• Chapitre 30

    7 juillet, presqu’île de Quiberon

     

    Accompagnée de Jézabel et d’Hubert, Mary était arrivée en Bretagne la veille.

    Jézabel…

    Le lendemain de sa désastreuse soirée chez les Andrevski, elle l’avait appelée, décidée, quoi qu’il lui en coûte, à crever d’un coup tous les abcès. Hawk n’avait émis aucune réserve. Curieusement, il avait confiance en la thérapsy. Il avait eu raison. Comme elle l’avait fait pour Hubert, Alexeï et Surprise, elle lui avait tout raconté. C’était sans doute son métier de psy qui la rendait réceptive et compréhensive plus que tout autre. Non seulement elle l’avait crue mais encore elle avait été soulagée d’avoir enfin une explication aux dérèglements dont avait souffert son amie.

    Tout devenait clair ! Elle se sentait rassurée dans son ego professionnel. Mieux, elle avait été enthousiaste et brûlait d’approcher ces fameux «Mus» qui représentaient à ses yeux, de merveilleux sujets d’observation. Leur cas, totalement nouveau, était un formidable défi à relever pour une psychothérapeute de sa trempe. De son point de vue en effet, ils n’avaient rien d’anormaux au sens où l’entendaient les hautes autorités médicales. Ils étaient juste « malades », mentalement atteints d’une espèce de dysfonctionnement psychique jusqu’alors inconnu dont leurs dons étranges, probablement d’origine névrotique selon elle, n’étaient que la plus visible des manifestations.

    Or, qui dit maladie, dit guérison et elle se faisait fort d’être celle qui les guérirait, si toutefois ils le lui permettaient.

    C’était à seule fin de lui prouver qu’elle se trompait sur toute la ligne, que les membres de la Roue n’étaient ni malades ni névropathes mais seulement différents, que Blue Hawk l’avait invitée à leur mariage. En outre, il était séduit par sa nature généreuse et par la largeur d’esprit- peu commune en cette époque - dont elle faisait preuve et qui faisait d’elle et de ses semblables - Alexeï entre autres, ainsi que Jean-Hubert à un petit degré inférieur - des alliés de choix dans la lutte que lui et les siens menaient pour reconquérir le droit de vivre au grand jour.

    Il en faudrait d’autres, beaucoup d’autres comme ces trois-là qui deviendraient petit à petit, des semeurs de bonne parole, les pourfendeurs de l’intolérance, les défenseurs d’une vérité qui n’était pas celle du Gouvernement des Sages. Ceux-là, dont la prétendue sagesse s’était effritée à l’usage du pouvoir, prônaient depuis bien trop longtemps un fallacieux bourrage de crâne dont les deux axiomes essentiels étaient :

    « Tout ce qui est normal est bon, tout ce qui est anormal est nuisible. » et « Dénoncer les anormaux est un devoir sacré pour tout citoyen intègre. »

    Ces messages, soit sous leur forme directe, soit sous une forme subliminale, s’imprimaient fortement dans la conscience des populations autant que dans leur subconscient. La prise régulière d’anti-D et autres traitements médicamenteux destinés à se maintenir au top niveau - tous vivement conseillés par les médecins et les thérapsys - rendait les gens malléables et très perméables à ces messages. Mais, comme l'avait dit Hawk, Jézabel, rebelle de nature, avait toujours préféré les bonnes vieilles méthodes de ses anciens collègues d’avant la Grande Crise. À présent, mise au parfum des manigances de l’OMS, plus que jamais, elle s'insurgeait contre cette organisation puissante mais tellement frelatée.

    Ainsi, pour tous ceux de ses patients qui s’étonnaient de ne jamais repartir avec une ordonnance, elle avait dans sa pharmacie personnelle, des tas de boîtes de placebo qu’elle leur remettait gratuitement, arguant que leurs séances chez elle était déjà suffisamment onéreuses sans y ajouter le coût de médicaments dont elle, disposait sans bourse délier.

    Alexeï lui, était malheureusement beaucoup plus tributaire qu'elle des directives de l'OMS. Dans les traitements qu’il prescrivait, il y en avait une part absolument nécessaire dont la suppression se serait avérée dangereuse. Aussi, le cabinet de Jézabel et ceux de ses confrères qu’elle avait gagnés à la rébellion, se remplissaient-ils des patients qu’il leur envoyait, afin qu’ils contrecarrent les effets pernicieux des traitements qu’il était obligé lui, de prescrire s’il ne voulait pas attirer l’attention sur lui ni risquer le moindre blâme ou la moindre tracasserie de la part de l’Ordre des médecins

    Le chirurgien n’assisterait pas au mariage. Il était impératif qu’il reste auprès de sa femme dont la colère et la hargne envers Mary ne désarmaient pas. Il lui fallait la garder sous contrôle afin qu’elle ne se laisse pas aller à une dénonciation dont elle mourait d’envie. Seule la peur de fâcher son mari, pire de le perdre, la retenait de mettre son projet à exécution. Afin d’éviter que les deux femmes ne se retrouvent en présence et à la requête expresse de Surprise dont c’était le prix du silence, il avait changé Mary de service. Il n’avait rien voulu savoir lorsqu’elle avait exigé son renvoi mais il avait cédé quand elle avait menacé de tout dire si elle réintégrait la Matobs de ses débuts d’infirmière, ainsi qu’il l’avait souhaité.

    - Elle ne doit plus toucher aux bébés, promets-moi qu’au moins, elle ne retournera pas en Matobs, sinon je ne réponds plus de rien.

    Mary s’était donc retrouvée en médecine courante. Une tâche très subalterne au regard de ses états de service.

    En Chirec, nul ne comprenait cette rétrogradation car c’en était une. Cependant, si les rumeurs allaient bon train, c’était surtout concernant cette brouille aussi soudaine qu’évidente entre les deux inséparables de toujours mais le « patron » et son bras droit, la terrible Hortensia, les faisaient impitoyablement taire sous peine de représailles administratives.

    Ce n’était donc pas son amie d’enfance qui lui servirait de témoin ainsi qu’il avait été prévu pour son mariage avec Hubert. Jézabel avait volontiers accepté de la remplacer et de partager ce rôle avec Fleur, tandis que l’exemplaire ex-fiancé, bon prince, accomplirait conjointement cette tâche auprès du futur marié, avec Lazaro. Deux Normaux et deux Mus, c'était le souhait qu'avaient émis en même temps Mary et Hawk.

    Dès leur arrivée à Kerhostin, Hawk les avait conduits à un charmant et discret petit hôtel jouxtant une plage privée, tenu par l’un de ses amis. Après l’avoir tendrement embrassée sur le perron, il l’avait plantée là sans plus d’explication qu’un bref :

    - Tu dois être fatiguée, alors bonne nuit mon amour !

    Et il était parti, la laissant quelque peu mortifiée. Elle s’était retrouvée seule dans sa chambre, totalement ignorante du lendemain. Elle ne savait rien du déroulement de la cérémonie.

    « Bon sang ! C’est mon mariage après tout ! » Pensait-elle agacée, pire même, en colère qu’ « on » ne l’ait pas d'avantage informée sur un sujet qui la concernait au premier chef. Elle était si énervée, qu'elle ne parvenait pas à s'endormir malgré la fatigue du voyage. Dans la chambrette, pas de clim !

    - Fichtre ! C'est le moyen-âge ici ! Fulminait-elle en se tournant et en se retournant entre les draps poissés de sueur.

    À 2h du matin, elle ne dormait pas encore. Les nerfs à vif, elle bourrait son oreiller de coups de poings rageurs en maudissant son tortionnaire dont le rire silencieux lui parvenait, assorti d'un « Patience mon amour ! » qui ne la calma pas, au contraire. Ce fut probablement la colère qui finit par l'épuiser car elle s'endormit enfin…

    Un poids près d'elle la réveilla au petit jour. Un souffle sur sa joue…Ouvrant les yeux, elle le découvrit, penché sur elle, qui la contemplait avec adoration. Ses extraordinaires yeux d'azur détaillaient amoureusement les courbes de son corps nu que le drap ne recouvrait plus. Maudite chaleur ! Ce regard de braise l'enflamma la faisant trembler de désir. Toute rancune abolie, elle tendit les bras vers lui. Il s'abattit sur sa bouche, la dévorant d'un baiser si profond qu'elle en défaillit.

    - Mary, j'ai envie de toi…Murmura-t-il en se redressant, le souffle court.

    - Moi aussi mon amour… Maintenant !

    En quelques secondes, il fut nu, couché sur elle. Ils firent l'amour sans plus de préliminaires tant ils étaient affamés l'un de l'autre. Quand ils se réveillèrent, le soleil s'élançait déjà à la conquête du ciel bleu.

    Lovée contre Hawk, son ventre contre les fesses dures, Mary-Anne n'avait guère envie de se lever. Elle lui entoura la taille de son bras libre puis se mit à lui lécher la nuque du bout de la langue. Il frémit mais ne bougea pas. Elle laissa alors sa main glisser doucement du ventre plat vers le sexe au repos. La réaction ne se fit pas attendre.

    - Chérie… s'il te plaît … Râla-t-il sourdement.

    - Hum… Fit-elle en poursuivant sa caresse.

    Il lui saisit fermement le poignet pour l'empêcher de continuer mais elle résista se pressant encore plus étroitement contre lui. Il n'eut d'autre recours que de s'arracher à l'exquise torture et de bondir hors du lit pour lui échapper.

    - Hawk… pourquoi …

    - Pas maintenant chérie… il ne faut pas…

    Mais le ton rauque, l'air égaré, la main qu'il se passait et repassait fébrilement dans les cheveux et surtout le sexe érigé démentaient le propos. Il crevait d'envie de reprendre leur joute amoureuse. Le spectacle tentant qu'elle lui offrait, nue, provocante, les seins dressés, n'était pas fait pour le laisser de marbre. La coquine !

    - Hawk …

    - Non mon amour. Il est déjà 6 h, l'heure tourne et la journée va être longue. Aurais-tu oublié que tu te maries aujourd'hui ?

    Il ramassa ses vêtements épars et courut s'enfermer dans la salle de bain où il se doucha à l'eau glacée pour calmer ses ardeurs. Quand il en ressortit, habillé à la va-vite, la chemise ouverte sur son torse encore humide, pas rasé, elle trouva qu'il ressemblait à l'un de ces aventuriers magnifiques et virils, héros des films de son adolescence et elle fut de nouveau en proie au désir. S'il le vit et le devina sans peine, il ne s'y laissa pas prendre.

    - Fais-toi belle, je reviens te chercher dans deux heures.

    Et il quitta la chambre en courant presque, fuyant son regard enjôleur et les bras qui se tendaient vers lui. Elle éclata d'un rire joyeux puis se leva d'un bond.

    Il ne lui fallait pas deux heures pour s'apprêter.

    « C'est plutôt à toi qu'il les faut pour te remettre de tes…émotions ! » Lança-t-elle moqueuse, sûre qu'il l'entendrait.

    « C'est vrai mon amour, tu me rends fou… Je t'aime ! » Lui répondit-il de la même façon.

    Comme c'était merveilleux de pouvoir ainsi communiquer à distance, sans restriction !

    Elle ne se maquilla pas. Pas de parfum non plus. Il la préférait naturelle. Sur sa peau nue, elle enfila la longue tunique de soie aux nuances vert et bleu qu'elle avait déjà mise pour lui lors de son premier voyage astral. Entre ses seins brillait le pendentif que lui avait offert sa mère. Elle brossa ses cheveux dorés jusqu'à les rendre crépitant. Aux pieds, des sandales de cuir fauve.

    Rien d'autre. Pas besoin de miroir, elle se verrait aussi bien dans son regard bleu.

    À 8 h, il l'attendait à l'entrée de l'hôtel. Elle sortit à sa rencontre. Il s'attarda sur sa silhouette ondoyante, gainée de soie. Elle rayonnait !

    - Tu as vraiment l'air d'une sirène avec cette tenue mon amour ! Je vais avoir du mal à tenir jusqu'à ce soir. Viens ! Dit-il en l'entraînant.

    Main dans la main, ils traversèrent le petit village breton jusqu'à la falaise de la « Pierre levée » où les attendaient leurs parents et leurs amis. C'était la première fois qu'elle découvrait Kerhostin en plein jour. C'était vraiment joli et miraculeusement épargné par le modernisme !

    Ici pas de béton ! Elle aima les petites maisons basses. Protégées du vent marin par des haies de tamaris odorant. Elles y faisaient face à l'océan, de part et d'autre de l'unique route et de la voie ferrée qui desservaient la presqu'île jusqu'à la pointe de Quiberon. D'un côté, des falaises granitiques déchiquetées battues par les vagues, de l'autre de belles plages dorées au sable granuleux et piquant. Non loin de là, dominant les rochers, le fort de Penthièvre, une ancienne place militaire désaffectée. La lourde et vieille bâtisse aux épaisses murailles dont les souterrains avaient fait office de prison durant la deuxième guerre mondiale du XXe siècle, servait depuis des lustres de refuge aux squatters de tous poils. Ces jours derniers, beaucoup d'entre eux étaient des membres de la Roue.

    Ils parvinrent enfin au lieu de rendez-vous. Sur la falaise, dans la chapelle des marins, le vieux prêtre de la nouvelle Église les maria selon le rite œcuménique en rigueur. Ce fut rapide. Seuls leurs témoins assistèrent à cette courte mais intense cérémonie. Pas de mariage civil bien sûr, c'eût été dangereux. Ensuite, ils se rendirent à la « Pierre levée » où se trouvait le reste des invités.

    Il y avait là les amis de Pourrières, ceux de la Roue et les autres mêlés aux autochtones ravis et curieux d'assister à un mariage consacré par un rituel inconnu d'eux, celui de la Roue Universelle. Descendants des Celtes, tout pétris de légendes et encore imprégnés de leurs propres rites ancestraux, ils savouraient d'avance l'événement. Mary non plus ne connaissait pas et elle en frémissait d'excitation. Ce moment allait être sacré entre tous à ses yeux, C’était en effet seulement après cette union scellée au pied du menhir, qu'elle se sentirait vraiment la femme de Blue Hawk, petit-fils d’un chef navajo.

    Une clameur joyeuse les accueillit. Un petit groupe se détacha de la foule assemblée, car c'était bien une foule hétéroclite et vibrante de joie qui les attendait ! Une silhouette familière se précipita vers elle, bras tendus.

    - Maman ! S'exclama-t-elle, émue.

    Elles s'embrassèrent en riant.

    - Bon anniversaire ma chérie ! Clama Ophélia.

    Puis, sans crier gare, elle lui ceignit le front d'un mince bandeau de cuir fauve où elle avait gravé le symbole de la Roue.

    - C'est vraiment mon cadeau cette fois ma chérie ! Dit-elle avec un sourire de connivence.

    Ensuite, elle passa à Hawk, lui demanda de se baisser un peu et fit de même. Après quoi elle l'embrassa à son tour affectueusement.

    - Bon anniversaire à toi aussi mon petit !

    À ces mots, l’assemblée partit d'un grand éclat de rire, tandis qu'imperturbable la petite bonne-femme se dirigeait vers Fleur de Lune pour lui faire subir le même sort affectueux.

    - Bon anniversaire Fleur ! Je suis si heureuse de te revoir en de telles circonstances !

    Étourdie de bonheur, tant par la présence de tous ces gens venus pour eux que par sa mini tornade de mère, Mary réalisa enfin que ce jour, en effet était celui d'un triple anniversaire.

    Elle courut enlacer celle qui était déjà devenue sa belle-sœur puis elle se coula dans les bras de Hawk et l'embrassa sur la bouche.

    - Bon anniversaire mon amour !

    - Bon anniversaire à toi ma sirène ! Répondit-il et il reprit voracement les lèvres qu'elle lui tendait sous les acclamations de la foule en liesse.

    Deux autres personnes s'approchaient. Des inconnus, un homme et une femme qui lui rappelaient…Ils étaient tous deux très grands, bruns de cheveux, la peau tannée par le soleil. Ils portaient beau une soixantaine vigoureuse.

    En les voyant près de Hawk, elle sut qu'il s'agissait de ses parents. Ils la dévisageaient d'un même regard doux et bleu comme la mer. C'étaient des Mus. L'amour qu'ils se portaient transparaissait dans la façon qu'ils avaient de se tenir l'un près de l'autre, main dans la main

    - Ainsi nous te rencontrons enfin mon enfant ! Lui dit la femme en la serrant dans ses bras.

    - Ton père était l'un de mes amis les plus chers et tu lui ressembles malgré tes cheveux blonds ! Ajouta l'homme en l'enlaçant à son tour.

    - Voici, ma mère, Blue Moon, dit fièrement Hawk. Fille de pêcheurs bretons, elle s'appelait autrefois Gwenaëlle le Crouhennec et elle vivait ici. Ses parents sont morts à présent mais sa maison natale existe encore ! Je te la montrerai. Le prêtre qui nous a mariés l'a baptisée, il avait alors à peine 30 ans. Quant à ce grand gaillard qui t'étouffe…Lâche-la donc papa, tu vois bien qu'elle a du mal à respirer !

    Le « gaillard » ainsi interpelé s'exécuta. Elle put ainsi reprendre son souffle et ses esprits tandis que son fils, si semblable à lui, poursuivait :

    - Cet ours mal léché donc, c'est Brave Hawk, mon père, fils d'un chef navajo et d'une squaw apache. Ils vivent tous deux à Phoenix mais se rendent fréquemment chez nos frères dineh - c'est le nom originel des navajo- qui ont fini par faire refleurir Black Mesa. Après avoir été la plus pauvre et après des années de résistance et de lutte contre le gouvernement américain qui la grugeait et la spoliait, notre Big Moutain est devenue la réserve indienne la plus peuplée et la plus prospère du pays.

    - Je suis très heureuse de faire votre connaissance ! Et merci d'être là, vous êtes venus de si loin ! Leur dit-elle émue aux larmes.

    Elle réalisait qu'ils avaient connu son père. Hormis le fait qu'ils avaient engendré Hawk, qu’ils aient été proches de Patrick, les rendaient déjà chers à ses yeux.

    - L'Amérique est lointaine, c'est vrai ! Cependant, grâce au Pouvoir de la Roue, ses membres ne sont jamais très loin les uns des autres… Tu es très belle Mary, mon fils a bien de la chance ! Dit Brave Hawk

    - Aussi belle qu'il t'avait décrite ! Renchérit Blue Moon

    Afin de couper court à cette avalanche de compliments qui s'amorçait et l'embarrassait visiblement, Hawk la reprit dans ses bras.

    « Ô oui tu es belle et tu es mienne ! » Lui transmit-il puis tout haut :

    - Viens ma douce ! Il est temps maintenant de nous unir devant la Roue Universelle et de consacrer par cet engagement mutuel, l'union des deux mondes. Car tu seras la première Élue à épouser un Mu…

    - Je croyais que…

    - Oui, il y a déjà eu des mariages entre Mus et normaux, cela tu le sais ! À commencer par tes parents. Mais jamais d'union entre un Mu et un Élu. Des liaisons tout au plus ! Jamais de mariage. Et aucun enfant issu de ces aventures.

    Notre mariage bouclera la boucle. Ton père devait le pressentir lorsqu'il a dessiné le motif de notre signe de ralliement : un triangle d'or dont chaque côté représente un monde : le nôtre, celui des Normaux et le tien qui rassemble les deux autres. Le cercle rubis, c'est le sang rouge qui est commun à tous. Quant à l'étoile d'émeraude, c'est toi. Je crois qu'il savait malgré sa fuite que son enfant retournerait vers les siens. Lui seul semble-t-il, était capable de voir l'avenir. Il a bien essayé de t'en préserver mais il savait qu'un jour, tu me rencontrerais. Peut-être même le voulait-il puisque c'est à moi qu'il a transmis son legs.

    Elle comprenait d'un coup le rôle écrasant qui lui était dévolu. Était-ce pour cette raison qu'il…

    - Non mon amour ! C'est toi que j'aime, pas l'Élue. Dès que j'ai découvert ton existence, je t'ai cherchée. Je vous ai cherchées ta mère et toi.

    Il est vrai que c'était à la demande des Anciens de la Roue. Je devais vous observer. Toi particulièrement ! Il nous fallait savoir si tu avais grandi avec le Pouvoir des nôtres. Hélas pour nous, tu étais normale, totalement inconsciente de tes dons et encore très éprouvée par la mort de ton père mais belle, si belle ! La première fois que je t'ai réellement vue, j’ai eu le coup de foudre et j'ai compris alors que tu serais à moi. Je te revois encore, tu marchais dans la rue, ignorante du regard dévorant qui te suivait. Pendant des années, je t'ai observée de loin, je t'ai regardée vivre.

    Ce que je voyais renforçait chaque jour un peu plus l'amour que je te portais. Pour toi, j'ai abandonné celle qui m'était destinée. J'ai suscité la colère des Anciens parce que m'éprendre de la fille d'un paria, c'était une insulte à la Roue mais j'ai tenu bon et durant des années, j’ai attendu que tu sois prête à comprendre. Je t'aime chérie et je t'aurais aimée même si tu n'avais pas été la fille de Patrick ! Tu me crois ?

    - Oui !

    - Alors viens, il est temps !

    La cérémonie se déroula au pied du menhir sacré.

    Un triangle d'or, un cercle humain…Elle avait déjà vécu cela et l'avait rejeté de toutes ses forces ! En vain. Mais cette fois, elle consentait de toute son âme ! Les mots lui vinrent d'eux-mêmes, comme s'ils lui avaient été soufflés par tous les Mus présents. À la place des anneaux, ils échangèrent leurs pendentifs en prononçant la promesse qui consacrait leur amour :

    - À toi mon épouse je m'enchaîne pour la vie ! Clama Hawk en lui passant le sien autour du cou.

    - À toi mon époux je m'enchaîne pour la vie ! Répondit-elle en faisant de même et en le regardant avec adoration.

    Ce furent les quatre témoins qui d'une voix unanime, les déclarèrent unis par le rite de la Roue. Hubert et Jézabel, les deux Normaux, en furent à la fois très fiers et très impressionnés. Dans le cercle parfait formé autour des futurs mariés, ils s'étaient sentis reliés aux autres psychiquement. Cette magique expérience avait commencé en eux une transformation dont ils ressentaient déjà les effets bénéfiques.

    - Vous êtes à présent mari et femme selon le rite de la Roue Universelle ! Que votre union soit indissoluble, heureuse et féconde. Vous pouvez vous embrasser ! dirent-ils en même temps que Fleur et Lazaro.

    Les deux époux sacrifièrent volontiers à ce dernier rituel. Le cercle se défit. Ils n'entendirent pas la foule qui les acclamait et les congratulait. Étroitement enlacés, bouche à bouche, ils étanchaient leur soif l'un de l'autre.

    La fête se prolongea jusqu'au crépuscule et même plus pour certains.

    Fraternelles agapes, joyeuses libations, chants, danses et farandoles se succédèrent sur la falaise où étaient dressées de longues tables, nappées de blanc et couvertes de victuailles. En fait ce fut un gigantesque pique-nique qui se prolongea tard dans la nuit. Les rassemblements familiaux pour les mariages ou les funérailles, n’étaient pas encore interdits, le Saint GUT en soit remercié. De plus, les gops ne patrouillaient que très exceptionnellement dans les trous perdus comme Kerhostin ! Aussi les invités de la noce festoyaient-ils sans crainte.

    On mangeait assis sur des couvertures étalées un peu partout. On discutait, parfois à voix haute parfois en silence selon les groupes qui se formaient çà et là. On riait beaucoup. Un vieux breton entonna même de sa voix rocailleuse, de vieilles chansons de marins dans son dialecte natal. Quand la nuit fut venue, la falaise s'illumina d'une multitude de feux de camp autours desquels on dansait au son du biniou ou de la flûte indienne : des navajos, amis du Faucon bleu, avaient fait le déplacement. Hawk et Mary allaient de groupe en groupe, bavardaient avec chacun, écoutaient plaisanteries et conseils grivois.

    Ils étaient de toutes les farandoles. Hawk se joignit même à ses amis indiens pour une danse rituelle autour du feu. Avec eux, il chanta en navajo. Cela parlait de la pluie, du vent, du soleil et surtout de la Terre, notre mère à tous ainsi que le lui traduisit Brave Hawk. Elle découvrit avec bonheur, la magnifique voix de basse de son mari, un talent qu'elle ne lui connaissait pas encore. Elle avait désormais toute la vie pour les découvrir tous !

    Pas un instant ils ne cherchèrent à s'éclipser malgré leur envie de se retrouver seuls. Ils se devaient à leurs invités dont beaucoup étaient venus de très loin. Pourtant, chaque fois que la danse les rapprochait, que leurs mains se frôlaient ou que leurs regards amoureux se croisaient, leur désir s'enflammait, les laissant étourdis. Mais ils tenaient bon et cette résistance surhumaine, si elle faisait rire leurs amis, suscitait également leur admiration.

    Peu à peu, la falaise se vida. Bientôt, il ne resta plus ici et là, que quelques couples endormis près des feux mourants. Les autres avaient regagné leurs retraites dans le village et aux alentours. Des amoureux isolés, flânaient, enlacés sous la lune puis disparaissaient à leur tour, avalés par l'ombre propice de la nuit. Bientôt, même leurs soupirs et leurs murmures passionnés s'éteignirent. On n'entendit plus que le bruit des vagues et le souffle léger de la brise.

    Ils étaient seuls, enfin !

    L'air était doux, le parfum iodé qui montait de la mer, aphrodisiaque. Hawk l'entraîna entre les rochers sur un chemin escarpé qui descendait vers l'océan. Ils parvinrent à une crique abritée du vent. Une couverture et des vivres dans un panier les y attendaient, déposés là par des amis complaisants. Ils se regardèrent éblouis et tremblants soudain. Hawk étala la couverture sur le sable crissant, posa le panier sur un rocher un peu plus loin. Impatients, ils se déshabillèrent mutuellement et s'allongèrent sur cette couche improvisée.

    - Dieu… Mary, je n'en puis plus ! Souffla-t-il contre sa bouche. Tu es ma femme, ma femme ! Et je te veux !

    - Moi aussi je te veux mon amour, mon mari ! Prends- moi, maintenant, je t'en supplie !

    Il la couvrit aussitôt de son corps et la pénétra d'un seul coup. Ce fut presque brutal. Il allait et venait en elle, aussi sauvage que l'océan un jour de tempête Il la clouait sur le sol de ses puissants coups de boutoir mais elle n'était pas soumise et se soulevait à sa rencontre, cambrée pour mieux répondre à ses assauts passionnés. Elle lui griffait le dos, s'agrippait à ses fesses et les jambes nouées autour de ses reins, le retenaient au plus profond de son ventre. Ils crièrent ensemble quand la jouissance les emporta, telle une lame de fond. Ils retombèrent sur la couverture, pantelants et trempés de sueur. Il leur fallut quelques minutes pour reprendre leur souffle.

    - Pardonne-moi mon amour ! Je t'ai prise comme un soudard !

    - Et je me suis donnée comme une diablesse ! Hum…C'était si bon ! Je crois que j'ai encore envie de toi !

    - Moi aussi ! Je ne peux me rassasier de ton corps !

    - Déjà ?

    - Oublies-tu mon amour que les Mus sont dotés d'un tas de pouvoirs ?

    - Vantard ! Fit-elle malicieuse en se lovant contre sa virilité renaissante.

    - Tu vas voir si je me vante ! Gronda-t-il gentiment.

    Cette fois, ils prirent leur temps. C'est lentement, lascivement, tendrement qu'ils refirent l'amour. Puis ils recommencèrent, encore et encore, grisés de plaisir mais jamais assouvis…

    L'aube les surprit dans les bras l'un de l'autre, enroulés dans la couverture, endormis enfin, épuisés d'amour. Les vivres étaient intacts dans le panier.

    Ce furent les criaillements furieux des mouettes qui avaient entrepris de se les disputer qui les réveillèrent. Le soleil était déjà haut dans le ciel sans nuages.

    Ils se regardèrent, éblouis comme s'ils se découvraient. Leur nuit de noce, magique entre toutes, leur avait paru être cette première fois souhaitée par tous les amants du monde. Elle resterait à jamais gravée dans leur mémoire. Face à l'océan, bercés par le doux chuchotis des vagues qui léchaient le sable mouillé, ils refirent l'amour une dernière fois avant de rejoindre leurs amis.

    Ils restèrent une semaine en Bretagne. Sept jours et sept nuits à s'aimer, à se découvrir. Ils firent des projets. Hawk l'enjoignait de quitter son travail. Il allait devenir dangereux pour elle et où qu'elle l'exerce, elle ne pourrait longtemps cacher son mariage qui devait pourtant rester secret. Le milieu médical était très surveillé. L'OMS et l'Ordre des médecins jouaient parfaitement leur rôle de larbins au service du Gouvernement des Sages

    - Imagine… Que feras-tu quand tu seras enceinte ma chérie ?

    Demeurer à Lille était exclu bien sûr ! Elle savait qu'elle devrait le suivre dans ses errances. En outre, à quoi lui servirait son expérience d'infirmière au milieu des Mus qui maîtrisaient le don de guérison ? Un don qu'elle-même possédait, elle en avait fait l'expérience !

    Elle devait réfléchir. Alexeï lui en avait donné l'occasion en lui octroyant un congé supplémentaire en guise de cadeau de noce. Elle avait jusqu'à la fin août pour organiser son départ de l'Hôpital sans remous, la vente de son appartement et de tout ce qu'il contenait... Une mise en ordre douloureuse mais nécessaire, le chirurgien en convint la mort dans l'âme lorsqu'elle l'appela, au terme de cette semaine merveilleuse, pour lui annoncer sa démission et la lettre qui suivrait dans les jours à venir. Pour expliquer sa décision, elle comptait invoquer son injuste rétrogradation. Un prétexte plausible tout trouvé. Il acquiesça.

    - Comment vivrez-vous ? Tu ne m'as jamais dit ce que fait ton mari !

    - Officiellement, il est anthropologue. Il possède même un doctorat en la matière. C'est suffisant pour expliquer aux curieux la nécessité de ses constants déplacements. Il lui est même arrivé par le passé, de faire des conférences sur d'anciennes civilisations indiennes. Ce fut le sujet de sa thèse et il y excelle ! Mais en fait, il n'a pas réellement besoin de travailler, le mouvement auquel nous appartenons ne manque pas de moyens, ce qui lui permet de protéger les siens.

    - C'est donc bien une secte ? J'ai peur pour toi Mary ! N'avait-il pu s'empêcher de conclure.

    - On pourrait le croire, mais non, je t'assure. ! Ce mouvement - et j'insiste sur ce mot - est né parce que ces gens différents de ceux qu'on appelle les "Normaux", devaient se fédérer pour survivre. Ils mettent leurs biens en commun pour aider leurs propres défavorisés et ceux que leur position au sein de la Roue, exposent particulièrement au danger, comme c'est le cas pour mon mari. Pas de bourrage de crâne chez nous, ni de lavage de cerveau Nul n'est obligé de se déposséder de ses biens pour entrer dans la Roue. Qui a le plus, donne librement à qui a le moins, tu comprends ?

    De plus et en secret, par le biais de prête-nom, ils financent des organisations caritatives, car il semble bien qu'eux seuls se soient rendu compte qu'il y a encore des tas de déshérités dans le monde. Entre autres d'anciens lobotomisés légers reniés par leur famille, qu'ils soignent et aident à se réadapter. Je suis une des leurs mais en dehors de cela, le fait même d'avoir épousé leur leader me met en péril.

    - D'accord ! Je comprends mieux pourquoi tu dois absolument abandonner ton boulot et quitter la ville. Sois prudente Mary-Anne, je t'en conjure ! Surtout si tu reviens ici pour régler tes affaires. Surprise n'a pas abandonné l'idée de te dénoncer. Je dois sans cesse l'en dissuader !

    Ce bref entretien l'avait emplie d'amertume.

    Surprise…

    Hawk l'avait consolée à force de tendresse et de baisers. C'est le cœur déchiré qu'elle posta dès le lendemain sa lettre de démission et passa une annonce sur le net pour vendre son appartement, ses meubles et tout le reste, hormis quelques souvenirs auxquels elle tenait beaucoup et d'autres qu'elle comptait donner à ses amis les plus chers.

    Le 16 juillet, ils partaient en Provence rejoindre Félie qui avait regagné Pourrières huit jours auparavant en compagnie des parents de Hawk, ainsi que de Fleur, Lazaro, Hubert et Jézabel, qu'elle avait tous invités à passer quelques jours au mas. D'autres membres de la Roue avaient suivi le 14. Des fidèles de Blue Hawk qui devaient mettre au point avec lui, les prochaines étapes de la Mission. Leur mariage avait servi de prétexte au second de leurs grands Rassemblements depuis que Hawk avait été intronisé Rassembleur.

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 28 Octobre 2022 à 15:09

    Un mariage très original, j'aime de plus en plus ce livre. 

    Bonne fin de semaine.

    1
    Jeudi 27 Octobre 2022 à 21:26

    Pas facile un mariage qui doit rester secret.... amitiés, jill

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