• Chapitre 8

    11 juillet, 23h30

     

    Mary-Anne avait fini de faire ses bagages laissés en plan trois jours auparavant. Elle avait pris trois anti -D, la dose maximale pour s’assurer une nuit à coup sûr tranquille. Elle s’apprêtait à se coucher, épuisée une fois de plus. La route était longue jusqu’à la Provence, elle allait devoir se lever tôt. Demain, elle partait rejoindre sa mère, bien décidée à profiter pleinement de ses vacances, majorées d’une semaine grâce à son généreux patron. Elle pourrait consacrer la presque totalité de son budget, hormis les quatre pleins nécessaires à l’aller et au retour, à se faire plaisir et à gâter Félie qui le lui rendrait bien. Là-bas, elle serait nourrie, logée, blanchie, chouchoutée et en retour, elle pourrait aider sa géniale et créative mère à fabriquer et à vendre poteries provençales, conserves et confitures maison qui lui permettaient d’améliorer son ordinaire.

    Oui ! Demain elle prenait la route, il n’y avait plus à tergiverser. Le soleil, une nourriture saine, le repos et la nature l’aideraient à remonter la pente et à oublier ses mésaventures surréalistes. Les séances de psychothérapie chez Jézabel n’avaient rien donné. Dès la première, la très sagace thérapsy, avait deviné qu’elle lui cachait quelque chose. Rien dans son déballage ne l’avait particulièrement surprise. Mais ce quelque chose que selon elle, son amie avait délibérément passé sous silence, l’avait titillée au point qu’elle avait décidé qu’une deuxième séance s’imposait dès le lendemain.

    Elle se promettait d’exhumer les derniers secrets de sa patiente. Selon elle, nul ne résistait à l’hypno thérapie.

    Hélas ! Cela non plus n'avait pas marché ! En plus, elles s’étaient irrémédiablement fâchées, du moins Mary le craignait-elle.

    - Tu résistes, c’est flagrant ! Et si tu le fais c’est que tu ne crois pas au bien fondé de cette thérapie qui fonctionne parfaitement pour tout le monde sauf pour toi apparemment ! Avait conclu Jézabel vexée, presque en colère déjà.

    En effet, rien de ce qu’elle avait livré sous hypnose profonde, ne justifiait l’apparition de son cauchemar à répétition ni ses hallucinations diurnes. C’était comme si elle avait érigé dans son subconscient un mur épais destiné à empêcher toute intrusion mentale. Il avait si bien protégé ses secrets que seules quelques réminiscences de son passé l’avaient franchi.

    - Je ne peux rien pour toi ! Rien de rien ! Tu es opaque, hermétiquement fermée ! Avait asséné la psy sans ménagement.

    - Essaie encore ! Avait-t-elle supplié.

    Jézabel avait accepté en désespoir de cause, de réentendre toute son histoire par le menu afin d’y chercher des indices qu’elle n’y aurait pas décelés la première fois. Peine perdue ! Alors ce matin -même, elle avait joué son va tout et tenté de décrypter le fameux cauchemar.

    La séance d’onirothérapie avait été un échec de plus. Il s’agissait de plonger le sujet dans un sommeil artificiel après avoir fixé sur sa tête des électrodes qui, reliés à un écran, transmettaient les images animées des rêves, produites par le cerveau du patient endormi, ainsi que le tracé de l’électro encéphalogramme correspondant à la phase onirique. Pour Mary-Anne, l’écran était demeuré noir en dépit de l’ECG qui lui, montrait pourtant les pics significatifs du rêve perturbant.

    - Je n’y comprends rien ! Avait fulminé la thérapsy aussi dépitée que découragée.

    - Comment ça ? J’ai bien rêvé non ?

    - Peut -être d’après le tracé mais je devrais avoir des images et il n’en est rien ! Tu peux vérifier !

    - C’est impossible ! Je l’ai vu, il était là et il m’appelait, comme d’habitude, je te le jure !

    - Ce doit être cette saloperie de Grande Muraille de Chine que tu as construite dans ta petite caboche. Tu fais un blocage absolu. Je n’ai jamais vu un tel refus de coopérer même s’il est inconscient de ta part, je veux bien l’admettre, sinon tu ne serais pas venue me voir, n’est-ce pas ?

    - C’est évident !

    - Alors pourquoi est-ce que je n’arrive à rien avec toi ? Tu défies toutes les lois du métier. Tout ce que je peux dire puisque je n’en ai rien vu, c’est que ce rêve bizarre n’a probablement pas d’autre signification qu’un énorme manque affectif et une grosse carence sexuelle. Voilà pourquoi tu fantasmes sur ce bel inconnu qui t’appelle. Et tu refoules tellement ce besoin d’amour et de sexe que ça explique ce total blocage qui te fait résister à la fois à l’hypnose et à l’onirothérapie.

    - Mais ça m’arrive en plein jour aussi !

    - Je sais ! Ça peut s’expliquer par un surmenage excessif et une grosse fatigue qui te fragilisent au point que ta fertile imagination réveille ce fantasme dans la journée. Trouve-toi un homme, un vrai, envoie-toi en l'air avec lui et ton inconnu de la nuit disparaîtra. Je ne vois pas d’autre explication à ce truc qui t'arrive et pas d'autre thérapie !

    - Et l’apparition à la télé ?

    - Toujours ton imagination. Tu t’es focalisée sur ce beau mec qui a été filmé par hasard, crois-moi ! Et tu as rêvé tout haut qu’il te regardait et te parlait. C’est tout ! D’ailleurs as-tu vérifié l’enregistrement ?

    - Non…. Heu… Je crois bien l’avoir effacé…

    - Tu vois ! Encore une preuve que tu bloques ! Si fort que tu as même effacé le seul indice qui aurait pu apporter de l’eau à ton moulin ! Et il y a ce truc que tu me caches aussi !

    Pourquoi avait-il fallu qu’elle se mette à rougir confirmant ainsi l’intuition de la terrible thérapeute, ravivant du même coup sa colère.

    - Je le savais ! Raconte voyons ! Comment veux-tu que je t’aide si tu ne me dis pas tout ?

    Elle n’avait pu se résoudre à lui parler de ce détail dont, de toute façon, elle ne parvenait même pas à se souvenir, dont elle ne voulait pas se souvenir plutôt ! Un truc qu’elle avait vu lors du reportage. Un petit truc qu’elle avait enfoui dans sa mémoire. Curieuse amnésie volontaire ! Elle n’avait rien dit non plus de l’étrange réticence, totalement inexplicable qu’elle éprouvait envers le cadeau envoyé par Félie. Depuis son anniversaire, elle ne l’avait pas revu. Il lui répugnait sans qu’elle puisse s’expliquer pourquoi. Le pendentif dormait donc toujours dans son écrin, au fond d’un tiroir, elle ne savait plus lequel. Elle se refusait à le porter, ne serait-ce qu’une seule seconde.

    Confrontée à ce mutisme obstiné, plus qu’excédée, Jézabel s’était renfrognée de plus belle.

    - Je ne peux pas te forcer Mary-Anne.

    Elle faisait partie des intimes qui l’appelaient affectueusement Mary, alors ce « Mary-Anne » jeté avec hargne ressemblait à s’y méprendre à une mesure punitive. Même alors, elle n’avait pu se confier totalement à son amie. Laquelle, très fâchée, lui avait répondu par une expression fermée avant de la congédier sans voir son regard affligé ni sa main tendue.

    - Salut ! Quand tu seras prête à m’en dire d’avantage, fais-moi signe ! Sinon, cherche toi un autre thérapsy !

    - Jéza…

    - Au revoir Mary-Anne ! Mes clients m’attendent et ils ont réellement besoin de moi, eux !

    Elle avait mis dans ces derniers mots toute la morgue et toute la colère outragée dont elle était capable. Mary était rentrée dans son appartement vide, la mort dans l’âme, vaincue et résignée. Le reste de la journée s’était écoulé avec une insupportable lenteur, dans un silence pesant et morne seulement rompu par l’appel de Surprise qui lui souhaitait de bonnes vacances.

    Ensuite c’est elle qui avait « visiophoné » à Félie pour confirmer son arrivée dans les deux jours au plus tard. Après quoi elle avait bien essayé d’écouter de la musique en sourdine, juste pour briser un peu ce lourd silence mais c’est la voix anonyme qui avait aussitôt pris le relais dans son crâne endolori. Alors elle avait ouvert un livre qu’elle avait très vite refermé, incapable d’y atteler son attention. Rien ne paraissait pouvoir la détourner de ses soucis, quoi qu’elle fasse, elle revenait toujours à son insoluble problème : qui donc l’appelait depuis plus d’un mois ? Qui ?

    Les explications de Jézabel ne l’avaient pas convaincue. Elle était au contraire de plus en plus intimement persuadée que quelqu’un, quelque part, l’appelait réellement. Hélas, elle ne savait qui ni pourquoi ni comment il réussissait cet horrible tour. Elle avait tourné et retourné toutes ces questions dans sa tête jusqu’à ce que ses nerfs finissent par craquer. Effondrée, elle s’était mise à pleurer, le cœur étreint d’une tristesse profonde et d’une terrifiante impression de solitude. Le soir était venu sans qu’elle ait pu se libérer du poids de son chagrin. Elle avait pleuré tous son soûl.

    À présent, ses larmes étaient taries et elle se sentait plus calme. Elle se doucha, mangea un peu pour reprendre des forces et se remit à ses bagages. Il ne lui fallut pas longtemps pour achever cette tâche et c’était tant mieux car elle était littéralement épuisée. Ce ne fut pourtant qu’après avoir avalé les trois antidépresseurs susceptibles de l’aider à s’endormir sans angoisse qu’elle se coucha, priant le ciel que son cauchemar ne revienne pas la perturber.

    Demain, elle allait avoir besoin de toute sa concentration pour ce long trajet en solitaire. Dans deux jours à peine, elle connaîtrait enfin la fameuse Fleur de Lune qui semblait si bien plantée dans le cœur de sa mère… Ma parole ! Elle était jalouse de la nouvelle amie de Félie ! Cette pensée soudaine et incongrue, la ramena à Jézabel, son amie à elle, peut-être perdue à jamais. Ce fut sur ce triste constat qu’elle s’endormit d’un seul coup, d’un sommeil de plomb, abrutie par les anti-D, des larmes plein les yeux.

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  • Commentaires

    3
    Samedi 17 Décembre 2022 à 03:06
    colettedc

    Que sera ce sommeil ... 

    Bisous

    2
    Mercredi 5 Octobre 2022 à 16:02

    Nous ne saurons pas si elle fera le cauchemar cette fois-ci. 

    Elle résiste bien à l'intrusion dans son esprit. 

    Bises

    1
    Mardi 4 Octobre 2022 à 20:09

    Qui, c'est mot dans cette étrange histoire, amitiés, JB

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