• Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 6

    Deuxième jour

     

    Pas vraiment reposée mais pressée d’un seul coup par cette voix qui la hante, Élisa a repris la route après s’être restaurée et avoir refait le plein d’eau à la rivière. Nourrie, abreuvée, pansée avec soin et ferrée à neuf, la jument semble avoir retrouvé son calme légendaire, du moins en apparence car la jeune femme qui la connaît bien, a parfaitement repéré chez Weena les signes qui prouvent qu’elle demeure sur le qui-vive : les oreilles en perpétuel mouvement, les renâclements intempestifs au moindre bruit suspect, les naseaux et les pupilles dilatés, plus de nervosité dans son pas habituellement régulier…

    Elle non plus n’est pas totalement tranquille depuis ce matin bizarre et l’apparition du « robot », qu’elle a inconsciemment baptisé C-3PO.

    Voila encore un troublant rappel de cette fameuse mémoire ancestrale régulièrement invoquée par Martha. Un vieux film du vingtième siècle qu’a probablement vu l’Élisa de cette lointaine époque et dont le nom lui revient :  « La guerre des étoiles »

    Après lui avoir une fois de plus ordonné de se réveiller, le fameux robot s’est proprement volatilisé, alors même qu’elle allait lui demander de s’expliquer !

    Voilà pourquoi, tout comme sa jument, elle reste en éveil, persuadée que ce qui ne peut être qu’un émissaire de la Sphère, va réapparaître inopinément au détour d’un chemin. A moins qu’il n’ait été qu’une production de son esprit troublé après son rêve de la nuit dernière. Une hallucination due à sa trop grande fatigue !

    Mais alors, comment expliquer la frayeur de Weena ? La proximité d’une bête sauvage?

    Á ce stade de sa réflexion, Élisa se demande pourquoi elle voit si peu d’animaux dans cette version du monde qui n’est peut-être qu’un rêve de plus, se répète-t-elle pour la millionième fois depuis son arrivée à Liberté.

    Si Martha était là, elle lui répondrait comme elle l’a si souvent fait, que les animaux se cachent naturellement des humains qui représentent, au regard de leur propre mémoire ancestrale, de cruels prédateurs ! Réintroduits progressivement dans le monde du dehors par les maîtres de la Sphère depuis près de 500 ans dans le but de tester la nocivité de l’air, ils se sont adaptés. Pour survivre dans un monde dangereux, nocif et en pleine mutation, ils ont eux-mêmes muté et ont vécu libres et sans crainte jusqu’à la réapparition du paramètre humain dans leur univers.

    Il y a la horde de chevaux sauvages dont proviennent Weena, Yaki et les autres pensionnaires des écuries de Liberté. Capturés de haute lutte par les membres les plus téméraires de la gente masculine puis dument dressés, ils font la fierté de la communauté. Réintroduits plus tard que les autres animaux, ils n’ont subi que peu de mutations, restant du même coup, les plus proches en tout, de leurs races originelles.

    Il y a les « chèvrebis » sauvages, issues du croisement entre chèvre et brebis. De belles et solides bêtes à double paire de mamelles dont la production lactée très riche, est fortement apprécié des nourrissons dont les mères n’ont pas eu la montée de lait escomptée. Elles sont régulièrement engrossées par de magnifiques  « béliéboucs » à longues cornes effilées qui, lors des périodes de rut, se livrent à d’âpres combats pour elles.

    Il y a les grosses volailles mutantes à la chair succulente et aux œufs énormes tout aussi délicieux. Habillées de plumes colorées semblables à des écailles, hautes sur pattes et assez agressives, elles sont le résultat d’improbables croisements entre espèces de genres approximativement proches. Faute de savoir ce qu’elles sont exactement, on les unanimement baptisées « poulailles »

    Les habitants de Liberté ne se sont vraiment pas triturés les méninges avec des noms compliqués. Pour nommer ces animaux d’un nouveau genre au fur et à mesure qu’ils les découvraient, ils sont allés au plus simple. Elle en rirait presque !

    Il y a encore le troupeau commun de bovidés, qui tiennent plus du bison laineux que des vaches, bœufs et taureaux si communs au XXIe siècle. Une race mutagène elle aussi, solide et résistante, qui fournit lait, viande, peau, laine et dont les mâles, d’une robustesse à toute épreuve, tirent les charrues lors des labours. Eux ont très justement récupéré le nom de leur lointain cousin.

    Il y a les oiseaux que l’on entend chanter à tue-tête mais qui se montrent si peu, qu’on ne voit d’eux que des envolées de plumes multicolores dès qu’on s’approche d’un peu trop près. Il y a le gibier le plus courant que les chasseurs rapportent au village : des bestioles velues, hargneuses, d’origine indéterminée, qui paraissent cependant être le croisement entre le gros rat musqué et le lièvre, autant que sa mémoire ancestrale puisse le lui rappeler. Ils sont simplement appelés « ralièvres ».

    Il y a les rats évidemment, éternels survivants de toutes les apocalypses. Plus nombreux, plus gros, plus noirs, plus voraces que ceux dont elle peut se souvenir.

    Il y a aussi des mâtinés de chien, de loup et de renard aux crocs impressionnants, rassemblés sous le terme générique de canidés

    Il y a des espèces de félins au griffes et aux canines meurtrières qui n’ont quasiment plus rien de commun avec les chats domestiques de ses autres vies. On les appelle communément « chatigres » en raison de leur extrême sauvagerie. Ils pullulent dans les forêts avoisinantes mais ne se risquent jamais aux abords du village. Rôtie ou en ragout, leur chair est particulièrement fine et savoureuse.

    Il y a bien sûr les multiples poissons et les crustacés dont la taille impressionne, que leur offre généreusement l’océan. Il y a les millions d’insectes de toute sorte, qui assurent la pollinisation, volent, rampent, piquent…Ainsi que les tas de membres de la faune souterraine qui ont mieux survécu que les autres du fait-même de leur habitat. Ils sont appris, pour se protéger, à creuser plus profond leurs terriers, nids et galeries.

    Des autres espèces terrestres ou marines censées avoir été lâchées dans le monde frelaté du dehors au cours de ces cinq siècles d’expérimentation, il ne semble y avoir  nulle trace ! Si elles existent, elles aussi se sont probablement adaptées. Elles ont muté, se sont reproduites, se sont croisées entre elles, ont survécu tranquilles, puis se sont cachées dès le retour des humains si prompts à les sacrifier.

    Les seuls qui semblent n’avoir aucune crainte et se montrent les plus dangereux pour les humains, restent les vipères géantes et autres ophidiens redoutables dont les armes défensives vont de la morsure extrêmement venimeuse et souvent mortelle, à l’étouffement par constriction! Ceux-là, quand on les voit, c’est généralement trop tard !

    Oui, voilà ce que lui dirait Martha si elle était là ! Mais elle a fui sans lui donner la moindre explication et la vieille femme doit mourir d’inquiétude à l’heure qu’il est !

    A-t-elle envoyé du monde à sa recherche ? Probablement ! Heureusement, pour masquer sa fuite, elle a volontairement laissé une multitude de fausses pistes, totalement à l’opposé de la direction qu’elle a prise.

    Cela lui laisse du temps ! Du moins l’espère-t-elle. Elle en a besoin pour remplir sa mission ! Même si elle doit s’avouer qu’elle aurait également bien besoin d’un peu d’aide ! D’autant qu’afin de soulager Weena, elle marche depuis des heures sous un soleil de plomb, dans la rocaille d’un sentier montagneux aussi étroit qu’escarpé, que ses pieds la font horriblement souffrir et…qu’elle est perdue ! Elle était pourtant sûre d’avoir suivi scrupuleusement les indications de sa carte. Où s’est- elle trompée ? Le fait est que rebrousser chemin dans ces conditions serait trop dangereux ! Voire impossible ! Le chariot a déjà failli verser plusieurs fois. Alors qu’elle n’a qu’une envie, celle de s’arrêter et de se reposer, il lui faut garder tout son calme et sa concentration pour guider la jument énervée sur le chemin caillouteux à peine assez large pour le chariot !

    Elle a soif, faim, elle est fatiguée au-delà du possible mais pas question de s’arrêter. Elle doit trouver un abri avant la nuit ! Alors elle continue à mettre un pied devant l’autre, fermement arrimée à la longe de Weena.

    Ce foutu sentier semble n’avoir aucune fin et comble de malchance, de gros nuages annonciateurs d’orage s’amoncellent sur les cimes  Il ne manquait plus que cela ! La lente et prudente progression qu’elle s’impose ajoute à son état d’extrême fatigue.

    Ses jambes vont bientôt cesser de la porter ! Ou c’est Weena qui va s’écrouler. Il faut qu’elles mangent, qu’elles boivent, qu’elles se reposent, là, au beau milieu d’un chemin perdu en pleine montagne ! C’est une question de vie ou de mort !

    Accablée, elle s’arrête et se met à sangloter, submergée par un découragement si profond qu’elle va sûrement s’y noyer ! Les larmes se mêlent à la sueur sur ses joues striées de poussière. Elle pleure de rage et de désespoir ! Comment a-t-elle pu se tromper ?

    - Jonathan ! Aide-moi! Hurle-t-elle.

    Et son appel au secours se répercute à l’infini sur les flancs de la montagne hostile. Seul un lointain roulement de tonnerre lui répond. Effrayée par son cri autant que par le grondement de l’orage qui se rapproche, la jument s’ébroue. Élisa doit prendre sur elle pour la rassurer alors qu’elle-même est morte de peur !

    Soudain, à quelques mètres devant elle, une silhouette apparaît. Elle a peine à y croire pourtant, c’est bien, celui qu’elle a baptisé C-3PO, le robot de son rêve de la nuit dernière. Celui de son réveil intempestif de ce matin. Marchait-il vers elle de son pas raide ? En tout cas, lui aussi s’est arrêté.

    Ses yeux d’un bleu surnaturel la fixent avec insistance. Ses bras se tendent vers elle…

    - Suis-moi ! Prononce-il distinctement de sa voix désincarnée.

    D’un seul coup, elle ne ressent plus la fatigue ni la faim, la soif ou la peur. Comme plongée dans un état second, animée d’une force nouvelle, elle empoigne la longe de la jument, elle aussi magiquement revigorée et se remet en marche dans les pas du robot humanoïde.

    Sans pouvoir s’expliquer d’où lui vient cette foi inébranlable, elle a la certitude qu’il va la mener saine et sauve avec sa jument, au bout du périlleux sentier.

     

     

     

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  • Commentaires

    2
    Jeudi 23 Février 2023 à 10:22

    La faune "locale" est impressionnante, amitiés, jill 

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    1
    Rose63
    Jeudi 23 Février 2023 à 10:12
    Je passe te lire de temps en temps ayant des difficultés mais bientôt je serais opérée bises
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