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    8 juillet, 5 h 30

     

    « Venez… Venez… Venez… »

    La sueur perlait à son front, poissant ses cheveux emmêlés. Son pouls s’affolait. Elle se sentait nauséeuse et le cœur prêt d’exploser. Elle avait envie de hurler mais aucun son ne put franchir sa gorge si serrée qu’elle ne laissait plus passer l’air dans ses poumons. Elle allait succomber à l’asphyxie et à la frayeur.

    Elle devenait folle !

    S’accrochant désespérément à un reste de lucidité, elle se força à reprendre son souffle. Le calme revint.

    Qu’était-ce cette fois ? Quelque chose avait changé dans son habituel «rêve». Elle laissa les souvenirs fugaces remonter à la surface de sa conscience. Ils lui revenaient par bribes : la voix rauque qui l’appelait avec ces mêmes mots répétés lui enjoignant de venir, l’ombre environnante, ce mélange contradictoire de peur, de douleur et d’espoir vibrant intensément au fond de son cœur…

    Soudain, elle sut exactement ce qui avait changé : le cauchemar avait pris forme. À présent, faute d’avoir un visage, la voix détestée émanait d’une silhouette, celle d’un corps aux contours imprécis qui se devinait au milieu d’une sorte de brouillard bleuté.

    «Il» était grand, aussi grand que l’avait été son père, un bon mètre quatre-vingt-quinze mais ce n’était pas son père, elle en était sûre ! Lui au moins, se montrait toujours à visage découvert lorsqu’il visitait ses songes.

    « Il » avait de longs cheveux dont elle ne pouvait définir la couleur et qui flottaient librement sur de larges épaules. Pourquoi cette certitude résolument ancrée en elle qu’il s’agissait d’un homme et non d’une femme comme aurait pu le laisser supposer la longue chevelure dénouée ? La carrure impressionnante, sûrement !

    Il lui était apparu flou, voilé qu’il était par le nuage de brume bleue. Elle ne distinguait pas son visage dont les traits étaient à peine esquissés derrière ce voile. Ni son accoutrement, un jean peut être, une chemise ou un pull de couleur claire, blanc probablement. Cependant un détail précis lui, l’interpellait, l’aveuglait même : l’homme portait autour du cou, étincelant au bout de sa chaîne d’or, un pendentif parfaitement identique à celui que lui avait offert Félie et que la veille, incapable de l’avoir sous les yeux plus longtemps tant il lui inspirait d’instinctive répulsion, elle avait rangé au fond d’un tiroir. Un triangle d’or, un cercle rouge sang, une étoile à cinq branches d’un vert maléfique…

    Désormais bien réveillée, elle ne put s’empêcher de s’adresser au fantôme qui la harcelait depuis un mois :

    - Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous à la fin ?

    Elle se sentait tellement stupide de questionner ainsi une ombre, quelque chose ou quelqu’un d’imaginaire, certainement issu de son subconscient ! Elle… La réponse fusa, soudaine, impérieuse, à l’intérieur de son crâne douloureux : « Venez ! »

    Elle ferma les yeux et se boucha les oreilles. En vain ! Derrière ses paupières obstinément closes, «Il» était là, au centre de ses pensées les plus intimes, surgi de nulle part, environné de l’étrange halo bleu. Il l’appelait. Les mains tendues vers elle, paumes levées vers le ciel en signe de paix, de sa voix si particulière à la fois rauque, douce et persuasive, il l’appelait. Elle ! Et le pendentif sur sa poitrine, dans l’échancrure de sa chemise, brillait d’un éclat insoutenable, dangereux.

    Il portait une chemise !

    Elle se mit à rire tout haut. C’était tellement sidérant vu les évènements, d’être encore capable de s’arrêter à un détail aussi insignifiant ! Une chemise ! Quelle importance ? Puis tout se mit à tourner autour d’elle, ainsi que l’avaient fait les éléments du bijou la veille. Cette fois, elle était vraiment folle à lier ! Voilà qu’elle parlait à…Mais à qui parlait-elle au juste ? Qui lui avait répondu ? L’âme tourmentée d’un disparu qui ne trouvait pas le repos éternel ? Une entité facétieuse ? Un être vivant dans un monde parallèle et qui s’y ennuyait ferme ? Non! C’était plus sûrement son imagination anormalement débridée qui lui jouait des tours pendables !

    Elle ferma son esprit à la voix importune, secoua énergiquement la tête et se leva d’un bond, bien décidée à faire l’impasse sur ces inepties fabriquées par un cerveau fatigué. Douchée de frais, elle s’obligea à avaler un petit déjeuner consistant. Après quoi, vêtue d’un short, d’un tee-shirt et chaussée de ses baskets, elle sortit courir. Au retour, batteries rechargées, désintoxiquée des miasmes de la nuit, elle commença à préparer ses bagages pour le lendemain. La Provence l’attendait. Sa mère surtout ! Son séjour durerait un mois, il fallait prévoir en conséquence. D’un ton décidé, elle commanda : « Canal 7, infos-monde, mémo ! » puis elle s’attaqua résolument à ses valises.

    - À nous deux ! Lança-t-elle agressive, comme si elle s’adressait à ce salaud d’ennemi invisible qui lui pourrissait la vie.

    L’écran géant tridi intégré dans le mur de sa chambre, s’était instantanément allumé au son de sa voix et exécutait consciencieusement l’ordre ainsi donné.

    Il était 7h, le présentateur vedette de canal 7 Info, débitait son habituel blabla matinal. Elle l’écoutait distraitement tout en empilant sur son lit les vêtements qu’elle allait emporter, quand son attention s’éveilla. Elle lâcha le jean qu’elle tenait et fixa l’écran. Les sens soudain en alerte, elle écouta pour de bon cette fois :

    «…Monde, une surprenante vague de violence mobilise les Forces de l’Ordre. Partout, des groupuscules incontrôlés menacent la paix et la sécurité publiques, se réunissant au mépris de la Loi devant les bâtiments administratifs et gouvernementaux. Selon l’AMP (Agence Monde Presse), il s’agirait de membres extrémistes, d’une nouvelle secte néo-apocalyptique dont le gourou, considéré comme très dangereux, demeure encore inconnu des services de renseignement mondiaux. Un reportage de Stanislas Jankowski, notre envoyé spécial à Paris. À vous Stanislas !

    - Eh bien oui Marc-Antoine, je suis à quelques mètres de la mairie où les Forces de l’Ordre viennent d’appréhender une centaine d’hommes et de femmes dont les intentions hostiles étaient manifestes. Il a fallu pas moins de trois cents policiers armés pour les neutraliser. Comme vous pouvez le voir derrière moi, les manifestants sont en train d’embarquer dans les fourgons cellulaires. Ils vont être placés en détention en attendant d’être jugés. Ils risquent la peine capitale.

    - Avez-vous pu voir la manifestation Stanislas ?

    - Non Marc-Antoine mais nous avons pu filmer l’intervention efficace des gops.

    Suivaient les images en léger différé de l’arrestation des fauteurs de trouble devant la mairie de la capitale française, qu’elle regarda tout en continuant à préparer ses bagages.

    - Merci Stanislas ! Poursuivit le présentateur avant de continuer sur le sujet :

    « Ce phénomène inquiétant fait craindre aux Gouvernement Unique un retour en force des « Maîtres de l’Apocalypse » qui sévirent lors de la Grande Crise. Rappelons-nous : des millions de morts, une vague énorme de suicides collectifs…Ces fous ne reculèrent devant rien pour offrir à leurs adeptes, crédules, une vie meilleure dans l’autre monde ! Au regard de ce qui se passe aujourd’hui, comment ne pas penser à une résurgence de cette sombre époque dont voici quelques terribles images tirées de nos archives :

    Comme Mary, chacun put voir des hommes, des femmes, des enfants, brûlés, empoisonnés, les veines ouvertes…Tous ayant plus ou moins volontairement accepté la mort, souvent drogués avant de se suicider ou d'être suicidés, tels que les avaient autrefois découverts les enquêteurs dans les immenses propriétés privées transformées en véritables camps retranchés entourés de miradors desdits Maîtres de l’Apocalypse.

    Nous vous tiendrons informés des développements de ces évènements qui vont justifier dans les jours et les semaines à venir, le renforcement exceptionnel des mesures de sécurité dans le Monde entier. »

    «…Russie. Les travaux du futur Transsibhélio avancent à grands pas. Barcelone. Le salon mondial de l’agriculture va ouvrir ses portes… »

    Mary-Anne n’écoutait plus vraiment. Dans le sujet précédent, quelque chose l’avait frappée. Elle en sentait encore des picotements dans la nuque et tout le long de la colonne vertébrale. Une impression bizarre l’avait fait frémir, celle d’être…observée ! Elle était pourtant seule chez elle. Elle commanda « Revoir » et tandis que la suite du journal, s’enregistrait automatiquement, elle visionna de nouveau le début du reportage de l’arrestation.

    Pour de dangereux excités, ils lui paraissaient bien calmes. Ils devaient pourtant savoir ce qu’ils risquaient ! Le bras de la Justice frappait vite et fort. Tout rassemblement public, même pacifique, de plus de vingt personnes constituait un délit, quant aux manifestations clairement protestataires, elles étaient purement interdites et très sévèrement réprimées qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs personnes. Or, ces gens ne montraient aucune peur. Au contraire ! Ils semblaient animés d’une espèce de force intérieure, tranquille et souveraine, presque tangible même au travers de l’écran. Ils se laissaient appréhender puis neutraliser sans esquisser le moindre mouvement de révolte ou de fuite.

    Ceux qui tremblaient de crainte, le doigt crispé sur le bouton de leur neutrolaser poussé au maximum, c’était les trois-cents valeureux gops chargés de les arrêter. Cette peur était aussi palpable que l’aura de puissance des prétendus manifestants. Les Gardiens de l’Ordre paraissaient rapetisser à vue d’œil en face de leurs impressionnants agresseurs qui n’avaient pourtant rien d’agressif même s'ils étaient tous très grands, hommes et femmes, tous bruns aux longs cheveux, tous dotés d’yeux d’un bleu étonnant. On aurait dit les membres d’une même fratrie. C’est peut-être cette étrange similitude qui l’avait interpellée ? Non ! C’était autre chose, elle en était persuadée. Même si elle ne parvenait plus à se souvenir pourquoi, elle savait qu’elle avait été plus qu’intriguée, appelée.

    Voilà qu’elle remettait ça ! C’en était vraiment trop ! Mais elle s’obstinait cependant. Encore et encore, elle commanda « Revoir ! », scrutant l’écran à s’en faire mal aux yeux. Elle observait les passants à l’arrière-plan. Anonymes, rien ne les distinguait les uns des autres. Ils n’étaient que de simples spectateurs, des badauds qui regardaient la scène, s’en tenant à distance respectueuse par mesure de sécurité. De la même façon, ils demeuraient assez loin les uns des autres afin de ne pas être pris pour des manifestants. L’événement était rare et de taille. Ils pourraient le raconter jusqu’à plus soif le soir venu, en clamant fièrement: « J’étais là ! ». Rien de bizarre là-dedans. Pourtant, c’était là ! Elle le sentait. Une fois de plus, elle se repassa le reportage. Soudain, son pouls s’accéléra. Elle avait trouvé !

    Dans l’assemblée disparate des spectateurs qui se régalaient en voyant les « méchants » tomber un à un sous les décharges neutralisantes, un seul n’était pas accaparé par le drame qui se jouait de l’autre côté de la rue, sur la place de la mairie. Un homme, grand, impressionnant, fier et droit, dominait l’attroupement.

    Tourné vers la caméra qui effectuait un travelling sur les curieux, il fixait sur Mary-Anne le bleu magnétique de son regard…

    Impossible ! Ce qu’elle voyait passait à présent en différé, alors comment pouvait-il la regarder là, maintenant ?

    Elle était encore en train de rêver ! Elle se frotta énergiquement les yeux puis les ferma, espérant ainsi effacer le mirage. Mais à peine les eut-elle rouverts qu’elle retrouva, intacte et insistante, la lumière d’azur profond des prunelles fixées sur elle. Et l’homme qui la regardait, lui paraissait aussi réel que s’il s’était réellement trouvé en face d’elle et non pas derrière un écran, à près de deux-cents kilomètres de là qui plus est ! Ce regard saisissant où se mêlaient tristesse, espoir et force farouche, la pénétra jusqu’à l’âme, la faisant trembler d’effroi. Elle se détourna pour ne plus le voir mais elle le sentait dans son dos. Il la brûlait, l’obligeant à faire face de nouveau. Sur l’écran, elle avait l’impression que tout se déroulait au ralenti. Seuls restaient étonnamment vivants, ces yeux à l’éclat d’acier qui, par-delà les ondes, lui lançaient un vibrant message :

    « Viens… Viens… Viens ! »

    L’homme lui tendit la main comme pour l’inviter à traverser le temps, l’espace et l’écran, afin de le rejoindre. Mais elle ne bougea pas, alors il détourna d’elle son regard puis, résigné, il se retourna et commença à s’éloigner à pas lents, comme à regrets se perdant peu à peu dans la foule qui peu à peu à se dispersait. Ses longs cheveux d’ébène flottaient librement sur ses larges épaules, pareils à ceux de l’homme de son rêve. Une dernière fois, il se tourna vers elle et ses lèvres formèrent en silence l’appel désormais familier : « Viens… Viens… » Puis il disparut d’un seul coup, comme happé par la ville. Elle se rendit compte qu’elle avait refermé les yeux. Elle se tenait debout, les poings si fort serrés contre sa poitrine oppressée que ses jointures en devinrent blanches. Elle était secouée de la tête aux pieds de tremblements incoercibles.

    Elle entendit quelqu’un gémir et s’aperçut que c’était elle. Machinalement, elle commanda : « Arrêt programmes ! » L’écran s’éteignit. Elle laissa enfin les larmes de soulagement s’échapper de ses paupières et s’assit lourdement sur le lit où s’entassaient pêle-mêle ses vêtements, près de la valise ouverte à-demi remplie. Elle entendit le léger bourdonnement de l’enregistrement qui se poursuivait.

    Incapable de reprendre ses esprits, elle demeura sous le choc. L’homme qui la sondait, oui, qui la sondait derrière l’écran et celui de son cauchemar ne faisaient qu’un, elle en était persuadée ! C’était la même voix, le même appel, bien qu’à présent «il» la tutoie telle une vieille connaissance. Cet homme existait quelque part et il possédait d’étranges et puissants pouvoirs, elle ne voyait aucune autre explication à ce troublant phénomène. À moins qu’elle ne soit dingue ou encore, sujette à d’étranges hallucinations !

    Soudain persuadée qu’elle avait omis un détail d’une importance capitale, elle pensa confusément qu’il lui fallait vérifier. Sur le point de rallumer la télé, elle se ravisa, comme poussée par une volonté plus forte que la sienne lui intimant l’ordre d’effacer tout ce qu’elle avait vu, ou cru voir. C’est malgré elle qu’elle s’entendit commander l’effacement des infos du matin. Le bourdonnement s'inversa puis s’interrompit au bout de quelques secondes.

    Elle comprit subitement qu'elle ne pourrait partir dans cet état. Elle était en train de perdre la raison ! Non, décidément, elle ne voyait pas d’autre explication à ce qui lui arrivait ! Jusqu'à ce dernier mois, elle avait toujours mené une existence sans complications, réglée comme du papier musique. Alors pourquoi maintenant et surtout pourquoi elle ?

    Invoquant un remplacement de dernière minute auquel elle ne pouvait se refuser, elle appela sa mère pour la prévenir qu’elle n’arriverait que dans deux ou trois jours. Ensuite, elle contacta Jézabel Beauregard.

    C’est à la thérapsy qu’elle s’adressa, pas à l’amie. Jézabel était la meilleure parmi les meilleurs dans la cohorte des psychothérapeutes qui jouaient un rôle prépondérant en cette époque où les dérèglements du comportement étaient devenus l’une des principales maladies. La seule en vérité qu’aucun vaccin n’avait pu éradiquer !


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  • 7 juillet, 23 h

     

    La nuit était tombée. Accoudée à sa fenêtre ouverte, les yeux levés vers le ciel piqueté d’étoiles, Mary-Anne revivait la soirée. Elle avait dignement célébré son anniversaire en compagnie de ses amis. Surprise, Alexeï, Typhon et Jézabel lui avaient préparé de concert la plus belle des fêtes : la meilleure table à l’Universalis, le plus sélect des restaurants de la ville réputé pour son ambiance sophistiquée et la finesse de sa cuisine internationale. Repas raffiné arrosé d’un champagne millésimé, violons tziganes et cadeaux originaux. Le tout avait dû leur coûter un sacré paquet de « dryes »

    Le « drye », contraction de Dollar, Rouble, Yuan et Euro, avait été promu monnaie mondiale unique, un an après la formation du premier Gouvernement Universel. En dix ans, il avait remplacé toutes les autres monnaies qui avaient eu cours dans le monde, y compris le jeune Euro de l’an 2002. La plus petite décimale du drye était l’unit. Un drye valait cent units. On ne pouvait faire plus simple !

    Avant d’ouvrir les paquets enrubannés posés devant elle, elle avait soufflé les trente bougies allumées sur le magnifique gâteau d’anniversaire. Elle en avait mangé une part en la faisant passer avec quelques gorgées du frais et pétillant breuvage. Délicieux ! Elle avait accompli tous cela avec un maximum de conviction, pour ne pas ternir la joie de ses amis, leur taisant les affres de sa nuit d’angoisse. À Surprise en particulier.

    Puis le moment venu elle avait déballé ses cadeaux.

    Celui de Surprise l’avait comblée de joie Ce rarissime recueil-papier des plus beaux poèmes de Verlaine avait dû lui coûter les yeux de la tête ! Ce n’était certes qu’une copie conforme d’un original numérisé mais elle savait combien il était difficile désormais, d’obtenir des reproductions sur papier à l’ancienne de telles œuvres à présent pieusement conservées dans des vitrines sécurisées au Saint des Saints de la Grande Bibliothèque du Musée Mondial d’État. Tant d’inestimables chefs-d’œuvre dont il ne restait pas même une trace numérisée, avaient terminé leur glorieuse existence en tas de cendres, dans les flammes du plus gigantesque autodafé de tous les temps lors des épisodes les plus obscurantistes de la Grande Crise !

    Jézabel elle, avait choisi pour elle un flacon ouvragé empli d’un parfum aux fragrances capiteuses de fleurs exotiques, très onéreux certainement, mais la brillante thérapsy pouvait se le permettre.

    Typhon, un peu amoureux d’elle en dépit de son « grand âge », ainsi qu’il se plaisait à dire étant plus jeune qu’elle de sept ans, lui avait galamment noué autour du cou une somptueuse écharpe de soie sauvage.

    - Assortie à tes yeux ! Avait-il déclaré en l’embrassant comme par inadvertance au coin des lèvres.

    Quant à Alexeï en tant que patron, il lui avait généreusement octroyé deux pleines semaines de congés supplémentaires à titre thérapeutique.

    - Je ne veux pas te revoir dans le service avec ces vilains cernes et ce teint blafard ! Avait-il décrété faussement sévère.

    Le clou de la soirée avait été sans conteste le présent envoyé par sa mère, qu’elle n’avait ouvert qu’en dernier. Dans un écrin de cuir noir, sur un lit de velours grenat, elle avait découvert, chatoyant de tous ses feux au bout de sa fine chaine d’or, le plus magnifique des pendentifs.

    Le bijou était composé d’une étoile à cinq branches faite de minuscules émeraudes parfaitement taillées et serties dans de l’or jaune. Elle était entourée d’un cercle de rubis, lui-même disposé au cœur d’un fin triangle d’or dont le sommet était relié à la chaîne. Ses amis éblouis et admiratifs n’avaient pu retenir leurs applaudissements. Surprise s’était saisie de l’objet précieux pour le contempler de plus près. Au bout de ses doigts, la longue chaîne d’or scintillait doucement. Le pendentif lui, éclairé par le lustre de cristal, brillait d’un incomparable éclat et se balançait doucement, chaque élément seulement relié aux autres par un mince fil d’or. Si mince qu’il en était presque invisible. Le mouvement de balancier les faisait tourner sur ce léger pivot qui allait du sommet à la base du triangle. Ils tournaient à la fois ensemble et séparément, comme le font les mobiles à mouvement perpétuel. Surprise semblait fascinée, pour ne pas dire hypnotisée. Quant à elle-même, étrangement ce fabuleux cadeau avait fait revivre son cauchemar et gâché sa joie, elle ne savait pourquoi.

    - Tu veux que je te le mette ? Lui avait demandé son amie excitée.

    - Plus tard ! S’était-elle entendue répondre au bord de la nausée.


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  • 6 juillet 2057

     

    - Toi ma puce, tu couves quelque chose !

    Elle ne parvenait même plus à rire de ce trait d’humour habituel de son petit bout de femme d’amie. La « puce » était lasse à mourir

    - Mais non, je te jure ! Mentit-elle encore une fois.

    - À d’autres ! Accouche ma vieille ! Et ne me parle pas de mal de crâne, ça fait un mois que tu me la sers celle- là !

    Elle savait que le temps des questions était venu et qu’elle ne pouvait plus taire la vérité à sa plus chère amie. Surprise était fine mouche. On ne lui faisait pas indéfiniment gober n’importe quoi. Comment aurait-elle pu lui cacher plus longtemps ce qui la rongeait. Tout ceux qui la connaissaient et la croisaient quotidiennement avaient remarqué le changement. Alors Surprise…

    Pendant plus d’un mois, chaque nuit, la voix surgie du néant l’avait appelée, affaiblissant sa volonté et nuisant à sa concentration. En même temps que l’appétit et le sommeil, elle avait perdu sa bonne humeur et son humour. En un mot, sa joie de vivre. Elle ne souriait plus. Elle avait pâli, maigri, s’était étiolée. Ses yeux cernés lui mangeaient le visage. Elle se couchait de plus en plus tard, retardant l’instant fatidique tant elle craignait qu’à peine endormie, la voix qui la hantait ne revienne troubler son repos.

    Quand elle cédait enfin à la fatigue, elle se tournait et se retournait pendant des heures entre ses draps froissés et trempés de sueur glacée, appelant en vain le sommeil et le repoussant lorsqu’elle le sentait venir, partagée entre la peur et le besoin de fermer les yeux. Quand elle finissait par s’endormir, c’était vaincue et brisée. Hélas, très vite le cauchemar ressurgissait.

    Toujours le même : elle était debout, seule au milieu de nulle part, figée. Le silence pesant, opaque, l’environnait, la retenant prisonnière. Incapable du moindre mouvement, à la fois emplie de terreur et d’impatience, elle attendait. Elle l’attendait. Alors soudain, la voix jaillissait de l’épais brouillard, profonde, obsédante. Elle pénétrait dans son esprit et l’appelait :

    « Venez… Venez… Venez ! »

    Son timbre grave, un peu rauque, la faisait frissonner jusqu’à l’âme. L’appel résonnait fouaillant son cœur. Il lui tordait le ventre, de plus en plus pressant, de plus en plus précis, l’emplissant à la fois du désir secret de l’entendre encore et encore et d’une haine féroce pour cette entité sans visage, sans même une silhouette imprécise, dont la voix fusant du néant, l’appelait, sans lui dire ni pourquoi ni d’où elle appelait. Sans lui expliquer pourquoi, chaque fois qu’elle l’entendait, la peur qu’elle éprouvait se teintait d’un incompréhensible élan, d’une attente presque douloureuse, d’une indicible tristesse, le tout baigné de cette fugitive lueur d’espoir insensé qu’elle ressentait nuit après nuit, depuis cette première au cours de laquelle la voix l’avait brutalement tirée d’un songe tranquille. Il arrivait même de plus en plus souvent qu’elle l’entende en plein jour. Ça lui était encore arrivé très récemment dans la rue, lors d’un après-midi de repos alors qu’elle se promenait sans but précis, tentant de calmer ses angoisses en faisant du lèche-vitrine, piéton parmi les piétons nonchalants ou pressés du centre ville.

    « Venez… Venez… » Avait murmuré la voix insidieuse au creux de son oreille.

    Puis plus rien ! Elle avait stoppé net au beau milieu du trottoir et regardé autour d’elle d’un air hagard puis aussitôt, sans préavis, elle s’était mise à trembler de tous ses membres. Les jambes flageolantes, elle avait failli tomber et s’était retenue de justesse à un quidam qui croisait son chemin. Elle pleurait et riait à la fois, attirant sur elle des regards curieux, apitoyés et même un brin suspicieux pour certains.

    « Cette femme égarée, hystérique plutôt, doit être folle ! Ou pire, anormale ! » Avait-elle l’impression de les entendre penser. Inquiet, l’homme qu’elle agrippait toujours par la manche tentait vainement de se dégager. Un gop s’était approché neutrolaser au poing.

    - Cette personne vous ennuie monsieur ? Avait-il questionné martial.

    - Je…. Heu… Non… Avait bredouillé le pauvre type qui n’y comprenait goutte.

    - Ce n’est rien. Juste un malaise. S’était-elle excusée Instantanément calmée par l’arrivée inopinée de l’agent.

    Il faut dire que ces gens-là ne badinaient pas avec la sécurité des honnêtes citoyens et que les trublions qui en menaçaient la tranquillité se voyaient promptement verbalisés, mis à l’amende ou pire, incarcérés pour deux ou trois jours dans les cellules du Poste Central de Police de la ville ! Et ce, sans jugement en cas de trouble avéré de l’ordre et de la paix publics.

    Ce qui n’était pas son cas fort heureusement !

    - Ça va aller mademoiselle ? Avait demandé l’agent rasséréné.

    - Oui ! Avait-elle répondu confuse.

    - Alors arrêtez-vous au plus proche cabinet médical avant de rentrer chez vous ! Avait-il ordonné, péremptoire.

    - D’accord !

    - Voulez-vous que je vous accompagne? Avait-il ajouté, soucieux.

    - Non, merci, ça va mieux à présent !

    L’avait-elle rassuré en commençant à s’éloigner le plus tranquillement possible. Puis, revenant sur ses pas, elle avait vigoureusement serré la main de l’inconnu qui l’avait soutenue bon gré mal gré.

    - Encore merci pour votre aide monsieur ! Lui avait-elle dit en guise d’au revoir avant de partir sans se retourner cette fois, ignorant volontairement le regard de totale incompréhension de son involontaire « sauveur » qu’elle ne devinait que trop bien.

    Les battements désordonnés de son cœur auraient démenti sa démarche assurée si quelqu’un d’autre qu’elle les avait entendus. À moins que le personnage désincarné de son cauchemar ne les ait perçus lui, et qu’il ne s’en amuse à ses dépens. Ce n’est que parvenue enfin chez elle qu’elle avait pu laisser libre cours à l’émotion qui l’étreignait. Elle s’était effondrée sur son lit et s’était mise à pleurer. Elle ne savait combien d’heures elle était restée là, secouée de sanglots convulsifs, un flot intarissable de larmes amères noyant son oreiller. La nuit était venue sans qu’elle y prenne garde. Elle n’avait rien pu avaler. Elle s’était glissée sous les draps sans prendre la peine de se déshabiller. Elle avait sangloté sans pouvoir s’arrêter. Elle pleurait tant, qu’écrasée de fatigue, elle avait fini par s’endormir. Cette nuit-là, la voix l’avait laissée en paix.

    Ce fut la seule fois.

     

    C’est tout cela qu’elle raconta à son amie interloquée. Le cauchemar, la voix qui la surprenait même éveillée désormais, les nuits sans sommeil, la peur de devenir folle…

    - C’est une blague? Non, c’est pas une blague ! Affirma Surprise qui ne pouvait imaginer que Mary, comme elle l’appelait affectueusement, soit capable de lui jouer une telle comédie. Et ça dure depuis…

    - Le début du mois de juin.

    - J’y crois pas ! Depuis le début juin et c’est seulement maintenant que tu m’en parles ! Tu mériterais des claques !

    - Je ne voulais pas t’ennuyer avec mes problèmes…

    - Mary-Anne Conroy-Defrance, tu abuses ! À quoi ça sert les amies d’après toi, hein ?

    - Ton histoire avec…

    - Il ne s’agit pas d’Alexeï et de moi pour l’instant ! Je suis ton amie bon sang ! Pour moi, ça compte plus que tout !

    Et c’était bien vrai, Surprise Moret-Montarel, S M M, ainsi que la surnommaient les autres infirmières de Chirec, ne rigolait pas avec l’amitié. Jusqu’alors, elle s’était seulement contentée de badiner avec l’amour mais depuis deux semaines, même avec ça, elle ne s’amusait plus. Alexeï Andrevski avait fini par fondre au brûlant soleil de ses sourires, à son éclatante personnalité et il avait rendu les armes. Détournant ses yeux profonds d’une Mary-Anne devenue terne, il avait enfin remarqué la petite merveille rousse qui était toujours à ses côtés, souriante, sémillante, sexy en diable. Le coup de foudre à retardement, ça existe ! Mais ce bonheur tout neuf n’entamait en rien l’inquiétude que la belle amoureuse ressentait pour Mary-Anne. Une inquiétude entachée d’un rien de remords. Tout à sa nouvelle romance, elle n’avait pas vu que son amie était en train de dépérir sous ses yeux, voilà pourquoi elle retournait sa colère contre Mary, lui reprochant son silence, l’accusant presque de lui avoir caché la vérité.

    - Pardonne-moi Surprise !

    - Non, toi, pardonne-moi ! Fit-elle honteuse. Je me sens bête et très égoïste ! Je ne me rendais compte de rien ! J’aurais dû voir…

    - T’inquiète ma biche !

    - Je m’inquiète justement ! Qu’est-ce que tu comptes faire ?

    - Rien…Partir en vacances. Je suis surmenée, ce doit être la cause de tout ça ! Félie va me remonter pièce par pièce, tu la connais !

    - Si je la connais ?

    Elle la connaissait depuis l’enfance. Leurs deux familles avaient été unies comme les doigts de la main, dès l’arrivée des Conroy-Defrance à Lille. C’est la raison pour laquelle, en dépit d’une différence d’âge de cinq ans, les jeunes femmes étaient comme des sœurs. C’est d’ailleurs ainsi que Mary-Anne, fille unique, avait considéré le poupon potelé au fin duvet roux, sitôt qu’elle l’avait découvert dans son berceau. Surprise avait représenté le plus merveilleux des cadeaux de Noël pour cette fillette un peu trop solitaire, le 26 décembre de l’année 2022…

    - Quand vas-tu la rejoindre au fait ?

    - Dans trois jours. Maintenant que j’ai fait vérifier ma vieille guimbarde, tout es OK. Maman est impatiente. En plus, sa voiture est HS, alors tu imagines !

    - Ça lui fait quel âge?

    - À la voiture ?

    - Ah ! Je te retrouve, j’aime mieux ça ! Je te parle de ta mère rigolote !

    - 55 en août. Elle pète la forme et elle a hâte de me présenter sa nouvelle amie.

    - Ah bon ?

    - Oui, une certaine Fleur de Lune dont elle me rebat les oreilles chaque fois qu’on s’appelle.

    Chère Félie. Elle espérait bien avoir réussi à lui masquer son lamentable état. Elle en doutait cependant, sa mère était tellement intuitive ! Et le visiophone un tel traître ! Elle avait sûrement remarqué mais ainsi qu’à son habitude, n’en avait rien dit, attendant de sa fille qu’elle se confie librement, comme elle l’avait toujours fait enfant.

    Cette fois, elle n’avait pas pu. Ce qu’elle vivait n’avait rien à voir avec ses chagrins de fillette ou ses peines de cœur d’adolescente.

    Rien !

    Pour l’heure, grâce à la verve de sa pétulante amie, elle avait un peu oublié ses soucis. Elle ne voulait pas, surtout pas y revenir ! La joie de vivre de Surprise était contagieuse et elle avait très envie de se laisser contaminer. De plus, le fait d’avoir enfin vidé son cœur, rendait son problème moins douloureux.

    - Bon ma jolie ! C’est pas tout ça mais faut que j’y aille moi, j’ai rencard ! Clama Surprise.

    - Rencard ?

    - Ben oui quoi ! Avec Al, tu sais, Al, ce super mec qui est notre patron ? Le beau gosse qui te laisse bof, comme tu dis ! Pffffttt ! Vrai ma vieille, il est temps que tu prennes tes vacances toi !

    - Excuse-moi ! Et les tiennes c’est ?

    - Dans une semaine ! Et tu sais quoi ? Ben je les passe avec Alexeï ! Le pied ! Au fait, n’oublie pas notre rendez-vous au resto demain, pour tes 30 ans. On t’a tous préparé plein de surprises !

    - J’y serai !

    - J’y compte bien ! Bon ! J’y vais cette fois ou Al va m’attendre ! Je ne vais pas dormir beaucoup cette nuit … Bye !

    Sa mine gourmande en disait long sur cette future et chaude nuit. Elle lui fit rapidement la bise et s’éloigna sans avoir entendu la réponse murmurée de Mary :

    - Moi non plus !

    Elle enviait son amie de n’avoir d’autre souci qu’un rendez-vous d’amour. Elle n’était pas étonnée que Surprise ait si vite oublié l’histoire extravagante qu’elle venait de lui raconter. Comment lui en vouloir ? C’était un vrai feu follet !

    Le seul rendez-vous qui l’attendait, elle, c’était celui que lui donnait chaque nuit la voix sans visage. Une rencontre troublante et angoissante qu’elle avait fini par espérer autant qu’elle la redoutait.

    Elle voulait savoir !


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  • Les Sages de Washington poursuivirent avec ardeur et sérieux le travail de démilitarisation entrepris avant la fin du XXe siècle. Entre 1998 et 2000, la France en effet, avait déjà fait le premier pas en remplaçant progressivement son contingent d’appelés par des engagés volontaires. Les pays qui pratiquaient comme elle, la conscription des jeunes recrues pour le service militaire, avaient peu à peu suivi son exemple. À partir de 2000, on avait vu naître un peu partout des armées de métier réduites à leur plus simple expression. Tous les soldats du monde étaient censés devenir, petit à petit, tels les casques bleus de l’ONU, des garants de la paix. On avait commencé à détruire le gros arsenal militaire, y compris les armes nucléaires.

    Puis la Crise avait éclaté, remettant tout en question. Pour éteindre les multiples foyers de guerre civile ou religieuse qui s’allumaient un peu partout sur la planète, on avait rappelé sous les drapeaux tous les jeunes hommes et femmes en âge de se battre. Il fallait bien remplacer ceux qui mouraient sur les champs de bataille. Lorsque l’humanité, malade, épuisée, lasse de vivre le poing levé, en eut assez de payer à la mort un si lourd tribut, les combats cessèrent et il fallut penser à reconstruire, à guérir. Et l’on reparla désarmement. Alors les Sages élus en 2037 purent enfin se pencher sur un monde à deux doigts de l’agonie. Un monde sauvé de justesse et qu’il fallait remettre en état pour son propre bien et pour celui de ses enfants.

    Peu après ces désastres successifs et faisant suite à des années de politique de l'autruche, on reconnut que les plus vieilles des centrales nucléaires montraient des signes évidents de défaillance. Quelques fuites radioactives spectaculaires et meurtrières vinrent à bout des plus grandes résistances. Se rendant enfin aux raisons des mouvements écologistes, les Sages firent désactiver toutes les centrales jugées dangereuses. Tchernobyl avait été une dure leçon et l’on n'avait mis que trop de temps à l’apprendre.

    On admit également la nécessité absolue de réduire le parc automobile mondial. En effet, bien qu’on ait prédit à maintes et maintes reprises la fin des réserves pétrolifères, trop de véhicules roulaient encore avec ce carburant fossile et néfaste dont les gaz d’échappement causaient de mortels pics de pollution atmosphérique, responsables de l'effet de serre et de la destruction progressive de la couche d'ozone. Mais les pollutions industrielles et domestiques n'étaient pas en reste Il était urgent qu’une loi anti-pollution d’une exemplaire sévérité, soit rapidement mise en place. Cela fut fait et elle fut votée à l'unanimité des Sages.

    La recherche en énergies propres qui avait débuté timidement à la fin du XXe siècle, s’intensifia. On admettait enfin qu’il fallait que cesse le monopole des pétroliers. Un monopole qui pesait trop lourd dans la balance d’une économie mondiale à genoux et qui exerçait par trop son pouvoir absolu sur le monde politique.

    Les méga budgets consacrés auparavant à l’armement et à la guerre, furent affectés équitablement entre la recherche médicale, la protection de l’environnement, le redressement de l’économie et la recherche en énergies nouvelles renouvelables non polluantes. Il fallait également apporter soin et réconfort à tous ceux qui avaient survécu à la Grande Crise, faire renaître en eux espoir et confiance, les remettre au travail et Dieu sait qu’il y en avait !

    Des milices se formèrent spontanément qui se donnèrent pour but de rétablir l’ordre et de stopper le bras haineux de la vindicte populaire. Même s’ils le méritaient, il fallait arrêter les exécutions sommaires et systématiques de tous les rebuts de la terre, pillards, profiteurs, violeurs, voleurs, assassins, pourvoyeurs de drogue ou de chair fraîche et leurs commanditaires, mafiosi, membres éminents des grands cartels, policiers et politiciens véreux, trafiquants d’armes. Trafiquants d'hommes aussi car l'esclavage avait retrouvé de hideuses lettres de noblesse dans les pays sous-développé où même des enfants risquaient la mort pour extraire des pierres précieuses ou de l'or… Le jugement du peuple fut sans appel pour ces criminels. On les pourchassait d’un bout à l’autre de la planète, on allait même jusqu’à les tirer de leurs geôles pour les tuer sans autre forme de procès. Il n’en restait pas beaucoup en 2037 qui aient échappé au massacre. Ceux qui ne moisissaient pas en prison furent retrouvés, arrêtés, honorablement jugés puis exécutés. Nul esprit de vengeance mais pas de pitié non plus. On se débarrassait d’eux comme on l’aurait fait de fruits pourris ou d’animaux malfaisants. Point. Ce furent les dernières fois que fut appliquée la peine de mort.

    Par la suite, les milices qui avaient fait du bon travail, furent néanmoins démantelées et remplacées par un corps de police mondial unique, les Gardiens de l’Ordre et de la Paix. Véritable formation paramilitaire étatique composée de l’élite intègre et dure des anciennes forces policières de tous les pays, ces G O P, hommes et femmes, furent renforcés par d’ex-miliciens reconvertis, autorisés par le gouvernement des Sages à en grossir les rangs. On finit par les appeler « gops », comme l'on disait autrefois flics ou cops.

    La recherche médicale, dotée de nouveaux et faramineux subsides, fit un prodigieux bond en avant. On mit au point un vaccin qui prévenait tous les types de pathologie. Ce vaccin universel procédait directement de la thérapie génique.

    Au cours de l’expérimentation sur les singes on lui avait très vite découvert une propriété extraordinaire et tout à fait inespérée : il ralentissait considérablement le processus de vieillissement. Baptisé UAS, pour Universel Anti Sénescence, il augmenta l’espérance de vie de façon très significative réduisant quasiment à néant l’écart qui existait autrefois entre celle des femmes et celle des hommes. La doyenne des français, Jeanne Calment, qui en 1996, avait atteint l’âge canonique de 120 ans, devait se retourner de bonheur dans sa tombe. Il n’était plus rare désormais de dépasser les 140 ans.

    Demain, avec sa petite trentaine, Mary-Anne ferait d’ailleurs figure de jeunette. Elle n’en serait en effet pas même au quart de sa vie. À moins que les cauchemars qui, depuis un mois faisaient de ses nuits un enfer, ne parviennent à la détruire. Il n’existait hélas aucun vaccin pour la prémunir contre cela. Lasse au-delà de tout, déprimée, elle se demandait quel crime elle avait commis aux yeux de Dieu, qui mérite une telle punition. Elle aurait mille fois préféré subir les pires châtiments réservés aux « criminels » d’aujourd’hui. Un PUP de reboisement en Amazonie par exemple.

    Ces Peines d’Utilité Planétaire, étaient appliquées à tous ceux qui, par des actes délibérés, menaçaient un équilibre écologique difficilement retrouvé, ou à ceux qui contrevenaient aux lois régissant l’Ordre et la Paix édictées par le Gouvernement Unique.

    La jeune femme n’était pas loin de penser que même la lobotomisation et l’internement doublé de l’isolation à vie dans les tristement célèbres Q H I, qu’on appliquait désormais à titre de peine capitale à ceux dont les pulsions criminelles reconnues n’avaient pu être éliminées par une psychothérapie de choc, auraient été préférables à ce qu’elle endurait. Ceux que la Justice condamnait à cette terrible punition ne rêvaient pas eux ! Du moins d’après le peu qu’on en savait.

    Ces songes cauchemardesques suivis de réveils difficiles, étaient de plus en plus fréquents.

    Trêve de pensées moroses, il lui fallait se hâter. Bien que son lieu de travail ne soit pas très éloigné, au train où elle se remuait, elle risquait tout de même de se mettre en retard et elle avait horreur de ça !

    Le HCHU de Lille - qui venait d’être rebaptisé Hôpital Hippocrate - véritable petite ville dans la mégalopole nordique, n’était qu’à un quart d’heure de marche de chez elle. Elle aimait ce court trajet qu’elle effectuait en compagnie de Surprise chaque fois que leur emploi du temps commun le leur permettait. Cette trotte au petit jour, en toutes saisons et par tous les temps, lui faisait toujours un bien fou et achevait de dissiper les dernières vapeurs du sommeil. À ces heures-là, encore moins de voitures qu’en pleine journée où elles étaient déjà peu nombreuses et pas encore de tramways dont les navettes ne commençaient leurs circuits qu’à partir de 7h et dont l’incessant va et vient s’interrompait à 19h précises. Quant au métro, il vrombissait déjà sous ses pieds mais ça ne la dérangeait pas.

    La capitale du Nord, comme toutes les autres grandes villes du monde, observait scrupuleusement la loi écologique anti-pollution votée vingt ans auparavant. Loi qui limitait au strict minimum utile, la circulation des véhicules à carburant vert ou à gazogène, soit une voiture par cellule familiale, autorisée à rouler intra muros, entre quatre et sept heures pour se rendre au boulot, entre seize et dix-huit heures pour en revenir et à toute heure du jour et de la nuit en cas d’urgence reconnue et signalée à la Centrale de Contrôle de Conduite (CCC) ou plus exactement à la CDC (Central Driving Control ), l’anglais étant la langue officielle de l’Union Mondiale des Nations. Laquelle Centrale vérifiait évidemment ultérieurement la validité de la demande et punissait le contrevenant en cas de mensonge avéré. Les seuls autres véhicules autorisés à rouler librement et sans restriction parce que prioritaires, étaient les ambulances, les unités motorisées de soin d’urgence ou UMSU, les médecins, les véhicules des pompiers, ceux des gops et enfin, ceux des officiels signalés par leur logo bleu représentant la Terre. Pour le reste, en ville, on devait se limiter à l’usage des transports en commun, tram, métro ou électro bus, à la bicyclette en solo ou en tandem ou encore, à la marche à pied. Car même si la recherche en ce sens avançait à pas de géant, on n’était pas encore parvenu à la pollution zéro et les véhicules solaires ou bio à grande autonomie n’en étaient encore qu’au stade du prototype.

    Quant aux électrautos, si elles existaient, c’était en petit nombre et elles étaient réservées aux plus fortunés. Eux seuls pouvaient se payer les mini stations de recharge à domicile, extrêmement onéreuses. De plus, la faible autonomie des voitures électriques, les restreignait encore à la circulation citadine et elles étaient soumises aux mêmes restrictions horaires et de vitesse que les autres. En gros, chaque voiture disposait d’un kilométrage annuel autorisé ou KA, de 2000 kilomètres, circulation intra et extra muros comprises, qu’une majorité prévoyante, utilisait pour les congés annuels, se contentant ainsi que le faisait Mary-Anne dont la voiture vieillissait, des transports en commun ou de la marche pour les déplacements courants.

    On ne riait plus depuis longtemps des ingénieux bricoleurs qui avaient réactualisé les traditionnels vélos-pousses asiatiques; pas plus que de celui, à présent richissime qui, s'inspirant des pédalos et des voitures à pédales mises à la disposition des touristes dans certaines stations balnéaires, avait remis au gout du jour pour les déplacements en ville, sous une forme plus robuste et utilitaire, ce qu'on appelait désormais depuis, les pédalautos. Ces véhicules allant de deux à dix places, étaient décapotables, possédaient un coffre volumineux et convenaient à merveille aux écologistes forcenés ou aux sportifs. Leurs conducteurs ne risquaient pas, eux, de contrevenir à la Loi anti-pollution ni à celles de la circulation.

    Toutes ces mesures avaient fortement réduit le parc automobile mondial et par là même, diminué considérablement la pollution atmosphérique. La couche d’ozone autrefois affaiblie, avait fini par reprendre son rôle protecteur.

    Chaque véhicule motorisé était soumis en permanence à la pointilleuse surveillance de la CDC laquelle avait préalablement attribué à son ou ses chauffeurs potentiels, après un examen rigoureux bien entendu, un Brevet d’Aptitude à la Conduite Internationale ou BACI qui répondait aux sévères exigences établies par la commission spécialisée nommée par le gouvernement. Le BACI s’était substitué à l’ancien permis à points. C’était une carte à puces comptabilisée en KA. Véritable témoin de contrôle, cette carte, introduite dans le lecteur interne dont chaque voiture même hors d’âge avait été obligatoirement équipée, remplaçait la clé de contact. Dès le démarrage, elle transmettait à la Centrale toutes les données concernant le conducteur au volant et sa conduite. Tout écart se voyait immédiatement sanctionné par la désactivation sur la carte, d’une ou plusieurs puces. Elle en comprenait vingt, chacune équivalant à cent KA. Dépassement de la vitesse autorisée limitée à 50 en ville, 70 sur route et 90 sur autostrade, dépassement du KA, manquement grave aux règles de sécurité que ce soit en ville ou à l’extérieur et c’était la sanction sans appel.

    Un BACI totalement désactivé entraînait le retrait à vie du permis, la confiscation immédiate du véhicule ainsi que son recyclage programmé dans la foulée. La conséquence en était que les autres conducteurs, considérés comme coresponsables, perdaient ainsi le bénéfice du moyen de transport qu’ils partageaient avec le fautif. En revanche, tout conducteur respectueux des lois se voyait attribué des bonus, allant de 50 à 500 KA pour le super bonus.

    Quand il n’était pas supprimé, le BACI était annuellement réactualisé par la CDC, en tenant compte des malus ou des bonus de l’année précédente mais les KA extra muros non utilisés, eux, n’étaient pas cumulables d’une année sur l’autre. Aussi pouvait-on commencer une année avec 2500 KA maximum, ou avec moins de 1000 KA en fonction de la foudre des malus cumulés.

    À l’approche des vacances, Mary-Anne suscitait l’admiration et l’envie de ses amis avec ses 2500 KA mais pour l’heure, elle s’en moquait bien.

    Même la perspective de revoir sa mère après une longue année de séparation, ne parvenait pas à la sortir du marasme dans lequel la plongeaient encore les réminiscences de ce rêve qui la hantait depuis un peu plus d’un mois.

    Ça avait commencé le 1er juin… Elle se souvenait

    « ...5h, elle se dresse sur son lit, hagarde et trempée de sueur. Ce réveil brutal à l’aube, lui laisse une impression de peur sournoise qui perdurera toute la journée. Contradictoirement, une petite lueur à peine entrevue a brillé, un espoir fugitif vite étouffé par la peur qui l’a envahie toute entière. Malgré la transpiration qui mouille sa fine nuisette, elle a froid, tellement froid… »

    Un mois après, l’appel résonnait encore dans sa tête, si réel !

    « Venez…Venez…Venez ! »

    Plus qu’une simple demande, c’était à la fois une injonction insistante, autoritaire et une supplique implorante, un pathétique appel au secours. Cette prière répétée lui parvenait à la façon de coups assourdis. Tels ceux qu’un mineur en danger de mort, coincé dans un éboulement de galerie, aurait désespérément frappés contre les parois de sa prison de pierre.

    « Venez… Venez… Venez ! »

    Le cri vibrait dans sa poitrine. Il pulsait, suivant le rythme haletant de sa respiration et celui effréné des battements de son cœur. Elle avait posé une main fébrile sur son front douloureux où résonnait une fois encore, comme en écho, l’étrange appel : «  Venez… Venez…»

    Puis ce fut le silence. Un silence pesant et…triste. Oui, triste ! C’est ainsi qu’elle l’avait ressenti en dépit du soulagement qu’il lui avait soudainement apporté. Elle s’était morigénée, avait sauté du lit. Surprise allait l’attendre !

    En la voyant, son amie n’avait pas été dupe. Ses yeux cernés, ses bâillements difficilement réprimés, la trahissaient.

    - Toi, t’es pas au top ! Lui avait-elle dit tout de go.

    - Mal dormi ! Avait-elle répondu évasive.

    - Courage ma vieille ! C’est bientôt les vacances ! Mais pour l’instant, active ou on sera en retard. Et tu connais Hortensia non?

    Évidemment qu’elle connaissait Vésuve, comme tout le service appelait Hortensia Bellini, surveillante générale de la Chirec, parangon de l’ordre et de l’exactitude, qui avait dû être adjudant-chef dans une autre vie. L’italienne ne rigolait pas pendant le boulot. Ni avant ni après d'ailleurs, pensait la majorité. Elles avaient fait la course et Mary-Anne avait oublié son cauchemar. Sa dure journée de travail - Hortensia avait été particulièrement exécrable- avait fini d’en effacer toute trace. Il lui avait en outre fallu consoler Surprise d’une nouvelle déconfiture. Comme d’habitude, ses œillades assassines n’avaient eu aucun effet sur le bel Alexeï, Al pour les intimes. Lorsqu’elles l’avaient croisé au cours de sa visite matinale, il avait posé son irrésistible regard de velours noir sur Mary-Anne qui l’avait ignoré et il avait distraitement salué la jolie rouquine qui elle, le dévorait des yeux.

    - Il ne me voit même pas! À croire que je suis transparente pour lui ! Avait alors marmonné la jeune fille dépitée.

    - Il doit penser que tu es déjà prise ! Tout le monde ici sait que tu sors avec le bel Orion !

    - Je sortais ! Tu as au moins trois rames de retard ma fille ! J’ai rompu avec ce flagorneur il y a déjà presque une semaine !

    - Excuse ! J’ignorais !

    - Sûr ! Si tu mettais le nez dehors un peu plus souvent, tu saurais ! Mary…

    - Ah non! Tu ne vas pas recommencer avec ça !

    Ça, c’était l’acharnement de Surprise à vouloir caser son amie qu’elle trouvait un peu trop sage, prude, solitaire et…

    - Tout le monde n’a pas tes talents de séductrice et ma vie me plaît ainsi ! Je ne suis pas seule, je vous ai, Typh', Jéza et toi et ça me suffit ! D’accord ?

    - Tu m’énerves à toujours deviner ce que je vais dire mais bon ! D’accord ! En tous cas, si tu te décides enfin à t’amuser un peu, touche pas à Alexeï hein ?

    - Bof ! Moi, Alexeï tu sais… Avait-elle répondu sans daigner finir sa phrase.

    - Bof ? Elle a dit Bof ! Je lui parle du sublimissime Al et elle ne trouve rien d’autre à me dire que bof ! J’y crois pas !

    Là-dessus elles avaient éclaté de rire ensemble, au grand dam de Vésuve qui passait justement par là.

    - Au travail mesdemoiselles et fissa au lieu de rester là à glander et à glousser comme des gamines attardées ! Leur avait-elle craché en leur jetant un regard furibard.

    Obéissantes, les deux infirmières étaient reparties à l’assaut du vaste service de Chirec au sein duquel elles officiaient de concert. Le travail n'y manquait pas. Pas plus que dans l'ensemble des autres services au demeurant et ce en dépit de la disparition quasi totale des pathologies bactériennes et virales ainsi que de tous ces fléaux incurables auxquels s’était heurtée la recherche médicale du XXe siècle, tel le cancer, le Sida, Alzheimer, la myopathie, la sclérose en plaques… Tout cela grâce à la découverte du Vaccin Universel et à une formidable avancée en matière de lutte contre le vieillissement. Si les hôpitaux ne désemplissaient pas c’est parce qu’on attachait désormais une importance capitale à la prévention sous toutes ses formes.

    Voilà pourquoi la Chirec était un département si bien coté. C’était le domaine réservé d’Alexeï Andrevski et de toute son équipe. Il en était le patron incontesté et il y exerçait son art avec un talent mondialement reconnu.

    La chirurgie reconstructive regroupait toutes les disciplines de réparation et de maintien à sa forme optimale du corps et de l’esprit : chirurgie plastique, esthétique, ostéoplastie, régénération et remodelage musculaire, tissulaire, cellulaire et neurologique grâce au merveilleux travail interne des cellules souches et des nano-organismes réparateurs. Il englobait, avec la vaccination UAS, les traitements préventifs contre le vieillissement, les traitements de maintien et la thérapie génique. Servi par une technologie de pointe comme tous les autres, il était renforcé par une unité de soutien psy.

    Les raisons de ce fonctionnement intensif des hôpitaux, c’est que l’OMS avait rendu obligatoire le contrôle de la santé dès la naissance et durant toute la vie. Ce contrôle comprenait la vaccination UAS, au troisième mois pour les nourrissons, suivie de rappels tous les deux ans jusqu’à 20 ans, puis tous les cinq ans jusqu’à 40 et enfin tous les dix ans à partir de cet âge. En outre, tout nouveau sexagénaire était soumis à un traitement annuel de maintien anti-sénescence à base de nano-reconstruction des organes vieillissants. L’OMS imposait à cette population dite « à risque », des cures d’une à deux semaines par an en milieu hospitalier, afin d’y subir des batteries de tests ainsi que toute réparation jugée nécessaire par le corps médical habilité : régénération, remodelage, hormonothérapie, psychothérapie…

    Presque à eux seuls, les sexagénaires et au-delà, constituaient par conséquent, la population quasi constante du service de Chirec, vite sortie, vite renouvelée. Le reste était composé des hospitalisés volontaires et des rares cas «d’accidentés »: brûlés, blessés, suicidés ratés et autres imprudents ou négligents.

    Dans le deuxième service en importance, la Matobs, qui regroupait maternité, gynécologie, obstétrique et sexologie, le soutien psy était également de rigueur car outre les accouchements, on y traitait de nombreux cas de stérilités psychosomatiques, d’impuissance ou de frigidité.

    Ces « maladies » étaient apparues pendant et après la Grande Crise chez des millions de rescapés.

    C’est à la Matobs que très jeune infirmière fraîche émoulue, Mary-Anne avait fait ses débuts en aidant son premier bébé à venir au monde. En ce temps-là, la volcanique Hortensia Bellini ne crachait pas encore feu et flammes sur la basse classe infirmière.

    En fin d’après-midi, la jeune femme était si épuisée qu’elle ne se souvenait pas d’avoir rêvé. Ni même d’avoir dormi d’ailleurs. Surprise, aussi fatiguée qu’elle, rhabillée en un tournemain, l’entraîna dehors sitôt la fin de leur service.

    - Viens ma belle ! Je t’offre un pot avant que tu ne regagnes ta tanière !

    « Venez… Venez … » Crut-elle alors entendre dans sa tête.

    Elle se figea, puis vacilla. La main de Surprise sur son épaule la retint de tomber.

    - Eh Mary, ça va ?

    - Juste un peu mal au crâne.

    - Tu veux que je te tienne compagnie ?

    - Non, non ! Ça va, je t’assure ! Mentit-elle. Et ce pieux mensonge dura plus d’un mois.

     


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  • 4 Juillet 2057, Lille, France

     

    Mary-Anne Conroy-Defrance était à trois jours de ses 30 ans. Était-ce la raison de l’indicible angoisse qui lui étreignait le cœur ? Amère, elle pensa à Surprise, sa meilleure amie, plus jeune qu’elle de cinq ans et qui, en son honneur, était sans doute en train de concocter une nouba de son cru. Elle savait déjà qui serait présent pour souffler avec elle les trente bougies. Il y aurait Surprise bien sûr, accompagnée de son insupportable frère. Bon, d’accord ! Pas si insupportable que ça ! Juste un chouïa trop jeune et trop exubérant pour elle ! Et de plus, absolument incontournable ! En effet, Typhon - le bien nommé puisqu’il était né durant une de ces violentes manifestations de la nature - n’aurait pour rien au monde manqué une fête organisée par sa sœur, surtout sachant qu’elle en particulier, en serait la principale invitée. Quelle belle occasion pour lui que cette canonique trentaine pour la charrier une fois de plus sur son grand âge ! À 23 ans à peine, il en avait le droit.

    Il y aurait également Alexeï Andrevski. Sa rousse amie avait enfin réussi à conquérir le beau chirurgien tant convoité par les célibataires féminines, non seulement celles du service de Chirec dont il était le « patron » et où elles travaillaient toutes deux, mais aussi toutes celles du HCHU de Lille, troisième Hyper Complexe Hospitalier Universitaire de la grande et puissante Nation Européenne.

    Pour clore la courte liste des invités, il y aurait une autre de ses rares amies, Jézabel Beauregard qui exerçait avec une passion exemplaire et un talent reconnu bien au-delà des frontières de ladite Nation, la très estimée profession de psychothérapeute ou thérapsy comme il était devenu l’usage de dire.

    Ses parents eux, ne seraient pas là pensa-t-elle tristement. Ni Ophélia - Félie pour ses proches - sa mère, américaine de naissance qui lui avait légué ses cheveux blond cendré et ses yeux verts légèrement taillés en amande. Elle habitait trop loin ! Ni son père et pour cause, il était mort douze ans auparavant. C’est de Patrick Defrance qu’elle tenait sa haute taille, un bon mètre soixante-quinze.

    Mary-Anne était belle mais elle n’en avait pas conscience. Ceux qui l’aimaient pensaient qu’elle était aussi belle au-dedans qu’au-dehors. Simple, sensible, généreuse, désintéressée, déterminée et douce à la fois, elle était de surcroît habituellement dotée d’un solide sens de l’humour. Ce qui surprenait le plus son entourage, c’est qu’en dépit des qualités dont la nature et l’éducation de ses parents l’avaient si abondamment pourvue, elle n’avait pas encore trouvé l’âme sœur.

    Pour sa part, elle n’en était pas étonnée. Elle était tellement accaparée par son travail qu’elle remarquait à peine les regards masculins posés sur elle. Et ils étaient nombreux pourtant, ceux que sa beauté sans affectation attirait irrésistiblement. Même, Alexeï, Don Juan patenté de l’Hôpital, s’était brûlé les ailes à sa flamme sans qu’elle y prête le moins du monde attention. Surprise qui le convoitait alors qu’il la regardait avec indifférence, en avait conçu une jalousie féroce dont leur légendaire amitié aurait pu pâtir si elle n’avait été d’une solidité à toute épreuve, y compris celle de la rivalité. Quoiqu’en fait il n’y ait aucune raison pour que la rivalité règne entre elles puisque Mary-Anne était restée insensible, aveugle même, au charme slave de son patron.

    De toute façon, elle se trouvait trop grande, trop blonde, trop banale comparée à sa pétillante amie. Surprise n’était-elle pas la plus adorable des créatures ? Jolie comme un cœur, menue mais avec tout ce qu’il fallait là où il le fallait, rousse, sexy en diable et ce qui était le plus important aux yeux de Mary-Anne, petite ! C’est ce mètre-soixante, complexant de l’avis même de l’intéressée, qui lui conférait cependant le plus envié de ses charmes : une apparente fragilité qui avait le don de susciter chez la gent masculine une envie quasi irrépressible de la dorloter, de la protéger. D’ailleurs, ses nombreuses conquêtes n’avaient jamais pu y résister Sauf Alexeï ! Enfin, jusqu’à ces derniers jours !

    Même son prénom lui allait comme un gant ! Pour ses amis des deux sexes, Surprise Moret-Montarel était en effet sans conteste la plus ravissante et la plus sympathique des surprises. C'est sans nul doute ce qu'elle avait été pour ses parents lorsqu’ils l’avaient conçue après moult essais infructueux. Voilà pourquoi, probablement en guise de remerciement, ils lui avaient offert ce prénom tout indiqué.

    Ce n'était pas le cas pour Mary-Anne. Le sien en comparaison lui semblait fade, ordinaire et bien trop désuet, au contraire de ceux d’une grande majorité des natifs de sa génération. La seule originalité qu’elle s’accordait à lui trouver, c’est ce Mary américain que tout le monde cependant, sauf sa mère évidemment, s’obstinait à prononcer à la française !

    Jusqu’à 2017 la plupart des parents avait assez scrupuleusement continué à se référer aux bons vieux calendriers d’antan, et ce bien que la Loi soit devenue bien plus souple à ce sujet. De toute façon lorsque Le monde avait commencé à sombrer dans la crise, les législateurs, qu’ils soient ou non pointilleux, avaient eu d’autres chats à fouetter. De juges, ils étaient devenus accusés et il leur avait fallu se cacher pour échapper à la vindicte populaire. C’est donc sans nul doute pour lutter contre la peur, la folie meurtrière et le désespoir ambiant, que les gens avaient affublé leurs nouveau-nés de prénoms de plus en plus excentriques, allant crescendo de la simple extravagance au mauvais goût absolu en la matière. Aucun pays n’avait été en reste dans ce domaine ! En France, Pêche, Pomme, Prune, Cerise ou encore Comète, Éclipse, Galaxie pour les filles, Soleil, Pharaon, Viking, Typhon, Ouragan, Karaté, Millénium pour les garçons, étaient devenus très en vogue de même que les divinités grecques, latines ou égyptiennes ou les constellations.

    Des flopées de Némésis, Galatée, Horus, Orion, Saturne, Thésée, Pluton, Apollon, Uranus, Ammon, Anubis, Imhotep, Isis, Déméter, Vulcain, Perséphone, Héphaïstos Poséidon Persée, Cassiopée, Bételgeuse, avaient ainsi vu le jour. Puis étaient nés des Révolution, des Rebel et Rebelle, des Victoire, des Liberté, des Pacifico ou Pacifica…

    Referenda et Referendum connurent un essor fulgurant en 2036 après le succès phénoménal du Référendum Mondial pour le Oui à l’instauration du premier Gouvernement des Sages.

    Un gouvernement unique mis en place un an plus tard à la Maison Blanche et formé de Sages, comme son nom l’indiquait. Des hommes et des femmes de tous les pays, de toutes les races, de toutes les confessions, médecins, penseurs, savants, religieux, Prix Nobel toutes catégories, anciens membres de Greenpeace, d'Amnesty International, de Médecins sans frontières, de l'ONU ou de l’UNESCO…Tous appelés à prendre en main les destinées du monde, tous décidés à le guérir de ses maux.

    Ce consensus mondial résultait de la succession de crises qui avaient déjà commencé à ébranler la planète quelques temps après l’avènement du troisième millénaire. Il faut dire qu’encore bien avant cela, les signes avant-coureurs avaient été nombreux que les décideurs qui présidaient alors aux destinées de la Terre, n’avaient voulu ni voir ni entendre. Nul alors, n’avait écouté les avertissements des prophètes de tous poils qui criaient à l’apocalypse. Quant aux craintes diffuses des peuples que l’aube de l’an 2000 emplissait d’appréhension, elles avaient été très vite étouffées par les paroles rassurantes des politiciens et des économistes qui presque tous prêchaient pour un seul Dieu nommé Pognon et par celles d’un panel de scientifiques qui refusaient tout alarmisme.

    Tout était prévisible pourtant et ce qui arriva ne vint ni d’une autre galaxie, ni de la colère d’une divinité courroucée, ni du ventre magmatique de la Terre mais plutôt de la folie des Hommes, de leurs erreurs, de leur incurie et de leur aveuglement ainsi que de leur naturelle propension à être les pires des prédateurs pour eux-mêmes et pour leur environnement. L’équilibre entre leur instinct de survie et leurs penchants autodestructeurs, devint déséquilibre au point que la balance finit par pencher du mauvais côté, celui du désespoir, de la violence et de la mort. Et la Terre pleura des larmes de sang…

    La liste est longue des maux dont elle souffrit et dont souffrirent ses enfants par leur propre faute. Ce n’est pas pour rien que les historiens baptisèrent Grande Crise cette funeste période de trouble et de violence, la plus longue et la plus sanglante de notre ère civilisée, puisqu’elle s’étendit sur plus de vingt-cinq ans ! Il faut remonter aux années 90 pour en déceler les prémices. Mouvements de colère, grogne grandissante, nés du chômage, de la misère, des injustices, du racisme, de la criminelle inconscience des nantis…

    Puis il y avait eu le 11 septembre 2001 et ses conséquences collatérales Un acte de terrorisme sans précédent et particulièrement meurtrier qui toucha le cœur même de ce qui était alors la plus grande puissance mondiale : les États-Unis d’Amérique. Il fit près de trois mille victimes civiles et fut ressenti par cette grande et fière nation comme une attaque contre les plus solides symboles de sa puissance : l’économie et l’armée.

    La riposte avait été rapide mais la guerre fut longue et elle eut pour effet durable, d’exacerber plus encore qu’il n’était possible la fibre religieuse et fanatique des intégristes. L’Amérique déstabilisée, c’est le Monde entier qui tremblait sur ses bases ! Sur toutes les places boursières, les cours s’effondrèrent, faisant peu à peu basculer le Monde dans une crise que d’aucuns avaient prophétisée de longue date sans rien obtenir d’autre que moquerie ou pire, indifférence. Puis elle se poursuivit, cahin-caha dans une espèce d’apathie secouée de temps à autre par les évènements : une poussée de fièvre populaire, une énième crise pétrolière, un nouveau virus résistant, une pandémie grippale, un crack boursier, une vague d’attentats sanglants, quelques attaques chimiques et bactériologiques particulièrement virulentes…

    Pour ce qui est des éternels brûlots de tension, des multiples conflits armés sans cesse ranimés aux quatre coins du globe, on y était tellement habitués qu’ils finissaient par ne plus intéresser personne. Ils passaient à la télé entre la poire et le fromage sans que quiconque lève le nez de son assiette !

    Toutefois, à partir de 2015 les évènements se précipitèrent. Ce qu'on avait baptisé le Quart Monde, plongé dans la misère par une profonde crise économique devenue planétaire, se révolta contre son sort inique. Ici et là les populations à faible revenus, affamées et obérées d'impôts, les armées de chômeurs et de SDF, s'organisaient. La révolution des gagne-petit et des sans- le-sou, se mettait en marche contre tout ce qui représentait le pouvoir de l'argent.

    Banques, édifices gouvernementaux, postes de police, grandes écoles élitistes, hôtels, restaurants, magasins de luxe, étaient attaqués, dévastés, les employés molestés, les dirigeants séquestrés, tués parfois.

    En-deçà de ces agressions vengeresses, on ne comptait plus les saccages et les pillages de grandes surfaces regorgeant de marchandises qu'il devenait de plus en plus difficile de se procurer. À ces raids organisés par des bandes armées de bric et de broc dont les rangs grossissaient chaque jour, répondaient les expéditions punitives sans pitié des forces de police.

    Les affrontements se multipliaient aussi vite que se multipliaient les camps opposés. Il y avait ceux qui possédaient un peu plus que les autres sans être riches pour autant et qui ne voulaient pas perdre une miette de leurs maigres privilèges. Ceux-là se rangeaient du côté de l'ordre. Et il y avait ceux qui ne possédaient rien ou presque et dont la simple survie était une nécessité absolue. Ceux-là rejoignaient la résistance. C'est ainsi que le Monde entier devint le théâtre de multiples guerres civiles.

    La violence engendre la violence. Elle génère ou régénère les forces du mal. Profitant du climat délétère général, la branche la plus dure et la plus intégriste de l'Islam monta en puissance, suscitant une série d’attentats plus meurtriers encore que celui qui avait frappé les tours jumelles par le passé. Le premier détruisit le Pentagone, le deuxième, le siège du Parlement européen, le troisième toucha sérieusement le Vatican. L'occasion était trop belle pour les USA de désamorcer la "révolution mondiale" en titillant la fibre solidaire des peuples contre le terrorisme.

    On enrôla donc des volontaires pour une nouvelle guerre sainte tandis que les imams intégristes en appelaient une fois de plus à la Charia contre le Grand Satan américain et ses alliés. Et tous ces civils qui s'entretuaient au nom de l'égalité et de la justice, moururent sous les tirs de roquettes ou dans l'explosion des bombes humaines des terroristes kamikazes, au nom de Dieu. Un seul et même Dieu pourtant, mais avec un nom différent pour chacun des deux camps !

    La troisième guerre mondiale qu’on avait jusqu’alors évitée, ne faisait que commencer. Une guérilla à grande échelle qui allait ajouter au délabrement de la Terre et de ses richesses déjà bien entamées par la bêtise et l’inconscience de sa progéniture. Car c’est cela, bien plus que cette guerre d’usure qui fit sombrer l’Humanité dans la tourmente et les ténèbres !

    Pollutions multiples de l’atmosphère, de l’eau, des océans ; déforestation, désertification, viol et pillage des ressources naturelles, extinction d’espèces protégées de la faune et de la flore tant terrestre que sous-marine; urbanisation et industrialisation forcenées...

    « L’Humanité vit au dessus de ses moyens » Fut le terrible constat de quelques analystes avisés.

    Pour autant, les sommets mondiaux en faveur de l'environnement n'aboutissaient à aucune véritable prise de conscience salutaire. Les écologistes tiraient en vain la sonnette d'alarme. Si elle éveillait un écho chez le bon peuple, leur véhémence suscitait la moquerie, quand ce n’était pas la colère des décideurs qui les accusaient de semer trouble et désordre. Il arrivait même qu’ils soient emprisonnés pour cela ! Ces incarcérations abusives soulevaient l’indignation. Les troubles qui s’ensuivaient étaient aussitôt étouffés dans l’œuf et au final, l’aveuglement général restait la règle absolue.

    Et le monde de s'étonner d'une succession sans précédent de catastrophes naturelles aussi meurtrières qu'inexpliquées : inondations, incendies gigantesques, séismes, tsunamis, éruptions volcaniques, glissements de terrain, sécheresses, hivers terribles, typhons, tornades et autre dérèglements climatiques liés au réchauffement de la planète. Qu’elles soient d’origine humaine ou géophysiques, toutes ces calamités ajoutées les unes aux autres à un rythme effrayant, firent des millions et des millions de victimes…

    Dans la société régie par l'argent, tout allait également à vau-l'eau. Les altermondialistes eurent beau manifester, leurs leaders finissaient en prison. Rien ne devait empêcher l'avènement de la pensée unique, de l'économie unique. La France enterra la Sécu et entra comme bien d'autres pays avant elle, dans l'ère de la capitalisation des systèmes de santé et de retraite, accentuant ainsi la pauvreté. Le chômage mondial culminait à des sommets jamais atteints. On connut partout la recrudescence de la misère, de la famine, de la criminalité…

    Dans ce climat de désespérance, l'intégrisme exacerbé ou au contraire la tiédeur des grands courants religieux amenèrent la multiplication des sectes prophétisant la fin du monde. Des gourous illuminés entraînèrent avec eux dans des vagues impressionnantes de suicides collectifs des millions d’adeptes en proie à la peur du lendemain.

    Il faut ajouter à ces victimes, celles qui périrent à cause de la drogue, des révoltes sanglantes, des pandémies colossales de sida, de variole, de choléra, de peste et même de grippe, qu’aucun des progrès pourtant énormes de la médecine ne paraissait capable d’enrayer, mais aussi toutes celles qui succombèrent lors des d’attaques bactériologiques et chimiques lancées par des nations perpétuellement en guerre et qui n’avaient de cesse que de perfectionner leurs armes de mort.

    Terrorisme, guerres civiles, tribales, religieuses, épurations ethniques, misère endémique et multiples catastrophes naturelles, c’est tout cela que l’on appela par la suite la Grande Crise. Tous ces fléaux confondus firent sur un peu plus de vingt-cinq ans, près de trois milliards de victimes.

    Le nouveau millénaire qui avait débuté sous le signe du progrès -2001 dévoilait au monde la carte du génome humain et la recherche sur les cellules souches progressait à pas de géant, redonnant espoir à des millions d’incurables - vit son élan stoppé net et s’installa dans une ère de régression et de barbarie si brutale que l’Humanité n’en avait jamais connu de telle. Et Mary-Anne, qui aurait dû avoir une enfance heureuse et choyée, vécut les huit premières années de sa vie dans un climat général de douleur et d’affliction, gavée malgré elle d’images de maladie, de misère et de mort que la télévision et les journaux vomissaient chaque jour. C’est en effet entre 2027 et 2035 que la Grande Crise connut son paroxysme.

    C’est donc ce spectacle cruel et quotidien durant son enfance qui la poussa à entreprendre sa médecine. Elle voulait rejoindre les rangs de Médecins sans frontières. Très précoce et enfin définitivement reconnue comme telle, elle obtint une dispense spéciale, pour ne pas dire exceptionnelle, qui lui permit d’entreprendre ses études à 14 ans à peine. Ce qui pouvait faire d’elle, à la fin de son cursus de huit années et à condition qu’elle n’en redouble aucune, l’un des plus jeunes médecins du Monde !

    À 16 ans son rêve mourait en même temps que son père, qui succombait à un cancer foudroyant. L’affreuse maladie ne fut vaincue que deux ans plus tard. Trop tard ! Un an après le décès de son mari, Ophélia vendait leur appartement Lillois pour émigrer en Provence, dans le vieux mas qu’ils avaient acheté et retapé ensemble. « Pour nos vieux jours ! » Disaient-ils. Mary ne voulut pas la suivre. Elle loua un petit studio. La mort dans l’âme, elle avait dû renoncer à ses ambitions et accepter le diplôme d’État d’infirmière auquel ses deux années de médecine lui donnaient droit. Elle avait aussitôt commencé à travailler. C’était pour elle une nécessité vitale et de plus, elle avait une promesse à respecter.

    Si le HCHU de Lille, mondialement réputé pour ses techniques de pointe et pour les pontes issus des quatre coins du globe qui y exerçaient, avait regretté le futur médecin de talent que les professeurs avaient pressenti en cette très jeune et très sérieuse élève, c’est à bras ouvert que son directeur général l’avait accueillie en tant qu’infirmière, trop heureux de garder en ses mûrs une telle recrue ! Elle y était entrée en 2043, à tout juste 16 ans et ne l’avait plus quitté depuis. Cinq ans après, avec l’aide de sa mère, elle achetait un coquet petit appartement non loin de l’hôpital. Tout comme Surprise avec laquelle, le plus souvent, elle formait un imparable binôme dont elle était l’élément clé, elle se dévouait corps et âme à son service. Le travail lui permettait d’oublier un passé qui lui faisait encore trop mal. Elle allait avoir trente ans et Patrick ne serait pas là pour l’embrasser ni pour la rassurer.

    Son père…À quelques années près, il aurait bénéficié des fulgurants progrès de la médecine et profité avec sa femme d’une vie heureuse, définitivement guéri de ce mal hideux dans la paix et la sécurité retrouvées. Car le Monde pourtant exsangue referma ses blessures. Il se releva.


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