    - Toi refuser  comprendre ! Pourtant, dois, pour vivre ! Ré-veille-toi É-Lisa !

    Et sur ces mots, la jeune femme de la préhistoire, s’éloigne puis se fond dans la blancheur environnante d’où elle est sortie, la laissant de nouveau seule, interdite et le cœur étreint d’une tristesse immense.

    Elle pensait que l’apparition de cette Élisa de l’aube des temps allait la libérer de l'angoissante solitude qui l'oppresse, de la pesante immobilité qui l'entrave, il n’en est rien.

    Résignée, elle ferme de nouveau les yeux. Elle va mourir seule, ici, sans avoir eu la plus petite possibilité de fuir cette horrible blancheur qui pénètre en elle, insidieuse, envahissant le moindre recoin de son esprit où peu à peu, se délitent tous ses souvenirs…

    «NON !» Hurle en elle cette étincelle de rébellion qui refuse de s’éteindre.

    Alors, comme si « On » l’avait entendue une autre voix jaillit, fissurant sa blanche prison de néant.

    - Damoiselle Élisa ! Aidez- moi ! Vous seule pouvez empêcher que je ne meure ici !

    - Qui me parle ? Questionne-t-elle craintive.

    - Ouvrez les yeux, gente damoiselle, c’est moi !

    Obéissant à la suppliante injonction, elle se décide à regarder….Et elle se retrouve sine die propulsée au cœur d’une noirceur épaisse et puante.

    - Où… où suis-je ? Et qui êtes-vous ? Demande-t-elle à l’ombre affaissée qu’elle devine tapie dans cette malfaisante obscurité.

    - Dans les oubliettes où votre rêve m’a conduite damoiselle ! Prisonnière jusqu’à la mort du sinistre seigneur de ce château maudit.

    - Vous…Tu es mon Élisa du Moyen Âge

    - Oui ! Si vous ne faites rien damoiselle, je mourrai deux fois ! Ici et maintenan, mais aussi à cause de tous les rêves que vous ne ferez plus !

    - N’importe quoi ! Ne peut-elle s’empêcher de rétorquer sèchement.

    - C’est pourtant la vérité damoiselle ! Votre fin signifie la fin de tous les personnages qui hantent vos rêves. La fin de toutes les « Élisa » que votre subconscient a créées. Réveillez-vous, vivez ! Ainsi vos rêves continueront à vivre eux aussi. Dans l’un d’eux, mon doux chevalier, mon Jonathan, viendra peut-être me délivrer à temps de cet horrible  cachot.

    Au bord des larmes, elle s’approche de l’ombre prostrée, se penche sur elle…

    -  Puis-je te toucher ?

    - Est-il possible de toucher un rêve damoiselle ? Je ne le crois pas. Alors je vous en conjure, faites ce qu’il faut pour continuer à me rêver, c’est l’unique façon que vous avez de pouvoir me toucher.

    Ces mots à peine prononcés, Élisa se retrouve une fois de plus confrontée à sa propre prison de blancheur écrasante. Totalement désespérée.

    Comment se sortir de ce piège mortel ?

    - Tu le sais Élisa ! Dit une voix qu’elle reconnaît pour être la sienne.

    Elle tourne la tête vers la personne qui vient de parler. C’est Élisa7, dans sa combinaison brune d’ouvrière des serres hydroponiques de la Sphère.

    Dans ce monde étrange d’où elle est incapable de s’échapper, plus rien ne l’étonne à présent.

    - Tu ne peux être un rêve toi ! Je l’ai bien vécue cette-vie là ! Je m’en souviens parfaitement !

    Jette-t-elle presque hargneuse à cette nouvelle apparition impromptue.

    - Crois-tu ? Réplique doucement cette autre Élisa qui lui est bien plus familière que les deux précédentes !

    - C’est évident non ? C’est de là que je viens et là que je suis censée retourner ? Comment -est-il possible que je te rencontre, toi qui es vraiment moi alors que les deux autres ne sont que des créations de mon imaginaire de rêveuse ?

    - Tu me crois réelle ! Rappelle-toi pourtant Élisa !

    - Que dois-je me rappeler selon toi ?

    - Par exemple, ton évasion de la Sphère !

    -  Alors ça, je l’ai bien en mémoire !

    -Tu es sûre ? Cherche bien ! De laquelle te souviens-tu ?

    - Comment ça de laquelle ? Je me suis évadée, un point c’est tout ! Jonathan est venu et m’a fait sortir puis il m’a emmenée à Liberté. Il y avait Martha et ce pauvre Jacob qui est mort en route.

    - C’est la version de base ça ma belle ! Fais un effort et tu t’apercevras qu’il y en a une deuxième avec quelques variantes ! Ça te parait logique peut-être ?

    - Arrête de m’embrouiller! C’est du grand n’importe quoi ! Je me suis évadée avec Jonathan. Puis nous avons intégré la Communauté de Liberté. Ensuite, Jonathan a disparu et je me suis lancée à sa recherche. C’est ça mon histoire ! Notre histoire ! La seule !

    - Si c’est la seule en laquelle tu crois, comment expliques-tu tout le reste ?

    - Le reste ?

    - Oui, tout Le reste ! Toutes ces autres vies que tu as vécues et que chaque fois, tu as crues bien réelles !

    - Je…

    - Comment expliques-tu qu’elles ne concordent pas d’une fois sur l’autre ? Assène Élisa7, l’interrompant sans ménagement.

    - Que veux- tu dire par là ?

    - Parlons ne serait-ce que de ta vie du XXIe siècle par exemple. Dans tes « souvenirs », elle n’est jamais ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. L’anniversaire de tes 20 ans, l’épisode du cirque, ta rencontre avec Jonathan...Qui est Jonathan d’ailleurs? Une fois, dompteur de tigres, une fois kiné, une fois scientifique conférencier ? Lequel est le bon à tes yeux ? Et je ne te parle pas de Roh Ahr Anh, ton beau chasseur de la préhistoire ! Ou du preux chevalier du Moyen Âge !

    - Je …

    - Tu es incapable de faire le tri Élisa !

    - Le tri ?

    - Oui, entre ce qui fut réellement et ce que tu as inventé !

    - Je n’ai rien inventé !

    - Pas sciemment, c’est vrai ! Mais il est également vrai que dans l’imbroglio de ce qui agite ton cerveau, tu ne sais plus voir la vérité. Pire, tu ne veux plus la voir !

    - Comment ça ?

    - Chaque fois qu’une parcelle de cette vérité t’a effleurée, tu as aussitôt construit un mur pour l’occulter !

    - Un mur ?

    - Oui, Élisa, un mur de rêve, si haut, si épais qu’il en devient impénétrable ! La Sphère n’est pas ta prison Élisa ! Tu es ta propre prison !

    - C’est faux ! Je me suis évadée de la Sphère ! Puis j’ai rejoint Liberté avec Jonathan

    - Crois-tu ? Décris-moi Liberté, alors ! Et le monde que tu as traversé pour l’atteindre ! Décris-moi ce monde que tu as parcouru depuis des mois dans l’autre sens pour rejoindre la Sphère ?

    - Je….

    - Tu ne peux pas Élisa ! Et si tu t'étais donné la peine d’ouvrir vraiment les yeux, tu te serais aperçue que ce monde où tu as cru évoluer, est aussi vide que celui où tu te trouves à présent. Admets que cette idée t’est souvent venue malgré toi !

    -Tu mens ! Ici, je suis prisonnière !

    - Pas plus que dans ton monde, dans tous tes mondes !

    - D’où je viens, il y a de la vie !

    - Si peu ! Ça aussi tu te l’es dit plus d’une fois !

    - J’y ai des amis !

    - Où sont-ils ? T’ont-ils suivie quand tu les as quittés ? Et Jonathan censé être mort ou avoir disparu qui vient de réapparaître opportunément, où était-il pendant que tu faisais route vers lui au péril de ta vie, pensais-tu ?

    - Il… Il…

    - Tu ne peux pas répondre, parce que tu ne sais pas !

    - Il m’expliquera !

    - Certes ! Mais tout dépend de toi ! Allons Élisa, réveille-toi et tu comprendras que tu ce que tu crois être n’est qu’un tissu des mensonges que tu as toi-même tissés autour de la vérité !

    - Et pourquoi aurais-je fait ça selon toi ?

    - Pour ne pas la voir ! Parce que tu as trop peur de la découvrir et que ça te détruise !...

    - Il me l’a dit… Jonathan...

    - Je sais. Il t’a dit que tu allais mourir si tu continues à la refuser mais que tu risques également de mourir en la découvrant.

    - Que dois-je faire alors ?

    - L’accepter, parce que ta vie n’est pas la seule à dépendre de ton refus d’ouvrir les yeux.

    - Jonathan ?

    - Il n’acceptera pas de t’abandonner. Il mourra avec toi !...

     

     

     


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