• "Les rêves d’Élisa" - Chapitre 28

     Elle est une petite fille de la préhistoire tremblante de peur, toute seule au fond de la caverne où le feu est en train de s’éteindre. Sur les parois rocheuses faiblement éclairées par les flammes mourantes, chasseurs, aurochs, bisons, chevaux, rennes et rhinocéros sont presque effacés.

    Elle est seule, seule, seule ! Le clan a disparu. Comment ? Elle ne sait pas. Un matin, elle s’est réveillée, surprise par le silence inhabituel qui régnait dans l’abri sombre et froid. Il n’y avait plus personne.

    Elle est seule. La nuit est tombée. Elle sait sans savoir pourquoi elle le sait, que plus jamais l’astre du jour ne s’allumera derrière la colline.

    Elle est seule. Elle entend les grognements affamés des bêtes sauvages. Elle est bien trop petite pour se défendre. Ils vont venir la dévorer et aucun chasseur étranger ne viendra la sauver…

    - Ce n’est qu’un rêve ! Hurle-t-elle.

     

    … Elle se réveille…

     

    …Elle est une toute jeune fille et elle est seule au monde. Elle est en train de courir pour échapper au cavalier noir qui la poursuit. Elle a déjà vu le visage grêlé et ricanant de l’homme. Elle court à perdre haleine mais ses jambes sont lourdes. Aussi lourdes que son cœur vide. Personne ne l’attend, nulle part ! Le seul être qui s’intéresse à elle, est ce monstre hideux qui n’a d’humain que l’apparence et qui ne veut d’elle que la candeur de sa virginité. Il n’est plus très loin. Le vacarme assourdissant des sabots de son satanique destrier fait battre son cœur trop fort et résonne en elle tel le glas.

    Il va se saisir d’elle… Aucun preux chevalier ne viendra la sauver…

    Elle se met à genoux au milieu du chemin, incapable de continuer à fuir son destin.

    Le cavalier noir a arrêté sa monture. Il est tout prêt d’elle maintenant. Elle sent son odeur fauve. Les yeux clos, elle attend.

    - Ouvre les yeux Élisa ! Ordonne une voix qu’elle croit reconnaître

    - Non ! Se rebelle-t-elle

    - Ouvre les yeux et regarde-moi !

    Elle obéit, la peur au ventre et résignée parce qu’elle sait ce qu’elle va voir.

    Le cœur broyé, elle lève la tête vers celui qui parle.

    Deux yeux mordorés, hypnotiques, sont posés sur elle. Deux yeux magnifiques dont la cruelle lueur détruit la parfaite harmonie de ce beau visage mâle.

    Un rire démoniaque se déverse sur elle, semblable à une pluie glacée et acide, achevant de la détruire.

    - Ce n’est qu’un rêve ! Juste un rêve ! Hurle-t-elle

     

    …Elle se réveille…

     

    « Élisa 7, contrôle ! Élisa 7, contrôle ».

    La voix honnie résonne dans ses oreilles. Elle est partout, en elle, autour d’elle, au-dessus d’elle… Elle remplit la Sphère. Les intonations métalliques se répercutent à l’infini contre les parois lisses et brillantes où elle se reflète, petite silhouette esseulée dans cette immensité vide. Les héliolumis clignotent désespérément. Leur lueur falote n’éclaire qu’à peine le sinistre désert où, spectre pâle, affolée, elle se tient debout, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre la voix maudite.

    Elle est seule. Ils sont tous partis. Les pédiroules se sont arrêtés. Il n’y a plus qu’elle et la voix de la Machine , malfaisante, menaçante…

    Elle doit s’enfuir ! Elle se met à courir, courir, courir comme une folle mais la voix la poursuit, omniprésente. Elle est devenue cruelle, sardonique.

    « Ha ha ha ! Se moque-t-elle, crois-tu donc pouvoir t’échapper ? Impossible ! Tu dois continuer à rêver, parce que tel est mon bon plaisir ! »

    - Tu es fou ! Laisse-moi partir !

    - Comment oses-tu t’adresser à moi de la sorte, esclave ? As-tu oublié que j’ai droit de vie et de mort sur toi ?  À qui donc crois-tu parler ? 

    « Jonathan ! » Hurle son esprit épouvanté mais les mots ne franchissent pas ses lèvres. Elle poursuit sa course effrénée dans les sombres labyrinthes de la Sphère. Fuir…fuir l’invisible tourmenteur.

    La voix est toujours là.

    - Inutile d’essayer Élisa ! Il n’y a aucune autre issue que le rêve pour sortir d’ici ! Tu ne le savais pas ?

    - Tu mens ! Nous n’avons pas le droit de rêver ! Pas le droit ! Ni de penser, d’aimer ou de haïr ! Dehors, je serai libre d’être moi ! Laisse-moi partir Jonathan !

    - Alors cours espèce de folle ! Cours ! Si tu crois qu’être dehors te sauvera de moi !

    Un terrible doute la griffe : depuis quand la Machine a-t-elle la voix de Jonathan ?

    « Depuis toujours, lui susurre sa conscience. Comme tu es naïve Élisa ! »

    Le chagrin devrait la ralentir, la colère et la peur lui donnent des ailes.

    Elle s’avise soudain que bien qu’elle courre à perdre haleine, elle a la terrible sensation d’être immobile. Elle est pourtant parvenue bien plus bas que le quinzième niveau. C’est comme si c’était la Sphère qui tournait autour d’elle en spirale, et non pas elle qui était en train de descendre à toute allure dans ses entrailles humides et froides, accompagnée contre son gré par cette voix maudite qui lui triture le crâne jusqu’à la souffrance.

    « Réveille-toi Élisa ! Réveille-toi ! »

    Qui crie ainsi ? Ce n’est pas lui ! Sa voix ne cesse au contraire de lui répéter : « Reste…Reste…reste…RESTE ! »

    Il va la rattraper, l’entraîner de force dans un rêve sans fin où il fera d’elle ce qu’il veut.

    Aucun sauveur providentiel ne viendra à son secours pour lui ouvrir la porte qui mène dehors, vers la liberté…

    - C’est un rêve ! Je dois me réveiller ! Se dit-elle éperdue.

     

    …Elle se réveille…

     

    Elle est seule sous le grand chapiteau déserté. Curieusement, sa toile bariolée a fait place à une matière translucide à travers laquelle elle peut apercevoir le ciel plombé de lourds nuages gris.

    Elle est seule au milieu de la piste, enfermée dans une cage aux barreaux épais et solides sans aucune porte par où s’échapper. Seule face à un tigre monstrueux, aux babines retroussées sur de redoutables crocs... L’échine creusée, ramassé sur ses pattes puissantes, comme prêt à bondir, le fauve s’avance vers elle en rugissant de colère.

    Soudain, venu de nulle part et de partout à la fois, elle entend le claquement sec d’un fouet, tandis qu’une voix sans pitié qu’elle reconnaît ordonne :

    -Attaque Simbu ! Déchire et tue ! Si elle ne peut m’appartenir, elle ne sera à personne !

    Elle hurle, terrorisée. Sa dernière heure est venue. La mort est toute proche. Elle sent déjà son souffle brûlant, son haleine fétide.

    Le beau dompteur ne la sauvera pas cette fois. Il est devenu son pire ennemi !

    - Je rêve…Je rêve…JE RÊVE ! Réveille-toi ! S’intime-t-elle.

    -Réveille-toi Élisa !... »

    Elle se réveille. Elle a mal partout, comme si elle avait réellement couru pendant des heures, elle est en nage et des larmes brûlantes coulent sur ses joues

    Martha est penchée sur elle, inquiète.

    - Holà petite ! Tu émerges enfin ! Tu m’avais l’air de vivre un sacré cauchemar !

    Encore plongée dans les miasmes de ce qui était effectivement un affreux cauchemar, elle ne répond pas. Ce qui persiste en elle, c’est le chagrin, la colère, le sentiment d’avoir perdu pour toujours un trésor précieux.

    Jonathan a parlé. Ses aveux l’ont complètement démolie. Sans avoir besoin de regarder autour d’elle, ni d’aller dehors pour vérifier son intuition, elle sait qu’il n’est plus là.

    - Où est-il Martha ?

    - Il est reparti là bas !

    - Là bas ?

    - À la Sphère !

    - Il est fou ! Pourquoi faire ?

    - Il est fou, oui, de désespoir ! Il pense que tu ne lui pardonneras jamais ce qu’il t’a fait ! Il a raison ?

    - Comment lui pardonner Martha ? Dis-moi !

    - Tu trouveras le chemin pour ça petite !

    - J’en doute !

    - Tu y arriveras, parce que tu l’aimes.

    - Tu ne m’as pas répondu, pourquoi est-il retourné là-bas ?

    - Il a préféré s’éloigner pour te laisser le temps. Il m’a dit qu’il allait procéder à une autre extraction.

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 4 Février 2023 à 19:24

    Même en rêve, faire face à un fauve.... amitiés, jill 

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