• Chapitre 7

    9 juillet

     

    Déterminée à comprendre les troubles dont elle souffrait, Mary-Anne avait décidé d’entreprendre une psychothérapie. Elle était en effet de plus en plus convaincue qu’il ne pouvait s’agir que de cela : des troubles, graves certes, mais uniquement dus à une trop grande fatigue. Ou à autre chose mais elle ne savait quoi.

    Cette nuit encore, elle avait entendu la voix. Elle avait vu l’homme qui l’appelait, fantôme issu de son imagination. Il avait désormais le visage de l’inconnu du reportage, celui dont elle avait cru bêtement qu’il la fixait derrière un écran de télé. De quoi était-elle en manque pour se mettre à rêver d’un superbe mâle l’appelant désespérément nuit après nuit et pire, à le voir partout ?

    Ce qu’elle avait vu, c’était juste un quidam parmi les autres, surpris par l’œil indiscret d’une caméra. Et si à présent elle parait la silhouette imprécise de son rêve, des traits et du corps de l’homme entrevu au cours du reportage de la veille, c’est que ce dernier avait de quoi retenir l’attention d’une femme : un visage aux traits énergiques, au teint hâlé, presque cuivré, manifestement buriné par la vie au grand air.

    Pas un français d’après son accent. Pas un européen non plus…Non, cet homme-là avait manifestement des origines indiennes en dépit de ses yeux d’un bleu surnaturel. Des yeux magnifiques qui lui donnaient un regard acéré d’oiseau de proie. Ou de grand fauve prêt à bondir…

    Métis sans doute à en juger aussi par son nez qui, au lieu d'être aquilin, était droit et arrogant. Ses lèvres sensuelles, ses joues ombrées d’une barbe de deux jours tout comme l’était son menton creusé d’une fossette, ne faisaient qu’ajouter à sa triomphante virilité.

    Un homme comme elle les aimait, musclé juste ce qu’il faut. Un grand fauve, oui, décidément ! À la fois plein de puissance retenue et de douceur féline.

    Fichtre ! Comment avait-elle pu, en si peu de temps, l’esprit noyé de terreur, enregistrer tant de détails sur lui ? Et comment, d’un seul coup, l’inconnu de la nuit pouvait-il devenir à ses yeux, l’archétype de l’homme qu’elle aurait aimé rencontrer ? Cela ne pouvait plus durer !

    Qui mieux que son amie Jézabel était capable de la guérir ? Si tant est qu’elle soit malade ! En tous cas, elle réunissait tous les symptômes de la maladie du siècle : pâleur, maigreur, inappétence à la limite de l’anorexie, fatigue chronique, migraines persistantes, tremblements intempestifs, troubles de l’équilibre…Voilà pour le physique.

    Son psychisme était également bien atteint : hallucinations, névrose obsessionnelle, délire de la persécution, sans parler de cette récurrence onirique qui la déboussolait totalement. Le tout était largement suffisant pour la faire interner dans un de ces anciens asiles d’aliénés mentaux qui existaient autrefois pour les gens comme elle et qui aujourd’hui, était au moins passible d’une mesure de lobotomisation partielle, tant son comportement frôlait de près l’anormalité. Voilà pourquoi, toutes affaires cessantes, elle avait choisi de se rendre à grands pas vers le cabinet du docteur Beauregard, thérapsy agréée ainsi que l’indiquait la plaque de cuivre apposée à la porte de sa luxueuse maison particulière située en plein centre ville. Sa profession, reconnue et somptuairement rémunérée, lui permettait largement l’entretien coûteux de cette demeure de rêve.

    En 2057 et ce depuis une bonne dizaine d’année, la thérapsychologie, jouissait d’une place de choix dans le corps médical du troisième millénaire. Outre la psychiatrie, la psychologie, la psychanalyse, les psys pratiquaient couramment des disciplines annexes autrefois rejetées ou taxées de charlatanisme telle l’oniromancie dont était issue l’onirothérapie, l’hypno thérapie qui avait depuis longtemps fait ses preuves mais aussi l’étude du Karma, des mantras, le zen et le yoga et autres techniques issues du monde oriental. Quant à l’acupuncture qui faisait des merveilles  dans le traitement de la douleur physique, elle était désormais également utilisée pour apaiser la douleur psychique.

    Soigner les troubles de l’esprit était devenu une priorité dans un monde débarrassé des traditionnelles maladies car de ces pathologies en découlaient d’autres qui atteignaient le corps. Ainsi, pullulaient les atrabilaires tandis que les ulcères à l’estomac, les migraines et les nausées dus à l’angoisse du lendemain, étaient monnaie courante. Il y avait également, toujours prêts à se manifester, tous les troubles sous-jacents que la Grande Crise avait générés, tel le syndrome de la folie suicidaire né de la crainte sourde d’un retour possible des sectes de l’Apocalypse; celui encore puissant de la folie meurtrière qui prenait racine dans les années de violence et de guerre, sans compter que l’atavisme continuait à jouer son rôle dans l’instinct sanguinaire et destructeur de l’Homme.

    On dénombrait aussi de multiples cas de stérilité dont la plupart relevant de la pathologie étaient apparus après les gigantesques épidémies qui décimèrent des populations entières et laissèrent de douloureuses séquelles aux survivants et à leurs descendants. Mais beaucoup de ces stérilités avaient des origines psychosomatiques. La peur d’engendrer dans un monde en perdition, puis plus tard, celle d’engendrer un enfant anormal, avaient provoqué de terribles blocages que les psys se faisaient fort de briser.

    Cette impuissance à procréer occasionnait de surcroît chez les hommes et les femmes frappés de cette honteuse tare, des crises aiguës de culpabilité. En outre, l’évolution ou plutôt la révolution de la société mondiale, avait conduit l’humanité à changer radicalement de mentalité pour s’adapter aux nouvelles règles. Il lui avait fallu gommer ses erreurs, se plier à un ordre nouveau plus rigide, à une justice plus implacable qui la protégeait, certes mais qui faisait également de chacun un enfant coupable à la plus petite incartade. La peur de mal faire, la crainte omniprésente de la punition avait suscité une nouvelle forme de stress et développé chez beaucoup ce que les psys appelaient encore en 2057, « le syndrome de la fessée ».

    L’angoisse d’être eux-mêmes dénoncés et punis, poussait de braves gens à la délation. On épiait ses parents, ses amis, ses voisins, cherchant à déceler chez eux, le moindre signe d’anormalité. Car c’était cela la maladie du siècle, l’anormalité dont les critères étaient si mal définis qu’ils pouvaient changer du jour au lendemain en fonction de la Raison d’État.

    Une autre peur irraisonnée créatrice de névroses, était sans conteste celle de ne pas mourir. L’éradication de maladies autrefois mortelles, les progrès constants de la médecine, l’augmentation considérable de l’espérance de vie qui en découlait, faisaient craindre plus que de raison qu’un jour on réussisse à vaincre la mort. Dieu, quelle angoisse que la simple idée d’avoir l’éternité devant soi ! 140 ans, c’était déjà si long !

    Si l’on ajoutait à cela tous les petits problèmes courants, inhérents à la vie banale et quotidienne du quidam moyen : fatigue, surmenage, insomnies ou simple dégoût d’une vie trop bien réglée… Il était aisé de comprendre pourquoi les thérapsys étaient débordés de travail et si bien payés ! Comme son amie Jézabel qui avait néanmoins réussi à la coincer entre deux rendez-vous quand elle avait su de quoi il retournait.

     

    Quand elle avait su, elle ne s’était pas inquiétée outre mesure. Elle en voyait d’autres. Ce qui l’avait mise en colère avait été d’apprendre que les troubles de son amie duraient depuis plus d’un mois. À dire vrai, si elle était tellement ulcérée, c’était surtout parce qu’elle avait été la dernière à savoir. Elle s’était sentie trahie autant dans son amitié que dans sa profession. Comme d’habitude, Surprise qu’elle n’appréciait qu’à moitié, était passée avant elle.

    - Et ta mère, elle sait ?

    - Non ! Je n’ai pas voulu l’inquiéter !

    - Encore heureux !

    Si la veille, Félie avait remarqué sa mine de papier mâché - Le visiophone ne pouvait mentir - elle n’en avait rien dit et elle avait accepté l’excuse vaseuse invoquée par sa fille pour expliquer son arrivée différée. Mais Mary avait bien senti que son intuitive mère en devinait bien plus qu’elle n’en disait. Combien de temps pourrait-elle encore lui mentir lorsqu’elle serait en face d’elle ? Ophélia Conroy ne manquait ni d’opiniâtreté ni de perspicacité ! Avant de la quitter, elle lui avait dit :

    - Bon, alors à bientôt mon petit ! Fleur de Lune et moi nous t’attendons avec impatience !

    Ce « mon petit » avait sonné aux oreilles de Mary comme un avertissement. Il voulait très exactement dire :

    « Quand tu étais petite, tu me disais tout, pas comme cette fois ! Que me caches-tu mon petit ? »

    Mais pour l’instant, c’était une autre personne douée d’une exceptionnelle clairvoyance qu’elle était sur le point d’affronter.

    - Allez hop, à nous ! Raconte-moi tout de A à Z ! Lança Jézabel d’un ton encore un brin acerbe, interrompant le cours de ses pensées.

    Et la jeune femme vida son sac.

    « Chapitre 6Chapitre 8 »

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    3
    Jeudi 24 Novembre 2022 à 20:43
    colettedc

    Ah ! Un certain nombre d'années en fait le comble et moi, je crois bien que je m'en contenterai. Bonne soirée. Bisous

    2
    Mardi 4 Octobre 2022 à 11:34

    Ton texte tombe à pic, je suis en train de regarder sur Amazon prime, une série où l'héroïne vient de 2076 et se retrouve en 2012, donc elle sait tout ce qui va se passer dans le futur. 

    J'aime bien, elle utilise son savoir pour aider, mais d'autres personnes ont fait le même voyage et eux en profitent pour faire le mal ou s'enrichir. 

    Facile quand tu peux savoir à l'avance tous les évènements. 

    Bises

    1
    Lundi 3 Octobre 2022 à 19:13

    Vaincre la mort et vivre, vivre une vieillesse à rallonge, suis-je intéressée !?  Amitiés JB

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :