• "Les rêves d’Élisa" - Chapitre 33

    Sa mère est là, accompagnée de son frère. C’est l’odieux Khaled qui les a introduits, le verbe haut comme à son habitude.

    - Bien, voilà notre miraculée ! Élisa, je vous ai amené votre maman et votre frère. Madame et Monsieur Barjac, je suppose qu’il est inutile que je vous recommande de ne pas trop fatiguer cette demoiselle hein ! Je compte sur vous, elle a encore besoin de récupérer ! Bon, je vous laisse en famille, vous devez avoir des tas de choses à vous raconter !

    Ils ont beaucoup changé. Normal après cinq ans. Elle espérait retrouver la Sarah et le Patrick des trois périodes où ils apparaissaient dans ses rêves. Elle se sent mal avec ces deux copies non conformes à leurs alter ego oniriques. Bien sûr, ainsi que le lui a dit et répété Jonathan, elle n’a pu créer aussi précisément cette mère et ce frère de ses vies subconscientes, que grâce aux souvenirs qu’elle avait des originaux mais également grâce à tout ce qu’ils lui ont raconté durant quatre ans. Rien ne semble subsister des liens très forts qui l’unissaient à la maman et au frère d’avant son réveil.

    Le moins qu’elle puisse dire c’est que les retrouvailles ne sont pas très chaleureuses. Quand Khaled dont l’imposante stature la masquait à ses yeux est enfin sorti de la chambre, elle n’a pu réprimer un mouvement de recul en découvrant la femme vieillie, aux traits creusés par la fatigue et aux cheveux blanchis qui s’avançait vers son lit d’une démarche claudicante. Les bras qu’elle tendait déjà pour l’enlacer et l’embrasser sans doute, sont aussitôt retombés. Le sourire tremblant de joie s’est effacé de son visage. Les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer se sont étranglés dans sa gorge. Elle a juste demandé : « Élisa ? » d’une voix plaintive comme si elle non plus ne reconnaissait pas sa fille.

    Il faut dire que depuis son réveil, on l’a bien retapée. Pour cette première visite familiale, Marla secondée par Lou-Anne, une nouvelle jeune élève, l’a pomponnée, coiffée, légèrement maquillée pour compenser la pâleur encore maladive de son teint. Puis elle lui a fait retirer la vilaine chemise médicale qui lui laissait le dos et les fesses nus. Après quoi «  parce que vous êtes encore rouillée » a-t-elle invoqué pour justifier le fait qu’elle ne la laisse pas le faire seule, elle l’a aidée à enfiler un joli jogging d’intérieur rouge confortable et très doux « De la micro fibre » lui a-t-elle expliqué devant sa mine ravie. «C’est Jonathan qui l’a choisi ! Pour ça qu’il est juste à votre taille ! Sacré Jon’ ! » Et elle a éclaté d’un rire tonitruant.

    Installée fraîche et pimpante sur son lit dont la tête est relevée pour lui permettre de s’asseoir, bien calée contre ses oreillers, débarrassée de tous ses tubes, perfusions et autres poches dégoûtantes, elle n’a plus rien de commun avec la presque moribonde que sa mère s’était résignée à voir débranchée après un an de coma !

    Muette, crispée, la pauvre femme n’ose plus faire un pas. Derrière elle, un bouquet de roses rouges à la main, se tient un grand et bel homme aussi indécis qu’elle.

    Patrick ! Á part les yeux, il ne ressemble pas au courageux chasseur de la préhistoire à la longue crinière brune. Il est vrai que Parh Anh était beaucoup plus jeune. Rassurée, elle reconnaît en lui le berger montagnard du vingt et unième siècle qu’elle a réintégré en se réveillant. Il a cinq ans de plus lui aussi. Si elle se souvient bien, il a dix ans de plus qu’elle. 35 ans. Ses cheveux plus courts que dans ses rêves, sont devenus poivre et sel sur les tempes. Quelques rides qu’elle ne lui connaissait pas, marquent son front soucieux. Le silence se prolonge, lourd.

    - Nous reconnais-tu Élisa ? Finit-il par demander presque timidement.

    - Oui, répond-elle.

    Même si elle n’est pas sûre de ce qu’elle affirme, elle est prête à renouer les liens avec sa famille. Parce que quels que soient ses doutes, c’est bien sa famille, dans cette vie-ci et dans les autres. Et puis elle veut savoir pourquoi ils n’étaient pas présents dans son dernier rêve. Peut-être pourront-ils lui expliquer !

    -Approchez tous les deux ! On dirait que c’est vous qui ne me reconnaissez pas !

    - C’est que tu as l’air tellement différente sœurette sans tout l’attirail avec lequel on t’a vue ces cinq dernières années ! On peut te serrer dans nos bras sans trop te fatiguer comme nous l’a conseillé le professeur Brahim ?

    -Bien sûr ! Allez, tu viens maman, tu as assez attendu non ? Et moi aussi !

    Ils ont enfin osé franchir la distance qui les séparait d’elle. Quelques centimètres…Cinq longues années de silence de sa part. Cinq années d’attente partagées entre espoir et désespoir pour eux. Tant de souffrance qu’il faut apaiser.

    Il est temps !

     

    Après maintes embrassades et autant de flots de larmes d’émotion, ils ont parlé.

    Patrick a retracé les évènements des cinq années écoulées depuis son accident. Son retour dans le Périgord pour soutenir leur mère après sa crise cardiaque. Malika, sa femme, professeur des écoles aux Eyzies. Leurs deux enfants Théo 4 ans et Leila 2 ans. Ils habitent à Manaurie.

    - . Nous avons d’abord vécu deux ans chez maman. Puis quand Harold a succombé à son cancer des poumons, Martha a offert de nous loger gracieusement dans sa maison devenue bien trop grande pour elle seule.

    Lui a-t-il appris

    -  L’ogre  est mort ? A-t-elle murmuré attristée.

    - L’ogre ? S’est étonnée Sarah qui écoute son fils raconter sans mot dire.

    - Je t’expliquerai maman, l’a-t-elle rassurée puis elle a invité Patrick à poursuivre

    Il l’a fait, revenant sur son arrangement avec sa vieille amie. Ainsi sait elle à présent que la Martha de ce monde-ci a émigré dans l’un des communs attenants au corps de ferme de sa petite propriété.

    Patrick n’a plus de moutons mais un joli troupeau de chèvres. Il est devenu un artisan fromager réputé dans le coin. Il a également diversifié son activité en se lançant parallèlement dans l’apiculture.

    - Je te ferai goûter mon miel un de ces quatre, tu m’en diras des nouvelles. Mes mômes en raffolent.

    - J’ai hâte de les voir. Et Malika aussi. Tu me les amèneras bientôt ?

    -Promis ! On en profitera pour emmener Martha. Elle se languit de te revoir depuis qu’on lui a annoncé ton réveil. Elle y a toujours cru !

    - Je sais.

    Elle n’a pas remué le couteau dans la plaie en lui rappelant que leur mère et lui n’y croyaient pas beaucoup, au point pour Sarah, d’avoir un temps accepté l’idée de laisser faire la nature.

    Á son tour, sans trop détailler, elle leur a raconté ses rêves plus que bizarres à leurs yeux, en omettant toutefois de leur préciser qu’elle s’y sentait aussi vivante, sinon plus que depuis son émergence du coma.

    Estomaqués, ils l’ont écoutée tandis que le regard lointain, elle évoquait le clan des cavernes de la petite Ehi Shah et le rôle qu’ils y jouaient.

    Puis elle a enchaîné sur le Moyen-âge, le viol odieux auquel elle a échappé de justesse grâce à l’intervention musclée de son providentiel chevalier servant, l’éternel Jonathan.

    Leur étonnement allait grandissant. Il a encore augmenté lorsqu’elle est revenue sur les épisodes récurrents de ses étranges « réveils » au XXIème siècle, dont elle croyait alors en toute bonne foi qu’ils étaient de véritables retours à la réalité. Jusqu’à son ultime plongée dans le ventre aseptisé de la Sphère où elle a pris conscience - du moins en a-t-elle été persuadée à ce moment-là- que ce monde souterrain régi par la Machine, était celui de la vraie vie. Leur avouer qu’elle le croit encore ? Il est trop tôt pour ça !

    C’est par la peinture hyper réaliste de ce lointain futur tellement terrifiant et hostile, qu’elle est en train de terminer pour eux le récit de ses vies oniriques successives. Élisa 7, l’ouvrière robotisée des serres hydroponiques. Élisa l’anormale que ses sentiments et ses rêves prohibés mettaient en danger imminent d’un complet reformatage, voire d’une pure et simple suppression, juste avant qu’un sauveur inattendu ne vienne la libérer de son funeste sort.

    -Jonathan je suppose. Intervient Patrick

    - Lui-même. Toujours là à point nommé pour me tirer des pires mauvais pas, comme tu as pu le remarquer.

    C’est volontairement que depuis le début de sa narration, elle a passé sous silence la nature exacte des liens qui l’unissent au Jonathan de ses rêves. Elle poursuit le cœur serré et le souffle court comme ce jour-là. La fuite…La course effrénée dans la noirceur poisseuse des entrailles de la Sphère. La cheminée gravitationnelle débouchant à l’air libre. Martha et l’autre « extrait », Jacob, dont la mort injuste la bouleverse encore.

    - Qui est Jacob ? Questionne sa mère qui suit beaucoup plus qu’elle n’en a l’air.

    - Comme je vous l’ai dit, un autre esclave libéré de la Sphère.

    - Oui, ça j’ai compris ma chérie. Je te parle du Jacob de la réalité. Tu ne nous as jamais parlé d’un Jacob.

    - Et pour cause maman, cet homme n’a existé que dans cette partie de mes rêves. Il est tombé malade au cours de notre fuite. Martha a eu beau tout tenter pour le soigner, il est mort après trois jours d’une terrible agonie.

    Á ce souvenir, les larmes ne sont pas loin de jaillir.

    - Qu’était-il pour toi ? Demande Patrick.

    -Juste un ami de galère qui aurait pu être mon père ! Qu’est ce que j’en ai voulu à Martha de n’avoir pas réussi à le guérir !

    - Martha bien sûr… Marmonne Sarah. Cette chère Martha présente dans tous tes rêves comme cet autre Jonathan. Omniprésente même devrais-je dire.

    - Maman !

    - Que ce soit dans la réalité ou dans tes rêves, elle ne t’a jamais abandonnée elle ! Elle a toujours été convaincue que tu finirais par te réveiller. Ce n’est pas comme moi !

    - Je t’en prie maman, ce n’était pas ta faute !

    Elle connaît maintenant la raison de son absence et de celle de Patrick durant cette partie de ses élucubrations comateuses. Crise cardiaque, hospitalisation d’urgence. Elle a failli en mourir. C’est arrivé le jour où Khaled Brahim l’a appelée pour lui dire que sa fille avait replongé plus profond et que cette fois, tout espoir d’un réveil paraissait définitivement compromis. Elle avait connu deux ans de répit. Deux ans d’espoir depuis l’apparition des premières réactions subconscientes de la comateuse. Pas étonnant que son pauvre cœur déjà rudement malmené, n’ait pas résisté à ce nouveau choc. Elle s’est sortie de ce grave infarctus terriblement affaiblie, au point d’être incapable de reprendre son travail à l’hôtel.

    Autrefois si forte et dynamique en dépit des coups du sort qui l’ont frappée, Sarah n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même. Á la voir ainsi, fragile, désarmée, le dos courbé sous le poids de la culpabilité, elle ne parvient plus à lui en vouloir d’avoir capitulé, jusqu’à presque donner son accord pour qu’on la débranche. Comment une mère peut-elle accepter de voir son enfant devenir un légume  sans pouvoir y faire quoi que ce soit ? Tant de souffrance !

    - Je t’aime maman ! La rassure-t-elle. Je vous aime tous les deux ! Tout va bien maintenant !

    Sans crier gare, un souvenir remonte à la surface. Quelque chose que Jonathan lui a dit au cours de leur épuisant périple vers Liberté.

    C’était un jour particulièrement éprouvant. Ils avaient marché sous une pluie battante, ne faisant que de trop courtes halte dans l’espoir d’atteindre le prochain abri avant la nuit. Ses vêtements détrempés étaient de plus en plus lourds sur ses épaules. Ses jambes tétanisées refusaient de la porter. Elle trébuchait tous les dix pas sur la piste étroite et caillouteuse qui serpentait à flanc de montagne. Jonathan la soutenait, tout en ne cessant de la houspiller pour la faire avancer. Alors qu’elle dérapait pour la ixième fois sur ces saletés de cailloux rendus glissants par la pluie, il l’avait empêchée de tomber en maugréant qu’elle retardait tout le monde. Vexée, elle avait stoppé net, décidée à ne plus bouger d’un pouce. Á bout de force, elle s’était tournée vers son tourmenteur et lui avait annoncé d’un air buté qu’elle ne ferait pas un pas de plus. Joignant le geste à la parole, elle s’était assise au milieu du sentier. Elle savait qu’il avait raison, que son comportement était à la fois puéril et très égoïste mais elle n’en pouvait vraiment plus. Rien n’aurait pu la faire bouger ! Pas même le regard furieux et les poings serrés d’un Jonathan prêt à exploser. Il s’était contenu pourtant, maîtrisant la colère qui vibrait encore dans sa voix, pour la raisonner :

    - La nuit va tomber Élisa ! Nous devons nous dépêcher de nous mettre à l’abri ! Allez, encore un effort ! On n’est plus très loin du refuge ! Si ce n’est pas pour moi, fais-le pour Jacob et pour Martha ! Regarde, eux aussi sont épuisés et transis de froid !

    -Je n’en peux plus Jonathan !

    - Tu ne peux rester là, voyons ! Et nous non plus ! Il faut absolument qu’on se mette au sec et au chaud ! Et puis tu dois penser que chaque pas te rapproche des deux surprises qui t’attendent au bout du chemin !

    - Au refuge ? Avait-elle demandé, piquée par la curiosité.

    - Non, à Liberté ! Mais avant ça, nous devons atteindre la cabane !

    - Quelles surprises ?

    - Si je te le dis, il n’y aura plus de surprise. Tu dois juste savoir qu’elles valent le coup ! Allez hop, debout, on y va ! L’avait-il encouragée en lui tendant la main pour l’aider à se relever.

    Elle l’avait agrippée et avait repris avec les autres la pénible escalade vers le refuge.

    Elle avait totalement oublié cet épisode dont elle ne comprend qu’aujourd’hui la signification : au bout du chemin l’attendaient sa mère et son frère.

    Elle se demande seulement si ce qu’il lui a dit n’est que le fruit de ses songes ou si cela fait partie des nombreuses choses que le Jonathan d’ici lui a répétées pour l’inciter à se réveiller.

    - Et alors ? Demande Patrick comme un gosse qui attend impatiemment la fin d’une histoire.

    Évidemment, il n’a pu la suivre sur le chemin tortueux de ses pensées. La voix tremblant d’émotion, elle se décide à reprendre son récit là où elle l’a interrompu, après que les quatre protagonistes aient quitté la Sphère. Elle raconte la découverte du monde du dehors, la première goulée d’air qu’elle a respirée, submergée de crainte. L’apprentissage de la liberté, de la fatigue, de la douleur…La naissance ou plutôt la résurgence, entre extase et peur, de son humanité. Toute la gamme des sentiments, des émotions, des sensations…Toutes ces choses merveilleuses et inconnues auxquelles les robots formatés de la Sphère n’ont aucun droit. Toutes ces incroyables facultés dont le manque ne peut les affecter puisqu’ils en ignorent l’usage. Pire même, la simple existence.

    Pour finir, parce qu’ils veulent savoir à quoi il ressemblait, elle leur décrit le paysage totalement différent de cette terre post- apocalyptique après 1500 ans d’absence humaine en surface.

    Lorsqu’elle arrive au terme de ce qui doit leur apparaître comme un conte à dormir debout, à voir leur air abasourdi, sa voix n’est plus qu’un chuchotement. Mais c’est l’épilogue de son histoire abracadabrante qui achève de les sonner.

    - Je ne saurais dire si c’est longtemps avant ou au contraire très proche de ma sortie du coma, mais j’étais au plus mal à la fin de mon dernier rêve. En fait, j’étais mourante. La douleur était telle que j’étais prête à accueillir la mort comme une délivrance. J’ai vu le tunnel de lumière vous savez ! J’ai vu les ombres qui m’attendaient à l’autre bout. Elles me tendaient les bras pour que je les rejoigne. Seule la voix de Jonathan qui m’appelait simultanément d’ici et du fond de mes rêves, m’a retenue de le faire. Il ne cessait de répéter : «Réveille-toi Élisa ! ». Alors je suis revenue. Pour lui.

    Conclut-elle, réalisant à peine qu’elle vient de leur dévoiler ses sentiments pour son sauveur

    - Ma petite fille…Mon trésor…Hoquète sa mère en la serrant à l’étouffer.

    Ses sanglots déchirants lui font plus mal que cette étreinte désespérée. Quelque chose de chaud et d’humide glisse sur ses joues. Ses yeux débordent de larmes. Assis de l’autre côté du lit, la tête dans les mains, son frère pleure lui aussi.

    Comment avouer à ces deux êtres qui la chérissent et qui viennent à peine de la retrouver après cinq longues années de séparation forcée, qu’elle ne se sent toujours pas à sa place dans ce monde, dans ce présent qu’elle ne parvient pas à reconnaître pour le sien ?

    Comment leur dire sans leur causer de chagrin supplémentaire, qu’en elle demeure la sensation tenace d’avoir laissé sa vraie vie, l’essence de son être, là-bas, dans ce futur de science-fiction où l’attendait une cité baptisée Liberté qu’elle eût peut-être fini par atteindre en dépit de son triste état, si elle ne s’était pas réveillée inopinément.

    - Je ne sais plus où j’en suis, avoue-t-elle. Je me sens tellement perdue, tellement déplacée ici ! Pourquoi ai-je l’impression que c’est maintenant que je rêve ? Une manipulation de plus de la part de ceux d’En-Haut. Pour moi, c’est le monde que je viens de quitter qui est réel. La Sphère maudite, les immensités désertiques du dehors… Tout là-bas me semble plus réel qu’ici. Plus réel que…

    Elle ne termine pas sa phrase. Ils ont compris qu’elle parle d’eux. Sarah resserre autour d’elle le doux étau de ses bras. Vaincue, elle pose sa tête sur son épaule.

    - Ma fille, ma petite fille…Répète Sarah comme pour la convaincre.

    - Petite sœur, ta vie c’est ici, c’est maintenant et c’est nous ! Intervient Patrick. Tu dois l’accepter si tu veux te reconstruire. Le reste n’est que la conséquence de ton coma prolongé. Des rêves, rien que des rêves nés des interminables monologues que nous t’avons débités jour après jour avec l’espoir que tu nous entendrais ! Bientôt, tu seras chez toi, à la maison. Ta vie, la vraie, la seule va reprendre son cours normal. Je me doute que ça ne sera pas facile mais on sera tous là pour t’aider à te retrouver. Maman, moi, Martha, ta copine Chloé…Ton coma aura été un voyage sacrément long, j’en conviens mais te voilà rentrée au bercail. Tu dois y croire pour guérir complètement. Tu vas le faire hein ? Promis ?

    Elle l’a écouté le nez enfoui dans le cou de sa mère. La légère fragrance de chèvrefeuille qui en émane, titille sa mémoire, faisant remonter des tas de souvenirs. Réels ? Issus de ses rêves ? Tout s’embrouille dans sa tête. Pourra-t-elle démêler l’écheveau ?

    - Promis ? Insiste Patrick.

    - Juré, craché ! Cède-t-elle enfin en faisant mine de cracher par-dessus sa main.

    Un sourire encore timide fleurit sur ses lèvres. Elle est soudain sûre de n’avoir pas rêvé ce rituel entre eux à chaque promesse qu’ils ont échangée depuis sa plus tendre enfance.

    Son grand frère, son adorable grand frère est bien là, à côté d’elle, rassurant. Comme autrefois, il y a des siècles de cela lui semble-t-il, il lui tend la main pour l’aider à franchir les obstacles qui se dressent devant elle. Aujourd’hui, c’est pour combler le vide abyssal qui s’est creusé entre elle et les siens, qu’elle saisit cette main secourable, qu’elle la serre de toutes ses forces renaissantes. Elle veut lui prouver qu’elle est capable de vaincre sa peur du vide pour rejoindre ceux qui l’attendent de l’autre côté de l’abîme. Les vivants, pas les morts. Elle est prête à affronter ce présent qui la terrifie, cet avenir incertain, ce monde inconnu où il lui faudra reprendre sa place, si tant est qu’elle en ait une ! Elle n’en est pas sûre cependant, elle le doit à ces deux-là qui ont tant et tant attendu pour la retrouver. Aux autres aussi qui piaffent d’impatience de la revoir. Martha, Chloé…

    - Je t’aime sœurette mais arrête de me broyer la main s’il te plait ! J’en ai besoin pour traire mes chèvres tu sais !

    Comme délestés d’un grand poids, ils éclatent de rire en même temps. Et si Sarah n’en est pas encore là, du moins ne pleure-t-elle plus. Elle la sent se détendre tandis que se desserre le nœud de ses bras autour d’elle.

    Quand Khaled entre suivi de Jonathan, les deux compères esquissent un sourire de soulagement en découvrant l’émouvant tableau familial. Trois têtes rapprochées, complices et au milieu, des éclats de rire. Celui du frère, rugissant tel un torrent de montagne. Celui de la sœur, chantant comme un ruisseau. La mère elle, ne rit pas mais elle leur semble nettement plus apaisée qu’à son arrivée, même s’il subsiste dans le regard qu’elle tourne vers eux, un soupçon d’inquiétude et quelques questions encore.

    Tandis que son ami s’avance, l’air jovial vers le lit, Jonathan lui, reste coi, statufié devant une Élisa plus belle que jamais. Elle est comme transfigurée. Son rire joyeux le transperce, lui remue les tripes. Une chaleur insidieuse irradie son bas-ventre. Il est tellement gêné par cette brusque et incontrôlable réaction de son corps, qu’il n’a plus qu’une envie, fuir cette chambre très vite et aller se jeter tout habillé sous une douche glacée pour calmer ses ardeurs intempestives. Seulement voila, il est incapable de bouger, subjugué par la vision de sa « belle endormie » comme il l’appelait lorsqu’elle était encore dans le coma.

    Elle vient de l’apercevoir. Radieuse, elle le gratifie de son plus ensorcelant sourire, totalement inconsciente de l’effet qu’elle a sur lui. L’intense émotion qu’il a toujours ressentie en sa présence alors même qu’elle gisait, petite poupée de chiffon presque sans vie sous les draps blancs, est à présent décuplée. Sa belle endormie est réveillée, bien réveillée ! Resplendissante, vivante, sa beauté sublimée par ce sourire qui semble l’illuminer de l’intérieur.

    Elle l’aimait, héros de ses rêves, il voudrait qu’elle aime tout autant la pâle copie qu’il doit être à ses yeux.

    «  Bientôt, moi aussi je te ferai rire Élisa ! Oui, je te ferai rire et même plus ! » Se promet-il.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 9 Février 2023 à 20:49

    Ah l'amour...  faut tjs y croire... amitiés, jill 

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