• Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 7

    Troisième jour

     

    Encore engourdie, elle se réveille d’un sommeil lourd et sans rêves. Ses souvenirs de la veille sont flous. A-t-elle fini par s’endormir, exténuée, au milieu du sentier où elle s’est arrêtée, à bout de force et de courage ? Si c’est le cas, où est passée Weena ?

    L’orage menaçait. S’est-il abattu sur elle et sur la jument ? Non ! Ou elle devrait être morte à l’heure qu’il est ! Or elle se sent aussi vivante qu’il est possible de l’être en de telles circonstances ! Mais alors, où est-elle ?

    Trop de questions !

    Tout étonnée de n’avoir pas froid ni faim ni soif, de ne ressentir aucune douleur dans son corps pourtant mis à rude épreuve, elle s’étire béatement puis se décide enfin à ouvrir les yeux et à regarder autour d’elle. D’abord, elle s’avise qu’elle est étendue sur une couchette au moelleux matelas rembourré de laine de bison. Elle en a reconnu l’odeur caractéristique. Une couverture tissé de cette même laine  ne la recouvre qu’à-demi, preuve qu’il ne fait pas froid. D’où elle se trouve, elle peut apercevoir le jour qui filtre à travers…des volets clos.

    De toute évidence, «on » l’a conduite à une cabane sensiblement identique à celle qu’elle a quittée hier matin. Ses vêtements sont posés sur une chaise grossière près du lit.

    Comment est-elle arrivée là ?

    Elle ne se rappelle plus rien à partir du moment précis où le robot humanoïde est apparu devant elle et où elle a commencé à le suivre, galvanisée par elle ne sait quel regain mystérieux de vigueur.

    Elle s’étire une nouvelle fois, heureuse d’être encore en vie même si elle ne comprend pas comment c’est possible. Puis, consciente d’être totalement reposée, elle se lève, nue. Elle n’a  pas non plus le moindre souvenir de s’être déshabillée. Se peut-il que… Elle préfère ne pas y penser !

    Il fait déjà chaud dans la cabane. La matinée doit être bien avancée. Du regard elle en fait rapidement le tour. Même ameublement sommaire, commun à tous les refuges érigés par les extracteurs. Posé sur le coffre, l’attend son sac de vêtements de rechange. Elle en sort des sous-vêtements, un pantalon et une tunique légère. Elle enfile le tout à la hâte, pressée de sortir pour découvrir où elle a atterri.

    Un rapide coup d’œil circulaire la rassure. Si elle n’en a pas encore fini avec la montagne, elle en a du moins laissé derrière elle la partie la plus difficile : ce maudit col qu’elle franchi par un sentier de traverse au lieu d’emprunter l’ancienne route, plus large et plus facile d’accès ! Devant ses yeux éblouis, aussi loin que se porte son regard, s’étend une large vallée verdoyante. Pour la rejoindre, le chemin qu’elle va prendre et qui part du refuge, semble descendre et sinuer en pente douce.

    La cabane où «on » l’a menée, est nichée à l’ombre d’un bouquet de ce qui ressemble le plus à de hauts pins sylvestres, à proximité d’un point d’eau, comme toutes les autres. Elle l’entend d’ailleurs murmurer non loin de là. D’un pas vif, elle se dirige vers ce bruit si attirant. Entre deux rochers, elle a vite fait de découvrir la source qui en jaillit. Au pied du filet gazouillant, un petit bassin naturel peu profond mais rempli d’une eau claire, fraîche et pure, d’où s’échappe, semblant se perdre dans la rocaille, un mince ruisselet. En regardant mieux, elle se rend compte qu’il poursuit sa course en s’écoulant en contrebas, à travers cailloux et buissons. D’après ce qu’elle a pu constater, le chemin qu’elle va emprunter pour repartir, suivra probablement un bon moment ce ruisseau timide qui, au gré de sa progression, deviendra rivière. La garantie pour elle d’avoir de l’eau sans compter et avec un peu de chance, du poisson frais. En attendant, elle n’a plus qu’à remplir ses deux outres qui, par hasard, gisent justement à l’ombre d’un gros rocher moussu.

    Toute cette eau lui donne soif d’un seul coup. Incapable de résister plus longtemps au chant de la source vive, elle s’agenouille et, mettant ses mains en coupe, elle s’abreuve directement au filet jaillissant. Elle ne manquera pas d’y remplir sa gourde avant de quitter les lieux.

    Elle profite de cet instant de grâce pour faire un brin de toilette. Le bassin est juste assez grand pour accueillir son corps mince. Elle a tôt fait de se retrouver nue et de s’y plonger avec délice. Elle ne risque pas d’être épiée par un regard indiscret pendant ses ablutions matinales, songe-t-elle avec une certaine nostalgie en se rappelant inopinément l’un de ses rêves préhistoriques. Nul doute que son beau chasseur ait été en train de l’observer à l’abri des hautes herbes ce fameux jour de cette autre vie si lointaine où Ehi Sha a failli se noyer dans la rivière. Et ce qui a suivi, fût-ce en rêve, la brûle aussi délicieusement qu’il la torture. Ce jour-là, en découvrant l’amour sous son corps robuste, elle était devenue la compagne de Roh Ahr Anh pour la première fois.

    Roh Ahr Anh, Jonathan…Toutes leurs vies communes entre songe et réalité. Toutes leurs premières fois, leurs premiers baisers…

    Cette évocation la ramène au présent, à l’absence. Á l’urgence. Que fait-elle là, à se prélasser dans l’eau fraîche d’une source pendant que l’homme de sa vie croupit dans les bas-fonds de la Sphère ?

    Vite ! S’occuper de Weena qu’elle entend soudain piaffer d’impatience. Reprendre la route ! Vite !

    Elle sort de l’eau, s’ébroue, laisse le soleil encore pâle la sécher un peu. Puis elle ré enfile ses vêtements et court plus qu’elle ne marche, vers l’arrière du refuge où, comme elle l’a deviné, Weena est attachée à la rambarde de la resserre à bois. Elle y retrouve aussi son chariot bâché de toile comme il se doit. Elle vérifie rapidement que rien ne manque à son chargement. Que pourrait-il y manquer d’ailleurs  dont un robot aurait pu avoir besoin ?

    Allons ! Maintenant elle doit prendre soin de sa jument ! La panser, changer ses fers, se restaurer puis repartir et tenter de rattraper le retard qu’elle a accumulé hier dans ce maudit sentier montagnard !

    Weena hennit doucement comme pour lui dire : « Hep, je suis là ! ». Cependant, contre toute attente, elle n’a besoin d’aucun des soins habituels dont sa maîtresse la gratifie au terme de chaque longue étape. Elle paraît même étonnamment fringante après celle d’hier, tellement éprouvante pour elles deux jusqu’à l’intervention miraculeuse du robot. Elle a été bouchonnée avec soin, ferrée. Aussi calme qu’elle est capable de l’être quand rien ne l’inquiète, elle est en train de savourer une ration d’avoine. Près d’elle est posé son abreuvoir de route plein d’eau. Á moins qu’elle ne soit somnambule ou qu’elle ait totalement perdu la mémoire, elle n’est pas l’auteur de ces soins appropriés.

    Cependant, aucune trace de son soigneur bénévole.

    C-3PO, comme elle s’évertue à l’appeler, semble s’être évaporé aussi soudainement et mystérieusement qu’il est apparu sur le sentier. Ou n’a-t-elle fait que rêver tout cela ?

    Pourtant, elle ne doute pas un seul instant que ce soit lui qui ait pris soin de sa jument la veille puis ce matin. Tout comme il l’a déshabillée et couchée hier soir avant de se fondre dans la nuit. Non pas pour se reposer à son tour, lui souffle sa mémoire sans qu’elle sache exactement d’où lui vient cette connaissance.  Les robots ne dorment pas, ils n’en ont nul besoin, ils se mettent seulement en veille jusqu’à ce qu’il soit temps pour eux de reprendre du « service ». C’est ce qu’il a fait, tôt ce matin pour Weena pendant qu’elle dormait profondément, abrutie de fatigue. Après quoi, sa tâche accomplie, il a disparu comme il était venu, en silence, sans un mot d’explication avant qu’elle ne se réveille. Pas même un « réveille-toi-Élisa ! » qui pour le coup, l’aurait sortie de son lourd sommeil et l’aurait rassurée.

    Weena a beau être une excellente compagne de route, elle ne parle pas. Elle l’écoute certes, avec beaucoup d’attention, semble-t-il, très sensible aux intonations de sa maîtresse mais elle ne lui répond pas. Après deux jours entiers d’un parcours pénible en solitaire dans l’immensité de ce nouveau monde vide d’humanité, Martha et Mélodie lui manquent cruellement. Leur présence amicale, protectrice, leur conversation… Liberté lui manque et ses habitants attentifs les uns envers les autres. Même ce robot bizarre, apparu en rêve puis revenu pour la guider d’elle ne sait pas vraiment où dans la réalité, lui manque. Aussi inhumain soit-il, il serait une présence rassurante puisque la voix de Jonathan l’a abandonnée.

    Tout plutôt que cette solitude accablante !

    Les questions qui la taraudent reviennent se ficher dans sa tête : d’où vient-il ? Qui l’envoie et pourquoi ? Comment a-t-il pu arriver jusqu’à elle s’il vient de la Sphère comme elle le croit ?

    Quelle énergie, apparemment inépuisable le fait fonctionner ? Á part le soleil et à une telle distance de la technologie de la Sphère, elle n’en voit aucune !

    Ou en réalité il n’est qu’un mirage forgé par son esprit pour combler le vide et la rassurer ! Se dit-elle une fois de plus, rattrapée par le doute.

    Mais alors, qui l’aurait déshabillée et couchée ? Qui aurait soigné Weena ? Et surtout, dans l’état de total épuisement où elle se trouvait la veille, comment serait-elle parvenue sans aide aucune jusqu’à ce refuge inespéré ? D’autant plus qu’elle s’était perdue !

    Elle a beau se creuser la tête, rien ne lui revient !

    Autre question d’importance : s’il était là pour lui venir en aide, pourquoi s’est- il évaporé une fois de plus sans lui laisser la moindre chance d’obtenir le plus petit début de réponse à ses questions ?

    Inutile de continuer à se torturer ! Elle va devoir se résoudre à reprendre la route, seule.

    Comme si elle avait perçu cette dernière réflexion, Weena hennit avec vigueur, semblant lui dire, un peu vexée :

    -  Et moi alors, je compte pour rien ?

    - C’est vrai que tu es là, toi, ma belle ! Heureusement ! Lui répond-elle instinctivement. Allez, je mange un peu, et on y va !

    Rassurée, la jument se remet à son repas matinal.

    De retour dans la cabane, Élisa se force à grignoter quelques fruits secs et quelques biscuits. Puis, pour parer à toute éventualité, elle avale une pilule nutritive en la faisant passer avec une bonne rasade d’eau de la source.

    - Voilà qui devrait me permettre de tenir jusqu’à la prochaine halte ! Maintenant, consultons la carte ! Plus question de se tromper ! J’ai déjà perdu trop de temps !

    Tirée de son sac à dos, ladite carte est étalée sur la table sous les yeux ébahis d’Élisa ! De nouvelles indications y figurent. Il y a là des tumulus, des sentiers, des forêts, des collines, des rivières et points d’eau, des croisements qu’elle est absolument certaine de ne pas y avoir consignés.

    En y regardant de plus près, elle constate que certains de ces rajouts étonnamment précis, font la jonction entre le sentier où elle s’est perdue et la route qu’elle aurait dû emprunter pour rejoindre le refuge. Ils lui montrent très exactement le croisement où elle s’est trompée. La plupart des autres annotations concernent la suite de son itinéraire jusqu’à la Sphère. Á croire que là-bas, « on » tient vraiment beaucoup à ce qu’elle revienne.

    Dans quel but ?

    Si c’est un piège, elle y fonce tête baissée !

    Un autre détail qu’elle a failli laisser passer, attire soudain son attention. Un double message très explicite écrit tout en bas de la carte. Le premier dit « Bonne chance » le second la frappe comme une gifle : « Réveille-toi Élisa ! »

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 24 Février 2023 à 10:55

    Un message en deux teintes... je préfère qu'elle se réveille, amitiés, JB

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