• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 11

    Onzième au dix-septième jour.

     

    Une semaine qu’elle chemine avec Bob. Une semaine sans la plus petite anicroche. Il semble tout prévoir et s’attache à lui éviter le moindre souci, la moindre fatigue inutile. Qu’un obstacle imprévu se présente et il trouve aussitôt comment le contourner. Contrairement à elle, lui n’a aucun besoin de consulter la carte ! L’itinéraire jusqu’à la Sphère est sûrement inscrit dans ses circuits. Qu’il se mette à pleuvoir et il construit en un tournemain un abri provisoire. Il chasse et pêche pour elle, trouve les fruits et les racines comestibles pour varier ses repas, allume le feu, s’occupe de Weena aussi bien qu’elle si ce n’est mieux. Du ferrage au pansage, il sait tout faire posément sans jamais s’énerver et pour cause ! S’il était un homme, Bob serait le compagnon idéal !

    Chaque fois que cela s’avère nécessaire, Il utilise les herbes et les onguents qu’elle a emportés mais il tire aussi du sac à dos en matière gris argenté qui ne le quitte jamais, de petites pilules-miracles pour elle autant que pour la jument. Ce sac plein de remèdes mystérieux, elle ne l’a remarqué que depuis qu’ils font route ensemble.

    En guide parfait, il sait exactement où et quand il faut s’arrêter. Qu’elle s’avise de vouloir continuer animée par un soudain accès de rébellion, et il stoppe net, croise les bras sur son torse couvert de la même matière argentée que son sac, la fixe de son regard inexpressif et ordonne d’une voix ferme :

    - Il est temps de s’arrêter.

    Si elle persiste en lui demandant pourquoi, arguant qu’ils pourraient faire encore quelques kilomètres, il se contente de lui répondre :

    - Il est temps.

    Et chaque fois elle se résigne à lui obéir. Plus pour Weena que pour elle-même, remplie depuis qu’il est là, d’une énergie qu’elle croyait avoir perdue.

    En parlant d’énergie, Bob n’a besoin de rien d’autre que de renouveler la sienne tous les trois jours exactement. Elle avait bien deviné de quelle manière et ce matin encore, elle le regarde faire pour la deuxième fois partagée entre amusement et agacement. Amusement parce qu’il agit sur lui-même avec la même précision chirurgicale, la même économie de gestes qu’avec Weena ou avec elle quand il soigne une écorchure ou qu’il neutralise les effets du venin d’un de ces maudits insectes dont la piqûre vous paralyse pendant près d’une heure. Agacement parce qu’elle devine qu’elle et la jument ne sont à ses yeux de robot au service de la Sphère, que deux autres machines dont il assure le bon fonctionnement !

    Et pour ce qui est du bon fonctionnement, la jument et elle sont au top de leur forme depuis qu’il les a prises en charge. Elles mangent à leur faim, dorment tout leur soûl, sont parfaitement soignées ! Que demander de plus ?

    Weena s’en contente avec un naturel et une confiance désarmante envers ce personnage même pas humain. Elle devrait suivre son exemple non ?

    Le seul problème, c’est qu’en fait, monsieur 26-B-RH-1 n’a aucune conversation. Il se contente de lui répondre à sa façon dénuée de tout affect chaque fois qu’elle lui adresse la parole ! Encore faut-il que ce soit sous forme de question à réponse autorisée ! Du genre : « Quelle est cette fleur ? » ou « Encore combien de temps avant d’atteindre le prochain refuge ? ».

    Rien concernant Jonathan et ses deux amis ! Rien concernant la Sphère et ce qui l’attend quand ils l’auront atteinte. Pour ces questions-là, elle obtient toujours le même type de réponse : « Tu sauras le moment venu » ou « Ce que tu veux savoir est en toi. »

    Elle le regarde. Comme trois jours auparavant, il a sorti un minuscule tournevis de son sac à malices. Avec une dextérité époustouflante, il a dévissé la petite plaque à peine visible au sommet de son crâne chauve, mettant ainsi à nu un panneau solaire ultra sophistiqué pas plus grand qu’une de ces cartes à puce dont sa fameuse mémoire ancestrale lui restitue le souvenir. Puis il s’est assis, offrant son crâne dégarni aux rayons du soleil matinal. 10 minutes et il revisse la plaque, rechargé à bloc pour trois jours à plein rendement !

    La première fois, étonnée, elle lui a demandé :

    - Ça suffit ?

    - Oui. A-t-il répondu sans plus d’explication.

    Ce matin, elle a une autre question à lui poser dont elle espère obtenir une réponse. Si c’est permis !

    Sagement, elle attend qu’il en ait terminé avec son plein de soleil. Un plein bienfaisant dont elle profite également à sa manière. Hier, il a grisaillé et plu toute la journée !

    - Qu’as-tu mis dans ma tisane hier soir ?

    - Une pilule relaxante.

    - Je n’aime pas trop que tu…

    - Tu en avais besoin.

    - Comment tu peux…

    - Tu me l’as dit. As-tu rêvé ?

    - Euh…oui !

    La surprise vient de la cueillir ! C’est la première fois qu’il lui pose une question aussi directe !

    - Cauchemars ?

    -Non ! Pourquoi cette question ? En quoi le fait que je rêve ou non t’intéresse-t-il ?

    - Rêver est nécessaire aux Humains. Les rêves sont indispensables à votre équilibre psychique.

    - Et ?

    - Tu parles. J’enregistre.

    - Et ?

    - Tu as dit ne plus rêver depuis tes derniers cauchemars.

    - Et alors ?

    - Tu rêves mais tu oublies. Tu as peur. La pilule que tu ingères neutralise ton angoisse. Á présent, tu vas rêver et te souvenir. C’est important.

    - En quoi est-ce important ?

    - Tes rêves vont t’amener au réveil.

    « Il y avait longtemps ! » Se dit-elle sans lui répondre puis elle ajoute tout haut :

    - En gros, tu veux m’aider à retrouver le pays des songes ! Je suis d’accord mais pas pour les cauchemars hein !

    - Tu n’auras plus de rêves néfastes.

    - Comment peux-tu en être si sûr ?

    - Parce que…

    - Stop ! J’ai compris l’interrompt-elle énervée d’un seul coup ! Le truc que j’avale est bourré de ces saletés de drogues qui influencent mon subconscient, comme là-bas !

    - Exact ! C’est pour ton bien.

    - Dit le robot envoyé par les Maîtres.

    - Les robots servent les Humains. Ils sont programmés pour cela. Répond-il imperturbable.

    Quoi que…. Elle aurait presque senti une pointe d’agacement dans le ton habituellement très uni de Bob.

    - Ma parole, tu es vexé ! Ne peut-elle s’empêcher de lui lancer.

    -Les robots ne sont pas programmés pour éprouver  des sentiments, quels qu’ils soient.

    - Humm ! Je veux bien ! En tout cas merci pour les songes tranquilles.

    - C’est bien.

    - Au fait, veux-tu savoir de quoi j’ai rêvé la nuit dernière ?

    - Si tu le souhaites.

    - Eh bien, j’étais chez moi, dans ma vie du XXIe siècle, dans ce joli village des Eyzies. Tu vois de quoi je parle ?

    - Oui.

    -Évidemment ! Suis-je bête ! J’étais chez moi, donc, avec Sarah, ma mère, Patrick, mon frère, Chloé, ma meilleure amie et cette chère Martha accompagnée de son mari Harold. Attablés dehors, au soleil, nous fêtions joyeusement mon anniversaire. Newton, notre vieux chat borgne était étalé sous la table, à mes pieds. De son œil unique, il lorgnait Titan, le berger australien de Patrick, couché près de son maître. Nous étions si bien…

    - Quel âge fêtais-tu ?

    - Curieusement, je n’arrive pas à me souvenir.

    - Essaie !

    - Pourquoi ?

    - C’est important.

    - Attends… 24…non 25 ans je crois.

    - Tu es sûre ?

    - Oui, je me souviens…. Nous fêtions mes 25 ans et… mon diplôme.

    - Quel diplôme ?

    - Tu dois le savoir, non ?

    - Oui, mais tu dois me le dire.

    - Un Master Bio-géosciences.

    - Bien.

    - Pourquoi ?

    - Tu te souviens. Y a-t-il autre chose ?

    - Oui mais ça me gêne de t’en parler.

    - Je suis un robot.

    - OK ! Nous en étions au gâteau et aux bougies. J’allais souffler puis leur avouer d’étranges retrouvailles…

    - Continue.

    - Avec un homme, que j’avais rencontré 5 ans auparavant. Il m’avait fortement impressionnée. Pour dire la vérité, cela avait été le coup de foudre pour tous les deux. Mais nos routes s’étaient aussitôt séparées. Je ne me rappelle plus pour quelle raison. Un temps, j’avais tenté de retrouver sa trace… Puis je l’avais oublié. Du moins je le croyais. Je l’avais revu à l’Université, le jour de la remise des diplômes de fin d’année. Je ne sais plus pourquoi il était là mais je l’ai immédiatement reconnu. Lui aussi m’a reconnue.

    - Son nom.

    -Jonathan Sauveur

    - C’est bien.

    -Tu m’énerves, 26-B-RH-1 ! En quoi c’est bien ? Tu peux me le dire ?

    - Tu te souviens.

    - Et voilà ! Je me souviens ! La belle affaire ! Dis-moi, monsieur- je sais tout, là, tout de suite, je rêve ou pas ?

    - Nous devons repartir. Je vais tirer le chariot. Tu monteras Weena.

    - Quoi ? Tu vas tirer le chariot ! Tu as des super pouvoirs ? Pourquoi tu ferais ça d’abord ?

    - Je peux. Un chemin plus difficile t’attend. Tu dois ménager tes forces.

    - Je…

    - En route Élisa. Tu approches du but.

    - Quand tu arrêteras de parler par énigmes, préviens-moi !

    Sans se donner la peine de lui répondre, il dételle Weena, s’arrime le harnais du chariot autour du torse et commence à marcher sur le chemin. Il semble n’avoir aucune peine, comme si le lourd chargement ne pesait rien pour lui.

    - Si c’est tellement facile, pourquoi ne l’as-tu pas fait avant ?

    Pas de réponse.

    - Hep ! Tu pourrais m’attendre au moins. Jette-t-elle, hargneuse avant de se jucher sur le large dos de sa jument.

    Puis, comme il ne répond toujours pas, elle se résigne à le suivre en rongeant son frein.

     

    Il avait raison. La journée a été longue et le chemin jusqu’au refuge suivant, assez pénible !  Sauf pour lui apparemment ! D’abord un soleil ardent, difficile à supporter même avec son large chapeau de paille. Puis une succession éprouvante de collines. Caillasse, sentiers en lacets, montées, descentes… Interminable ! Ensuite une large rivière à traverser avec une Weena au comble de la peur. Et enfin, le soir venant, un violent orage, la pluie diluvienne et pas le moindre abri en vue Pas plus que d’arbres pour que monsieur le super-robot puisse en construire un.

    Si lui paraît imperméable, elle et Weena ne le sont pas ! Résultat des courses, elle et sa jument sont arrivées au refuge, totalement trempées ! Grelottantes, épuisées, frigorifiées, sous le regard impavide d’un Bob aussi frais que s’il n’avait pas marché toute une journée  en tractant un chariot bien chargé de surcroît ! Il n’a pas eu besoin de lui dire d’aller se mettre à l’abri. Ni qu’il allait se charger des soins de Weena. Elle était tellement fatiguée qu’elle aurait pu s’endormir debout ! Il s’est contenté d’entrer avec elle, lui a tendu deux pilules et sa gourde.

    - Prends ça et va dormir. A-t-il dit avant de sortir s’occuper de la jument et du chargement.

    Elle aurait voulu protester contre son autoritarisme impersonnel qu’elle en aurait été incapable. Alors elle a avalé les deux pilules avec une gorgée d’eau puis sans prendre la peine de se déshabiller, elle est allée s’étendre sur l’une des quatre couchettes.

    Á peine pelotonnée sous la couverture, elle s’est endormie.

     

     

    « "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 10"Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 12 »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    2
    Mardi 28 Février 2023 à 10:24

    C'est le genre de personnage à qui je ne pourrais pas obéir et à   la lettre 

    S'en détourner 

    Bonne journée 

    Rose 

    1
    Mardi 28 Février 2023 à 10:11

    Ce monsieur je sais tout est une force de la nature... que faire d'autre, que lui obéir... amitiés, JB

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :