• L'Arbre1-Chapitre24-Le Chat

    Le vol du papillon

     

    Quand le premier soleil fait éclore la fleur,

    Alors le doux cocon dénoue ses fils de soie

    Pour que le papillon, sortant de sa torpeur

    Déplie enfin son aile et s’envole de joie.

     

    Il va vivre en un jour une vie éphémère

    Oubliant la chenille qu’il fut si longtemps,

    Avant qu’il ne devînt dans le plus grand mystère

    Cet elfe coloré, ce souffle du printemps.

     

    De corolle en corolle il vole si léger

    Qu’on dirait une fleur emportée par le vent.

    Insouciant il plane ignorant le danger,

    L’araignée dans sa toile et la course du temps.

     

    De ses ailes poudrées il caresse le ciel

    Et se rit de ses sœurs qui rampent sur le sol.

    Tel un dieu de l’Olympe il se croit immortel,

    Sans savoir que la mort peut le prendre en plein vol.

     

    Quand la ronde effrénée des noces a pris fin,

    Quand du soleil s’éteint la dernière lueur,

    Quand la fleur se referme étouffant son parfum,

    Alors le papillon replie son aile et meurt.

     

    A-M Lejeune

     

    Le Chat

     

    Je regarde. Je la regarde…Est-ce que je rêve ? Je n’en crois pas mes yeux…Euh…Mon œil.

    C’est Elle et c’est une autre. Plus sublime que Vénus sortant de l’onde. Plus sensuelle que l’Ève originelle. Plus lumineuse qu’une aurore boréale. Encore femme et plus vraiment femme…

    - Elle est terminée ! Me dit Arbre qui reprend vie en même temps qu’elle.

    - Qu’entends-tu par…terminée ?

    - J’aurais pu aller beaucoup plus loin dans la métamorphose mais j’ai tenu à la garder telle qu’elle fut lorsque je l’ai rencontrée tout en la faisant néanmoins différente. Désormais, elle et moi nous parlerons d’une seule voix, vivrons une commune vie. Chat, j’ai réussi au-delà de mes espérances !

    Je la regarde encore et encore, retenant à grand peine des feulements de stupeur et des miaulements stupides. Mon cœur balance entre la béate admiration et la frayeur mystique tandis qu’elle aussi me regarde en souriant. Point de moquerie dans ce sourire, ni de condescendance. Juste de la connivence et la joie de me revoir. C’est un radieux sourire comme je ne lui en avais jamais connu de tel dans ce passé déjà si lointain. Pourtant, Dieu sait qu’ils étaient beaux déjà, quand la vie la laissait sourire ! Il ressemble à un rayon de soleil tamisé par le feuillage. Devant mon mutisme et mon air ahuri, elle éclate soudain d’un rire frais et joyeux qui roule et coule dans sa gorge, pareil à une source cristalline puis devient ruisseau bondissant sur les cailloux et enfin cascade dévalant les rochers. J’en suis éclaboussé, rafraîchi, vivifié !

    - Bonjour Chat ! Me dit-elle.

    Et sa voix me fait penser au murmure du vent dans les branches, au bruissement soyeux des feuilles agitées par la brise.

    Elle se penche vers moi, me caresse ainsi qu’elle le faisait autrefois. Ses longs cheveux me frôlent. Ils n’ont plus la blondeur des blés mûrs. Désormais ils chatoient de toutes les nuances de vert dont la nature se pare et ils embaument des mille et une senteurs que l’on y respire à chaque saison. Odeur d’humus des sous-bois, d’herbe coupée, de fenaison, de terre humide, de feuilles sèches, de champignons. Parfums subtils de fleurs et de fruits…

    Son corps ployé est un roseau, une liane, une branche flexible, la tige souple d’une fleur…Il revêt la même parfaite beauté, les mêmes harmonieuses proportions, les mêmes courbes douces, les mêmes creux émouvants, la même altière grâce qu’autrefois mais il est à présent d’un vert tendre veiné de brun clair. Sa peau nue brille comme un pétale de fleur emperlé de la rosée de l’aube.

    Elle me fixe de ses yeux vairons. Arbre a fait, semble-t-il, une petite concession au passé, son œil droit est d’un joli vert mordoré, le gauche est resté bleu.

    Quand elle se redresse d’un mouvement fluide et gracieux pour enlacer Arbre, mon cœur manque un battement. Malgré l’épaisseur phénoménale du tronc, ses deux bras en font le tour…totalement ! Facétieuse, ravie de mon étonnement, elle me dévoile une à une les facultés liées à sa nouvelle morphologie. D’un coup, elle disparaît à mes yeux incrédules, pourtant j’entends encore sa voix moqueuse et mutine qui m’appelle :

    - Coucou ! Je suis là !

    - Où ?

    - Regarde bien Chat, tu me verras !

    Soudain de longs doigts fins saisissent ma queue et la tirent légèrement…Arbre a maintenant des bras qui sortent de son tronc ! Des bras démesurés, noueux et bruns comme l’écorce qui le recouvre !

    - C’est moi ! S’esclaffe-t-elle.

    Tel un caméléon, elle s’est parfaitement fondue dans le décor. Elle est devenue Arbre. Elle s’en détache et réapparaît afin de me montrer un autre aperçu tout aussi extraordinaire de ses nouveaux talents. Sans y croire vraiment, je la vois s’enraciner dans le sol. Ses pieds s’y enfoncent profondément comme dans les sables mouvants sans qu’elle perde pour autant un centimètre de sa taille. Au contraire, elle semble grandir au fur et à mesure qu’elle prend racine !

    J’hallucine ! Non, en fait je suis en train de perdre la raison.

    - Non Chat, tu n’es pas fou et tu n’es pas au bout de tes surprises ! Dit-elle en ondulant telle une grande fleur au gré du vent capricieux.

    Je dois admettre que pour une fois, l’expression belle plante est merveilleusement et parfaitement appropriée.

    Le cocon de branches nous a livré une créature bien plus belle qu’un papillon et heureusement d’après ce que m’en a dit Arbre, moins éphémère ! Bien au contraire, sa métamorphose inespérée lui assure du même coup une longévité hors norme. Elle pourra vivre aussi longtemps que lui sans prendre une ride !

     

    Mon incrédule émerveillement et ma légitime stupéfaction atteignirent le summum le jour où avec Arbre elle accomplit pour la première fois le rituel de procréation. Ce jour-là fut également pour elle le suprême aboutissement de tous ses espoirs refoulés. Elle allait enfin avoir des enfants et ainsi faire revivre le Jardin oublié.

    Et ce conte de fée qui toujours berça des millions de bambins en leur faisant croire que les bébés naissent dans les roses ou dans les choux, allait ici devenir une quasi réalité…

    Quand le moment fut venu, en ce premier jour de printemps, juste un an après sa miraculeuse sortie du cocon, elle s’accoupla avec Arbre. Je ne puis interpréter autrement l’acte dont je fus le témoin privilégié bien qu’il ne présentât aucune des caractéristiques de la sexualité humaine ou animale.

    Vêtue de sa seule chevelure, accolée à lui, presque fondue à lui, les bras refermés autour de son tronc épais, les pieds nus planté dans la terre meuble humidifiée par une printanière ondée, elle laissa couler de ses yeux, comme des larmes, la sève issue de leurs deux corps mêlés…

    Alors, ainsi que le dit le Voyageur au début de cette incroyable histoire :

    « Chaque fois qu’une larme portée par le vent touchait le sol, là où elle se posait surgissait soudain une jeune pousse… »

    Ce qu’il ne dit pas, c’est que chaque pousse devint rapidement un arbrisseau qui rapidement prit de la vigueur, de l’épaisseur sans pour autant devenir un arbre adulte. Lorsque ces petits arbres furent assez forts et larges, deux d’entre eux tissèrent en leur cœur un cocon…

    Au bout de neuf mois, chaque cocon s’ouvrit sur un enfant à la peau vert tendre et au crâne fragile couvert d’un fin duvet couleur de jeune mousse. Ensemble les bébés, un garçon et une fille, poussèrent leur premier cri. Ensemble ils trouvèrent leur juste place entre les bras de leur mère qui leur offrit ses seins gonflés de lait-sève pour une première tétée.

    Chaque arbre porteur, comme le placenta devenu inutile, s’étiola puis mourut sitôt la délivrance accomplie. Les autres allaient croître librement là où le vent les avait déposés, Arbres-Enfants auprès des Enfants-Arbres, frères et sœurs de sève et de sang…

    Arbre m’informa que ce rituel printanier n’aurait lieu que tous les deux ou trois ans au plus, pour respecter les lois de l’équilibre naturel et que le sexe des Enfants-Arbres serait déterminé en fonction de ces mêmes lois.

    La nouvelle condition, mi humaine mi végétale de sa sublime compagne lui permettait enfin d’être mère. Doublement !

    La métamorphose était parfaite  Elle avait fait d’Elle l’égale d’une fée ou d’une déesse tandis qu’Arbre devenait le plus heureux des pères en même temps que le plus comblé des amants.

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  • Commentaires

    3
    Jeudi 1er Septembre 2022 à 11:34

    Superbe transformation qui réjouit et l'arbre et la femme, une renaissance réussie !

    Bonne journée.

    2
    Mercredi 31 Août 2022 à 22:24
    colettedc

    Oh ! Quelle métamorphose, Anne-Marie !!!

    Bisous

    1
    Mercredi 31 Août 2022 à 21:53

    Une transformation fertile.... amitiés, jill

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