• Futur...Passé...Drôle de rencontre !

    Mystification

     

    C'est matin. Mistikella émerge doucement, presque voluptueusement d'une nuit peuplée de rêves pré programmés. Avant de s'abandonner au repos réparateur, elle en avait sélectionné trois dans l'impressionnante banque de données de sa puce corticale.

    Le premier, un combat homérique dont elle sortait victorieuse bien sûr, avec une meute de redoutables et sanguinaires vélociraptors de la préhistoire. Pour satisfaire son goût de l'action celui-là !

    Le deuxième, dans lequel, réincarnée en Alice, elle se promène avec délectation au Pays des merveilles. Celui-là, c'est pour apaiser son besoin récurrent de retrouver son enfance perdue et parce qu'elle adore ces vieux contes de fées qu'on lisait aux gosses pour les endormir, du temps de son arrière, arrière, arrière, arrière-grand-mère.

    Le troisième enfin, pour assouvir ses désirs les plus secrets de folle volupté, une joute amoureuse d’un érotisme torride avec l'un des acteurs en vogue de l'Universal Holofilm, le macho-mâle par excellence, le troublant, séduisant, sensuel en diable Jim Clooney, descendant en droite ligne d'une idole des antiques écrans du cinéma mondial du vingt et unième siècle que devait priser cette fameuse aïeule d'un autre temps.

      Encore toute alanguie d'oniriques caresses et de fougueux ébats aussi vrais que nature, nue, nimbée de la douce lumière bleu-vert et irisée qu'elle a choisie pour envelopper ses songes, elle flotte en apesanteur...

      « Allez Mistikella ! Secoue-toi, il est temps !  Se morigène-t-elle.

    D'un double clic déterminé de la paupière droite, elle désactive la bulle de sommeil et, avant même que le halo bleu-vert ne se soit totalement dissipé, elle atterrit sur le sol de sa chambre. En douceur, telle une feuille morte tout juste tombée de l'arbre...

    « Une feuille ? Un arbre ? J'en ai de ces idées bizarres moi parfois ! » Pense-t-elle furtivement.

    Après une douche aseptique ionisante réglée à l'exacte température de son corps au réveil, suivie illico d'une autre plus régénératrice aux microbulles glacées, elle passe quelques secondes dans la cabine UV pour un rapide séchage-bronzant. Puis elle enfile en un tournemain sa combi-peau thermorégulatrice préférée. La turquoise iridescente qui la fait ressembler à une sirène, ce personnage mythique décrit dans les contes qu'elle a lus gamine à la médiathèque locale. Elle glisse ses petits pieds délicats dans les bottes à semelles anti-G, moulées sur mesure pour eux et qui les épousent sans les comprimer. Elles montent jusqu'à ses mollets joliment galbés. La matière «automass» dans laquelle elles sont fabriquées, du latex composite, a depuis des lustres remplacé le cuir rigoureusement interdit et qui se monnaye aujourd'hui à prix d'or au marché noir tant il en reste peu. 

    Voilà ! Elle est prête. D'un double clic de la paupière gauche, elle active les électro- miroirs tridi qui tapissent les murs de la salle de bain. Ils lui renvoient aussitôt le reflet holographique élogieux de sa silhouette sans défaut. Elle s'admire sous toutes les coutures.

    Rien à redire : ovale parfait, taille mince, poitrine haute et menue, jambes longues. Son crâne parfaitement lisse et brillant sur lequel se dessinent les électro-tatouages éphémères de soleils radieux et d'étoiles scintillantes pour lesquels elle a opté aujourd'hui, lui fait immanquablement penser aux femmes d'autrefois qui passaient chaque jour tant de temps devant leur miroir à se pomponner, se peindre le visage de couleurs parfois criardes, discipliner des tignasses courtes ou longues dont elles semaient de peu ragoûtants reliquats pullulant de microbes dans leurs archaïques lavabos.  

    Un dernier regard, un petit sourire satisfait à ce flatteur reflet tridimensionnel, une dernière pensée pour ses pauvres ancêtres féminines, pour leurs hideux oripeaux tellement inconfortables, pour leur hygiène douteuse...

    Cette fois, elle est fin prête. Fraîche comme un bouton de rose à peine éclose.

    « Tiens encore une de ces étranges idées ! »

    La chassant d’un revers de main agacé, elle se dirige d'un pas aérien vers le nutri-distributeur pour y commander un petit déj' consistant : une gélule de café au lait dont raffolait ses lointains aïeux, une de pain beurre confiture au goût exquis et suranné, bien meilleur que toutes ces saveurs totalement artificielles vantées quotidiennement par les télé-pubs. Pour compléter cet énergétique et délicieux premier repas de la journée, elle avale un gobelet de sa boisson supra vitaminée favorite. Elle en a toujours au frais dans son frigo. Quoique très sophistiqué, c'est un très vieux modèle auquel elle tient parce qu'elle en a hérité de ses grands-parents paternels.

    Tout comme elle a reçu en legs de ses deux autres grands parents, un salon en cuir antédiluvien que lui envient ses amis, même s'ils s'en moquent ouvertement.

    « Quel plaisir éprouves-tu à garder ces vieilleries d'un autre âge ? » Lui demandent-ils régulièrement.

    Mais elle n'a cure de leurs sarcasmes car dans leurs yeux, elle lit la jalousie à l'état pur de ceux qui n'ont pas la chance comme elle de posséder de si précieuses reliques des temps anciens. Si précieuses parce que si rares au vingt cinquième siècle où les logements ne sont que des lieux de passage hyper fonctionnels, entièrement gérés par la domotique et qui vous obéissent au doigt et à l’œil. Ce qui est précisément son cas puisqu’elle a choisi l’appli clic paupières pour activer toutes les fonctions de ce loft ou elle a élu domicile dès sa majorité, à 16 ans, au cœur même de cette mégapole où elle mène une existence de célibataire indépendante bien remplie depuis 9 ans déjà...

    Mistikella est heureuse et elle gagne très bien sa vie. Elle fait partie des privilégiés de la Cité, à la fois crainte et enviée par les citoyens moyens de Googleland. Et pour cause, elle tient leur destinées entre ses jolies mains...Elle est le PDG incontesté de Googlenet, société puissante sur laquelle elle règne sans partage depuis 5 ans. Elle dirige, conseille, pose et lève les interdits comme bon lui semble. Son droit inaliénable de censure lui permet, sans avoir à en référer à quiconque, de sanctionner toute indiscipline avérée ou non. Elle a le droit et ne s'en prive pas quand elle l'estime justifié, de supprimer un blog ou un site Internet qu'elle juge non conforme à son éthique personnelle. Pire, elle peut déconnecter un internaute ou un « Googlenaute » qui n'a pas l'heur de lui plaire !

    Ses amis l'adorent autant qu'ils la craignent. Ses ennemis la craignent et font semblant de l'adorer... Entre eux, les uns et les autres l'appellent « Le Napoléon du Net» sans savoir qu'elle est au courant de ce sobriquet. Sans savoir non plus qu'elle apprécie ce personnage aimé autant qu'il fut détesté, encensé autant qu'il fut décrié. Oui, ils peuvent ironiser tous ! Elle s’en moque. Elle sait que dès qu'elle apparaîtra, flagorneurs et fanfarons se feront tout sucre tout miel et viendront lui manger dans la main... Concentré de sucre et de miel artificiels bien entendu !

    C'est d'un pas assuré « Impérial ! » se dit-elle in petto en riant sous cape, qu'elle quitte le loft après l'avoir minutieusement sécurisé.

    Elle règle ses semelles anti-G sur le mode apesanteur et pénètre dans le flux tiède de la cheminée gravitationnelle  faisant immédiatement face à la porte de son appartement du 777ème niveau. En deux micros secondes, elle est au sommet de la tour, juste dans le mini parking perso où l'attend sa petite astrauto monoplace, rouge comme tous les véhicules des VIP de Googleland. Elle s'y allonge béate, referme sur elle la bulle protectrice et active l'itinéraire préprogrammé qui lui permettra d'arriver au siège de Googlenet sans lever le petit doigt. .

    Elle doit y rencontrer Karl le prestigieux PDG de Metanet avec lequel elle va signer un fructueux accord de partenariat, après des décennies d’une sauvage compétition, non exempte de terribles coups-bas des deux côtés !

    Elle y sera dans 5 minutes. Elle préfère cela à la méga vitesse de la télé transportation qu'elle n'utilise qu'en cas de force majeure.

    Le minuscule astronef s'élève en douceur jusqu'à son couloir aérien de circulation. À cette heure matinale, il n'est pas encore trop encombré. L'engin rutilant se déplace sans bruit, sans à coup. La voix soft du pilote automatique (elle a programmé le timbre de velours de de Jim Clooney) va la bercer de douces paroles durant ce court mais délicieux trajet jusqu'à Googlenet. Elle ferme les yeux...

      Soudain, la voix inquiète de son idole la sort brutalement de sa langoureuse béatitude :

     « Mistikella, Mistikella ! Nous avons été heurtés par un astronef non immatriculé... Nous tombons, nous tombons... »

      - AHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!

      Derrière son écran qui s'est mis en veille, le nez presque sur le clavier, An’Maï se réveille en sursaut...

    Zut ! Trop tôt, comme d'hab' ! Encore une fois elle a raté la fin ! Elle ne saura donc jamais si Mistikella s'en est sortie...Sûrement ! L'invisible pilote à la voix de velours aura su redresser la situation à la dernière seconde, juste avant l'impact mortel avec le sol de Googleland

    C'est presque matin. L'invétérée noctambule s'est une fois de plus endormie sur son clavier, devant sa page Facebook. Son mari va la gronder, c'est sûr, ça lui arrive trop souvent ces derniers temps... Les commentaires se sont affichés pendant qu'elle dormait.Et les petits mots sur Messenger .

    «Alors An’Maï, pas encore couchée toi non plus ? » « À demain l'oiseau de nuit ! » « Salut la couche tard ! Moi, je vais au lit ! » « Bonne nuit An’Maï ! @+ ».

    Combien de ses amis(es) sont comme elle, encore devant leur écran à cette heure indue? Plus que probablement, la plupart d'entre eux dort depuis longtemps du sommeil du juste ! »

    Sa nuit va être brève pour ne pas changer !

     

     ***

    Mystification (suite)

     

    Zzzzzzzzz ….Le bourdonnement est si ténu, qu’elle le ressent plus qu’elle ne l’entend. Il a pris possession de tout son corps meurtri. Dans sa bulle aseptique tiède et confortable du Robopital de Googleland, Mistikella se réveille et s’agite soudain, en proie à une sourde inquiétude. Que fait elle ici, et surtout, pourquoi est-elle envahie de bizarres réminiscences ? Qui est cette…An’Maï dont le fatras d’idées hallucinantes squatte son propre cerveau ?

    -Matricule B725, cessez de vous agiter. Ronronne la voix désincarnée et lénifiante d’un robot-infirmier. Vous perturbez le travail des nanomorphes dans votre organisme.

    MatriculeB725… Elle est donc dans le service des polyblessés… Pourquoi ? Que lui est-il arrivé qui nécessite son admission au Robopital ? Elle ne parvient pas à se souvenir en dépit de cette prodigieuse mémoire dont elle est si fière ! La faute à ce bouillonnement étranger qui en parasite le siège.

    Une légère sensation de piqûre à la base de son cortex cérébral, puis une autre à la saignée de son bras droit…Elle sursaute et grimace. Dans son corps malmené, le bourdonnement s’intensifie.

    - Matricule B725, Nous venons de vous injecter 2 doses supplémentaires de nanomorphes.

    Reprend la voix métallique du Robot infirmier

    - Pourquoi ?

    - Le dernier holoscan a laissé apparaître des microlésions résistantes au centre même du siège de votre mémoire. Une injection de psycho-nanomorphes s’est avérée indispensable. Ainsi qu’une seconde injection de nano réparateurs pour quelques petites lésions internes au niveau du foie et de la rate.

    - Mais…

    - Rien de grave B725. Les lésions externes sont en cours de résorption totale. Votre rate et votre foie seront eux aussi réparés dans une heure si vous cessez de réfléchir et de vous agiter ainsi.

    - Mais…

    - Reposez-vous Matricule B725 ! C’est un ordre. Nous ne pouvons vous administrer de nouveaux tranquillisants. Ils ralentiraient l’action réparatrice des nanomorphes.

    Le ton du robot infirmier a beau être monocorde, il recèle pourtant une charge de suggestion si puissante que Mistikella ne peut lui résister. Elle s’efforce de se détendre et de faire le vide dans son esprit occupé.

    Zzzzzzzzzz! Pas vraiment apaisée, elle ferme néanmoins les yeux et, bercée par le bourdonnement des nanomorphes dans son corps et dans sa tête, elle ne tarde pas à s’endormir…

    Instantanément, elle retombe dans ce rêve étrange qui l’emplit à la fois de curiosité et de crainte.

    Anne-Marie… Quel drôle de prénom ! Tellement désuet ! Et ces trucs devant ses yeux, maintenus derrières ses oreilles par des espèces de petits bras recourbés...C’est quoi ? On dirait...du….du verre ! C’est ça, du verre ! Elle se souvient. Elle possède, entre autres trésors précieux des temps anciens, deux bibelots en verre. Un récipient creux et profilé à long col dont elle ignore l’usage. Pas encore eu le temps de se renseigner à ce sujet. L’autre représente un petit animal avec un tel luxe de détails morphologiques qu’elle en est émue chaque fois qu’elle le regarde. Celui-là, elle sait qu’il s’agit d’un …chat. Un chat en… verre filé ! Minuscule, transparent et si beau, si adorable, si fragile aussi, qu’une fois, elle a été jusqu’à gifler violemment son meilleur ami, juste parce qu’il avait failli le laisser tomber !

    Anne-Marie. Le nom explose dans son crâne endolori par l’incessant bourdonnement des psychonano… Elle la voit, comme si elle se tenait derrière un miroir sans tain… Miroir sans tain….c’est quoi encore ce truc ? Et cette femme un peu enveloppée dans des rondeurs inimaginables aujourd’hui, la tête couverte d’une épaisse toison châtain disciplinée, certes mais…beurkkkk ! Qui est-elle ? Et surtout, pourquoi feint elle de s’appeler An’Maï, assise devant ce qui paraît être un de ces ordinateurs préhistoriques, tels ceux que les anciens-anciens utilisaient au 21ème siècle ?

    Ses doigts boudinés et malhabiles pianotent avec une stupéfiante lenteur sur un énorme clavier noir. Sur l’écran, une…page blanche sur laquelle les lettres, les mots, s’alignent laborieusement. La femme ne se sert que de deux doigts. À quoi bon en avoir dix à sa disposition alors ? Vraiment loufoque cette…Anne-Marie  !

    Secouée, Mistikella s’aperçoit soudain qu’elle peut voir, à travers les yeux de la femme chevelue, ce qu’elle est en train d’écrire...

    - AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !

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  • Commentaires

    1
    Samedi 23 Septembre 2023 à 15:11

    J'adore ce texte, je me suis vue au 25 ème siècle. J'adhère à la douche programmée, aux clignements des yeux pour faire les choses, à tout ce progrès, mais moins au robot infirmier. 

    Bon week-end.

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