• Le Septième Rassemblement- L'appel

    Le Septième Rassemblement- L'appel

     

     

    Anne-Marie Lejeune-2011

    ISBN 978-2-9531950-6-4

     

    C'est un monde nouveau, un monde plus loin dans le temps...Un monde débarrassé de la pollution, des maladies incurables y compris la vieillesse, de la guerre, de la criminalité et autres fléaux de la fin du XXème siècle et du début du XXIème. C'est un monde rescapé d'une longue et sanglante période baptisée "Grande Crise" par les survivants et gouverné à l'échelle planétaire par un panel de Sages.

    C'est dans ce monde guéri de tout sauf de la peur du retour à l'obscurantisme de la "Grande Crise" que vont se rencontrer deux êtres que tout oppose. Elle est normale et libre, lui est considéré comme un danger public et doit, avec les siens, se cacher pour survivre. Pourtant, leur rencontre va peut-être bouleverser l'ordre établi par les Sages...

    "L'appel" est le premier tome du septième Rassemblement, il relate l'histoire étrange de cette rencontre hors normes. Et tout est résumé par ce "hors-normes", vous allez le découvrir en vous plongeant dans ce roman d’anticipation où se mêlent le rêve total à une possible réalité future, l’amour le plus pur  à la haine la plus violente, la parfaite tolérance au rejet absolu de la différence…

  • Plus de mille membres de la Roue avaient été présents en Bretagne mais toute à la joie de ses noces, elle ne s'en était pas vraiment souciée. Pas plus qu'elle n'avait remarqué que son mari la quittait pendant qu'elle dormait pour se rendre à des réunions secrètes, avant de la rejoindre dans leur lit au petit jour.

    Leurs vacances en Provence furent idylliques. Ils se partagèrent entre les réunions d'État major du mouvement, la famille et les amis. Les gens de Pourrières furent rapidement conquis par ces géants aux yeux bleus, tout comme ils l'avaient été par Fleur de Lune. Il avait suffi pour cela qu'ils se mettent à les guérir gratuitement et rapidement, de tous les petits maux et bobos qui ne nécessitent pas une visite chez un médecin agréé : coupures, brûlures, entorses et foulures, migraines intempestives ou règles douloureuses…Quel bonheur pour eux d'être instantanément guéris ! Même s'ils prenaient ces drôles de zèbres pour des rebouteux d'un autre temps, leur profonde bonté désarmait les plus réticents.

    Quant aux enfants, ils avaient l'impression de se retrouver en face de héros fabuleux sauveurs de l'humanité, tels ceux qu’ils découvraient dans les livres-puces des médiathèques publiques. Hawk en particulier, avec les histoires merveilleuses qu'il leur racontait, s'était annexé leur totale dévotion !

    Son diable de mari avait même trouvé grâce aux yeux méfiants des chats de la Villa bleue, partout où il allait, ils le suivaient comme deux ombres furtives.

    Pour se faire accepter et s'en faire obéir, il lui avait suffi, à leur première rencontre, de les regarder droit dans les yeux une seule fois et les deux matous qui quelques secondes avant, feulaient le poil hérissé comme ils l'avaient fait en présence de Fleur, se mirent à ronronner et vinrent se frotter contre ses jambes, pas soumis mais domptés !

    Pendant leur séjour les mariés et leurs amis se cantonnèrent à Pourrières et à la campagne environnante. Trop de gops à Aix-en -Provence. Là comme dans la majorité des grandes villes, depuis quelques temps, ils fourmillaient. La chasse aux mutants n'était pas close, loin de là ! Et la délation était plus que jamais monnaie courante.

    Les parents de Hawk ranimaient avec Félie la braise des souvenirs. Parler de Patrick n'était plus tabou. Le mariage de sa fille avec l’actuel Rassembleur, avait à titre posthume, réconcilié le mari d’Ophélia avec les siens. L’absent était plus vivant que jamais et on lui pardonnait, ainsi qu’à sa femme désormais, d’avoir tenu si longtemps Mary dans l’ignorance de ses origines mais surtout, on pardonnait enfin à Félie d’avoir détourné le premier Rassembleur de sa noble Mission !

    Hubert lui, parcourait la région de long en large, l'appareil photo en bandoulière. Sous l’apparence anodine d’un parfait touriste, il servait en fait d'informateur au reste de l'équipe. Quant à Jézabel, elle ne semblait pas pressée de rejoindre ses pénates ni son cabinet. C'est à la loupe qu'elle étudiait Loup. Le beau Mu constituait un sujet d'étude autrement plus passionnant que ses habituels névrosés. Bon enfant, Loup acceptait de satisfaire la curiosité soit disant professionnelle de la sculpturale psy. Et la curieuse était tellement accaparée par son sujet d’observation, qu’elle ne s’apercevait même pas que lui la dévorait du regard, sans équivoque ni faux prétexte !

    De ces deux-là, qui était le chasseur, qui la proie ?

    Quand elle les surprit fougueusement embrassés, Mary ne se posa plus la question.

    La fin août arriva bien trop tôt pour eux tous. Pour les jeunes mariés en particulier ! Ils allaient subir la première vraie séparation de leur vie de couple. Même si elle devait être courte, cela leur paraissait néanmoins douloureux.

    Hawk avait promis à ses parents de les accompagner au Havre où ils reprendraient le bateau pour les USA. Hubert, toujours aussi dévoué, s'était proposé comme chauffeur. Fleur et Lazaro restaient encore une semaine ou deux chez Félie. Les autres Mus repartaient vers leurs repaires respectifs en attendant le prochain Rassemblement Quant à elle, elle rejoignait Lille par le train en compagnie de Jézabel. Flora et Gaétan les conduiraient en voiture à l'Euro gare de Marseille. Le temps de régler la paperasse et elle retrouverait son mari en Bretagne. Après quoi ils partiraient ensemble pour une destination encore inconnue d'elle.

    - Pour ta propre sécurité mon amour ! Lui avait expliqué Hawk.

    Le 30 août, ils se dirent au revoir. Près du quatre-quatre de Gaétan, Jézabel et Loup se livraient à un bouche à bouche effréné, entrecoupant leurs baisers de promesses éternelles et se jurant de se revoir bientôt. Mary avait embrassé sa mère, ses beaux-parents et ses amis. À présent, serrée tout contre Hawk, elle avait le cœur étreint d'angoisse. Elle avait eu tant de mal à le rejoindre qu'elle répugnait à le quitter, ne serait-ce que pour un temps très court. Elle était au bord des larmes tandis qu'il la berçait contre lui. Ils s'embrassèrent à perdre haleine sous le regard un peu envieux d'Hubert qui attendait près de sa voiture dans laquelle Brave Hawk et Blue Moon avaient déjà pris place.

    Elle ne voulait pas partir, ne voulait pas s'arracher à ses bras.

    - Il le faut ma douce ! Ce ne sera pas si long ! La rassura-t-il en la repoussant légèrement.

    S’il était malheureux lui aussi de devoir la quitter, il ne le montrait pas. C’était inutile, elle le lisait en lui. Entre eux, ce pouvoir-là s’était renforcé ! Pour lui, elle sécha ses larmes et lui montra un visage rasséréné. En aucun cas elle ne devait le priver d’une once de sa force. Il était celui en qui les Mus et leurs alliés avaient placé leur confiance. Il tenait leur avenir à tous entre ses mains.

    La nuit précédente, ils avaient fait l'amour avec une espèce de folie et dans l'excès de la passion, elle avait supplié :

    - Fais-moi un enfant mon amour…Fais moi un enfant.

    Alors il s'était enfoncé encore plus profondément en elle et quand ils avaient joui ensemble, leur orgasme avait eu la violence d’un raz-de-marée. Dans ses yeux, elle lut qu'il s'en souvenait lui aussi. Après un dernier baiser aussi âpre que possessif, ils consentirent enfin à s'écarter l'un de l'autre.

    Elle grimpa dans le quatre-quatre auprès de Jézabel qui essuyait furtivement une larme tandis que Hawk s'installait à côté d'Hubert. Les deux voitures démarrèrent et prirent l'une derrière l'autre la petite rue qui menait hors de Pourrières. Puis, pendant des kilomètres, ils se suivirent roulant de concert jusqu'à ce que leurs routes se séparent.

    « À bientôt mon amour! Qu'importe cette séparation puisque ensuite nous serons toute la vie ensemble ! » Lui lança-t-elle silencieusement en lui faisant signe de la main

    « C'est vrai ! Je t'aime ma sirène ! À dans deux semaines en Bretagne ! C’est de là que nous partirons pour notre nouvelle demeure. Sois prudente ! »

    Oui ! Bientôt, dans un lieu où ils seraient en sécurité, ils commenceraient vraiment leur vie à deux et ce serait merveilleux !

     

    Fin de la première partie


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  • 7 juillet, presqu’île de Quiberon

     

    Accompagnée de Jézabel et d’Hubert, Mary était arrivée en Bretagne la veille.

    Jézabel…

    Le lendemain de sa désastreuse soirée chez les Andrevski, elle l’avait appelée, décidée, quoi qu’il lui en coûte, à crever d’un coup tous les abcès. Hawk n’avait émis aucune réserve. Curieusement, il avait confiance en la thérapsy. Il avait eu raison. Comme elle l’avait fait pour Hubert, Alexeï et Surprise, elle lui avait tout raconté. C’était sans doute son métier de psy qui la rendait réceptive et compréhensive plus que tout autre. Non seulement elle l’avait crue mais encore elle avait été soulagée d’avoir enfin une explication aux dérèglements dont avait souffert son amie.

    Tout devenait clair ! Elle se sentait rassurée dans son ego professionnel. Mieux, elle avait été enthousiaste et brûlait d’approcher ces fameux «Mus» qui représentaient à ses yeux, de merveilleux sujets d’observation. Leur cas, totalement nouveau, était un formidable défi à relever pour une psychothérapeute de sa trempe. De son point de vue en effet, ils n’avaient rien d’anormaux au sens où l’entendaient les hautes autorités médicales. Ils étaient juste « malades », mentalement atteints d’une espèce de dysfonctionnement psychique jusqu’alors inconnu dont leurs dons étranges, probablement d’origine névrotique selon elle, n’étaient que la plus visible des manifestations.

    Or, qui dit maladie, dit guérison et elle se faisait fort d’être celle qui les guérirait, si toutefois ils le lui permettaient.

    C’était à seule fin de lui prouver qu’elle se trompait sur toute la ligne, que les membres de la Roue n’étaient ni malades ni névropathes mais seulement différents, que Blue Hawk l’avait invitée à leur mariage. En outre, il était séduit par sa nature généreuse et par la largeur d’esprit- peu commune en cette époque - dont elle faisait preuve et qui faisait d’elle et de ses semblables - Alexeï entre autres, ainsi que Jean-Hubert à un petit degré inférieur - des alliés de choix dans la lutte que lui et les siens menaient pour reconquérir le droit de vivre au grand jour.

    Il en faudrait d’autres, beaucoup d’autres comme ces trois-là qui deviendraient petit à petit, des semeurs de bonne parole, les pourfendeurs de l’intolérance, les défenseurs d’une vérité qui n’était pas celle du Gouvernement des Sages. Ceux-là, dont la prétendue sagesse s’était effritée à l’usage du pouvoir, prônaient depuis bien trop longtemps un fallacieux bourrage de crâne dont les deux axiomes essentiels étaient :

    « Tout ce qui est normal est bon, tout ce qui est anormal est nuisible. » et « Dénoncer les anormaux est un devoir sacré pour tout citoyen intègre. »

    Ces messages, soit sous leur forme directe, soit sous une forme subliminale, s’imprimaient fortement dans la conscience des populations autant que dans leur subconscient. La prise régulière d’anti-D et autres traitements médicamenteux destinés à se maintenir au top niveau - tous vivement conseillés par les médecins et les thérapsys - rendait les gens malléables et très perméables à ces messages. Mais, comme l'avait dit Hawk, Jézabel, rebelle de nature, avait toujours préféré les bonnes vieilles méthodes de ses anciens collègues d’avant la Grande Crise. À présent, mise au parfum des manigances de l’OMS, plus que jamais, elle s'insurgeait contre cette organisation puissante mais tellement frelatée.

    Ainsi, pour tous ceux de ses patients qui s’étonnaient de ne jamais repartir avec une ordonnance, elle avait dans sa pharmacie personnelle, des tas de boîtes de placebo qu’elle leur remettait gratuitement, arguant que leurs séances chez elle était déjà suffisamment onéreuses sans y ajouter le coût de médicaments dont elle, disposait sans bourse délier.

    Alexeï lui, était malheureusement beaucoup plus tributaire qu'elle des directives de l'OMS. Dans les traitements qu’il prescrivait, il y en avait une part absolument nécessaire dont la suppression se serait avérée dangereuse. Aussi, le cabinet de Jézabel et ceux de ses confrères qu’elle avait gagnés à la rébellion, se remplissaient-ils des patients qu’il leur envoyait, afin qu’ils contrecarrent les effets pernicieux des traitements qu’il était obligé lui, de prescrire s’il ne voulait pas attirer l’attention sur lui ni risquer le moindre blâme ou la moindre tracasserie de la part de l’Ordre des médecins

    Le chirurgien n’assisterait pas au mariage. Il était impératif qu’il reste auprès de sa femme dont la colère et la hargne envers Mary ne désarmaient pas. Il lui fallait la garder sous contrôle afin qu’elle ne se laisse pas aller à une dénonciation dont elle mourait d’envie. Seule la peur de fâcher son mari, pire de le perdre, la retenait de mettre son projet à exécution. Afin d’éviter que les deux femmes ne se retrouvent en présence et à la requête expresse de Surprise dont c’était le prix du silence, il avait changé Mary de service. Il n’avait rien voulu savoir lorsqu’elle avait exigé son renvoi mais il avait cédé quand elle avait menacé de tout dire si elle réintégrait la Matobs de ses débuts d’infirmière, ainsi qu’il l’avait souhaité.

    - Elle ne doit plus toucher aux bébés, promets-moi qu’au moins, elle ne retournera pas en Matobs, sinon je ne réponds plus de rien.

    Mary s’était donc retrouvée en médecine courante. Une tâche très subalterne au regard de ses états de service.

    En Chirec, nul ne comprenait cette rétrogradation car c’en était une. Cependant, si les rumeurs allaient bon train, c’était surtout concernant cette brouille aussi soudaine qu’évidente entre les deux inséparables de toujours mais le « patron » et son bras droit, la terrible Hortensia, les faisaient impitoyablement taire sous peine de représailles administratives.

    Ce n’était donc pas son amie d’enfance qui lui servirait de témoin ainsi qu’il avait été prévu pour son mariage avec Hubert. Jézabel avait volontiers accepté de la remplacer et de partager ce rôle avec Fleur, tandis que l’exemplaire ex-fiancé, bon prince, accomplirait conjointement cette tâche auprès du futur marié, avec Lazaro. Deux Normaux et deux Mus, c'était le souhait qu'avaient émis en même temps Mary et Hawk.

    Dès leur arrivée à Kerhostin, Hawk les avait conduits à un charmant et discret petit hôtel jouxtant une plage privée, tenu par l’un de ses amis. Après l’avoir tendrement embrassée sur le perron, il l’avait plantée là sans plus d’explication qu’un bref :

    - Tu dois être fatiguée, alors bonne nuit mon amour !

    Et il était parti, la laissant quelque peu mortifiée. Elle s’était retrouvée seule dans sa chambre, totalement ignorante du lendemain. Elle ne savait rien du déroulement de la cérémonie.

    « Bon sang ! C’est mon mariage après tout ! » Pensait-elle agacée, pire même, en colère qu’ « on » ne l’ait pas d'avantage informée sur un sujet qui la concernait au premier chef. Elle était si énervée, qu'elle ne parvenait pas à s'endormir malgré la fatigue du voyage. Dans la chambrette, pas de clim !

    - Fichtre ! C'est le moyen-âge ici ! Fulminait-elle en se tournant et en se retournant entre les draps poissés de sueur.

    À 2h du matin, elle ne dormait pas encore. Les nerfs à vif, elle bourrait son oreiller de coups de poings rageurs en maudissant son tortionnaire dont le rire silencieux lui parvenait, assorti d'un « Patience mon amour ! » qui ne la calma pas, au contraire. Ce fut probablement la colère qui finit par l'épuiser car elle s'endormit enfin…

    Un poids près d'elle la réveilla au petit jour. Un souffle sur sa joue…Ouvrant les yeux, elle le découvrit, penché sur elle, qui la contemplait avec adoration. Ses extraordinaires yeux d'azur détaillaient amoureusement les courbes de son corps nu que le drap ne recouvrait plus. Maudite chaleur ! Ce regard de braise l'enflamma la faisant trembler de désir. Toute rancune abolie, elle tendit les bras vers lui. Il s'abattit sur sa bouche, la dévorant d'un baiser si profond qu'elle en défaillit.

    - Mary, j'ai envie de toi…Murmura-t-il en se redressant, le souffle court.

    - Moi aussi mon amour… Maintenant !

    En quelques secondes, il fut nu, couché sur elle. Ils firent l'amour sans plus de préliminaires tant ils étaient affamés l'un de l'autre. Quand ils se réveillèrent, le soleil s'élançait déjà à la conquête du ciel bleu.

    Lovée contre Hawk, son ventre contre les fesses dures, Mary-Anne n'avait guère envie de se lever. Elle lui entoura la taille de son bras libre puis se mit à lui lécher la nuque du bout de la langue. Il frémit mais ne bougea pas. Elle laissa alors sa main glisser doucement du ventre plat vers le sexe au repos. La réaction ne se fit pas attendre.

    - Chérie… s'il te plaît … Râla-t-il sourdement.

    - Hum… Fit-elle en poursuivant sa caresse.

    Il lui saisit fermement le poignet pour l'empêcher de continuer mais elle résista se pressant encore plus étroitement contre lui. Il n'eut d'autre recours que de s'arracher à l'exquise torture et de bondir hors du lit pour lui échapper.

    - Hawk… pourquoi …

    - Pas maintenant chérie… il ne faut pas…

    Mais le ton rauque, l'air égaré, la main qu'il se passait et repassait fébrilement dans les cheveux et surtout le sexe érigé démentaient le propos. Il crevait d'envie de reprendre leur joute amoureuse. Le spectacle tentant qu'elle lui offrait, nue, provocante, les seins dressés, n'était pas fait pour le laisser de marbre. La coquine !

    - Hawk …

    - Non mon amour. Il est déjà 6 h, l'heure tourne et la journée va être longue. Aurais-tu oublié que tu te maries aujourd'hui ?

    Il ramassa ses vêtements épars et courut s'enfermer dans la salle de bain où il se doucha à l'eau glacée pour calmer ses ardeurs. Quand il en ressortit, habillé à la va-vite, la chemise ouverte sur son torse encore humide, pas rasé, elle trouva qu'il ressemblait à l'un de ces aventuriers magnifiques et virils, héros des films de son adolescence et elle fut de nouveau en proie au désir. S'il le vit et le devina sans peine, il ne s'y laissa pas prendre.

    - Fais-toi belle, je reviens te chercher dans deux heures.

    Et il quitta la chambre en courant presque, fuyant son regard enjôleur et les bras qui se tendaient vers lui. Elle éclata d'un rire joyeux puis se leva d'un bond.

    Il ne lui fallait pas deux heures pour s'apprêter.

    « C'est plutôt à toi qu'il les faut pour te remettre de tes…émotions ! » Lança-t-elle moqueuse, sûre qu'il l'entendrait.

    « C'est vrai mon amour, tu me rends fou… Je t'aime ! » Lui répondit-il de la même façon.

    Comme c'était merveilleux de pouvoir ainsi communiquer à distance, sans restriction !

    Elle ne se maquilla pas. Pas de parfum non plus. Il la préférait naturelle. Sur sa peau nue, elle enfila la longue tunique de soie aux nuances vert et bleu qu'elle avait déjà mise pour lui lors de son premier voyage astral. Entre ses seins brillait le pendentif que lui avait offert sa mère. Elle brossa ses cheveux dorés jusqu'à les rendre crépitant. Aux pieds, des sandales de cuir fauve.

    Rien d'autre. Pas besoin de miroir, elle se verrait aussi bien dans son regard bleu.

    À 8 h, il l'attendait à l'entrée de l'hôtel. Elle sortit à sa rencontre. Il s'attarda sur sa silhouette ondoyante, gainée de soie. Elle rayonnait !

    - Tu as vraiment l'air d'une sirène avec cette tenue mon amour ! Je vais avoir du mal à tenir jusqu'à ce soir. Viens ! Dit-il en l'entraînant.

    Main dans la main, ils traversèrent le petit village breton jusqu'à la falaise de la « Pierre levée » où les attendaient leurs parents et leurs amis. C'était la première fois qu'elle découvrait Kerhostin en plein jour. C'était vraiment joli et miraculeusement épargné par le modernisme !

    Ici pas de béton ! Elle aima les petites maisons basses. Protégées du vent marin par des haies de tamaris odorant. Elles y faisaient face à l'océan, de part et d'autre de l'unique route et de la voie ferrée qui desservaient la presqu'île jusqu'à la pointe de Quiberon. D'un côté, des falaises granitiques déchiquetées battues par les vagues, de l'autre de belles plages dorées au sable granuleux et piquant. Non loin de là, dominant les rochers, le fort de Penthièvre, une ancienne place militaire désaffectée. La lourde et vieille bâtisse aux épaisses murailles dont les souterrains avaient fait office de prison durant la deuxième guerre mondiale du XXe siècle, servait depuis des lustres de refuge aux squatters de tous poils. Ces jours derniers, beaucoup d'entre eux étaient des membres de la Roue.

    Ils parvinrent enfin au lieu de rendez-vous. Sur la falaise, dans la chapelle des marins, le vieux prêtre de la nouvelle Église les maria selon le rite œcuménique en rigueur. Ce fut rapide. Seuls leurs témoins assistèrent à cette courte mais intense cérémonie. Pas de mariage civil bien sûr, c'eût été dangereux. Ensuite, ils se rendirent à la « Pierre levée » où se trouvait le reste des invités.

    Il y avait là les amis de Pourrières, ceux de la Roue et les autres mêlés aux autochtones ravis et curieux d'assister à un mariage consacré par un rituel inconnu d'eux, celui de la Roue Universelle. Descendants des Celtes, tout pétris de légendes et encore imprégnés de leurs propres rites ancestraux, ils savouraient d'avance l'événement. Mary non plus ne connaissait pas et elle en frémissait d'excitation. Ce moment allait être sacré entre tous à ses yeux, C’était en effet seulement après cette union scellée au pied du menhir, qu'elle se sentirait vraiment la femme de Blue Hawk, petit-fils d’un chef navajo.

    Une clameur joyeuse les accueillit. Un petit groupe se détacha de la foule assemblée, car c'était bien une foule hétéroclite et vibrante de joie qui les attendait ! Une silhouette familière se précipita vers elle, bras tendus.

    - Maman ! S'exclama-t-elle, émue.

    Elles s'embrassèrent en riant.

    - Bon anniversaire ma chérie ! Clama Ophélia.

    Puis, sans crier gare, elle lui ceignit le front d'un mince bandeau de cuir fauve où elle avait gravé le symbole de la Roue.

    - C'est vraiment mon cadeau cette fois ma chérie ! Dit-elle avec un sourire de connivence.

    Ensuite, elle passa à Hawk, lui demanda de se baisser un peu et fit de même. Après quoi elle l'embrassa à son tour affectueusement.

    - Bon anniversaire à toi aussi mon petit !

    À ces mots, l’assemblée partit d'un grand éclat de rire, tandis qu'imperturbable la petite bonne-femme se dirigeait vers Fleur de Lune pour lui faire subir le même sort affectueux.

    - Bon anniversaire Fleur ! Je suis si heureuse de te revoir en de telles circonstances !

    Étourdie de bonheur, tant par la présence de tous ces gens venus pour eux que par sa mini tornade de mère, Mary réalisa enfin que ce jour, en effet était celui d'un triple anniversaire.

    Elle courut enlacer celle qui était déjà devenue sa belle-sœur puis elle se coula dans les bras de Hawk et l'embrassa sur la bouche.

    - Bon anniversaire mon amour !

    - Bon anniversaire à toi ma sirène ! Répondit-il et il reprit voracement les lèvres qu'elle lui tendait sous les acclamations de la foule en liesse.

    Deux autres personnes s'approchaient. Des inconnus, un homme et une femme qui lui rappelaient…Ils étaient tous deux très grands, bruns de cheveux, la peau tannée par le soleil. Ils portaient beau une soixantaine vigoureuse.

    En les voyant près de Hawk, elle sut qu'il s'agissait de ses parents. Ils la dévisageaient d'un même regard doux et bleu comme la mer. C'étaient des Mus. L'amour qu'ils se portaient transparaissait dans la façon qu'ils avaient de se tenir l'un près de l'autre, main dans la main

    - Ainsi nous te rencontrons enfin mon enfant ! Lui dit la femme en la serrant dans ses bras.

    - Ton père était l'un de mes amis les plus chers et tu lui ressembles malgré tes cheveux blonds ! Ajouta l'homme en l'enlaçant à son tour.

    - Voici, ma mère, Blue Moon, dit fièrement Hawk. Fille de pêcheurs bretons, elle s'appelait autrefois Gwenaëlle le Crouhennec et elle vivait ici. Ses parents sont morts à présent mais sa maison natale existe encore ! Je te la montrerai. Le prêtre qui nous a mariés l'a baptisée, il avait alors à peine 30 ans. Quant à ce grand gaillard qui t'étouffe…Lâche-la donc papa, tu vois bien qu'elle a du mal à respirer !

    Le « gaillard » ainsi interpelé s'exécuta. Elle put ainsi reprendre son souffle et ses esprits tandis que son fils, si semblable à lui, poursuivait :

    - Cet ours mal léché donc, c'est Brave Hawk, mon père, fils d'un chef navajo et d'une squaw apache. Ils vivent tous deux à Phoenix mais se rendent fréquemment chez nos frères dineh - c'est le nom originel des navajo- qui ont fini par faire refleurir Black Mesa. Après avoir été la plus pauvre et après des années de résistance et de lutte contre le gouvernement américain qui la grugeait et la spoliait, notre Big Moutain est devenue la réserve indienne la plus peuplée et la plus prospère du pays.

    - Je suis très heureuse de faire votre connaissance ! Et merci d'être là, vous êtes venus de si loin ! Leur dit-elle émue aux larmes.

    Elle réalisait qu'ils avaient connu son père. Hormis le fait qu'ils avaient engendré Hawk, qu’ils aient été proches de Patrick, les rendaient déjà chers à ses yeux.

    - L'Amérique est lointaine, c'est vrai ! Cependant, grâce au Pouvoir de la Roue, ses membres ne sont jamais très loin les uns des autres… Tu es très belle Mary, mon fils a bien de la chance ! Dit Brave Hawk

    - Aussi belle qu'il t'avait décrite ! Renchérit Blue Moon

    Afin de couper court à cette avalanche de compliments qui s'amorçait et l'embarrassait visiblement, Hawk la reprit dans ses bras.

    « Ô oui tu es belle et tu es mienne ! » Lui transmit-il puis tout haut :

    - Viens ma douce ! Il est temps maintenant de nous unir devant la Roue Universelle et de consacrer par cet engagement mutuel, l'union des deux mondes. Car tu seras la première Élue à épouser un Mu…

    - Je croyais que…

    - Oui, il y a déjà eu des mariages entre Mus et normaux, cela tu le sais ! À commencer par tes parents. Mais jamais d'union entre un Mu et un Élu. Des liaisons tout au plus ! Jamais de mariage. Et aucun enfant issu de ces aventures.

    Notre mariage bouclera la boucle. Ton père devait le pressentir lorsqu'il a dessiné le motif de notre signe de ralliement : un triangle d'or dont chaque côté représente un monde : le nôtre, celui des Normaux et le tien qui rassemble les deux autres. Le cercle rubis, c'est le sang rouge qui est commun à tous. Quant à l'étoile d'émeraude, c'est toi. Je crois qu'il savait malgré sa fuite que son enfant retournerait vers les siens. Lui seul semble-t-il, était capable de voir l'avenir. Il a bien essayé de t'en préserver mais il savait qu'un jour, tu me rencontrerais. Peut-être même le voulait-il puisque c'est à moi qu'il a transmis son legs.

    Elle comprenait d'un coup le rôle écrasant qui lui était dévolu. Était-ce pour cette raison qu'il…

    - Non mon amour ! C'est toi que j'aime, pas l'Élue. Dès que j'ai découvert ton existence, je t'ai cherchée. Je vous ai cherchées ta mère et toi.

    Il est vrai que c'était à la demande des Anciens de la Roue. Je devais vous observer. Toi particulièrement ! Il nous fallait savoir si tu avais grandi avec le Pouvoir des nôtres. Hélas pour nous, tu étais normale, totalement inconsciente de tes dons et encore très éprouvée par la mort de ton père mais belle, si belle ! La première fois que je t'ai réellement vue, j’ai eu le coup de foudre et j'ai compris alors que tu serais à moi. Je te revois encore, tu marchais dans la rue, ignorante du regard dévorant qui te suivait. Pendant des années, je t'ai observée de loin, je t'ai regardée vivre.

    Ce que je voyais renforçait chaque jour un peu plus l'amour que je te portais. Pour toi, j'ai abandonné celle qui m'était destinée. J'ai suscité la colère des Anciens parce que m'éprendre de la fille d'un paria, c'était une insulte à la Roue mais j'ai tenu bon et durant des années, j’ai attendu que tu sois prête à comprendre. Je t'aime chérie et je t'aurais aimée même si tu n'avais pas été la fille de Patrick ! Tu me crois ?

    - Oui !

    - Alors viens, il est temps !

    La cérémonie se déroula au pied du menhir sacré.

    Un triangle d'or, un cercle humain…Elle avait déjà vécu cela et l'avait rejeté de toutes ses forces ! En vain. Mais cette fois, elle consentait de toute son âme ! Les mots lui vinrent d'eux-mêmes, comme s'ils lui avaient été soufflés par tous les Mus présents. À la place des anneaux, ils échangèrent leurs pendentifs en prononçant la promesse qui consacrait leur amour :

    - À toi mon épouse je m'enchaîne pour la vie ! Clama Hawk en lui passant le sien autour du cou.

    - À toi mon époux je m'enchaîne pour la vie ! Répondit-elle en faisant de même et en le regardant avec adoration.

    Ce furent les quatre témoins qui d'une voix unanime, les déclarèrent unis par le rite de la Roue. Hubert et Jézabel, les deux Normaux, en furent à la fois très fiers et très impressionnés. Dans le cercle parfait formé autour des futurs mariés, ils s'étaient sentis reliés aux autres psychiquement. Cette magique expérience avait commencé en eux une transformation dont ils ressentaient déjà les effets bénéfiques.

    - Vous êtes à présent mari et femme selon le rite de la Roue Universelle ! Que votre union soit indissoluble, heureuse et féconde. Vous pouvez vous embrasser ! dirent-ils en même temps que Fleur et Lazaro.

    Les deux époux sacrifièrent volontiers à ce dernier rituel. Le cercle se défit. Ils n'entendirent pas la foule qui les acclamait et les congratulait. Étroitement enlacés, bouche à bouche, ils étanchaient leur soif l'un de l'autre.

    La fête se prolongea jusqu'au crépuscule et même plus pour certains.

    Fraternelles agapes, joyeuses libations, chants, danses et farandoles se succédèrent sur la falaise où étaient dressées de longues tables, nappées de blanc et couvertes de victuailles. En fait ce fut un gigantesque pique-nique qui se prolongea tard dans la nuit. Les rassemblements familiaux pour les mariages ou les funérailles, n’étaient pas encore interdits, le Saint GUT en soit remercié. De plus, les gops ne patrouillaient que très exceptionnellement dans les trous perdus comme Kerhostin ! Aussi les invités de la noce festoyaient-ils sans crainte.

    On mangeait assis sur des couvertures étalées un peu partout. On discutait, parfois à voix haute parfois en silence selon les groupes qui se formaient çà et là. On riait beaucoup. Un vieux breton entonna même de sa voix rocailleuse, de vieilles chansons de marins dans son dialecte natal. Quand la nuit fut venue, la falaise s'illumina d'une multitude de feux de camp autours desquels on dansait au son du biniou ou de la flûte indienne : des navajos, amis du Faucon bleu, avaient fait le déplacement. Hawk et Mary allaient de groupe en groupe, bavardaient avec chacun, écoutaient plaisanteries et conseils grivois.

    Ils étaient de toutes les farandoles. Hawk se joignit même à ses amis indiens pour une danse rituelle autour du feu. Avec eux, il chanta en navajo. Cela parlait de la pluie, du vent, du soleil et surtout de la Terre, notre mère à tous ainsi que le lui traduisit Brave Hawk. Elle découvrit avec bonheur, la magnifique voix de basse de son mari, un talent qu'elle ne lui connaissait pas encore. Elle avait désormais toute la vie pour les découvrir tous !

    Pas un instant ils ne cherchèrent à s'éclipser malgré leur envie de se retrouver seuls. Ils se devaient à leurs invités dont beaucoup étaient venus de très loin. Pourtant, chaque fois que la danse les rapprochait, que leurs mains se frôlaient ou que leurs regards amoureux se croisaient, leur désir s'enflammait, les laissant étourdis. Mais ils tenaient bon et cette résistance surhumaine, si elle faisait rire leurs amis, suscitait également leur admiration.

    Peu à peu, la falaise se vida. Bientôt, il ne resta plus ici et là, que quelques couples endormis près des feux mourants. Les autres avaient regagné leurs retraites dans le village et aux alentours. Des amoureux isolés, flânaient, enlacés sous la lune puis disparaissaient à leur tour, avalés par l'ombre propice de la nuit. Bientôt, même leurs soupirs et leurs murmures passionnés s'éteignirent. On n'entendit plus que le bruit des vagues et le souffle léger de la brise.

    Ils étaient seuls, enfin !

    L'air était doux, le parfum iodé qui montait de la mer, aphrodisiaque. Hawk l'entraîna entre les rochers sur un chemin escarpé qui descendait vers l'océan. Ils parvinrent à une crique abritée du vent. Une couverture et des vivres dans un panier les y attendaient, déposés là par des amis complaisants. Ils se regardèrent éblouis et tremblants soudain. Hawk étala la couverture sur le sable crissant, posa le panier sur un rocher un peu plus loin. Impatients, ils se déshabillèrent mutuellement et s'allongèrent sur cette couche improvisée.

    - Dieu… Mary, je n'en puis plus ! Souffla-t-il contre sa bouche. Tu es ma femme, ma femme ! Et je te veux !

    - Moi aussi je te veux mon amour, mon mari ! Prends- moi, maintenant, je t'en supplie !

    Il la couvrit aussitôt de son corps et la pénétra d'un seul coup. Ce fut presque brutal. Il allait et venait en elle, aussi sauvage que l'océan un jour de tempête Il la clouait sur le sol de ses puissants coups de boutoir mais elle n'était pas soumise et se soulevait à sa rencontre, cambrée pour mieux répondre à ses assauts passionnés. Elle lui griffait le dos, s'agrippait à ses fesses et les jambes nouées autour de ses reins, le retenaient au plus profond de son ventre. Ils crièrent ensemble quand la jouissance les emporta, telle une lame de fond. Ils retombèrent sur la couverture, pantelants et trempés de sueur. Il leur fallut quelques minutes pour reprendre leur souffle.

    - Pardonne-moi mon amour ! Je t'ai prise comme un soudard !

    - Et je me suis donnée comme une diablesse ! Hum…C'était si bon ! Je crois que j'ai encore envie de toi !

    - Moi aussi ! Je ne peux me rassasier de ton corps !

    - Déjà ?

    - Oublies-tu mon amour que les Mus sont dotés d'un tas de pouvoirs ?

    - Vantard ! Fit-elle malicieuse en se lovant contre sa virilité renaissante.

    - Tu vas voir si je me vante ! Gronda-t-il gentiment.

    Cette fois, ils prirent leur temps. C'est lentement, lascivement, tendrement qu'ils refirent l'amour. Puis ils recommencèrent, encore et encore, grisés de plaisir mais jamais assouvis…

    L'aube les surprit dans les bras l'un de l'autre, enroulés dans la couverture, endormis enfin, épuisés d'amour. Les vivres étaient intacts dans le panier.

    Ce furent les criaillements furieux des mouettes qui avaient entrepris de se les disputer qui les réveillèrent. Le soleil était déjà haut dans le ciel sans nuages.

    Ils se regardèrent, éblouis comme s'ils se découvraient. Leur nuit de noce, magique entre toutes, leur avait paru être cette première fois souhaitée par tous les amants du monde. Elle resterait à jamais gravée dans leur mémoire. Face à l'océan, bercés par le doux chuchotis des vagues qui léchaient le sable mouillé, ils refirent l'amour une dernière fois avant de rejoindre leurs amis.

    Ils restèrent une semaine en Bretagne. Sept jours et sept nuits à s'aimer, à se découvrir. Ils firent des projets. Hawk l'enjoignait de quitter son travail. Il allait devenir dangereux pour elle et où qu'elle l'exerce, elle ne pourrait longtemps cacher son mariage qui devait pourtant rester secret. Le milieu médical était très surveillé. L'OMS et l'Ordre des médecins jouaient parfaitement leur rôle de larbins au service du Gouvernement des Sages

    - Imagine… Que feras-tu quand tu seras enceinte ma chérie ?

    Demeurer à Lille était exclu bien sûr ! Elle savait qu'elle devrait le suivre dans ses errances. En outre, à quoi lui servirait son expérience d'infirmière au milieu des Mus qui maîtrisaient le don de guérison ? Un don qu'elle-même possédait, elle en avait fait l'expérience !

    Elle devait réfléchir. Alexeï lui en avait donné l'occasion en lui octroyant un congé supplémentaire en guise de cadeau de noce. Elle avait jusqu'à la fin août pour organiser son départ de l'Hôpital sans remous, la vente de son appartement et de tout ce qu'il contenait... Une mise en ordre douloureuse mais nécessaire, le chirurgien en convint la mort dans l'âme lorsqu'elle l'appela, au terme de cette semaine merveilleuse, pour lui annoncer sa démission et la lettre qui suivrait dans les jours à venir. Pour expliquer sa décision, elle comptait invoquer son injuste rétrogradation. Un prétexte plausible tout trouvé. Il acquiesça.

    - Comment vivrez-vous ? Tu ne m'as jamais dit ce que fait ton mari !

    - Officiellement, il est anthropologue. Il possède même un doctorat en la matière. C'est suffisant pour expliquer aux curieux la nécessité de ses constants déplacements. Il lui est même arrivé par le passé, de faire des conférences sur d'anciennes civilisations indiennes. Ce fut le sujet de sa thèse et il y excelle ! Mais en fait, il n'a pas réellement besoin de travailler, le mouvement auquel nous appartenons ne manque pas de moyens, ce qui lui permet de protéger les siens.

    - C'est donc bien une secte ? J'ai peur pour toi Mary ! N'avait-il pu s'empêcher de conclure.

    - On pourrait le croire, mais non, je t'assure. ! Ce mouvement - et j'insiste sur ce mot - est né parce que ces gens différents de ceux qu'on appelle les "Normaux", devaient se fédérer pour survivre. Ils mettent leurs biens en commun pour aider leurs propres défavorisés et ceux que leur position au sein de la Roue, exposent particulièrement au danger, comme c'est le cas pour mon mari. Pas de bourrage de crâne chez nous, ni de lavage de cerveau Nul n'est obligé de se déposséder de ses biens pour entrer dans la Roue. Qui a le plus, donne librement à qui a le moins, tu comprends ?

    De plus et en secret, par le biais de prête-nom, ils financent des organisations caritatives, car il semble bien qu'eux seuls se soient rendu compte qu'il y a encore des tas de déshérités dans le monde. Entre autres d'anciens lobotomisés légers reniés par leur famille, qu'ils soignent et aident à se réadapter. Je suis une des leurs mais en dehors de cela, le fait même d'avoir épousé leur leader me met en péril.

    - D'accord ! Je comprends mieux pourquoi tu dois absolument abandonner ton boulot et quitter la ville. Sois prudente Mary-Anne, je t'en conjure ! Surtout si tu reviens ici pour régler tes affaires. Surprise n'a pas abandonné l'idée de te dénoncer. Je dois sans cesse l'en dissuader !

    Ce bref entretien l'avait emplie d'amertume.

    Surprise…

    Hawk l'avait consolée à force de tendresse et de baisers. C'est le cœur déchiré qu'elle posta dès le lendemain sa lettre de démission et passa une annonce sur le net pour vendre son appartement, ses meubles et tout le reste, hormis quelques souvenirs auxquels elle tenait beaucoup et d'autres qu'elle comptait donner à ses amis les plus chers.

    Le 16 juillet, ils partaient en Provence rejoindre Félie qui avait regagné Pourrières huit jours auparavant en compagnie des parents de Hawk, ainsi que de Fleur, Lazaro, Hubert et Jézabel, qu'elle avait tous invités à passer quelques jours au mas. D'autres membres de la Roue avaient suivi le 14. Des fidèles de Blue Hawk qui devaient mettre au point avec lui, les prochaines étapes de la Mission. Leur mariage avait servi de prétexte au second de leurs grands Rassemblements depuis que Hawk avait été intronisé Rassembleur.


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  • 29 juin

     

    Elle arriva sans trop se hâter chez les Andrevski qui les avaient conviés à dîner elle et Hubert Elle était emplie d’appréhension. Son « fiancé » était déjà sur place. Le fait qu’il soit arrivé sans elle intriguait Surprise qui ignorait encore leur rupture. Seul Alexeï savait. Son ami s’était tout naturellement confié à lui. Les deux hommes partageaient désormais un secret dont la future jeune mère était pour le moment toujours exclue. Mais son extraordinaire sagacité lui faisait pressentir que les deux larrons lui cachaient quelque chose.

    Et c’était vrai ! Ils avaient discuté longuement de ce que Mary leur avait appris et avaient encore du mal à y croire mais force leur avait été d’admettre son étrange nature et ce qui en découlait. Aussi s’étaient-ils discrètement renseignés sur les membres de cette fameuse et dangereuse secte des Mutants dont elle leur avait dit faire désormais partie intégrante.

    La liste de leurs supposées exactions était impressionnante cependant, curieusement il n’y avait ni photos ni vidéos sur le sujet. Aucune preuve alors que les reportages de leurs arrestations étaient nombreux, abondamment commentés et très détaillés ! Cela sentait l’arnaque à plein nez, ils en convenaient. En somme, la seule chose qu’on pouvait leur reprocher, c’était leur anormalité. Ce qui en cette époque, était le plus pénalisé des crimes.

    Mary ! Une criminelle ! C’était presque risible ! Ils en auraient d’ailleurs volontiers ri si le simple fait qu’elle appartienne à ce mouvement détestable ne l’avait pas mise en danger.

    Car aucun des deux hommes n’aurait pu se résoudre à la trahir, même Hubert qu’elle avait si profondément blessé. Ils ne pouvaient la voir autrement que comme leur Mary, celle qui accourait dans la nuit pour venir en aide à ses amis !

    Voilà ce que captait la jeune femme qui hésitait à s’annoncer à l’interphone. Quand elle saurait de quoi il retournait, son amie que la grossesse rendait capricieuse et colérique, risquait, elle, d’en faire le drame du siècle. Elle se décida pourtant. Hubert et Al qui subissaient stoïquement la question, avaient assez souffert. Elle sonna et s’annonça. La porte s’ouvrit. « Courage ma vieille ! » Se morigéna-t-elle en entrant.

    - Ah, te voilà toi ! C’est pas trop tôt ! Clama Surprise tout en continuant à gesticuler autour de ses malheureuses victimes.

    Son apparition suscita chez les deux hommes un intense soulagement qu’elle saisit sans peine. Cette fois encore, elle allait devoir trancher dans le vif.

    - Allons la belle ! Cesse donc de t’agiter, c’est mauvais pour ta fille ! Et laisse ces deux pauvres garçons tranquilles, je vais te dire ce que tu brûles de savoir ! Lança-t-elle tout à trac, mettant ainsi fin au calvaire desdits pauvres garçons.

    Surprise stoppa net son manège et la regarda interloquée. Elle ne se souvenait pas lui avoir dit qu’elle attendait une fille. De fait, elles ne s’étaient guère vues en dehors du travail depuis la visite de cette cousine dont Mary ne lui avait jamais parlé. Elle reprit, essoufflée :

    - Comment sais-tu que c’est une fille ? Al t’a dit au moins ! Quel cafteur ! Moi qui voulais te l’annoncer ce soir !

    - Il ne m’a rien dit. Il n’a pas eu besoin, je le sais depuis le début. À vrai dire, j’ai su presque en même temps que toi que tu étais enceinte !

    - Que… comment.

    - Et bien avant l’échographie qui te l’a confirmé, je savais que c’était une fille. Allons, ne t’énerve pas ! Poursuivit-elle en voyant Surprise au bord de l’apoplexie. J’ai encore un tas de choses à t’avouer !

    - Puis-je rester ? Intervint Hubert.

    Elle capta : « Tu vas avoir besoin de soutien ma vieille ! Ça risque d’être encore pire qu’avec moi ! »

    - Tu as raison mon ami ! Répondit-elle tout haut à cette pensée subreptice. Reste, tu as le droit de connaître toute la vérité !

    Il posa sur elle son regard noisette, encore surpris et troublé qu’elle puisse lire aussi facilement en lui.

    - Parce qu’il sait déjà des trucs que moi j’ignore ? Et mon cher mari semble lui aussi dans la confidence à voir son air de conspirateur ! Je me doutais bien qu’ils me cachaient des trucs ces deux-là ! D’abord, c’est quoi ce bazar entre vous ? Tu lui donnes du « mon ami » maintenant ?

    Le ton montait. Surprise commençait à comprendre qu’on l’avait volontairement tenue à l’écart et que ce qu’on lui cachait était grave. Elle en avait oublié le début troublant de la discussion. C’était le moment de se jeter à l’eau.

    - Hubert et moi, nous avons rompu !

    Pâle soudain, Surprise en tomba assise sur le canapé, les deux mains sur son ventre rebondi. Al lui lança un silencieux avertissement. Elle comprenait son inquiétude. Sa femme dormait mal ces derniers jours, le bébé bougeait beaucoup et elle était obligée de prendre des anti-D pour se détendre.

    - Calme- toi ma chérie ! Dit-il en s’asseyant près d’elle.

    - Tu en as de bonnes toi ! Me calmer alors que ma meilleure amie m’annonce froidement qu’elle a rompu ses fiançailles ! Al, tu savais hein ? Tu savais, j’en suis sûre ! Et tu ne m’as rien dit !

    - Pas depuis longtemps ma biche, je te jure ! Et ce n’étais pas à moi te le dire, de toute façon, tu es d’accord ?

    - C’est lamentable ! Tu n’avais pas le droit ! On ne se cache rien toi et moi !

    - Je maintiens que ce n’étais pas à moi de t’annoncer la mauvaise nouvelle, moya lyubovʹ ! Tu ne peux vraiment pas me reprocher ça !

    - Moya lyubov’ ! Y’a bien longtemps que tu ne m’as pas appelée mon amour en Russe ! Y a que quand t’as quelque chose à te reprocher que tu parles dans la langue de tes ancêtres !

    - Il a raison Surprise ! Intervint Mary qui sentait que la température grimpait à grande vitesse !

    - Bon, d’accord ! Alors qui a eu l’initiative de la rupture ?

    Elle regarda son amie dont l’attitude gênée en disait long.

    - Mary ! Ce n’est pas toi tout de même ?

    - Si ma puce, c’est moi! ! Et ce n’est pas le pire !

    - Mais pourquoi bon sang ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait ce pauvre Hubert dis-moi ?

    - Mais rien Surprise ! Hubert n’y est pour rien ! Tout est de ma faute !

    - Explique !

    Et elle expliqua. Tout ! Au fur et à mesure de son récit, elle voyait son amie se pétrifier. Elle pouvait lire en elle et sur son visage toute la gamme des émotions qui la traversaient : incrédulité, déception, indignation, colère, dégoût, haine, peur et rejet. Un rejet total, absolu. Ni peine ni compassion si ce n’est pour le fiancé cocufié. Elle effaçait d’un coup plus de vingt ans d’une amitié exemplaire.

    Cette femme-là, pensait-elle, cette étrangère qui lui assénait la plus horrible des vérités avec un calme surnaturel, anormal, ne pouvait pas être, n’était pas son amie d’enfance !

    Quand ce fut fini, elle se détourna ostensiblement de celle qu’elle avait chérie comme une grande sœur depuis qu’elles étaient toute petites et regarda tour à tour son mari et Hubert, guettant sur leur visage le moindre démenti.

    Mais leur mine fermée ne fit que confirmer la véracité des faits terrifiants qu’avait vomis la gueule du monstre qui ressemblait à Mary. Ce qu’elle venait d’apprendre constituait à ses yeux la pire des trahisons. Mary-Anne Conroy-Defrance, fille de la si charmante et sympathique Félie « Est-ce bien sa fille d’ailleurs ? » était une anormale ! Pire, la maîtresse d’un de ces salauds de mutants ! Et cette cinglée s’en vantait le plus naturellement du monde alors qu’il n’y avait rien de plus contre-nature que ces êtres immondes qui ne méritaient pas le nom d’Hommes ! Elle ne pourrait jamais lui pardonner cette infamie.

    Elle n’eut pas besoin de le crier, Mary lut en elle le cruel verdict.

    - Surprise… Je …

    - Tais-toi ! J’en ai assez entendu ! Espèce de… de…

    - Monstre ? C’est ce mot que tu ne peux prononcer ?

    Hubert baissa les yeux, honteux. Il avait été après Al l'un des premiers à la considérer ainsi, sauf que son ami avait fait preuve d'une plus rapide et plus grande mansuétude. Lui avait éprouvé le même intense dégoût que Surprise et il n’était pas loin de penser encore de cette manière. La pilule restait amère et dure à avaler !

    - Sale hypocrite ! Menteuse ! Comment as-tu osé nous berner ainsi ?

    - Surprise, écoute-moi !

    - Non !

    Elle se bouchait les oreilles tout en continuant à vociférer des injures.

    - Garce ! Sorcière ! Tu es un rebut de l’humanité ! Les répugnantes bestioles comme toi, on les…

    - Enferme ! Je le sais ! On m’a déjà dit ça ! Et j’ai hélas pu le vérifier de visu ! Sais-tu, toi si sensible à la cause animale, qu’on les traître pire que des chiens ?

    - Parce qu’ils sont pires que des chiens !

    - Tu déraisonnes Surprise ! Ce n’est pas toi ! Comment peux-tu proférer de telles insanités ? Tu me connais, t’ai-je jamais fait le moindre mal ? Regarde-moi ! C’est moi, Mary, ton amie !

    - Non, je ne te connais plus ! Tu me répugnes ! Je te hais ! Toi et tes immondes congénères, vous êtes des bêtes visqueuses ! Vous enfermer, ce n’est pas assez ! On devrait vous éliminer ! Tous ! Sors de chez moi ! Tu me donnes envie de gerber !

    Elle était devenue très pâle. Presque grise. Aussi pâle que celle qu’elle insultait de la sorte, crachant tel un venin mortel, ces mots terribles qui faisaient si mal. Mary sentait son cœur saigner et ce sang de douleur qui s’écoulait de ses plaies béantes, lui rappelait celui de son amie, la nuit où elle les avait sauvés de la mort, elle et le bébé qu’elle portait.

    La jeune femme avait tout oublié de ces heures dramatiques, hormis la sensation apaisante des mains de Mary sur son ventre douloureux. Cela lui revenait à présent avec une effrayante acuité. Dieu ! Les sales pattes de cette raclure anormale sur elle…Sur son bébé ! Elle suffoquait…Elle ouvrit la bouche et son hurlement de terreur atteignit Mary plus sauvagement que ne l’avaient fait ses insultes.

    Elle « entendait » dans la tête de son amie, la terreur à l’état pur. Surprise avala une grande goulée d’air et se remit à hurler. Cette fois, les mots allaient franchir ses lèvres décolorées. Mary les connaissait déjà. Elle se mit à sangloter, désespérée.

    - Surprise ! Non ! Ce n’est pas vrai… Ne crois pas…

    Le cri de haine et d’effroi de la jeune femme, jaillit, strident la transperçant tel un coup de poignard. Hystérique, incohérente, Surprise se balançait d’avant en arrière en proférant de terribles accusations :

    - Al, elle m’a touchée…ce monstre m’a touchée…le bébé…mon dieu, mon bébé ! Appelle les gops…chasse-la de chez nous…je ne veux plus la voir…jamais ! Elle me fait horreur ! J’ai peur…si peur…fous le camp salope ! Fous le camp ou je te tue de mes mains !

    Ce disant, elle s’était levée, vacillante et elle fixait sur Mary-Anne la braise assassine de son regard révulsé. Alexeï la rejoignit, prêt à intervenir. Hubert et lui étaient sous le choc, tant à cause du supplément de révélations qu’elle venait de faire que de la réaction violente de Surprise. Cette petite femme si gaie, si aimable, s’était muée sous leurs yeux ébahis en la pire des harpies, le regard mauvais, les traits déformés par la rage, la peur et la répulsion.

    À sa pâleur mortelle, Mary sut qu’elle n’était pas loin de s’évanouir. Surmontant sa peine, elle s’avança pour la soutenir. Folle de terreur, Surprise la repoussa violemment.

    - Ne me touche pas sorcière ! Al, empêche-la de me… j’ai mal au cœur… c’est elle… c’est cette…

    Le chirurgien n’eut que le temps de la retenir. Soudain molle comme une poupée de chiffon, elle s’effondra entre ses bras. Il la porta sur le canapé. Les deux hommes regardèrent Mary-Anne, infiniment désolés pour elle. La confrontation avait tourné au drame. Elle avait le cœur horriblement serré. Les larmes se bousculaient au bord de ses paupières. Elle se rappelait : Hawk l’avait prévenue mais contre toute attente, elle avait espéré que sa petite sœur, son amie la plus chère, comprendrait.

    C’était compter sans les traitements auxquels sa grossesse la soumettait, renforçant d’autant le conditionnement pernicieux qu’elle subissait sans même en avoir conscience. Sa réaction était plus que prévisible. Hawk avait bien tenté de l’y préparer mais c’était bien pire que ce qu’il avait subodoré. Ô oui ! Mille fois pire !

    Elle restait debout, prostrée, le regard fixe, incapable de réagir à ce total désastre. Hubert s’approcha d’elle et la serra fraternellement contre lui. Elle tremblait de tous ses membres.

    Sur le canapé, Surprise s’agitait. Elle allait reprendre connaissance.

    - Pars Mary ! Elle revient à elle et il vaut mieux qu’elle ne te voit pas ! L’enjoignit Alexeï désolé.

    - Tu as raison, je m’en vais ! Al …

    - Ne crains rien ! J’ai promis et je tiendrai parole, ton secret sera bien gardé !

    - Mais Surprise ?

    - C’est ma femme, je saurai la convaincre de se taire. Elle ne te dénoncera pas, fais-moi confiance ! J’en fais mon affaire !

    - Merci ! Murmura-t-elle.

    Mais il ne l’entendit pas, trop occupé à la cacher au regard chaviré de sa femme qui se redressait péniblement.

    - Reste tranquille ma chérie, elle est partie ! L’entendit-elle la rassurer tandis que la porte se refermait sur elle et Hubert.

    Ce dernier avait décidé de la raccompagner. Elle avait accepté. Ses jambes ne la portaient plus ! Chez elle, l’image astrale de Blue Hawk l’attendait. Son ex-rival eut un mouvement de recul.

    - Excusez-moi, je vais partir !

    - Non, restez Hubert !

    - Vous êtes …

    - « L’autre », c’est exact ! Ça va ma douce ? Allons, remets-toi ! C’est fini !

    - Vous ne manquez pas d’air vous ! S’insurgea l’architecte dont la jalousie se rallumait à la vue de cet Apollon qui appelait Mary-Anne « ma douce » avec cet accent qui trahissait ses origines outre-Atlantique.

    Vindicatif, il marcha vers l’athlète aux yeux bleus qui lui avait volé sa fiancée. Mary s’interposa. Elle était plus que fatiguée des vociférations et des injures. Avec lui d’abord puis avec Surprise, elle avait eu sa dose.

    - Calme-toi Hubert !

    - Non mais c’est vrai bordel de merde ! Il était là à faire le beau, ton coq de basse-cour pendant que toi tu…

    - Hubert, ça suffit !

    - Laisse mon amour ! Je le comprends tu sais ! Pour lui aussi c’est le choc en retour ! J’aurais tant voulu être à tes côtés pour cette pénible confrontation mais c’était impossible, tu le sais !

    - Hawk mon amour, Dieu qu’il me tarde d’être dans tes bras !

    - Bientôt ma sirène, bientôt !

    - Mais que signifie… pourquoi dites-vous…vous … vous êtes là ! Balbutia Hubert effaré.

    Il s’avança vers Hawk pour le toucher car il se souvenait soudain de l’une des ahurissantes révélations de Mary : des histoires de déplacement du corps astral…Il tendit la main vers l’homme qui lui faisait face, immobile. Il vit avec stupéfaction ses doigts traverser la haute silhouette pourtant si nette - peut-être pas si nette que ça après tout - et les retira tout aussitôt.

    C’était bien une légère décharge électrique qu’il avait sentie ! Diable ! Quelque peu effrayé, il fit deux pas en arrière, buta sur un fauteuil manquant s’étaler de tout son long. Ce ne fut qu’à cet instant, avec ce recul, qu’il vit, ou crut voir - il ne savait plus très bien - une espèce de halo bleuâtre autour du géant. Car Blue Hawk était vraiment très grand. Ou était-ce l’étrange phénomène qui faisait qu’il était là sans vraiment être là, qui lui conférait cette taille hors normes ?

    - C’est tout à fait ça mon ami ! Lui répondit l’intéressé.

    - Bon dieu ! C’est incroyable ! Tu … tu peux faire ça toi aussi Mary ?

    - Je l’ai fait.

    À ce souvenir très proche, ses joues s’empourprèrent. Son corps devenait brûlant. Hubert allait se rendre compte... Hawk lui sourit tendrement.

    « C’était si bon ! Tu étais nue sous ta robe… Tu m’as rendu fou mon amour ! Tout comme je te rendrai folle lorsque nous nous reverrons réellement ! » Lui transmit-il.

    Puis il s’adressa à Hubert, le tutoyant pour la première fois :

    - Mon ami, tu es à la hauteur de tout le bien que je pense de toi, en dépit du fait que tu aies courtisé la femme que j’aime. Tu te dis qu’elle t’a odieusement trompé, pourtant, tu ne l’as ni rejetée ni dénoncée quand tu as su ce qu’elle était ce malgré ta haine envers moi et ta réticence envers le mouvement que je représente. Tu l’as pardonnée pour tout ça et je sais que même si nous te faisons encore peur, tu es prêt à nous comprendre, à nous aider même. Je me trompe ?

    - Non ! Mais c'est Mary-Anne que j'aiderai, pas vous !

    - Je sais ! Je t’admire néanmoins pour ta grandeur d’âme autant que pour ta largeur d’esprit et je t’en remercie, pour elle, pour les miens et pour moi. À ta place, j’aurais sans doute été moins beau joueur. Puis-je profiter encore de ton infinie générosité.

    - Faut voir !

    - J’ai un immense service à te demander. Tu sais à présent que Mary n’a plus le droit de conduire…

    - À cause de toi mon vieux ! Rétorqua vertement Hubert, adoptant le tutoiement à son tour.

    - C’est vrai ! Inutile de revenir là-dessus !

    - Bon ! D’accord ! Qu’attends-tu de moi ?

    - Peux-tu me l’amener bientôt ?

    - Quand ?

    - Il faudra que tu sois en Bretagne, dans le petit village dont elle t’a parlé, le 7 juillet, pour notre anniversaire qui sera aussi le jour de notre mariage, si elle veut toujours être ma femme après ce que je viens de lui faire subir.

    Il y avait un peu d’ironie amère dans ce dernier propos, preuve qu’il avait été touché par l’attaque de l’architecte. Ce dernier, que l’annonce impromptue de ce mariage si proche replongeait illico dans les affres de la jalousie, serra les poings.

    « C’est moi qu’elle aurait dû épouser ! Moi ! Mais j’ai perdu ! Je l’ai perdue ! » Se disait-il en jetant au géant astral un regard noir. Lequel géant n’entendait que trop bien.

    « Veux-tu toujours être ma femme mon amour ? Dis moi oui, je t’en conjure ! » Pensait Hawk que le silence de Mary emplissait d’angoisse. Il aurait compris qu’elle lui préfère en fin de compte quelqu’un de plus stable et de moins dangereux. Hubert la méritait sans conteste mais lui, la méritait-il ?

    Mary les captait tous les deux en même temps. Elle interceptait les doutes de l’un, les regrets et la peine cachée de l’autre.

    Elle mit un terme à leurs réflexions et répondit à l’homme qu’elle avait choisi et dont la vulnérabilité et l’humilité en cet instant difficile, la touchait au plus profond de l’âme :

    - Oui, je veux toujours être ta femme mon amour, comment peux-tu penser autrement ? S’exclama-t-elle au comble du bonheur, consolée d’un coup de tous les chagrins de la journée.

    - Félicitations ! Dit Hubert très fair-play. Puis il ajouta à l’intention de Hawk :

    - Tu as de la chance mon vieux ! Elle t’aime et elle est…

    - Merveilleuse ! Je le sais et oui, je la rendrai heureuse, c’est promis ! Tu es un authentique gentleman mon ami. Tu aurais mérité qu’elle te choisisse.

    - Je devrais te casser la gueule mon pote ! Et j’avoue que j’en ai parfois encore grande envie mais je serai heureux de te serrer la main lorsque je te rencontrerai en chair et en os Hawk !

    - Bientôt Hubert ! Maintenant pardonne-moi mais j’aimerais rester un peu seul avec Mary avant de… disparaître.

    Le jeune homme embrassa Mary sur les joues, toute rancœur désormais évacuée. En découvrant Hawk et plus encore en entendant la réponse enthousiaste de Mary-Anne à la demande en mariage du Mutant il avait compris qu’il n’était pas de taille à rivaliser avec un tel adversaire.

    Sitôt qu’ils furent seuls, paumes à paumes sans se toucher, les deux amants se livrèrent aux délices et aux tourments de l’amour psychique. Puis il fut temps pour Hawk de repartir. Déjà son aura s’estompait.

    - Il faut que j’y aille ma sirène. Bientôt tu seras près de moi, si près que tu pourras entendre les battements fous de mon cœur. Imagine ma douce !

    - Je t’aime Hawk ! Je t’aime au cas où tu en douterais encore ! Va maintenant !

    Il lui lança un dernier « Je t’aime ! » télépathique tandis que son image se troublait puis disparaissait.


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  • 21 juin

     

    C’était l’été. Cette nuit-là, comme chaque année, tous les amoureux du monde renoueraient avec la tradition de la Saint Jean. Ils allumeraient d’immenses feux de joie autour desquels ils danseraient en renouvelant de doux serments. Cette nuit-là, peut-être les âmes seules trouveraient-elles l’âme sœur ?

    Quant à Mary, elle n’allait pas sauter à travers les flammes mais à travers l’espace pour rejoindre son amour. Il l’attendait sur la falaise de « la Pierre levée ». Elle allait entreprendre pour lui son premier voyage astral.

    « Je joindrai ma force à la sienne et tu y arriveras ma douce ! » Lui avait-il promis pour l’encourager à vaincre sa peur.

    Minuit. L’heure était venue. Elle avait enfilé sur sa peau nue une longue robe de soie aux tons dégradés de vert et de bleu. Elle retombait en plis souples autour d’elle, épousant les moindres courbes de son corps. Ses cheveux étaient dénoués et elle s’était délicatement parfumée pour lui. Elle savait qu’il ne pourrait la toucher mais elle espérait que le Pouvoir lui permettrait au moins de sentir les douces fragrances de son parfum. Elle s’allongea sur son lit, dans le noir total, fermant les yeux afin de se concentrer. Puis elle projeta sa pensée vers la Bretagne. Il lui avait dit que son image suivrait le même chemin Elle l’avait cru bien qu’elle ne sache pas encore comment ce prodige était possible.

    « Hawk, j’arrive ! » Lança-t-elle dans la nuit étoilée.

    Cela suffirait-il ?

    « Je t’attends mon amour! Viens… Viens… Viens ! » Lui répondit-il

    Ce fut cette incantation tant de fois entendue qui servit de déclic. Comment aurait-elle pu lui résister ? En avait-elle jamais été capable ? Tout la portait vers cet homme : un amour infini, un désir insatiable, un monde à partager. Elle l’aimait ! Dieu qu’elle l’aimait !

    Elle sentit l’énergie de cet incommensurable amour l’envahir… Aussitôt, elle se mit à vibrer sous son magique afflux. Étendue, immobile, elle sentit sans oser le regarder, son corps de lumière se dissocier de son enveloppe charnelle. Elle ressentit ce dédoublement comme une déchirure et fut à deux doigts de renoncer tant la souffrance qui l’inondait était aiguë. Mais l’appel de son amant fut le plus fort. Elle ne pouvait pas ne pas y répondre sans risquer un arrachement plus douloureux encore.

    La forme éthérée et scintillante qu’elle était devenue, s’éleva au-dessus du lit puis fut aspirée par l’espace intemporel, happée par une spirale fluorescente qu’elle parcourait à une allure vertigineuse… Sur son lit la Mary de chair eut la sensation terrifiante d’être désintégrée en milliards de particules… Elle hurla en proie à une panique sans nom :

    « Hawk ! Au secours ! »

    « Je suis là ma sirène, ouvre les yeux ! »

    Ça n’avait pas marché ! Elle était en train de rêver, comme d’habitude !

    « Tu ne rêves pas mon amour, ouvre les yeux ! »

    Bien ! Elle avait déjà entendu ça aussi. Elle lui obéit cependant et son cœur cessa de battre. Elle était sur la falaise. Elle entendait le flot rageur de l’océan qui se fracassait en vagues écumantes contre les rochers. Devant elle se dressait, majestueux, tout auréolé de bleu, le menhir sacré. Un joyeux brouhaha lui parvenait.

    Soudain, elle les vit : Brise, souriante, le petit Patrick au creux des bras, se tenait auprès d’un grand gaillard, tendrement serrée contre lui.

    « Nuage ? »

    « Oui ! Des amis de la Roue l’ont fait évader pendant son transfert vers le labo où il devait subir la lobotomie. Une opération risquée dont ils se sont bien tirés, heureusement ! » Répondit le Faucon à sa question muette.

    Il y avait également Fleur. Elle n’était pas seule, un homme magnifique la couvait du regard.

    « C’est Lazaro, son compagnon ! Ils doivent se marier bientôt.» Expliqua-t-il encore.

    Et il y en avait bien d’autres parmi lesquels elle reconnut ses quatre passagers indésirables. Elle se souvenait d’eux, Loup, Vent d’été, Jeronimo, Déborah. Elle n’éprouvait plus la moindre animosité à leur égard. Ils avaient fait partie du complot destiné à l’amener à Hawk, l’homme de ses rêves, l’homme de sa vie. Comment aurait-elle pu leur en vouloir encore. Elle les entendit nettement rire malicieusement et elle se joignit à eux. Puis elle reporta son regard vers cette multitude d’hommes, de femmes et d’enfants, tous aussi beaux que des dieux descendus de l’Olympe, rassemblés là, sur cette falaise où flottait un immense voile de brume bleuâtre probablement dû à leur présence en si grand nombre. Elle sentait leur joie la pénétrer jusqu’à la moelle.

    « C’est pour toi qu’ils sont venus. Ils veulent ainsi te remercier des risques que tu as pris pour sauver Antonio. Ils ont ressenti ton angoisse à l’idée d’entreprendre un tel « voyage ». Ils savent que c’est toujours effrayant et parfois très douloureux pour un néophyte, alors ils se sont joints à moi pour faciliter ton transfert. Voilà pourquoi tu es arrivée si vite. C’est leur merci ! Ils savent que grâce à ton intervention tous les prisonniers d’Australie seront bientôt libres. »

    Son esprit fut submergé d’informations qui fusaient de toutes parts. Les choses bougeaient. Ici et là dans le monde, des tabous se brisaient et un peu de vérité se faisait jour.

    Des Élus, des alliés secrets des Mus, travaillaient dans l’ombre à forcer les blocus mentaux érigés depuis si longtemps par les sbires du gouvernement : la toute puissante OMS tout d’abord qui conditionnait les gens à force de médications rendues quasi obligatoires. Puis les gros pontes de la publicité, grassement payés pour diffuser à longueur de journée des messages subliminaux dénonçant l’anormalité.

    Ces « résistants » recherchaient et décelaient les germes de la rébellion chez tous ceux que leur caractère indiscipliné prédisposait à renâcler contre le système établi. Quand ils en trouvaient un, ils le travaillaient au corps jusqu’à ce qu’il voit de lui-même à quel point ce système était corrompu, à quel point on lui mentait et depuis si longtemps ! Chaque sujet retourné constituait une victoire pour le clan de la vérité. Et il y en avait de plus en plus qui se rendaient compte que la société prônée par le Gouvernement des Sages n’était pas aussi idyllique qu’il y paraissait et que les méchants qu’on leur montrait du doigt, n’étaient peut-être pas ceux que l’on croyait.

    Puis la foule se dispersa pour la laisser seule avec Hawk. Dès qu’ils furent hors de vue, il s’assit sur le sol en position de méditation. Il ne lui fallut qu’une minute pour se dissocier à son tour de son corps de chair et la rejoindre, forme astrale, dans sa bulle bleue. Ainsi réunis, ils purent s’aimer, se toucher. Ce fut presque aussi fort que dans la réalité. L’ineffable plaisir les fit trembler et gémir en même temps. Leur fusion virtuelle dégagea une telle énergie que l’aura qui les enveloppait se mit à briller comme une supernova, attirant les regards et les commentaires joyeux de ceux qui s’étaient éloignés pour leur permettre ce moment béni d’intimité.

    Au terme de cette magique expérience, alors qu’ils reprenaient leur souffle, apaisés, Hawk lui demanda :

    « Mary, mon amour, veux-tu devenir ma femme ? »

    « Oui ! » Répondit-elle sans hésiter, au comble de la félicité.

    Son esprit l’avait criée si fort, que tous entendirent sa réponse. Elle fut accueillie par des hurlements de joie qui lui réchauffèrent le cœur.

    «Tu viens de vivre le premier de nos grands Rassemblements autour de toi ma douce, mon Élue. Sais-tu que ce oui que tu viens de prononcer a valeur de symbole pour nous puisqu’il consacrera, par notre union, l’alliance indéfectible entre Mus et Élus. Notre exemple sera suivi dans l’avenir, j’en suis persuadé ! » Lui transmit Hawk.

    « Je l’espère mon amour ! » Lui répondit-elle

    « Mon cœur, autre chose vient de donner un sens particulier à ce Premier Rassemblement depuis la mort de ton père qui fut, ainsi que je te l’ai dit, le premier Rassembleur des Mus mais aussi le premier à avoir épousé une Normale et à avoir donné la vie à une Élue, toi ! »

    « Ah ! Quel est ce sens dis-moi ? »

    « Bien que tes Pouvoirs se soient affirmés, tu n’as pu te rendre compte, parce que ta présence n’était qu’astrale, que l’aura générée par notre virtuelle union et ce oui que tu m’as donné, ont agi comme une transfusion dans nos veines. À l’issue de ce Rassemblement exceptionnel, notre Pouvoir à tous, le tien compris, s’en trouvera incroyablement renforcé ! Aussi te faudra-t-il redoubler de prudence mon amour, promets le moi ! »

    Elle promit. Ils se quittèrent une fois de plus mais ils savaient que leur séparation serait courte !

    Lorsqu’elle eut refait le voyage à l’envers et réintégré son corps de chair, elle revécut intensément chaque seconde de la magique expérience.

    Les Mus l’avaient accueillie parmi eux, elle avait accepté sa vraie nature, enfin ! Elle allait être des leurs, vraiment des leurs et ce qui lui avait fait si peur auparavant, devenait aujourd’hui source de bonheur infini.

    Cette nuit fabuleuse à plus d’un titre, lui avait permis de puiser chez ses amis le courage et la détermination dont elle allait avoir besoin pour mener à bien la tâche qui l’attendait dans les jours à venir : elle allait devoir parler à Surprise et à Jézabel


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  • 10 juin, Lille, 20h

     

    Elle attendait Hubert. Il n’allait pas tarder à arriver avec un bouquet de roses rouges à la main. Rouge, la couleur de l’amour…Celle du sang aussi. Il était persuadé que ce soir serait le grand soir, celui où ils choisiraient ensemble la date de leur mariage. Quelle serait sa réaction quand elle lui annoncerait leur rupture ? Elle faisait les cents pas, guettant fébrilement le bruit de l’ascenseur. Elle avait demandé à Hawk de ne surtout pas intervenir pendant cette pénible confrontation. Car c’en serait une, elle en était sûre ! Hubert était son problème. Elle tenait à le régler seule.

    Depuis qu’ils s’étaient quittés, quatre jours plus tôt, Hawk la « rejoignait » chaque nuit, projetant vers elle son corps astral ou visitant ses rêves. À présent toutefois, c’était avec son consentement. Au cours de ces fusions psychiques, ils faisaient l’amour de la même façon que sur la falaise. Ou encore, ils discutaient jusqu’à l’aube, faisant des projets d’avenir. Ces rencontres étaient parfois frustrantes mais aucun des deux ne pouvait se résoudre à s’en priver.

    Sauf ce soir !

     

    Se rendant aux raisons de Hawk qui l’enjoignait fermement de ne plus tergiverser avec son « fiancé », elle avait donc invité l’architecte à dîner. Entre-temps, elle avait prévenu Al et Surprise qu’elle reprenait le travail. Ensuite, elle avait appelé Félie pour lui faire part de ses nouvelles intentions.

    En découvrant le visage de Fleur à côté de celui transfiguré de bonheur de sa mère, elle avait compris que cette dernière savait déjà tout. Elle en rougit. Imaginer que la sœur jumelle de Hawk - désormais en effet elle connaissait leurs véritables liens et ne considérait plus la jolie Mu comme une rivale - imaginer donc, que Fleur pouvait deviner sans mal, visualiser même, l’intimité de ses relations avec son frère ! À voir son air mutin, elle en avait même sûrement parlé avec Félie !

    « Ma chère Mary, détrompe-toi, je n’ai rien visualisé du tout ! Mais avoue que ton air béat en laisse deviner plus que tu n’as besoin d’en dire ! » Lui lança mentalement celle qui se considérait déjà comme sa belle-sœur. Et elle « l’entendit » aussi clairement que si Fleur avait été tout près d’elle. Tout comme elle entendit clairement les pensées exubérantes et soulagées de sa mère tandis qu’elles se parlaient de tout et de rien de façon tout à fait naturelle.

    À 20h30, Hubert était là, ponctuel comme à son habitude. Elle le regarda s’avancer vers elle, les mots d’amour aux lèvres et le bouquet de roses à la main. Le cœur soulevé, elle eut honte de ce qu’elle s’apprêtait à lui faire. Elle se sentait l’âme du bourreau face à cette innocente et ignorante victime. C’était un rude coup-bas qu’elle allait lui porter, elle le savait bien ! Il posa les fleurs sur le guéridon de l’entrée et s’approcha d’elle, les bras tendus, pour un fougueux baiser de bienvenue.

    - Bonsoir ma chérie…

    Encore à deux pas d’elle, il fut stoppé net dans son élan par l’air sombre et déterminé qu’elle affichait soudain. L’inquiétude effaça son sourire heureux. Cette attitude réfrigérante ne présageait rien de bon. Il sentait confusément que quelque chose ne tournait pas rond dans leurs retrouvailles.

    Elle le prit par la main l’emmenant au salon où elle le fit asseoir. Il se laissa faire, interloqué. Quant à elle, elle préférait rester debout, loin de lui. Elle trancha dans le vif avant de perdre tout courage devant son air désarçonné :

    - Hubert, je ne t’épouserai pas !

    Voilà, c’était dit !

    Il demeura quelques secondes abasourdi, incrédule puis il se leva d’un bond et l’emprisonna entre ses bras avec l’énergie du désespoir.

    - Tu divagues Anne ! Ou alors c’est une blague hein ! C’est ça, c’est une blague ma chérie ! Tu me fais marcher !

    Coincée contre son torse, elle étouffait.

    - Lâche-moi s’il te plaît, je vais t’expliquer.

    Il ne la lâcha pas, resserrant au contraire son étreinte.

    - M’expliquer quoi ? Que c’est un coup monté entre Al, Surprise et toi ? Où sont-ils d’ailleurs ces deux farceurs ? Sûrement cachés dans ta chambre en train de se marrer non ?

    - Hubert ! Il n’y a que toi et moi ici, et ça n’a rien d’une blague, crois-moi, je t’en prie ! Je ne peux pas t’épouser ! Je n’en ai pas le droit !

    - Tu es folle ! Arrête tout de suite ces conneries ! Rappelle-toi ! On doit décider de la date ! Ce soir !

    Il commençait à perdre son flegme légendaire. Il avait pâli sous son hâle. Ses yeux noisette qui s’étaient assombris, témoignaient de la colère qui le gagnait, effaçant d’un coup l’homme doux et attentionné. Déjà, il était méconnaissable.

    Cette facette de son caractère qu’il ne lui avait encore jamais montrée, lui faisait craindre le pire pour la suite de ses aveux. Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Elle reprit :

    - Lâche- moi Hubert, tu me fais mal !

    Il obéit enfin et se recula. Il serrait les poings, tentant de se reprendre. Elle voyait bien que cela lui était difficile.

    - Bon vas-y ! Explique-moi donc en quel honneur d’un seul coup d’un seul, tu n’aurais plus le droit de te marier avec moi ! C’est quoi le truc ? Tu es déjà mariée en secret, tu as une tare cachée ? Tu es schizophrène ? Anormale ?

    « Si tu savais … »

    - Excuse-moi, je dis n’importe quoi ! Mais bon Dieu, parle à la fin ! C’est de ma faute ? J’ai fait quelque chose qui t’a déplu ? Ou alors c’est parce que je suis trop souvent parti ? Moi aussi je le déplore mais c’est mon boulot qui veut çà ! Quand nous serons mariés, je ralentirai, je te le promets !

    Contre toute attente, sa colère était tombée. Il se raccrochait à des explications plausibles pour lui. Elle ne pouvait le laisser s’embourber d’avantage.

    - Tu n’y es pour rien Hubert ! C’est moi la seule coupable ! J’ai énormément d’amitié pour toi, de l’affection même mais je ne t’aime pas ! Pas comme tu le voudrais en tous cas !

    - Et tu te serais rendu compte de ça seulement aujourd’hui ?

    La colère remontait. Elle se lança.

    - J’ai essayé Hubert, je te le jure. J’ai essayé de t’aimer comme tu le mérites. Je n’ai pas pu. Je me suis trompée, je t’ai trompé et je m’en veux terriblement pour ça ! Pardonne-moi, je t’en prie !

    Elle savait exactement ce qu’il allait dire. Elle ne pouvait lui en vouloir, c’était tellement vrai ! Et pour lui, cela rendait les choses plus faciles. Non pas acceptables mais du moins compréhensibles. Elle l’avait trompé ! Il prenait cette affirmation au pied de la lettre sans savoir pourtant, que c’était la pure vérité.

    - Quand ? C’est l’autre, c’est çà ? Il est revenu et tu… Je ne peux pas croire que tu nous aies fait çà ! Pas toi Mary-Anne ! Tu n’as pas profité de mon absence pour…

    Que lui dire puisque c’était vrai ! Tout était vrai. Elle avait rompu ses promesses envers cet homme intègre…

    - Hubert… je…

    - Tais-toi ! Quel con je fais, putain ! Je me suis fait avoir comme un bleu ! Je t’ai respectée, tu as accepté tous mes cadeaux et dès que j’avais le dos tourné, tu t’envoyais en l’air avec ce type hein ?

     

    Il se sentait bafoué, humilié pour la deuxième fois.

    - Tu as bien dû rigoler pas vrai. Pauvre crétin que je suis ! Moi je t’offre des fleurs, du parfum, je te sors, je te sers de chauffeur gratis et lui il te baise ! C’est équitable non ?

    - Hubert… laisse-moi t’ex….

    - Rien ! Tu ne m’expliques plus rien. Pas la peine, j’ai compris ! Tu ne vaux pas mieux que cette garce qui n’en voulait qu’à mon fric et à ma particule !

    Sous la colère qui enflait, elle sentait sa douleur et elle avait presque aussi mal que lui. Tellement mal qu’elle n’eut pas le temps de capter ses intentions. En une seconde, l’homme ridiculisé se mua en fauve. Il l’empoigna férocement et l’embrassa avec sauvagerie, écrasant ses lèvres, les mordant pour la forcer à les ouvrir, exigeant d’elle une réponse.

    Trop choquée pour réagir, elle sentit le sang s’écouler de sa bouche meurtrie qu’il avait abandonnée pour son cou. Il la tenait d’une main tandis que de l’autre, il relevait sa jupe, agrippait ses fesses, la plaquait brutalement contre son sexe érigé. Il tira sur l’élastique de son slip, l’arracha d’un coup. Le fin tissu ne résista pas.

    - Je vais te baiser salope ! Rugissait-il au comble de la fureur. Tu es à moi ! J’ai bien le droit de prendre ce qui m’appartient non !

    Mon dieu ! Il allait la violer ! Cet homme-là n’était plus Jean-Hubert du Mercy de Combarant. Sa noblesse volait en éclats meurtriers. C’était un fou furieux dont la force était décuplée par la rancœur et par la rage. Il s’attaquait à ses vêtements. Tous les boutons de son chemisier avaient sauté et sa jupe déchirée gisait à ses pieds. Déjà, un genou résolu lui écartait les cuisses tandis que des dents cruelles mordaient ses seins dénudés.

    « Mary ! » Hurla Hawk à l’orée de sa conscience défaillante.

    Elle sortit enfin de l’espèce de torpeur qui l’avait envahie lui ôtant tous ses moyens. Elle se vit, dénudée, violentée par une brute sauvage… Alors elle commença à se débattre. Elle griffait cet homme qu’elle ne connaissait plus, le frappait sur le torse de toute la force de ses poings mais chaque coup redoublait la violence et la détermination de son agresseur. Elle essaya encore de le repousser. De le raisonner aussi.

    - Arrête Hubert ! Tu es fou ! Tu me fais mal ! Arrête, je t’en supplie !

    Mais il ne l’écoutait pas. Plus rien ne subsistait du délicieux cavalier, du parfait homme du monde qui l’avait courtisée et c’était sa faute ! Elle était effondrée, incapable de se défendre contre la bête féroce qu’était devenue Jean-Hubert. Un animal enragé, totalement soumis à la haine et au désir de vengeance.

    « Mary nom de Dieu ! Sers-toi du Pouvoir ! Je t’en prie mon amour, fais-le ! »

    Entre ses seins nus, bien visible, le pendentif devint chaud, puis brûlant, attirant l’attention du forcené qui les malmenait sans écouter les supplications de sa victime. Il la relâcha soudain non sans avoir arraché le bijou de son cou. Il le brandit sous son nez, accusateur.

    - C’est ton amant qui te l’a offert pas vrai ? C’est mieux que ma bague de fiançailles hein ? Tu ne la portes déjà plus ! Pas assez bien pour toi sans doute ? Tu avais bien préparé ton coup ! Ça t’amusait de jouer les oies blanches pendant que tu baisais avec cette ordure ? Tu lui montrais mes cadeaux en te marrant ?

    - Rends-le-moi Hubert ! C’est ma mère qui me l’a offert, je te jure !

    Il la gifla en pleine figure.

    - Assez de mensonges ! Quand te l’a-t-il donné hein? Après que tu aies couché avec lui sûrement ! Avoue !

    Complètement étourdie par la violence de ce qu’elle venait de subir, Mary ne pensait même pas à se rhabiller. Nue, contusionnée de partout, une main sur sa joue rouge, la lèvre inférieure gonflée à cause de la morsure qu’il lui avait infligée en l’embrassant, ses cheveux défaits croulant en vagues dorées jusqu’à ses reins, ses magnifiques yeux aux reflets émeraude brillants de larmes retenues, elle était à la fois superbe et vulnérable.

    Ce fut cette vision qui le dégrisa brutalement et complètement. Seigneur ! Qu’avait-il fait ? Comment avait-il pu…Rien ne pouvait justifier un comportement aussi bestial. Rien ! Pas même le fait qu’elle l’ait trompé. La colère oui ! Mais ce crime qu’il avait failli commettre sur elle ! Jamais il ne se le pardonnerait ! Le pendentif toujours à la main, il s’écroula sur le canapé pas loin de fondre en larmes, écrasé de remords et de honte.

    Le temps qu’avaient duré ses réflexions, Mary avait enfilé une robe de chambre sur sa peau frissonnante, les pans biens resserrés sur ses blessures.

    - Tu n’as rien à te pardonner Hubert !

    Il l’aimait ! Ô oui ! Il l’aimait encore ! Mais elle l’avait trahi bordel ! Après tout ce qu’il avait fait pour elle, après les promesses d’amour éternel et de mariage qu’ils avaient échangées, elle en avait choisi un autre.

    « L’autre », celui qui lui avait fait tant de mal à l’en croire. Elle lui avait menti !

    - C’est vrai ! Je l’avoue, je t’ai menti et pas seulement à toi d’ailleurs ! Mais pas pour les promesses de mariage ! À ce moment-là, j’étais sincère. Je voulais faire ton bonheur, oublier « l’autre » comme tu l’appelles, me donner une chance d’apprendre à t’aimer. Nous donner une chance ! Je voulais oublier qui j’étais et ce que j’étais. Je te jure que si je t’avais épousé, quoi qu’il m’en coûte, je ne t’aurais jamais trahi, tu dois me croire !

    Relevant la tête qu’il avait mise dans ses mains, il la regarda interloqué. Il n’avait fait que penser, il n’avait rien dit tout haut, ça, il en était sûr ! Et voilà qu’elle lui répondait comme si… Diable ! Qu’est-ce que… Qui elle était…Ce qu’elle était …Qu’est-ce que ça voulait dire ?

    - Du calme Hubert ! Je vais te parler de ça aussi… Entre autres choses… Mais d’abord, s’il te plaît, rends- moi mon pendentif.

    - Et si je ne veux pas !

    Avant qu’il n’ait eu le temps de prendre conscience de ce qu’elle faisait, le bijou quitta sa main et s’envola vers elle. Mollement, comme une feuille morte, il se déposa dans sa paume tendue.

    - Diable ! Fit-il encore, estomaqué.

    - Regarde-moi Hubert ! Surtout, n’aie pas peur ! Ce que j’ai à te dire est trop long et trop difficile à expliquer de vive voix.

    - Et comment comptes-tu…

    - Fais ce que je te demande et surtout fais-moi confiance aussi ! Je vais t’apprendre tout ce que tu veux savoir, ce que tu dois savoir. Ensuite, tu pourras prendre ta décision en toute connaissance de cause !

    - Quelle décision ?

    - Hubert ! Par pitié, tais-toi et écoute !

    Elle se plaça face à lui, les enveloppa tous deux d’un halo bleu. Le fixant alors droit dans les yeux, elle pénétra d’un seul coup dans les méandres de son esprit et se lança. Subjugué, il ne put résister à cette invasion. Elle lui dévoila alors tous ses secrets les mieux gardés, de son amour pour Hawk à leur appartenance à tous deux au mouvement que pourchassaient activement les autorités gouvernementales. Elle lui parla des pouvoirs qui étaient les leurs et dont il n’avait eu qu’un tout petit aperçu. Elle avoua tout lui redisant son espoir de n’être pas rejetée de lui maintenant qu’il savait. Puis elle le libéra.

    Accablé, plus blanc qu’un linge, il secouait la tête comme étourdi mais il ne se rua ni vers la porte pour s’enfuir, ni vers le visiophone pour la dénoncer séance tenante. Peut-être avait-il soudainement conscience qu’elle était capable de l’en empêcher ?

    - Tu ne me ferais pas de mal, n’est-ce pas Mary-Anne ?

    - Il semble bien que toi aussi tu sois capable de lire en moi, pas vrai ?

    - J’ai peine à croire que tu sois l’un de ces…

    - Je ne suis pas un monstre. Eux non plus ! Nous sommes juste différents ! Est- ce un crime ?

    - Non ! Évidemment non ! Mais tout de même, c’est énorme ! Quand je pense que nous aurions pu nous marier et…

    - Fabriquer ensemble d’horribles petits monstres à mon image ? Hubert ! Je sais ce que tu penses, rappelle-toi !

    - Je me rappelle surtout que je suis en train de discuter avec une « Élue », c’est bien ça ? D’un tas de choses plus extraordinaires et incroyables les unes que les autres ! Tu fais voler les objets, tu lis dans les esprits ! Bon sang ! Depuis combien de temps lis-tu en moi ?

    - Et bien… À vrai dire Depuis le début !

    Il rougit en se souvenant des pensées très osées qu’il avait eues dès qu’il l’avait vue, la première fois. Elle ne releva pas.

    - Si je comprends bien, tu es…

    - Pas anormale non plus. Voyons Hubert, tu es trop intelligent pour penser de cette façon ! Vas-tu me dénoncer ?

    - Ne lis-tu plus en moi ? Non, je ne vais pas me précipiter au premier poste de police en sortant d’ici ! Je ne suis pas un délateur et puis n’oublie pas que je…Je t’aime encore ! Comment-pourrais-je te faire çà ? Tu as sauvé Surprise et son bébé or, Al ne t’a pas trahie lui ! Tu sais, Je me rends bien compte qu’on nous ment. Tout à l’heure, tu aurais pu me repousser facilement et tu ne l’as pas fait. Toi, je suis sûre que tu es incapable de te servir de tes … dons pour faire le mal mais lui…

    - Bien qu'il ne soit pas là, il aurait pu intervenir, crois-moi et il ne l’a pas fait ! Aucun d’entre eux ne s’est jamais servi de ses pouvoirs pour faire du mal ! Tu me crois ?

    - …Oui !

    Son hésitation avait été quasi imperceptible mais pas pour Mary. Elle la comprenait. Elle comprenait qu’il ne soit pas encore tout à fait prêt à admettre cette terrible vérité : la femme qu’il avouait aimer encore était anormale. Car c’est ce qu’elle était et resterait encore longtemps pour lui, une anormale.

    - Que vas-tu faire ?

    - Pour l’instant, partir. Je ne te trahirai pas, je te le jure. Mais crois-moi, rester une seconde de plus en ta présence me ferait trop souffrir. J’ai tant espéré de notre amour Anne ! Quand j’aurai assumé tout ce que tu viens de me révéler, j’espère que tu accepteras de me revoir et de m’en dire plus sur ces… Mutants, ces Mus, comme tu dis et sur ce Hawk qui t’a volée à moi.

    - Bien sûr et merci Hubert !

    Après son départ, elle s’écroula sur le canapé, toute tension retombée. Alors elle se mit à pleurer à gros sanglots incontrôlables. Presque aussitôt, Hawk fut là, sous sa forme astrale. C’était mieux que rien. Il l’enveloppa de sa tendresse et de son amour. Il avait eu si peur pour elle qu’il avait failli plus d’une fois rompre sa promesse de ne pas intervenir. Ce brave type transformé en cinglé par jalousie, ça aurait pu être lui. N’avait-il pas bouilli de rage et de douleur lorsque Mary, sa Mary, avait été sur le point de succomber au désir d’Hubert ?

     


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