• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 4

    Premier jour

    La voici en route.

     

    Bientôt huit heures déjà qu’elle mène Weena  à un train assez soutenu, d’une main à la fois ferme et douce sur les sentiers par lesquels elle est arrivée à Liberté deux ans auparavant. Les tumulus qui les bordent de loin en loin, sont de précieux indicateurs.

    « Le sort en est jeté » Se répète-t-elle pour la énième fois depuis qu’elle a quitté le provisoire asile de sa cabane secrète. Elle s’efforce à chaque kilomètre gagné de refréner son angoisse grandissante. Et si Martha et Mélodie, inquiètes de ne pas la voir rentrer, se lançaient à sa recherche ?

    Ces derniers jours en particulier, elle a tout fait pour ne pas éveiller leurs soupçons en évitant de partir et de rentrer toujours à la même heure de sa promenade quotidienne. Elle ne leur a montré ni trop d’allant suspect ni trop d’apathie inquiétante. Rien dans son comportement ne devait titiller leur curiosité. Pour montrer sa bonne volonté et son désir de « guérison », elle a saisi l’opportunité de ses balades en solitaires pour ramener au village, champignons, baies et racines comestibles répertoriés par les experts de la communauté. Ou encore du petit gibier si nécessaire pour varier les menus de Liberté. N’est-ce pas sous la houlette de Jonathan qu’elle est devenue une chasseuse chevronnée ? Une belle façon de rendre hommage à son compagnon disparu, pense la majorité des habitants de Liberté. Mais surtout, la preuve pour tous qu’elle s’efforce au mieux, en dépit de ses longues errances, de partager leur vie, d’apporter sa contribution et du coup, de se faire pardonner ses silences et ses absences.

    Quand elle a quitté l’enceinte du village ce matin, Martha et Mélodie étaient là, comme d’habitude. Un fin crachin présidait à son départ.

    - Tu sors quand même par ce temps ? A questionné Martha, fidèle à son rôle de mère-poule.

    - Tu sais bien que je sors par tous les temps ! Alors cesse de t’inquiéter pour moi ! Je vais beaucoup mieux, tu l’as vu non ?

    - Oui et j’en suis heureuse ! Ne veux tu pas un peu de compagnie pour une fois ? Mélodie pourrait t’accompagner !

    - Bientôt ! Promis ! Mais là tu vois, j’ai encore besoin d’être seule ! Et puis j’ai l’impression que notre jolie Mélodie n’a plus vraiment envie de m’accompagner ces derniers temps, je me trompe ?

    - Euh… pas vraiment non ! A répondu l’intéressée en baissant les yeux !

    Il fallait en effet être aveugle pour ne pas avoir remarqué que la jeune femme s’était trouvé un nouveau compagnon et que du coup, elle préférait passer son temps avec lui plutôt que de servir de chaperon à sa taciturne amie !

    - Bien je vais chasser alors ! Ne m’attendez donc pas trop tôt !

    - OK ! Mais sois prudente tout de même hein ! A lancé Mélodie !

    - Je le serai, juré craché ! A-t-elle promis, ne sachant d’où lui venait soudain cette expression désuète qui a amené un sourire de connivence sur les lèvres de la guérisseuse.

    « Mémoire ancestrale » ont-elles invoqué de concert.

    Puis pressée de rejoindre la cabane où l’attendait son précieux chargement de survie, elle a éperonné Weena. Pas question de fondre en larmes devant ses deux amies !

    Quelle étrange façon de dire au revoir à sa protectrice, repense-elle en cheminant sous le soleil revenu de ce beau jour d’été.

    Afin de mettre le plus de distance possible entre elle et d’éventuels poursuivants, elle n’a pas ménagé Weena depuis ce matin. La brave jument montre d’évidents signes de fatigue. Elle aussi est fourbue. Tout son corps réclame le repos. Une bonne halte s’impose et là-bas, le long de la rivière scintillant sous le soleil, le bosquet de feuillus qui se profile est de bon augure. Elle va pouvoir s’y reposer à l’ombre ! Mais avant elle va se rafraîchir, tout comme sa jument. Et refaire le plein d’eau ! Á bien y regarder, il lui semble reconnaître l’endroit. Ce qui est plus que probable vu qu’elle a suivi scrupuleusement les indications de sa carte, tout autant que les marques régulièrement espacées, laissées en évidence par les différentes équipes d’extracteurs. Si elle ne s’est pas trompée, à l’abri des arbres une cabane l’attend.

    Une fois de plus, instinctivement, elle jette un regard derrière elle, étonnée que personne ne l’ait suivie, puis elle se dirige en toute hâte vers le refuge bienvenu.

    Elle a libéré sa jument du lourd fardeau qu’elle tirait sans rechigner depuis ce matin. Puis elle l’a menée boire tout son soûl à l’eau claire de la rivière. Après quoi, et bien que l’herbe n’ait pas manqué sur le chemin, elle l’a gratifiée d’une bonne ration d’avoine soustraite à l’un des deux sacs de chanvre que la brave bête portait de chaque côté de son large flanc. Ensuite, elle l’a solidement attachée au tronc d’un arbre, lui a ôté selle, mors et reste de l’attelage avant de la bouchonner longuement. Ces soins prodigués avec tendresse ont eu un effet des plus apaisants sur ses propres tensions.

    Ce n’est qu’après avoir accompli ces tâches nécessaires qu’elle a enfin pris le temps de s’occuper d’elle. Un bain rafraîchissant dans la rivière a achevé de dénouer ses muscles et ses nerfs, tout en diluant la poussière sur sa peau. En fermant les yeux de béatitude, elle a évoqué, non sans une certaine nostalgie, la jeune Ehi Sha de sa vie préhistorique. Elle aussi aimait se baigner dans ce qu’elle appelait le serpent liquide…

    Nue et délassée, elle a lavé ses vêtements qu’elle a étendus sur la rambarde de la resserre à bois de la maisonnette. Le soleil est encore haut en cette saison ! Puis elle a pris possession du refuge construit par les extracteurs. Comme dans ses souvenirs, il est sommairement aménagé mais suffisamment confortable pour y trouver le repos dont son corps et son esprit ont besoin. Prévu pour deux extracteurs et deux extraits, il bénéficie de quatre couchettes disposées le long d’un des quatre murs de rondins. Un massif et large coffre de bois s’appuie contre le mur opposé. Il contient des couvertures et de longues capes à capuche pour les jours froids Au fond, trône la cheminée près de laquelle sont accrochés des morceaux de viande boucanée enveloppés dans de la toile grossière. Elle ne l’allumera pas ! Inutile d’attirer l’attention ! C’est pour la même raison qu’elle a attaché Weena à l’arrière de la cabane, à l’abri des arbres Une table et deux bancs de facture grossière mais solides, complètent l’ameublement du refuge. Elle a mangé, un peu de viande séchée de sa propre réserve, quelques fruits cueillis en chemin, des biscuits très secs et nourrissants comme Martha lui a appris à en confectionner pour les missions d’extraction de Jonathan. « Des biscuits de guerre » comme les appelle la vieille femme. Encore cette fichue mémoire ancestrale qui préside à bien des aménagements de Liberté !

    Le simple fait d’évoquer son amour disparu, ravive ses angoisses. Pour la millième fois, elle se demande si son intuition est juste. Si ce qu’elle a entrepris seule pour aller le sauver, n’est pas une pure folie. Une espèce de fuite en avant destinée à l’empêcher de se consumer en l’attendant… Et s’il était vraiment mort comme n’ont cessé de le lui répéter Martha, Mélodie et les vieux « sages » de Liberté, Andrew en tête ! Tout son être lui crie qu’ils ont tort. Jonathan est vivant ! Ses compagnons de pêche disparus aussi ! Mais cela ne lui dit pas comment elle va s’y prendre pour les libérer de la Sphère, seule, sans autres armes qu’un arc, un gourdin et sa folle détermination !

    Son repas achevé, elle est sortie pour regarder les premières étoiles apparaître dans l’azur sombre et pur du ciel d’été. Elle a vécu de tels moments de contemplation avec Jonathan, au cours de son périple salvateur vers Liberté ! Mais aussi lors de ses vies oniriques avec lui. Ces souvenirs mêlés, entre rêves et réalité la bouleversent. Les larmes coulent malgré elle le long de ses joues.

    - Jonathan ! Appelle-t-elle, espérant qu’il répondra.

    Mais seuls les cavalcades furtives des animaux peuplant la forêt et les hululements funestes des oiseaux de nuit, font écho à son appel désespéré.

    Recrue de chagrin, d’angoisse et de fatigue, après une dernière caresse à Weena, elle rentre, bloque la porte et consent enfin à s’étendre sur l’une des quatre couchettes, appelant le sommeil et les rêves de tous ses vœux.

     

     

     

    « "Les rêves d’Élisa" - Liberté - Chapitre 3Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 5 »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Mardi 21 Février 2023 à 10:43

    Et comme on le dit, un seul être vous manque.... amitiés, jill 

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :