• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 9

    ...Un violent mal de tête lui vrille les tempes tandis qu’elle sort péniblement d’une nuit particulièrement agitée. Elle a vraiment très mal dormi, enchaînant cauchemar sur cauchemar. Chaque fois que l’un d’’eux la laissait pantelante, elle s’efforçait de se réveiller comme elle parvient à le faire dès qu’un rêve la plonge dans une terreur primale.

    En fait, elle a la sensation d’avoir évolué dans un unique et même long cauchemar, transportée sitôt qu’elle se rendormait dans la peau de l’une de ses doubles oniriques.

    Elle a d’abord été Ehi Sha, se réveillant en sueur, désorientée et terriblement seule dans une hutte préhistorique, éprouvant comme une sourde douleur l’absence de Roh Ahr Anh à ses côtés. Puis elle sortait de la hutte et découvrait terrifiée, le village du Clan des Chasseurs totalement déserté. Une voix qui n’avait rien d’humain, l’entraînait alors hors du village en ne cessant de lui répéter : « Réveille-toi Élisa ! ». Elle sortait de la bouche close d’un être mi-homme, mi-robot. Mais cela, son double préhistorique ne pouvait le savoir !

    Puis elle s’est réveillée  et s’est presque aussitôt rendormie pour se retrouver dans la peau de l’Élisa du Moyen Âge qui émergeait elle aussi d’une nuit éprouvante. En sortant de sa maisonnette, la jeune fille effrayée faisait à peu de chose près le même constat qu’Ehi Sha : un monde vidé de ses habitants et une voix inhumaine l’entraînant hors de son village.

    L’être dont émanait cette voix à faire frissonner de peur les plus téméraires des chevaliers, marchait mécaniquement devant elle en répétant : « Réveille-toi Élisa ! »

    Et enfin, il y a eu ce dernier cauchemar dont elle vient à peine de sortir, totalement désemparée. Dans celui-là, elle était l’Élisa de ce futur si lointain qu’il en serait inimaginable pour tout autre qu’elle. Sauf pour Martha, peut-être, qui paraît comprendre tout ce qu’elle vit depuis qu’elle a recommencé à rêver. Ou pour Jonathan, dont elle partage les jours et les nuits depuis près de deux ans à présent.

    Pour le sauver, lui, l’éternel compagnon de ses faramineuses existences oniriques, des griffes de la Machine au service des tout puissants « Maîtres de la Sphère », elle a entrepris de traverser une France post-apocalyptique presque totalement vidée de sa population depuis plus de 1000 ans, avec pour seule compagnie, Weena, une merveilleuse jument pommelée comme elle n’en a jamais vue dans sa vraie vie de jeune femme du XXIe siècle. Au cours de cette quête aussi folle que périlleuse, elle est guidée par…Un robot androïde dont la présence ne semble plus l’inquiéter et qui, comme celui de ses autres rêves, ne cesse de lui dire et redire de se réveiller, sans qu’elle comprenne le sens de cet ordre bizarre !

    Quand elle va raconter ça à Jonathan, il va encore gentiment se moquer d’elle en lui réaffirmant que sa vie, c’est celle-ci, avec lui, pour toujours !

    Il n’est pas près d’elle, au creux de leur lit douillet ! Il est parti il y a maintenant trois jours rendre visite à sa famille circacienne qui tourne dans le nord du pays. Il ne rentrera qu’à la fin de la semaine.

    Elle ne l’a pas accompagné. Á ce stade de sa grossesse, 7 mois déjà, elle préfère s’abstenir de longs voyages en voiture. Elle ne sortira tout à l’heure que pour aller chercher sa mère à la gare de Bordeaux. Heureusement, leur appartement n’en est pas si éloigné ! Cette petite balade à pieds, tranquillement, lui fera le plus grand bien. Rien que cette idée la remet d’aplomb !

    Il est vrai qu’en l’absence de son mari, elle gère très mal ces cauchemars récurrents qui pourrissent ses nuits ! Chaque fois qu’elle se perd dans le dédale des errances nocturnes issues de son subconscient, lui seul détient le pouvoir de l’apaiser et de lui faire reprendre pied dans la réalité de sa vie quotidienne : Bordeaux, leur chouette appartement, le bébé à venir, un garçon, elle en est sûre ! Tout ce qui fait son bonheur, ici et maintenant comme il ne se lasse pas de le lui répéter.

    Enfin rassérénée, elle se redresse péniblement. Depuis quelque temps elle est sujette à de douloureuses courbatures. Bébé pousse, ça se sent ! Et il lui donne de sacrés coups de pieds le sacripant !

    C’est à ce moment précis qu’elle s’avise qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. C’est comme si ce petit dans son ventre voulait l’avertir. Mais de quoi ?

    Le silence peut-être, bien plus profond que ce que le double vitrage est censé apporter d’isolation phonique à l’appartement. Un silence qui lui paraît aussitôt oppressant tant il est total ! Pour être efficace, cette isolation n’en laisse pas moins filtrer les rumeurs de la ville. Elles lui arrivent habituellement par bouffées étouffées mais bien présentes : bruits de la circulation, coups de klaxon intempestifs, passage vrombissant des nombreux avions qui décollent et atterrissent bien trop fréquemment de l’avis-même des riverains de Bordeaux-Mérignac…

    Mais ce matin, rien ! Un grand, un immense rien angoissant ! La peur se rue dans ses veines à la vitesse grand V. Elle craint si fort d’aller vérifier ce que son esprit en déroute lui souffle, à la grande baie vitrée qui donne sur le boulevard si animé de son quartier, que ses jambes en flageolent. Dans son ventre distendu, les coups de pieds de « bébé », redoublent d’intensité.

    « Va voir ! » Semblent-ils lui dire.

    Surmontant la nausée brutale qui menace de la submerger, elle s’oblige à respirer calmement, puis se lève en se tenant le ventre à deux mains pour apaiser  « Bébé ».

    Alors, d’un pas hésitant, elle se dirige jusqu’à la salle de séjour où se trouve la baie dominant la rue. Elle a beau tendre l’oreille, rien ! Elle reprend son souffle haché par l’angoisse avant de se décider à actionner la télécommande qui ouvre le volet roulant. Il se lève lentement sur la lumière du jour.

    « Il va faire encore faire beau aujourd’hui. » se dit-elle, histoire de se rassurer.

    « Regarde dehors, allez, courage, regarde ! » l’admoneste sa voix intérieure.

    Le cœur étreint d’une crainte sans nom, elle se force à regarder…

    Vide ! Le boulevard est vide ! Pas un piéton sur les trottoirs, pas une voiture dans la rue. Pas de bus ou de trams remplis d’usagers en route pour leur travail…

    Rien, rien, RIEN !

    Elle sait d’instinct qu’elle n’aura pas besoin d’aller vérifier plus loin pour être sûre que toute vie humaine a déserté Bordeaux…Le reste du monde aussi sans nul doute !

    Disparue la population bordelaise dans sa totalité...

    Disparues sa mère, Martha, sa meilleure amie Chloé...

    Disparus Jonathan, là -bas dans le Nord de la France, Patrick et sa femme...

    Disparue l’Humanité, avalée par une monstrueuse entité dévoreuse d’âmes...

    Il n’y a plus qu’elle, son bébé et…Là, en bas, pointant un index raide vers elle, un robot androïde qu’elle reconnaît et dont elle discerne la voix sans même avoir besoin d’ouvrir la baie au double vitrage inefficace pour le coup : « Réveille-toi Élisa » Ordonne-t-il.

    «Réveille-toi ! Ce n’est qu’une illusion de plus, un cauchemar ! Réveille-toi !» Lui hurle son esprit tandis qu’elle suffoque et se sent partir. Juste avant de s’écrouler sur l’épaisse moquette, elle a vu une armée de robots affluer du boulevard. En rangs serrés, ils se dirigeaient tous vers son immeuble du même pas mécanique. Du fond de la torpeur qui l‘envahit, elle les entend :

    «Réveille-toi Élisa ! Réveille-toi !»  Scandent en chœur leurs voix monocordes.

    Elle devine sans les voir les milliers d’index pointés vers sa fenêtre.

    Puis elle sombre…  

     

    Le cœur au bord des lèvres, Élisa se secoue sur l’étroite couchette. Elle se frotte les yeux, juste pour s’assurer qu’elle n’est pas encore en plein rêve.

    - Quel cauchemar !  Lance-t-elle à elle ne sait qui.

    Cette fois c’était pire que d’habitude. Un rêve dans le rêve, dans le rêve... Le cercle vicieux absolu !

    Un souvenir que Martha ne manquerait pas de qualifier d’ancestral, lui revient : elle se revoit, dans cette autre vie de l’Élisa du XXIe siècle, raconter à sa mère l’un de ses rêves à tiroirs au cours desquels elle rêve qu’elle rêve qu’elle rêve…Et Sarah d’évoquer l’ancienne étiquette d’un fromage « L’oiseau bleu », montrant ledit oiseau bleu posé sur le rebord de la fenêtre d’une tour où se tient une femme tout de vert vêtue, la main tendue vers lui. Dans son bec l’oiseau tient un camembert où figure un oiseau bleu, tenant probablement un camembert dans son bec, sur laquelle se trouve un oiseau bleu qui…. Et ainsi de suite…

    Quelle étrange réminiscence ! D’autant Plus bizarre que dans son présent, celui dont on ne cesse de lui rabâcher qu’il est la seule réalité, Sarah n’existe pas ! Pas plus que Patrick ou Chloé. C’est d’ailleurs le seul endroit où hormis Chloé qui n'apparaît que dans son Monde du vingt et unième siècle, sa mère et son frère présents dans tous ses autres rêves, n’existent pas ! Pourquoi penser « ses autres rêves » au demeurant ? Là, elle ne rêve pas !

    Á moins que…

    Elle se frotte les yeux derechef. Elle est bien dans le refuge. L’est-elle ? Tout s’embrouille dans sa tête. L’épuisement, les épreuves sans doute ! Elle ressent dans tout son corps meurtri les efforts de la veille.

    Weena ! Comment va sa chère jument ? Elle boitait bas hier soir avant que...Bob ne décide de la soigner.

    Percluse de courbatures bien réelles cette fois, la boule au ventre, elle s’extirpe lourdement de sa couche, résolue à lever le doute qui règne dans son esprit en pleine pagaille !

    Le soleil est déjà haut. Elle se dirige sans trop se hâter vers l’arrière du refuge, encore inquiète de ce qu’elle pourrait y voir...ou pas ! Un soupir de soulagement lui échappe quand elle trouve Weena attachée comme il se doit, un pansement proprement posé autour du boulet de son antérieur gauche. Nulle trace de son ange gardien robot, évidemment. Il s’est éclipsé avant son réveil, comme à son habitude !

    Nulle trace ? Pas tout à fait, remarque t’elle en rangeant la sacoche se soins posée contre le mur de la resserre à bois. La carte qu’elle a dessinée en dépasse légèrement. Elle la sort, curieuse car ce n’est pas sa place. Une croix bien nette marque la prochaine étape. Et tout en bas, soulignés aussi nettement, les mots qu’il y a déjà écrits « Bonne chance » et « Réveille-toi Élisa ! »

    Finira-t-elle par comprendre le sens de cet ordre mille fois répété ?

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 26 Février 2023 à 11:06

    Elisa n'est pas sortie de l'auberge, comme on dit... un bon point, la jument va bien... belle journée, amitiés, JB

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