• Chapitre 9

    Il était 16 h 15 en ce 5 octobre de l’année 2058, dernier jour d'un procès sans équivalent dans les annales de la Justice du XXIème siècle, quand Mary-Anne Conroy-Defrance entama son plaidoyer :

    « En préambule, je tiens à dire que pour les accusations d'excès de vitesse, de dépassement des kilomètres annuels autorisés et de conduite d'un véhicule après suppression du permis, je plaide coupable quoique avec des circonstances atténuantes. Je n'étais hélas déjà plus moi-même lors des faits. En ce qui concerne le vol de véhicule, je plaide non-coupable. La voiture m'avait été prêtée par un ami qui ignorait que je n'avais plus le droit de conduire. Ce fait peut être vérifié !

    Pour l’accusation de complot et de tentative d’assassinat contre nos gouvernants, de la même façon que vous n’avez pu prouver que je suis coupable, je ne peux prouver que je ne le suis pas.

    Je peux seulement assurer que la simple idée de donner la mort à qui que ce soit ne m’a jamais effleurée. Pas même une seconde ! J’ai choisi ma profession parce que sa finalité est depuis toujours, la protection de la vie.

    J’ajouterai que ce mouvement auquel je suis fière aujourd’hui d’appartenir, ne s’est jamais servi de l’immense pouvoir qui est le sien pour tuer.

    Faites le compte des victimes. Elles sont de leur côté, pas du vôtre ! La seule exception à cette règle qui s’est malheureusement déroulée dans ce Tribunal, n’a été due qu’à l’excès de désespoir d’un homme qui voulait m’éviter ce qu’il a lui-même subi, la lobotomie très spéciale qu’on applique aux mutants comme vous les appelez !

    C’est lui que j’ai guéri à Marne-la-Vallée.

    Pour ce qui est des autres chefs d'accusation, liés à celui de ma délictuelle anormalité, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les jurés, vous tous ici présents et qui, pour la plupart, m’avez déjà jugée coupable, je ne me défendrai pas car pour la société dans laquelle je fus élevée, je le suis, effectivement. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa ! » Clama-t-elle en se frappant la poitrine.

    Un murmure de saisissement parcourut la salle. Une fois de plus, l’incessant bourdonnement des téléscripteurs se tut puis reprit de plus belle. Ses amis étaient douloureusement suspendus à ses lèvres. Leurs yeux la suppliaient. Ils ne pouvaient croire à ce qu'elle venait de dire.

    « Défends-toi ! Défends-toi nom de Dieu ! » Lui lança Hubert télépathiquement, imité tout aussitôt par Jézabel et Alexeï. Surprise elle, sanglotait. Elle se concentra, plus durement atteinte qu’il n’y paraissait, par cette décharge émotionnelle. Un quart de seconde déstabilisée, elle reprit :

    - Puis-je renier cette belle, cette idéale société qui m’a élevée, choyée, nourrie comme l’a si bien dit Monsieur l’Avocat général ?

    Puis-je renier les axiomes dont, comme vous tous, je fus gavée depuis tant d'années ? Ce qui es normal est bon, ce qui est anormal est mauvais et doit donc être pourchassé, dénoncé et puni ! C’est bien cela n’est-ce pas ?

    N'ai-je pas vécu heureuse en admettant sans jamais me poser de questions, ces principes fondamentaux de notre Monde pacifié ?

    N'ai-je pas souffert mille morts en découvrant en fin de compte que je ne répondais pas à ses sacro-saints critères de normalité ? Et pourtant, depuis bien longtemps maintenant notre Société tellement belle, tellement idéale, ne demande plus à un noir de se défendre de n'être pas blanc, à un nain d'être trop petit ou à un géant d'être trop grand par rapport à la norme. Nous sommes à juste titre, fiers d'avoir vaincu le racisme sous toutes ses formes. Nous nous targuons de tolérance, d'égalitarisme et de fraternité.

    La Grande Crise a été une rude leçon que l'Humanité n’a apprise qu’au prix de millions et de millions de morts. Une leçon qu'elle a tirée à grand peine de ses propres erreurs. Je suis née à la fin de cette crise et plus tard, j'ai vu mes parents voter avec joie le Référendum mondial qui instaura le premier Gouvernement des Sages. Oui ! Aujourd'hui, noirs, blancs, jaunes, rouges, occidentaux et orientaux, tous sont égaux ! Il n'y a plus de pays riches dominant des pays sous-développés. Fini le tiers-monde, le quart monde, les ghettos. Nous sommes tous frères, tous libres ! Tous, sauf ceux que nous appelons les « anormaux » !

    Pourquoi ? Pourquoi le seul canard boiteux de la couvée serait-il coupable de cette disgrâce ? Ou le seul mouton noir de la bergerie ? Oh je sais ! Comme l’a parfaitement exposé mon éminent confrère de l’accusation aujourd'hui, nous pourrions redresser la patte du canard boiteux que nous ne pourrions blanchir le mouton noir. Et c'est bien cela que je suis, un mouton noir.

    C'est cela que sont les mutants, ces abominables anormaux que nous craignons et pourchassons. Des moutons noirs qui font tache dans ce troupeau de jolis moutons de bon aloi, blancs, purs et sains auquel j'ai légitimement cru appartenir pendant trente ans !

    Ainsi revenons-nous à un passé de triste mémoire.

    Rappelez-vous ! Il fut un temps très sombre où le seul fait d'être juif ou tzigane était un crime impardonnable, puni de la plus inhumaine des façons. Au nom de la pureté de la race aryenne, des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, furent déportés dans des camps d'extermination, entassés dans des wagons plombés tels des chevaux qu'on mène à l'abattoir. Les plus faibles périrent dans les chambres à gaz et furent brûlés dans les fours crématoires dès leur arrivée. Les autres furent livrés au sadisme de leurs tortionnaires. Ils travaillèrent jusqu'à épuisement dans d'effroyables conditions, sous nourris, battus, torturés, utilisés comme cobayes au cours d'horribles expériences menées au nom de la médecine.

    Ils mourraient de faim, dévorés par la vermine, entassés dans d'immondes baraques. Même dans la mort, leurs bourreaux leur déniaient tout droit à la dignité. Leurs cadavres étaient incinérés comme on le fait des immondices. Quand les fours ne pouvaient plus répondre à la demande, les pauvres restes nus et dépouillés de ce qui pouvait encore servir, étaient jetés pêle-mêle dans d'immenses fosses communes que l'on recouvrait de chaux-vive. Rappelez-vous les charniers qui furent exhumés à la libération de ces camps ! Rappelez-vous l'horreur que suscitèrent ces images insoutenables dont pourtant certains osèrent nier la véracité en dépit de l'évidence. « Trucage ! » crièrent-il.

    Ces odieux évènements ne sont hélas qu’un pan de notre histoire, tristement émaillée depuis toujours par les cruautés qui traduisent notre rejet de la différence !

    Rappelez-vous les multiples guerres ethniques qui endeuillèrent la fin du XXème siècle, soulevant la belle indignation des dirigeants de la planète. Au vu et au su de l'ONU, on pratiquait le génocide sous le nom édulcoré de nettoyage ethnique. Certaines de ces actions de nettoyage étaient même commanditées par des nations prétendument civilisées. C'était alors au nom de l'argent ou de je ne sais quelle stratégie géopolitique.

    Allons plus loin encore. Qui se souvient du génocide des amérindiens ? Au nom d’un Dieu qui n’était pas le leur, d'un roi lointain et inconnu auquel on voulait apporter en cadeau la richesse de nouvelles terres, les conquistadors leur prirent tout, les soumirent ou les tuèrent. Ainsi disparurent les incas, les mayas, les aztèques… Ainsi parqua-t-on dans des réserves les apaches, les navajos, les comanches… toutes les nations indiennes après les avoir dépossédées de leurs terres

    Les peuples dits civilisés se sont de tout temps arrogés le droit de coloniser, évangéliser, instruire, déposséder de leur identité, ceux qu’ils ne jugeaient pas à la hauteur de leur vision de la civilisation. Ils considéraient comme un devoir sacré d’agir de la sorte !

    Ils l’ont fait sans jamais se poser la question de savoir s’ils avaient raison. Sans se demander si ces « sauvages » qu’ils voulaient à tout prix soumettre à leurs lois, à leurs croyances, à leur culture, à leur mode de vie, n’avaient pas le droit tout comme eux, de continuer à vivre librement dans le respect de leurs propres règles, de leur propre culture, en priant leurs propres Dieux !

    Or, qu’ont-ils le plus souvent apporté en échange à ceux qu’ils considéraient comme « d’incultes sauvages » sinon la maladie, la misère, l’alcool, la déchéance et au bout de tout cela, le rejet tout autant pour ceux qui tentaient de s’intégrer sans jamais y parvenir totalement, que pour ceux qui refusaient d’abandonner ce qui faisait leur différence

    Reviendrons-nous à la ségrégation raciale qui régna aux USA et en Afrique du sud ?

    Reviendrons-nous, au racisme, à l'intégrisme exacerbé, et à la guerre sainte qui affectèrent durement la fin du XXème siècle et l'avènement du XXIème au point que des millions d'humains en payèrent le prix de leur vie ?

    Nous pourrions remonter ainsi dans le temps que toujours nous y retrouverions la même intolérance avec les mêmes conséquences !

    Oui, l'intolérance ! Et la peur, sa plus fidèle compagne. Voilà le mal qui ronge notre monde depuis toujours. Or, qu'est-ce que l'intolérance sinon le refus et le rejet de la différence ? Croyez-vous que nous ayons vaincu ce mal ainsi que nous l'avons fait des autres maladies ? Croyez-vous que parce que nous ne montrons plus du doigt un « nègre », un « beur » un nain ou un homosexuel nous soyons devenus les parfaits apôtres de la tolérance ? Vous me rétorquerez qu'aujourd'hui, grâce au progrès de la génétique, il n’y a plus de cas de nanisme, de gigantisme ou autres tares génétiques majeures. Vous me direz qu'être, noir, rouge ou jaune n'est pas une tare. N'en est plus une ! Qu'au nom de la liberté d'aimer qui bon nous semble nous avons légitimé les unions homosexuelles. Tout cela est bel et bon !

    Mais j'ajouterais que si dans notre souci de gommer toute différence nous avons certes fait très fort, nous n'avons malheureusement pas totalement réussi à empêcher la naissance de moutons noirs. Et cela est insupportable puisque nous ne pouvons les blanchir !

    Voyez les mutants ! Eux sont capables de se guérir de tout mal sans l'aide de notre médecine avancée mais pas de celui qui est la cause de leur différence. Cette si condamnable différence à nos yeux qui fait que nous les pourchassons avec tant de hargne ! Seuls moutons noirs de cette planète uniforme, ils nous deviennent intolérables.

    En face d'eux qui ne sont en fait rien d’autre que les juifs de notre temps, ou les indiens, ou les impies, ne sommes-nous pas de nouveaux Hitler, garants de la pureté de la race ? Ou les valeureux cow-boys des westerns d'autrefois en lutte contre d'incultes sauvages ? Ou des colonisateurs sûrs de leur bon droit, de leur bonne foi ? Ou encore les jésuites forcenés d'une nouvelle Inquisition ?

    Regardez ce que nous leur avons fait ! Nous les avons arrêtés, soumis à la question, torturé parfois et enfin, privés de leur humanité par la lobotomie, parqués dans des camps au nom de la « normalité », réduits à l’état de « bons robots » au service de notre idéale société !

    Et je ne parle pas de ceux qui furent tués au tout début de cette honteuse chasse aux « sorciers »

    Accusée aujourd'hui et à juste titre d'être l’une des leurs, j'ai pourtant cautionné le mal qu'on leur fait encore à l’heure où je vous parle, en les traquant comme des animaux nuisibles.

    Oui, je l’ai cautionné puisque je me suis tue ! Je ne me suis pas élevée contre la façon indigne, inique dont ils sont traités. Dont vous allez me traiter !

    Je me dresse maintenant, face à vous tous ! Face à moi-même et à mon trop long aveuglement ! Et je prie le Ciel pour qu'il ne soit pas trop tard ! »

    Dans la salle, certains journalistes s'agitaient. Ils pressentaient où elle voulait en venir. Elle captait leur peur, leur hargne, leur haine…La honte aussi de certains d'entre eux qui, dans le secret de leur cœur, pensaient qu'elle avait raison. Pour un beau scoop, ils étaient prêts à renier tout ce en quoi ils croyaient, à nier une vérité qui pourtant crevait les yeux. Coupable, pas coupable ? Que leur importait après tout le sort de cette femme, qu'il soit injuste ou pas ! Seul comptait le reportage, les bénéfices qu'ils en tireraient et foin de la honte ou des remords ! Quelqu'un se leva.

    - Faites la taire ! Elle n'a pas le droit !

    Le marteau tomba, réclamant le silence au public grondeur.

    - Mademoiselle Conroy-Defrance, je me dois de vous rappeler que c'est vous qui êtes jugée, pas la société ! Intervint le Président à contrecœur.

    Subjugué par son argumentation, il était convaincu, lui, de son innocence et l'aurait relaxée sans l'ombre d'un doute. Mais….

    - Je vous enjoins vivement de choisir une autre ligne de défense ou d'en venir au fait ! Je ne voudrais pas avoir à vous faire taire !

    Hubert se leva à son tour, faisant fi des risques encourus à prendre la défense de son amie. Il fut aussitôt imité par Alexeï puis par Jézabel et enfin par tous ceux qui l'avaient aimée ou simplement appréciée au quotidien et qui, même s’ils ne croyaient pas en son innocence, demeuraient fidèles à l'affection ou à la sympathie qu'ils avaient toujours éprouvées pour elle. Ce fut Hubert qui parla pour eux tous.

    - S’il vous plait, Monsieur le Président, laissez la poursuivre ! C'est son plaidoyer, elle a le droit de le mener comme bon lui semble !

    Quelques voix anonymes s'élevèrent de la cohorte des journalistes :

    - C'est vrai ! Laissez la finir !

    On entendit même quelqu'un lancer admiratif !

    - C'est une sacrée avocate !

    - Bien ! Mais silence ou je fais évacuer la salle ! Terminez mademoiselle !

    - Je vais conclure monsieur. Je ne me leurre pas, je connais le verdict. Il était prononcé bien avant ce jour ! Ce procès fut une indigne mascarade !

    - Mademoiselle Conroy-Defrance, vous allez trop loin !

    Dieu ! Qu'il lui était difficile de jouer ainsi les magistrats omnipotents alors qu'il aurait aimé la défendre et gagner sa liberté. Elle avait tellement raison ! Il allait se lever. Crier la vérité à la face de tous ces hypocrites…

    - Pardonnez ma franchise Monsieur. Je n'ai plus rien à perdre, si tant est que je n’aie jamais eu quelque chose à gagner, je ne sortirai pas libre de ce prétoire vous le savez bien.

    Elle lisait en lui ! Quels autres dons avait-elle encore ?

    « Vous le saurez un jour si vous le voulez vraiment ! » Répondit-elle à sa pensée fugace. Bien ! J’en termine donc !

    Les lois que nos Pairs ont votées, des lois sages édictées par les Sages, auxquelles je me suis toujours référée et soumise jusqu'à ce jour, veulent que je sois coupable puisque l'anormalité est un délit avéré.

    Je le suis donc assurément ! Car ainsi que chacun le sait, nul n'est censé ignorer la Loi. Je tiens néanmoins à rappeler à l'Avocat général que lorsque mes parents se sont mariés, ces lois contre l'anormalité n'existaient pas encore. Ma mère ne peut donc être poursuivie pour ce qui n'était alors pas encore un crime ! Convenez en et laissez la en paix ! Vous avez votre coupable pour l'exemple ainsi que vous le souhaitiez, cela devrait vous suffire !

    Moi-même, pendant trente années, j'ai été innocente puisque j'ignorais tout de la tare honteuse qui faisait de moi une anormale à mon insu ! Je ne savais pas que j'étais un mouton noir. Puis je l'ai su ! J’ai failli mourir de désespoir en faisant cette terrible découverte. Et enfin, j'ai assumé cette différence parce que je ne pouvais pas faire autrement. Je suis née avec. Comme le mouton noir naît noir sans pouvoir rien y changer. Le Diable n'y est pour rien. Les mutants non plus ! Ils ne m'ont pas pervertie, ils n'en ont pas eu besoin. Tout comme moi, ils ne sont pour rien dans le mal qui les atteint. Eux aussi sont nés ainsi sans savoir ni pourquoi ni comment ! Eux aussi ont souffert et souffrent encore de cette différence qui suscite rejet, peur, haine, horreur, dégoût et méfiance chez les « normaux ». Pourtant, hormis cette tare qui les différencie, qui me différencie de vous, ils n'ont jamais rien fait, je n'ai jamais rien fait qui puisse nuire à autrui ou à la société.

    Aurais-je dû laisser mourir mon amie et l’enfant qu’elle porte ? Il était trop tard pour la conduire à l'hôpital, alors j'ai utilisé ce don qui est en moi à mon corps défendant pour les sauver.

    Aurais-je dû refuser de guérir le mutant que la Loi avait réduit à l'état d’animal uniquement parce qu'il était différent de la norme établie ? Aurait-il dû laisser souffrir et mourir les siens dans les camps ?

    Le don de guérir est-il un crime ? Être différent est-il condamnable ? Si c'est le cas, alors oui ! Je suis bel et bien coupable car je refuse de nier ma différence ! Je refuse, car il m'est impossible de l'ignorer.

    Il est regrettable, je veux bien l'admettre, que je n'entre pas dans les critères établis par le Gouvernement Unique qui décrète avec une grande sagesse, qui est normal, qui ne l'est pas. Un gouvernement qui, tout aussi sagement, décide de punir quiconque n'entre pas dans le moule étroit de la normalité. Il est regrettable que je ne fasse pas partie de ce qu'il a décrété devoir être la majorité.

    Mais imaginez, oui, imaginez un court instant qu'il décide que demain, ce soit les mutants qui soient considérés comme normaux selon la Loi ! C’est vous alors, qui deviendriez les anormaux ! En regard de cette loi si sage, c’est vous qui seriez désormais pourchassés, arrêtés et condamnés pour votre différence de la même façon qu'eux le sont actuellement !

    Le plus terrible à mon sens, serait que les mutants que l'on condamne aujourd'hui trouvent cela justifié demain et entrent sans remords dans les rangs des persécuteurs et des bourreaux ! Il est hélas tellement humain d'agir de cette façon !

    Posez-vous la question : vous me croyez différente de vous n'est-ce pas ? Mais ne l'êtes vous pas autant de moi que moi de vous ? Dites-moi alors ! En quoi ma différence est-elle plus condamnable que la vôtre ?

    Hormis cette différence, ne sommes-nous pas tous des citoyens épris de paix, de justice et de liberté ? Ne sommes nous pas tous, dans notre multiplicité, les enfants de la même Terre et de la même Humanité ? En vérité je vous le dis, quiconque est normal selon la Loi, entre dans le moule, s'y conforme, s'y coule comme dans une seconde peau sans jamais en souffrir. La loi est un refuge pour celui-là et la respecter est rassurant. Et naturel ! Aussi naturel que de respirer !

    En revanche quiconque diffère de la normalité ne serait-ce que de peu, a du mal à entrer dans le moule, souffre et étouffe dans cette peau qui ne lui convient pas, dans ce refuge qui est pour lui une prison ! Celui-là se soumet à la Loi contraint et forcé. Ou il se rebelle. Ou il meurt en abdiquant ce qu’il est vraiment.

    Est-il juste de n'avoir que la rébellion ou la mort comme alternative à la soumission ? Ne serait-il pas plus juste que chacun soit libre d'être ce qu’il est, tout simplement ? Combien parmi vous se sentent différents et en éprouvent de la peur ? Combien sont mal dans leur peau sans oser le dire ? Combien étouffent sous le merveilleux masque de la normalité et meurent en silence de la pire des maladies : la peur ?

    Peur d'être montré du doigt, dénoncé par un voisin ou pire, par un ami ! Peur d'être emprisonné parce qu'il est atteint d'un mal ignoble et incurable qui s'appelle l'anormalité, juste parce qu'il possède un peu plus d'intuition que la moyenne ou parce qu'il fait des rêves prémonitoires ! Ou encore parce que, suprême indignité, il tient de ses aïeux des dons de rebouteux ou de voyance !

    Avant d'être un mouton noir, le mouton noir n'est-il pas en premier lieu un mouton ? Avant d'être un anormal selon la Loi, l'être humain qui n'entre pas dans le moule n'est-il pas en premier lieu un être humain ? Comme vous l'êtes et comme je le suis ! Ne laissez pas la peur troubler votre jugement ! Ne la laissez pas vous détruire ainsi qu'elle a failli le faire pour ma meilleure amie !

    Demain, si vous n'êtes pas dénoncés par un proche ou par un passant dans la rue, c'est vous -même qui dénoncerez un voisin, un ami, un parent ! Peut-être l'avez-vous déjà fait ?

    Elle se tourna vers l'assemblée des journalistes médusés et pointa l'index sur un jeune caméraman en train de la filmer. Il pâlit et se raidit, le souffle suspendu. Aussitôt, les gops braquèrent leur arme sur elle. Aucun d'entre eux n'avait oublié la meurtrière intervention d'Antonio.

    - Demain monsieur, c'est vous qu'on jugera… Ou vous mademoiselle !

    Le cameraman reprit son souffle et se détendit tandis que la jeune femme à son tour désignée, lâcha le mini portable sur lequel elle prenait des notes et, bousculant ses voisins au passage, s'enfuit du tribunal comme si elle avait été poursuivie par le Diable en personne. Elle avait envoyé en prison une rivale dont elle briguait la place. L'autre avait eu le malheur de ne deviner que trop bien sa dévorante ambition.

    Coupable intuition s'il en est !

    Enfin, et le regardant droit dans les yeux, elle s'adressa au jeune juge qui présidait et ce qu'elle lui dit eut pour lui seul, valeur d'avertissement caché :

    - Ou encore vous monsieur le Président ! J'en ai terminé.

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  • Commentaires

    2
    Mardi 8 Novembre 2022 à 10:31

    C'est une belle plaidoirie, mettre en avant les horreurs passées et les comparer, ça va faire mouche. 

    Bonne journée.

    1
    Lundi 7 Novembre 2022 à 19:14

    Il est un passage dont l'horreur subsiste encore, celle de la seconde guerre, ses camps d'extermination.... amitiés, jill

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