• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 19

    - Élisa grosse paresseuse, tu exagères !

    - Hummmm !

    - Allez, réveille-toi et bouge-ton joli cul ! On va encore être à la bourre à cause de toi !

    - Hummmm !

    -T’arrête de grommeler dans ton oreiller et tu te lèves fissa sinon je file sans toi !

    Cette voix qui la secoue dans ce reste de sommeil où son esprit s’englue, c’est bien celle de…

    - Chloé ! Que fais-tu ici ? C’est impossible !

    - Ben oui, c’est moi quoi ! Qui veux-tu que ce soit ?

    - Tu..tu ne peux pas être ici !

    - Ma pauvre, tu dérailles grave ! Il est vraiment temps que ça se termine !

    - Que…Que quoi se termine ?

    - Eh ! T’arrête là ! Tes pas drôle !

    Elle n’ose ouvrir les yeux ! Chloé ne peut pas être là !  C’est la solitude de ces derniers jours, sans Bob, sans Weena qui la rend dingue !

    -Bon, arrête ton cinéma ! Tu me fais peur là ! T’es vraiment chelou en ce moment !

    Elle se met à trembler violemment, incapable de se résoudre à ouvrir les yeux. Elle est en train de devenir maboule ! Il n’y a pas d’autre explication à cette voix rendue suraigüe par un mélange de panique et de colère, qui la tarabuste, tandis que deux mains agrippées à ses épaules, commencent à la secouer avec l’énergie du désespoir !

    - Bon sang Élisa qu'u’est ce qui t’arrive ? Je l’avais bien dit que tu travaillais trop. Je t’en supplie ma cop’ dis-moi quoi faire pour toi ! J’appelle un médecin si tu veux? 

    - Non… Je Je..suis fatiguée. Tu..n’es pas réellement là hein ! Je rêve !

    - Ho la la ! Ça va vraiment pas toi ! ! Ouvre-les yeux bordel de merde ! Regarde, c’est bien moi, ta meilleure pote ! Allez, ouvre les yeux maintenant ! Je crève de trouille là !

    - Tu ne peux pas mourir tu es déjà morte !

    - My god ! Ma copine a perdu la boule. Ou elle se fout de ma gueule, ce qui est bien pire !

    - Je…Je ne me moque pas Chloé ! Tu n’es plus de ce monde depuis si longtemps !

    - Arrête maintenant !

    Sourde à la terreur qui déforme la voix de son amie, elle continue :

    - Ma mère, mon frère, ne sont plus de ce monde… Sarlat, Les Eyzies, La France…Le Monde entier… Tout a disparu… Je suis seule sur cette terre inhabitée. Tout est vide, vide, vide…

    Un sanglot terrible interrompt sa litanie

    - Pourquoi pleures-tu Chloé ? Les morts ça ne pleure pas !

    Le corps qu’elle sentait confusément assis près d’elle, vient de se lever brusquement. Elle entend une course effrénée, une porte qui claque, des cris entrecoupés de sanglots hystériques. Puis plus rien.

    Alors et alors seulement, elle consent enfin à ouvrir les yeux, histoire de vérifier où elle se trouve.

    Durant quelques secondes, elle est dans sa chambre à l’Université… Á peine un clignement de paupières plus tard, elle se retrouve sur l’étroite couchette du refuge où elle a fait halte après une nouvelle et éprouvante journée de marche.

    Seule !

    Dans un recoin de son esprit, se prolongent les hurlements de son amie :

    - Au secours ! J’ai besoin d’aide, Élisa est devenue folle !

    Elle n’en peut plus ! Il est vraiment temps que ça se termine ! Qui a dit ça ? Quand? Et que quoi se termine ?

    Les larmes coulent sans fin, diluant sur ses joues la poussière de la veille. Elle s’est couchée sans se laver, dans ses vêtements imbibés de sueur. Il faut qu’elle réagisse ! Ça ne peut plus durer ainsi ! Elle va finir par en crever, seule, sur cette terre vide, vide, vide.

    Comme l’a fait le fantôme de son amie, elle se secoue puis se lève pesamment !

    C’est décidé, à partir d’aujourd’hui, elle va reprendre son destin en main. Fini de s’appesantir sur ce qui n’est plus ! Fini d’espérer l’impossible ! Fini de pleurer sur son sort ! Elle est seule, qu’à cela ne tienne ! C’est donc seule qu’elle y arrivera. Á quoi, elle ne sait plus exactement ! Ce qu’elle sait en revanche, c’est que cette maudite Sphère qui la nargue de sa toute puissance et semble s’éloigner un peu plus chaque jour en dépit de ses marches forcées, finira bien par ne plus se dérober à ses pas !

    Elle l’atteindra, coûte que coûte, sans aide puisque on la lui a retirée !

    - Grand bien vous fasse ! Braille-t-elle à la volée dans un sursaut de rage !

    La voilà debout. D’un seul coup, elle a faim ! La colère lui a rendu l’appétit. Ses provisions diminuent mais elle a si peu mangé ces derniers jours qu’elle peut se permettre de piocher dedans sans complexe. De l’eau fraîche, quelques biscuits secs, un peu de viande boucanée, constituent son petit déjeuner. Elle mastique tout consciencieusement pour réhabituer son estomac. Il est essentiel qu’elle reprenne des forces ! Elle a un dernier combat à mener, il n’est pas question qu’elle perde

    « Bien mon amour ! Élisa la guerrière est de retour ! » Croit-elle entendre

    Si la voix de Jonathan reste présente dans sa tête, elle vaincra tous les obstacles. Il en va de sa vie après tout !

    Rapidement repue après des jours à picorer comme un moineau, elle se sent prête à affronter cette nouvelle journée. Elle retire ses vêtements crasseux et sort, nue, revigorée, pour une toilette matinale nécessaire. Ce n’est pas seulement son corps qu’elle va laver mais aussi son esprit. Les deux en ont grandement besoin ! Le fond de l’air est un peu frisquet. Ça lui fait un bien fou !

    Comme la plupart des refuges qui l’ont abritée depuis son départ, celui-ci est érigé sur un promontoire. Il surplombe de quelques mètres une paisible rivière qui coule paresseusement en contrebas. Le cours d’eau serpente dans une large plaine qui s’étend à perte de vue. Il est bordé d’arbres aux branches retombantes - des saules - croit-elle se rappeler. Leur feuillage jaunissant caresse le courant. Ce tableau idyllique, lui met du baume au cœur et lui insuffle un regain de force inespéré. C’est d’un pas assuré, qu’elle descend vers les rives ombragées.

    Là-bas, nimbée de brume sur la ligne d’horizon, la silhouette massive de la Sphère ne la nargue plus. Au contraire, presque…rassurante, elle l’attire, elle l’appelle.

    - Viens Élisa, nous t’attendons !

    - J’arrive, crie-t-elle, déterminée !

    Propre comme un sou neuf - encore une de ces expressions désuètes du passé -  elle est prête à reprendre la route. Pour la première fois depuis ce qui lui semble une éternité, la chance lui a souri. Dans le refuge, elle a trouvé comme par hasard, une paire de solides bottines à sa taille. Ses sandales étaient usées jusqu’à la corde et n’auraient plus tenu très longtemps !

    Elle a également découvert au fond du coffre, une réserve bien emballée de biscuits et de viande séchée ! Une aubaine. Elle a mis tout ce qu’elle pouvait dans son sac, trop heureuse de pouvoir penser à la nourriture sans hauts le cœur ! C’est donc totalement requinquée qu’elle quitte le refuge. Le dernier de son long périple depuis Liberté, espère-t-elle.

    Le chemin qu’elle va emprunter pendant un bon moment, longe la rivière. Encore un point positif qui la conforte dans l’idée qu’elle arrive enfin au bout de ses peines. Le sac bien arrimé à ses épaules, encouragée par les rayons généreux d’un magnifique soleil d’automne, elle entame la descente vers le cours d’eau scintillant.

    Elle se sent joyeuse et pleine de cette énergie positive qui l’a toujours animée, que ce soit dans cette vie ou dans toutes celles que lui montrent ses rêves.

    Alors qu’elle avance d’un pas allègre, elle stoppe net. Quelque chose vient de capter son regard. Une silhouette sur le sentier devant elle, qui marche à sa rencontre. Serait-ce Bob, qu’on aurait renvoyé à sa rescousse ?

    Non, le Robhomme est bien plus grand. Cette silhouette-là est plus petite. Plus menue aussi. Féminine.

    Y a-t-il des robots femmes ? Lui a t’on dépêché une compagne mécanique plus apte à la diriger que Bob ?

    La démarche de ce qui n’est encore qu’une ombre au loin, est légère ! Elle n’a rien de la raideur d’un robot.

    Se pourrait-il que ce soit une femme, une vraie ? Par quel miracle un autre être humain, qui ne viendrait pas de Liberté, aurait-il été envoyé vers elle ? Une habitante libre de la Sphère ? Cela voudrait dire qu’elle n’en est plus très loin !

    Excitée, dévorée d’impatience et de curiosité, sans le moindre soupçon de crainte, elle hâte le pas, pressée elle ne sait pourquoi, de rejoindre celle qui approche.

    Au fur et à mesure que la distance entre elles s’amenuise, l’apparence de la personne se précise. Élisa n’ose en croire ses yeux ! La folie qui décidément, la menace depuis trop longtemps, vient de gagner du terrain !

    « Je touche vraiment le fond cette fois » Se dit-elle

    La femme, jeune, qui s’avance vers elle, ressemble à s’y méprendre à…Chloé

    Impossible lui crie son esprit en déroute ! Pourtant, ses yeux, eux, ne peuvent la tromper à ce point.

    «Ce n’est pas possible,  c’est une hallucination. Elle disparaîtra sitôt que je la toucherai » Ne cesse-t-elle de se répéter !

    « Chloé est morte. Tous les êtres qui m’étaient chers ont péri il y a plus de mille ans lors de la Grande Catastrophe qui a ravagé la Terre. Les habitants de la Sphère ne sont que les descendants de ceux qui furent alors choisis pour assurer la survie de l’espèce humaine. Ce que je crois être ma mémoire, n’est en réalité que celle, ancestrale, de l’Élisa qui est entrée dans la Sphère en ce temps-là ! »

    - Pauvre naïve qui récite bêtement sa leçon ! Lui susurre une petite voix fielleuse. C’est, ce que tu crois, ce que tu veux croire parce que ça t’arrange. Tu continues à refuser la vérité et ça va te tuer !

    Elle a presque couru pour franchir les derniers mètres qui la séparaient de l’apparition. Il ne peut s’agir que d’un fantôme. Ou d’une illusion née de son esprit malade. Se sentait-elle si seule qu’elle en soit venue à créer l’image si parfaite de son amie disparue ? Car c’est bien Chloé qui se tient en face d’elle ! En chair et en os ?

    Impossible !

    - Bonjour Élisa ! Prononce clairement la jolie bouche en cœur de l’apparition.

    - Tu n’es pas réelle !

    - Là n’est pas la question ! Tu as besoin d’aide je crois ! Je suis là pour te l’apporter !

    - Comment pourrais-tu m’aider ? Tu es morte il y a plus de mille ans !

    - Et alors ? L’amitié est immortelle, ne le sais-tu pas ?

    - Pitié ! Je suis en plein délire là ! Où sont les infirmiers qui vont me mettre la camisole de force ?

    - Tu ne délires pas ma cop’ ! Quand vas- tu enfin l’admettre ?

    - Je rêve alors !

    - Je ne peux rien te dire de plus. On y va ! Il faut que tu parviennes fissa à la Sphère, nous n’avons plus beaucoup de temps.

    Ah ! Cette façon bien à elle de dire les choses…

    - Qui ça nous ?

    - Toi, moi, les autres

    - Les autres ?

    - Oui, ils t’attendent ! Et ça urge, crois-moi, pour eux comme pour toi. Allez, on bouge ma cocotte

    Il n’y avait qu’elle pour lui parler comme ça ! C’est bien sa Chloé, son amie si brut de décoffrage !

    - Je..je peux te toucher ? Tu ne vas pas t’évaporer en fumée?

    - Fais toi plaise ma chérie, et après, on y go ! Le temps presse !

    Elle touche. Timidement. Les bras, les joues, les cheveux flamboyants… C’est à la fois doux et ferme, chaud, aussi vivant qu’il est possible de l'être. Inquiète de ne rien sentir, elle pose sa main juste sous la poitrine, au niveau du cœur…Ça pulse régulièrement. Poum, papoum ! Poum, papoum…

    Elle en pleurerait. Pourtant elle a encore le plus grand mal à croire à ce qu’elle voit, à ce qu’elle touche…

    - Bon, ça va, tu es satisfaite ? On peut y aller maintenant ? Ou on va être à la bourre ! TU vas être à la bourre !

     

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 8 Mars 2023 à 10:05

    Il y a des choses qu'on aime toucher du doigt, pour y croire, sinon... amitiés, JB

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