• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 23

    La nuit a été si courte qu’elle est déjà au bord de l’épuisement. Il faut dire qu’elle a refusé de s’endormir aussi longtemps qu’il lui a été possible de le faire. Elle n’a cédé au sommeil qu’à l’extrême limite de sa fatigue, sûre que de cette façon, elle ne retomberait pas dans le piège maléfique de ses songes.

    Elle s’arrête brusquement, saisie d’une frayeur aussi intense que soudaine. L’impression d’être observée la paralyse et l’empêche de respirer. Chloé qui marche à quelques mètres devant elle, ne semble s’être aperçue de rien. Comment cette imitation de son amie de jadis, pourrait-elle montrer la moindre inquiétude ?

    Elles ont quitté le refuge aux premières lueurs d’une aube brumeuse. Au fil des heures, l’impalpable brume matinale s’est muée en un épais brouillard qui gomme le paysage alentour, rendant difficile voire périlleuse leur progression sur le sentier inégal. Enfin, difficile pour elle parce que Chloé chemine d’un pas aussi assuré que la veille !

    -Hep ! Pas si vite ! S’égosille-t-elle en vain.

    Devant elle, la silhouette imprécise de son amie, n’a même pas marqué un temps d’arrêt. Pas plus qu’elle n’a daigné lui répondre !

    La sensation d’un regard hostile l’épiant au cœur de la masse cotonneuse, ne cesse de grandir. Au loin, Chloé a disparu, avalée par le brouillard.

    Elle est seule sur le sentier, bloquée par une peur incommensurable. Seule ? Peut-être pas.

    Un rire sardonique brise le silence ouaté. Puis un rugissement de fauve…

    - J’hallucine ! Murmure-t-elle pour se rassurer.

    Elle oblige ses jambes douloureuses à se remettre en mouvement. Elle doit rejoindre Chloé.

    Elle trébuche… tombe et s’étale lourdement sur le sol. N’est-ce pas une main qui vient de la pousser dans le dos ?

    Péniblement, elle se relève. Ses paumes et ses genoux la font souffrir. De nouveau, ce rire cruel qui se moque d’elle !

    Puis deux yeux félins d’un jaune luminescent, trouent la brume compacte. Elle sent l’haleine chaude du fauve tout près d’elle. C’est le tigre de son rêve. La frayeur la propulse en avant. Elle n’y voit pas à un mètre mais qu’importe. Elle court à perdre haleine, se retenant de hurler, poursuivie par le rire d’un homme qui pourrait être Jonathan et par la cavalcade puissante d’un fauve affamé…

    Sa course folle est stoppée net par le corps qu’elle vient de heurter brutalement. Elle s’y agrippe de toutes ses forces.

    -Chloé ! Hurle-t-elle, laissant enfin libre cours à la terreur qui l’a envahie.

    -Du calme, Élisa ! Du calme ! L’admoneste une voix haïssable entre toutes.

    Khaled ! Elle s’écarte vivement de cet être abhorré dans les bras duquel elle s’est jetée, totalement paniquée, croyant avoir affaire à son amie !

    Dieux du ciel, ils lui ont envoyé ce type exécrable !

    - Que faites-vous ici ? Où est Chloé ?

    - Elle a accompli ce pourquoi elle était venue ! Répond une autre voix, connue elle aussi.

    Une voix dont elle ne sait plus si elle doit la chérir ou la détester.

    - Jonathan ? Ils t’ont laissé partir ?

    - Je ne suis pas prisonnier ma douce !

    - Je ne suis pas ta douce ! Tu m’as abandonnée Jonathan. Pire que tout, tu m’as trahie.

    Elle a conscience qu’elle parle à une ombre, à des ombres… Parce qu’en y regardant mieux, elle s’aperçoit qu’il n’y a pas que deux silhouette émergeant du brouillard.

    Ça y est ! Cette fois elle est vraiment devenue folle !

    Devant ses yeux ébahis, les ombres prennent forme, les visages se précisent. Khaled, Jonathan, Martha, Mélodie…Et deux personnes qui lui sont totalement inconnues.

    -Personne ne t’a trahie mon petit. Lui dit doucement Martha.

    -Tu… Tu as quitté Liberté. Bredouille-t-elle Et toi aussi Mélodie ?

    Pas de réponse. Elle a l’habitude !

    - Qu’avez-vous fait à mon amie ?

    - Nous ne lui avons rien fait du tout, répond une grande et mince femme entre deux âges. Le ton est un rien hautain. Elle a la sensation fugitive de l’avoir déjà entendu.

    « On la perd… » Ces mots étranges résonnent dans son crâne.

    - Vous m’avez retrouvée. Lance-t-elle tout à trac.

    - Il semblerait que nous soyons en bonne voie jeune fille ! Répond l’interpellée sans se départir d’une once de sa prestance altière.

    - Me direz-vous enfin où est Chloé ? Insiste-t-elle

    -Elle a rejoint les limbes dont nous l’avions tirée pour t’aider, lui répond un homme.

    Lui aussi, elle l’a déjà entendu, elle en jurerait !

    - J’avais donc raison ! Dit-elle, assez bas pour que tous ces gens apparus comme par miracle sur le sentier, ne puissent saisir son propos.

    - On dirait bien que ça a marché mieux que nous ne l’espérions ! Enchaîne Mélodie.

    - Et qu’est-ce qui a marché selon toi ?

    - Chloé, enfin celle que nous t’avons envoyée, t’a amenée où nous désirions que tu parviennes. Enfin, presque, parce que tu dois encore atteindre l’Arche et y entrer.

    - Si c’est le but, pourquoi Martha et toi, ne m’avez-vous pas suivie lorsque je me suis enfuie de Liberté ? Il aurait été tellement plus simple pour vous de m’y accompagner ! Comme pour moi d’ailleurs !

    - Il n’était pas en leur pouvoir de le faire, lui répond l’homme dont le nom lui revient.

    Septime… Et la femme hautaine, c’est Serena. Elle les a rencontrés tous les deux, mais quand ?

    Leur regard perçant posé sur elle, la somme de se rappeler.

    - Comment ça pas en leur pouvoir ? Il suffisait pourtant qu’elles me suivent !

    - Nous ne… Commence Martha

    - N’en dis pas plus Martha ! L’interrompt aussitôt Jonathan. Nous ne devons plus interférer avec le processus. Elle a fait le plus gros du chemin. Nous allons nous contenter de l’aider à parcourir le reste. Tout doit venir d’elle au maximum. Tout est en elle !

    - Explique-toi bon sang ! J’en ai plus qu’assez qu’on me parle par énigme en m’affirmant à tout bout de champ que j’ai la réponse en moi, dès que je pose une question !

    - Nous ne faisons que te dire la vérité Élisa ! Il est plus que temps que tu l’admettes, pour ton bien ! Autant que pour le mien… Ajoute- t-il dans un murmure à peine audible.

    - Ah oui, sinon, je vais mourir, c’est ça ?

    - C’est vrai hélas !

    - En quoi admettre cette vérité que je refuse selon vous, serait-il nuisible pour toi Jonathan ? Tu m’as abandonnée, rappelle-toi !

    - Je ne t’ai pas abandonnée ! Jamais ! Et nul ne pourra me contraindre à le faire ! Lance-t-il en jetant sur les autres un regard assassin !

    - Tu ne m’as pas abandonnée ? La bonne blague ! Quand je pense que je me suis lancée seule à ton secours, refusant de croire que tu étais mort alors que tu n’étais même pas prisonnier de la Sphère comme je le pensais !

    - L’Arche Élisa, rappelle-toi ! Pas la Sphère ! Il fallait que tu penses ainsi ! Ma présence auprès de toi devenait une entrave au processus ! C’est cela que Serena et Septime appelle « interférer ». Mais en réalité, je ne t’ai jamais abandonnée mon cœur ! Jamais ! Et je resterai avec toi jusqu’au bout, quoi qu’il advienne !

    - Et il mourra avec toi ! Renchérit sombrement Martha. C’est ça que tu veux ?

    - Non ! Hurle-t-elle, incapable d’envisager que cet homme puisse perde la vie à cause d’elle.

    - C’est pourtant ce qui arrivera si tu t’obstines comme tu le fais depuis…

    - Ça suffit Khaled ! Nous en avons déjà trop dit !

    -Et Bob ? Qu’est-il devenu, demande-t-elle timidement ? Et les  résidents de Liberté ?

    - Plus de questions Élisa. Regarde devant toi ! Ordonne Jonathan ! C’est là-bas que t’attendent toutes les réponses. Le temps presse !

    Elle obéit, l’esprit en déroute. Le brouillard s’est déchiré. Plus très loin sur l’horizon éclairci, se détache la haute et impressionnante masse d’un dôme immense aux parois ternies par les siècles.

    - En route Élisa, c’est la dernière ligne droite, lui dit Jonathan en la prenant par la main.

    « Elle rêve Khaled ! Elle finira par se réveille ! » « C’est toi qui rêve mon ami ! Nous ne pouvons plus attendre, nous devons partir!»

    Où et quand a-t-elle entendu ça ?

     

    Jonathan et elle, marchent en tête. Les autres suivent à quelques pas derrière dans un silence unanime.

    Sauf en ce qui concerne Khaled, dont elle sent le regard assassin dans son dos et dont elle croirait presque entendre les pensées agressives.

    « Nous perdons notre temps avec elle ! Elle refuse la réalité, un point c’est tout »

    Elle se retourne instinctivement, comme si un aiguillon venait de la piquer. Les yeux de son ennemi juré en disent plus long que les pensées qu’elle a saisies au vol bien malgré elle.

    Les questions dans son crâne, mènent une sarabande infernale. Pourquoi sont-ils tous là, si, comme le pense ce rustre, ça ne sert à rien ? Pourquoi lui a-t-on envoyé Chloé, puis la lui a-t-on retirée sans préavis ? Elle n’a même pas pu lui dire au revoir ! Pourquoi avoir pensé que la présence de Jonathan lui était néfaste pour finir par le remettre à ses côtés ? Que faisait-il, pendant qu’elle cheminait à sa rescousse au péril de sa vie s’il n’était pas prisonnier comme il le lui a affirmé ? Puisqu’Ils ont jugé bon de lui envoyer Chloé, pourquoi n’ont-ils pas fait de même avec sa mère ? Ou avec Patrick ? Elle aurait été si heureuse de les revoir même en sachant qu’ils n’étaient que des illusions ! Quelle vérité que selon eux, elle refuse obstinément, l’attend dans les tréfonds sinistres de ce lieu maudit qu’elle a baptisée la Sphère, elle ne sait pourquoi ? Laquelle est tellement près maintenant que son ombre immense en devient oppressante pour elle.

    Et puis il y a tous ces souvenirs qui remontent en masse à la surface de sa conscience chamboulée. Car il s’agit bien de vrais souvenirs, elle en est certaine à présent ! Des réminiscences liées à son arrivée en ce lieu que Jonathan appelait « L’Arche », il y a des siècles de cela.

    Enfin, pas vraiment elle mais cette autre elle-même dont elle n’est qu’un des ixièmes clones ! C’est ce qu’elle suppose en tout cas ! Est-ce cela, cette vérité qu’elle refuse ?

    Elle est tellement submergée par ce magma en fusion qu’elle manque de tomber. Heureusement, la main solide de Jonathan l’en empêche, une fois de plus !

    - Arrête de réfléchir Élisa ! C’est inutile ! Je te le répète, toutes les réponses t’attendent là-bas !

    - Je voudrais tant faire demi-tour ! Je n’aurais jamais dû quitter Liberté.

    - C’est pour retrouver ta liberté, que tu dois rejoindre l’Arche, crois-moi !

    - On ne parle pas de la même chose là !

    - Tu me croyais prisonnier ma chérie, mais c’est toi la prisonnière ! Tu as fait de Liberté, ta propre prison ! T’en évader est la meilleure décision que tu aies prise, même si tu l’as fait pour de fausses raisons.

    - Je l’ai fait pour te retrouver Jonathan ! C’est une vraie bonne raison non ?

    - La plus merveilleuse à mes yeux mon amour. Et tu me retrouveras ! Il suffit que tu le veuilles vraiment !

    - Mais tu es là ! Je ne rêve pas tout de même !

    - Crois-tu ?

    - Tu ne vas pas disparaître comme Chloé hein !

    - Le temps n’est plus aux tours de passe-passe  Élisa ! Ce que tu vois aujourd’hui, c’est ce qu’il est vital que tu voies !

    - Je n’y comprends vraiment rien de rien !

    - Le voilà l’obstacle que tu ne veux pas franchir !  Allez, avance, nous ne sommes plus très loin ! Mais le temps presse et il n’est pas question que je parte sans toi !

    - C’est vrai, le temps presse ! Ajoute Martha qui vient de se rapprocher d’eux et dont elle sent la poigne chaude se refermer autour de son autre main.

    - Bouge ton joli cul si tu veux que ton mec ait une petite chance de s’en sortir ! Raille méchamment Khaled dans son dos ! C’est mon meilleur pote depuis… Ça me foutrait dans une rogne que tu n’imagines même pas, si je devais le perdre à cause de toi !

    - Tais-toi Khal’ ! Tu ne vas pas me perdre et moi, je ne vais pas perdre Élisa ! Lance Jonathan avec hargne sans se retourner.

    Elle non plus ne se retourne pas. Les yeux fixés sur le dôme qui se rapproche terriblement, elle avance. Devant elle, insidieusement, le brouillard se reforme, tel un obstacle menaçant. Terrifiée, elle se serre un peu plus contre Jonathan.

    - Je t’aime, je t’aime Jonathan… Murmure-t-elle comme une prière ou comme un mantra pour conjurer le mauvais sort.

    - Je t’aime moi aussi mon cœur. Je t’aime tellement ! Lui répond-il

    Alors, comme si les mots avaient un pouvoir, le rideau cotonneux se dissout instantanément. Et la Sphère soudain, lui apparaît clairement, désormais plus comme un asile que comme la funeste prison qu’elle a toujours été à ses yeux.

    L’Arche…

    Galvanisée, elle hâte le pas.

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 12 Mars 2023 à 10:47

    Ensemble on est plus fort pour avancer, quelque soit la destination... amitiés, JB

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