• Chapitre 52

    23 juillet, Le Havre

     

    Le 11 juillet à l’aube, l’expédition avait quitté la Russie. Ils avaient laissé les voitures des Forces Spéciales sur place et repris le train sans être inquiétés. Ils étaient arrivés exténués à Paris. De là, sans prendre le temps de se reposer, ils avaient rejoint le Havre, seul grand port capable de recevoir les hélio-transatlantiques géants qui faisaient la liaison entre la France et les USA. Celui sur lequel ils avaient embarqué, « l’Odysséus », venait de quitter le Havre. C’est avec une pointe de regret que les ressortissants français des Mus, voyait s’éloigner les côtes de leur pays natal. Leur retour dépendait de ce Sixième Rassemblement primordial mais surtout de l’issue de la confrontation entre leur Rassembleur et le Dragon noir de la Maison Blanche.

    Malgré sa hâte de partir délivrer sa mère et d’affronter enfin face à face celui qui les pourchassait lui et les siens avec un tel acharnement, Hawk avait pris le temps de contacter tous ceux qui pouvaient se rendre rapidement à Washington. Ainsi qu’il le leur avait affirmé, il aurait besoin d’eux pour avoir une chance de vaincre leur ennemi commun. Leur pouvoir concentré, lié au sien, serait sa seule arme contre Solomon. Il n’avait pas d’autre plan de bataille. Pas d’autre choix non plus, puisque Solomon ne voulait voir que lui.

    En attendant, il devait gérer un présent difficile. Pas autant que de savoir sa mère entre les griffes de Solomon mais presque !

    Mary n’était pas guérie, loin s’en faut. Non seulement elle ne recouvrait pas la mémoire mais encore, elle se raccrochait à ses maigres souvenirs d’Ielo. Gertrud ne l’aidait pas, bien au contraire ! Elle se plaisait à maintenir sa protégée dans l’illusion de ce passé tout fait et faisait le maximum pour la tenir éloignée de son mari. Elle le regardait sans aménité bien qu’il l’ait guérie de ses terribles blessures, ou peut-être même à cause de cela. Elle le considérait comme un sorcier de la pire espèce. Pire que Lûba qui ne lui apparaissait plus que comme une simple herboriste aujourd’hui. Lui, c’était un démon !

    Revenue de son étonnement et de la gratitude qui avait suivi sa miraculeuse guérison, elle avait reconsidéré la question sous son aspect le plus négatif. Blue Hawk et ses amis lui faisaient peur. Elle ne les trahirait pas puisqu’ils les avaient sauvés elle, Mary et les jumeaux mais elle ne pouvait les aimer et encore moins adhérer à leur cause.

    Hawk n’en pouvait plus d’avoir dans les jambes ce dragon en jupons, agressive, étouffante, intraitable. S’il voulait regagner, à défaut d’amour, l’amitié de sa femme, il allait devoir prendre contre Gertrud, des mesures drastiques. Il avait à sa disposition les meilleurs arguments. L’ex-gardienne-chef de Krépotz’7 vénérait les jumeaux. Elle ne supporterait pas d’en être totalement privée. Il lui avait déjà été pénible d’avoir à les partager avec leur véritable grand-mère. Sa haine pour Félie était si palpable que chacun la percevait et en souffrait pour elle, même Mary. Là-dessus il avait été ferme. Sa femme et ses enfants voyageraient avec lui et lorsqu’il aurait besoin d’intimité avec son épouse, Océane et petit Faucon seraient confiés à sa belle-mère. C’était à prendre ou à laisser !

    - Mais ils sont habitués à moi. Et puis Mary a peur de vous ! Avait objecté Gertrud vexée.

    - Il n’y a pas de mais ! Vous devez vous soumettre ou partir madame Baumann ! Lui avait-il répondu inflexible.

    Elle avait cédé la rage au ventre.

    Il savait quelle disait la vérité, hélas ! Mary le craignait. Elle se rétractait dès qu’il s’aventurait à la toucher. Heureusement, il n’en était pas de même avec ses enfants. Il les adorait et les chérubins lui rendaient au centuple cet amour sans borne.

     

    25 juillet, Océan atlantique.

     

    Accoudée au bastingage du vaste pont promenade de l’Odysséus, Mary regardait l’océan bleu-vert qui s’étalait à perte de vue. C’était féérique ! Elle se sentait totalement en harmonie avec cet élément liquide si vivant.

    Le grand navire mu par les volontés conjuguées du vent et du soleil, semblait fendre les flots de son étrave majestueuse. Il laissait derrière un profond sillage d’écume. L’air vif et iodé chargés d’embruns lui fouettait le visage et emmêlait ses cheveux dénoués. Un seul hic à sa sérénité, Hawk était bien trop près d’elle. Lui aussi savourait visiblement la paix de cet instant privilégié. Il se taisait, respectant son propre silence mais ses yeux lui lançaient des messages explicites et muets. Tels ceux que les naufragés glissaient autrefois dans des bouteilles qu’ils jetaient à la mer, ceux de son mari se perdaient dans les vagues tumultueuses de son esprit. Lequel demeurait pour elle comme pour lui, aussi insondable que les profondeurs abyssales.

    Elle l’observait à la dérobée. C’était plus fort qu’elle ou que sa peur. Elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Ses yeux étaient du même bleu profond que ce ciel de fin d’après-midi. Un bleu à faire tomber les midinettes en pâmoison comme disait son père…

    Il sursauta soudain, comme piqué par une guêpe.

    - Que te rappelles-tu de ton père ma mie ?

    - Mais…Je…Rien ! Pourquoi ?

    - Tu viens de l’évoquer Mary !

    Qu’avait-il lu en elle qui l’ait déjà totalement fuie ? Son pouvoir étrange la gênait. Pire, il l’effrayait. Il guettait sa réponse, son beau regard plongé dans le sien jusqu’à la faire défaillir.

    - Pardonnez-moi ! Je…j’ai oublié…

    - Ce n’est rien ma douce. Et je t’en prie, cesse de t’excuser à tout bout de champ ! Tu n’as rien à te faire pardonner.

    Elle sentait bien qu’il était déçu, agacé aussi. Mais quand il était si proche d’elle, presque à la frôler, elle perdait totalement ses moyens. Elle se troublait, devenant incapable de se fixer sur les bribes de souvenirs fugaces qui la traversaient parfois puis éclataient très vite, aussi fragiles que des bulles de savon.

    Il la détaillait avidement. Trop pour sa tranquillité d’esprit. Si elle ne parvenait pas à se remémorer ce qu’ils avaient été l’un pour l’autre, il ne la laissait pas indifférente pour autant. Elle n’osa pas lui faire face tant l’examen auquel il la soumettait la mettait mal à l’aise, la faisant trembler d’un inexplicable émoi. Les yeux fermés, elle continua à l’évoquer tel qu’elle le voyait quand elle l’étudiait discrètement et que lui, ne la regardait pas.

    Il était d’une si virile beauté qu’il devait plaire aux femmes, forcément ! Il alliait puissance contrôlée et sveltesse. Pas une once de graisse chez cet homme-là. Le jean qui moulait ses longues jambes lui faisait comme une seconde peau. Il avait les hanches minces, le ventre plat, le torse musclé, les épaules larges, le profil altier. Une veine palpitait au creux de son cou. Elle rouvrit les yeux, coulant un regard vers lui. La crispation de sa mâchoire lui prouva qu’il était conscient de cette évocation mentale tellement précise.

    - Aimes-tu ce que tu vois ? Lui demanda-t-il, la voix légèrement altérée et le souffle un peu court.

    Le rouge au front, elle esquissa un mouvement de retraite. Il la retint d’une main impérieuse et tendre.

    - Reste ma douce !

    Comme lui sans doute, elle se souvenait des deux nuits écoulées. Ils avaient passé la première séparés par une mince cloison. Elle avait dormi auprès des jumeaux dans la deuxième petite chambre de leur cabine de luxe. Elle l’avait entendu se tourner et se retourner avant de pouvoir elle-même trouver le sommeil. Pour la suivante, il avait été inflexible. Félie avait emmené les enfants, les laissant seuls. La cabine avait paru rétrécir tant le silence qui avait rempli l’espace était dense. Il n’y avait là qu’un grand lit pour deux. Elle avait voulu fuir alors il l’avait retenue comme il venait de le faire à l’instant.

    - Il le faut Mary ! Avait-il plaidé malheureux mais déterminé.

    - Non…Vous n’avez pas…

    - Si ! J’ai le droit ! Tu es ma femme !

    - Vous n’allez pas…

    - Non, je ne te toucherai pas ! Je veux seulement que nous dormions ensemble.

    Elle avait capitulé la tête basse.

    Ce fut difficile pour tous les deux. Elle dut supporter la proximité à la fois troublante et effrayante de son grand corps nu. Il accepta sans broncher la longue et pudique chemise de nuit qu’elle avait revêtue comme on endosse une armure. De même, il dut accepter qu’elle se tienne aussi loin de lui qu’elle put le faire sans tomber du lit. Il soupirait à fendre l’âme. Elle se retenait de respirer. Quand il se fut enfin endormi ou feignit de l’être, elle se glissa hors de la couche trop moelleuse et, munie d’une couverture, elle se recroquevilla en chien de fusil sur l’épaisse moquette de la cabine, à bonne distance de lui. Alors seulement, elle put se laisser aller. Elle sombra dans un sommeil sans rêve, comme d’habitude. Lorsqu’elle se réveilla, alanguie de bien-être, elle était de nouveau dans le grand lit, étroitement moulée au corps de son mari, le dos contre son torse, et les fesses calées contre son ventre. Il la maintenait d’un bras possessif plein de douceur. Embarrassée, elle tenta en vain de se soustraire à son étreinte.

    - Les enfants…Ils doivent avoir faim…Il faut…

    - Laisse mon cœur ! Ta mère s’occupe d’eux. Reste près de moi, il est encore tôt.

    - Non…Je…

    - Ne me crains pas amour ! Je t’aime et je ne prendrai rien que tu ne sois prête à me donner. Reste !

    Résolue à lui faire confiance, elle resta, tremblante et confuse, blottie entre ses bras où elle finit par se détendre.

    « C’est mon mari, il a le droit ! » Pensa-t-elle en soupirant.

    - L’amour n’est pas un droit, c’est un don ! Pardonne-moi si je t’ai laissé entendre le contraire. La corrigea-t-il doucement tandis qu’elle se rendormait, rassurée pour la première fois.

    À présent, près de lui face à l’océan, elle se sentait soudain libérée. Si légère qu’elle en éclata de rire.

    - Quelque chose t’amuse mon ange ? Demanda-t-il en posant un bras amical autour de ses épaules.

    Elle tressaillit sans toutefois s’écarter.

    - Non ! C’est seulement que d’un seul coup, je me sens absurdement…heureuse.

    - Mary…Murmura-t-il d’une voix rauque.

    Elle se méprit sur le ton.

    - Oh ! Pardonnez-moi…Votre mère…

    Elle les avait entendus discuter. Ils parlaient d’un ennemi redoutable qui détenait Blue Moon prisonnière.

    - Vous la retrouverez comme vous m’avez retrouvée.

    Dit-elle apaisante en se serrant contre lui pour le consoler, inconsciente du supplice qu’elle lui faisait endurer. Incapable de résister d’avantage, il lui fit face, l’entoura, posant sur son visage levé vers lui, des yeux interrogateurs et suppliants.

    Dieu il allait…

    - Seulement si tu veux mon amour. Chuchota-t-il penché sur sa bouche. Veux-tu ?

    « Une fois, rien qu’une fois ! Pour savoir…Me rappeler peut-être… » Lui conseillait son esprit en déroute

    - Oui…Murmura-t-elle.

    Et sa réponse mourut contre la bouche chaude qui s’appuyait à peine sur la sienne. C’était une invite, un avant goût de ce qu’elle ressentirait si…Il alla au-devant de ses désirs inavoués. Ses mains encadrèrent son visage. Son souffle devint rauque. De la langue, il écarta ses lèvres, les pénétra…Il la goûtait, s’enivrait d’elle. Elle se laissa aller contre lui en soupirant d’aise et lui rendit son baiser. Leurs soupirs se mêlèrent, leurs ventres se cherchèrent…Le temps se suspendait à leurs lèvres jointes. C’était affolant, bouleversant, dangereux. Lui aussi le sentit car il la lâcha brusquement, la libérant de l’envoûtement où il la tenait. Interrogateur, il attendait la permission d’aller plus loin. Mais elle s’enfuit.

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  • Commentaires

    2
    Mardi 20 Décembre 2022 à 15:31

    Loupé, il va falloir recommencer !

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    1
    Mardi 20 Décembre 2022 à 10:24

    Ah, elle s'enfuit... prise entre désir et en rester-là... amitiés, JB

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