• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 20

    -Allez ! Du nerf ! Tu te traînes là !

    Elle n’a plus la force de répondre à son infatigable amie qui la distance allègrement.  Un soleil de plomb, implacable, ralentit ses mouvements. L’été n’en finit pas d’empiéter sur l’automne ! Elle suffoque sous l’effort incommensurable qu’elle doit déployer pour rejoindre Chloé. Ou son avatar créé de toute pièce par les machiavéliques dirigeants de la Sphère, ne peut –elle s’empêcher de se dire pour la millième fois au moins, depuis qu’ensemble elles ont quitté le refuge !

    L’exceptionnelle endurance de la pétulante jeune femme, ne correspond en rien avec les souvenirs qu’elle a de son manque total de dispositions pour le sport en général, pour la marche en particulier.

    Elle croit encore l’entendre :

    - Une randonnée en montagne avec Patrick et toi ? Tu rigoles ! Tu me vois crapahuter dans la caillasse avec mes jolis pieds-nus ? Parce que, regarde-moi bien Élisa, il n’est pas question que j’enfile ces horribles chaussures de rando !

    C’est bizarre tout de même, comme le passé si lointain de cette vie d’avant, remonte à la surface depuis que Chloé est apparue ! Le plus étrange étant que son amie, citadine jusqu’au bout des ongles, se soit si parfaitement acclimatée à ce monde vide et désolé, dans lequel elle a atterri par miracle !

    Elle marche devant elle à une cadence infernale, sans chapeau, vêtue d’une élégante robe d’été à bretelles qui lui arrive tout juste à mi-cuisses. Elle se souvient parfaitement de cette robe outrageusement sexy ! Et, comble de l’incongruité, elle arbore aux pieds les fameux pieds-nus élégants, en cuir rouge, si peu adaptés à la longue marche qu’il leur reste à accomplir. Pour compléter ce tableau aussi improbable qu’il est permis de l’être en la circonstance, elle s’est chargée du lourd sac à dos, qu’elle-même a eu tant de mal à porter depuis la défection de Weena ! Chloé, sa Chloé, qui collectionnait les petits sacs ultra chics et ultra chers, toujours remplis de ce foutoir hétéroclite qui était sa spécialité.

    - Bon, tu veux encore tâter pour vérifier que je suis bien réelle ?

    Tout à ses réflexions et à ses doutes, elle vient de se cogner à une Chloé pas le moins du monde essoufflée.

    Ce n’est pas son cas ! Elle paye plein pot les semaines écoulées depuis sa fuite de Liberté. Elle a bien dû perdre dix kilos en chemin. Et des tonnes d’espoir !

    - Si on s’arrêtait un peu ? Je n’en peux plus !

    - Ok ! Tu vois le bouquet d’arbre là-bas ? On va jusque- là et on fait la pause, ça te va ?

    - D’accord ! Tu en profiteras pour me raconter par quel tour de magie tu es arrivée ici !

    - Je t’ai déjà expliqué Élisa ! Je suis là pour t’aider. Il n’y a rien d’autre à ajouter, crois-moi !

    - Mais c’est impossible ! Je persiste à le croire ! Tu ne peux être là ! J’hallucine, c’est tout !

    - Garde ton souffle pour atteindre les arbres ! On parlera si tu veux, quand tu seras à l’ombre.

    - Quand JE serai à l’ombre ? Parce que toi…

    - Ne t’inquiète pas pour moi ! C’est toi l’important, je t’assure !

    Elles ont atteint l’ombrage bienfaisant de trois arbres immenses au feuillage jaunissant dont elle serait bien incapable de définir l’essence. Ils ne doivent exister qu’ici !

    - Allez, assieds-toi, tu vas boire et manger un morceau ! Elle est où ma ravissante amie aux rondeurs si bien placées ?

    - Je suis fatiguée Chloé. Lasse à mourir ! Á quoi ça sert tout ça ? J’ai l’impression d’être partie depuis des mois et des mois et je ne sais même plus pourquoi.

    - Je sais Élisa !

    - Qu’est-ce que tu sais ? Tu n’es même pas censée être là ! Pour moi, je le répète, tu es morte il y a plus de mille ans. Comme ma mère, comme Patrick…

    Les yeux verts de son amie la scrutent intensément. Elle ne répond pas. Au contraire son silence attentif, paraît l’inviter à en dire plus.

    - Je ne comprends décidément pas comment tu peux être ici ! Ce sont eux qui t’ont envoyée ? Tout le monde m’a abandonnée. Jonathan est parti. Bob est parti. Même ma jument a pris la poudre d’escampette. Et puis voilà que tu débarques de je ne sais où, sans qu’il me soit permis de comprendre ni comment ni pourquoi c’est possible. Et tu voudrais que j’admette ça ! Que j’y crois les yeux fermés !

    - C’est ça ! Et quand je te dis que je sais, c’est parce que c’est vrai. Je sais pourquoi tu erres, pourquoi il est essentiel que tu rejoignes la Sphère et je suis là précisément pour t’y aider. Parce que les autres n’ont pas réussi. Moi, je suis ton dernier espoir et je n’ai pas le droit d’échouer !

    - Quels autres ?

    - Jonathan, Martha, Bob et même ...Weena !

    - C’est du délire ! Jonathan est parti pour une expédition de pêche avec deux de ses amis. Ils n’en sont pas revenus. Martha, c’est moi qui l’ai quittée. Bob m’a été envoyé pour me secourir, il a été rappelé parce qu’il allait m’en dire un peu trop je pense. Weena, n’est qu’une jument et elle a probablement rejoint une horde de chevaux sauvages. C’est aussi simple que ça !

    - Tu crois ? Et moi à ton avis, pourquoi m’a –ton « envoyée » à toi comme tu l’affirmes ?

    - Tu ne démens donc pas !

    - Là n’est pas la question ! Réponds !

    - Je ne sais pas moi ! C’est toi qui sais à ce que tu dis ! Je n’y comprends plus rien !

    - Fais un effort ! N’as-tu rien remarqué depuis que je suis là ?

    - Non… enfin si… Il y a plein de trucs de ma vie d’avant qui me reviennent. De ma vie avec toi, aux Eyzies et à l’université… Je …je n’ai pas rêvé tout ça hein ?

    - Non ! Pourtant, des tas de choses t’échappaient cers derniers temps, pas vrai ?

    - Si… C’est comme si un épais brouillard envahissait mon esprit.

    - Et en ce moment, il se dissipe non ?

    - Un peu…

    - Il va se dissiper totalement ! Tu dois y croire et faire tout ce que tu peux pour ça. Je suis là pour t’y aider.

    - Pourquoi toi ?

    - Parce que j’ai toujours su te titiller, t’obliger à réagir quand tu allais mal. Souviens-toi ! Nous ne sommes pas les deux meilleures amies du monde pour rien.

    - C’est vrai que ta présence, réelle ou pas d’ailleurs, me fait un bien fou ! Mais explique-moi  Veux-tu. Pourquoi Jonathan, qui est l’homme de ma vie depuis toujours semble-t-il, a-t-il été incapable de m’aider ? C’est fou ça quand même !

    - Parce qu’il t’aime justement. Jonathan est ton but mais il est surtout la clé de tout ce qui t’arrive ! Quand il a enfin compris qu’à cause de cet amour qui vous lie, il ne t’était plus d’aucun secours, il a passé le relai.

    - Ce que tu me dis n’a aucun sens. L’homme que j’aime et qui m’aime m’aurait abandonnée de son plein gré ? Je ne comprends pas !

    - C’est très exactement là le problème ! Un double problème à vrai dire ! Tu dois comprendre !

    - Et ?

    - Quand tu comprendras, si tu y parviens, soit ça te sauvera la vie, soit ça te tuera !

    - Tu racontes n’importe quoi !

    - Non, je te jure ! Et le pire vois-tu, c’est si tu ne parviens pas au bout du chemin, tu mourras, de toute façon !

    - Je rêve ! Ou plutôt je cauchemarde !

    Pas de réponse. Et toujours ce regard profond qui la sonde. Qui lui intime l‘ordre de chercher en elle-même les réponses.

    - Je vais me réveiller ! Et tu ne seras plus là !

    Un éclat de rire hystérique la secoue soudain. Elle en hoquète, manquant de s’étouffer avec le morceau de viande boucanée qu’elle s’efforçait de mastiquer.

    Une tape vigoureuse dans le dos la remet d’aplomb et la calme instantanément.

    - Voilà ! C’est malin ! Ta maman ne t’a jamais dit qu’on ne parle pas la bouche pleine ?

    L’évocation de sa mère lui fait monter les larmes. Des sanglots irrépressibles remplacent aussitôt la crise de fou rire. Elle sent deux bras bien réels l’enserrer tandis qu’elle pleure à n’en plus finir.

    - Tout doux ma cocotte ! Ça fait trop pour toi d’un coup tout ça hein ? Tu vas te reposer un peu. Je veille sur toi. Et après on repartira. On a encore un bon pout de route à se taper avant que…

    - Avant que quoi ?

    - Avant qu’on y arrive. Dors. Tu en as besoin !

    Sa dernière réflexion juste avant de sombrer, c'est :

    «Tiens, c'est bien la première fois qu'on m'ordonne de dormir, d'habitude, c'est plutôt : réveille-toi Elisa ! »

     

    …Plongée dans un sommeil catatonique, elle reçoit, éclairs aveuglants et brefs, des tas d’images en désordre.

    Un tigre rugissant aux yeux jaunes…Le regard triste de sa mère tandis qu’une voiture s’éloigne… Jonathan au téléphone avec un interlocuteur énervé…Son corps dur sur le sien dans une chambre anonyme. Un amphi où ils sont seuls, face à face…Des adieux déchirants avec Patrick, puis avec Chloé… La silhouette miroitante d’un immense dôme à l’horizon…Un homme au regard perçant et hostile…La visite guidée d’un complexe aussi étrange qu’extraordinaire…Et puis cette salle qui la terrorise, où on la fait entrer, seule…

    C’est bien la première fois depuis très longtemps, qu’elle a la certitude qu’elle rêve, tandis qu’une voix douce et insistante ne cesse de lui ordonner : « Dors, tu en as besoin ! »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 9 Mars 2023 à 10:18

    Oui, en effet, ici tout le contraire qu'on lui demande, amitiés, jill 

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