• L'Arbre -Livre 1- Chapitre 14

    L’Arbre

     

    Je souffre comme un damné. C’est sans nul doute parce que je suis en Enfer.

    Je vis un enfer mais je vis ! J’ai mal !

    Tout ce qu’on m’a coupé, de la plus petite branche au plus épais morceau de tronc, me fait endurer une douleur aussi intense que celle que ressent un être humain amputé d’un de ses membres. C’est toujours celui qu’on lui a enlevé qui le fait souffrir.

    Je ne suis pas mort. Pas totalement. Pas encore.

    Je ne veux pas mourir !

    J’étais seulement inconscient sous le coup de l’atroce douleur qui me torturait et me torture toujours. Combien de temps le suis-je resté ? Je ne sais. Un mois ? Un an ? Un siècle ? Dans la nuit de l’inconscience, la notion de temps s’oblitère. La perception des choses s’amenuise jusqu’à presque disparaître. Depuis que je suis sorti de mon mortel engourdissement, je sens qu’on veille sur moi. Une présence amicale, chaude. Inquiète aussi. C’est comme une petite lampe qui clignote dans les ténèbres de mon enfer souterrain.

    Chat ?

    D’Elle je ne capte plus rien. Pas la moindre étincelle de pensée. Où est-elle ?

    Celui qui monte la garde, Chat ? Ne s’est encore aperçu de rien. Il me croit mort. C’est sur mon repos éternel qu’il veille si jalousement.

    Chat, entends-moi !

    Je ne suis pas mort. Pas totalement. Pas encore. Non !

    Je ne veux pas mourir !

    Je veux la retrouver. Elle m’a regardé partir vers ce qu’elle croyait être l’autre monde. Stoïque, elle a caché aux massacreurs l’intensité de son chagrin. Elle a partagé ma douleur et versé pour moi des larmes sanglantes dans le secret de son cœur.

    Entre deux retours à la conscience, je retombe dans le gouffre noir et profond de cette demi-mort. Il résonne du bruit sinistre de la tronçonneuse, des miaulements lugubres de mon ami et des pleurs silencieux de ma bien-aimée.

    Chat, est-ce bien toi dont je sens la douce présence auprès de moi ? Écoute ma voix Chat ! Réponds-moi !

    Je ne suis pas mort. Pas totalement. Pas encore.

    Je ne veux pas mourir !

    Il me semble qu’une toute petite partie de moi subsiste au-dessus. Le reste est enfoui près de moi et tout autour dans le jardin. Du bois pourrissant, des feuilles en décomposition. Tout ce qui fut moi nourrit maintenant mes racines affamées.

    Chat, dis-moi, c’est bien Elle qui a accompli ce prodige qui me retient de mourir tout à fait ? Quelle force insoupçonnée l’a poussée à ce dernier geste d’amour ? Un sentiment puissant est ancré en mon être atrophié : je suis sûr que c’est grâce à elle si j’ai survécu. Je suis persuadé que si je la retrouve, s’il m’est donné de la rejoindre ne serait-ce que par la pensée, je pourrai poursuivre cette lente remontée vers la vie. Une autre vie, différente, régénérée. Grâce à elle, je subirai jusqu’à son ultime phase la métamorphose qui déjà et maintenant, s’opère en moi à mon corps défendant. Une transformation aussi douloureuse qu’elle est inespérée.

    Parce qu’ils m’ont laissé mes racines et qu’ils ont omis de les empoisonner, je survis en-dessous. À moins que ce ne soit dû à un caprice du Destin ou peut-être même à une volonté plus forte que ce qui est inscrit dans ses pages. Oui, en moi la vie continue de briller, petite étincelle incandescente !

    Je ne suis pas mort. Pas totalement. Pas encore.

    Je ne veux pas mourir !

    Autre chose de plus dangereux m’anime désormais, La haine !

    En dehors d’Elle, je hais les humains. Ils m’ont tout pris. Après m’avoir tout donné en semant la graine qui devait faire de moi un bel arbre, ils m’ont tout repris. Ils m’ont condamné, détruit, parce que pour eux je n’étais qu’une chose sans âme. Juste un objet destiné à embellir leur décor. Lorsque que je suis devenu inutile et gênant à leur aune, il leur a semblé soudain urgent de se débarrasser de moi. Ils ne pouvaient même pas imaginer qu’ils me tuaient puisque pour eux je n’étais pas vivant.

    Désormais, par leur faute je suis incomplet, malade. Un grand blessé qui se remet péniblement de ses terribles meurtrissures. Un handicapé à vie. Je les hais si fort que ce sentiment destructeur brûle en moi comme un feu de forêt…Une haine vengeresse, violente, absolue.

    Je vais vivre pour leur faire payer ! Ma vengeance sera à la mesure du mal qu’ils m’ont fait. Pour l’heure je ne survis que par mes racines et par ce misérable moignon de tronc qui dépasse à peine de la terre mais une sève nouvelle coule en moi, virulente, acide comme la colère, bouillonnante comme la lave d’un volcan.

    Je suis l’Arbre en colère. Je suis tous les arbres qu’on mutile et qu’on tue de par le Monde. Je suis toutes les forêts qu’on incendie, qu’on déboise à tout va, qu’on massacre sans souci du lendemain. Et je crie vengeance !

    Je ne suis pas mort. Pas totalement. Pas encore.

    Je ne veux pas mourir !

    Je ne vais pas mourir et je vais la retrouver.

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  • Commentaires

    5
    Lundi 22 Août 2022 à 15:40

    Bonjour Anne-Marie, j'aime beaucoup ton livre, car j'ai toujours pensé qu'un arbre avait des sentiments. Et tu viens encore plus de m'en convaincre. Sourire !  Vraiment très bien écrit et nous donne l'envie de continuer à lire !

    Superbe/bravo !

    Gros bisou, bon lundi

    Jane

    4
    Lundi 22 Août 2022 à 11:14

    Dans une rue du village, un marronnier a été coupé à ras, mais pas déraciné. Depuis un moment, de la base repoussent des tiges bien droites avec des feuilles vertes. 

    Il en faut plus pour tuer un arbre. 

    Bonne journée.

      • Lundi 22 Août 2022 à 11:30

        Quand nous avons été contraints de faire couper notre cèdre déodora, parce qu'il devenait trop haut pour notre petit jardin, donc dangereux pour nous comme pour les voisins mécontents, bien qu'un bon morceau subsiste au-dessus, rien n'a repoussé autour. Je pense que l'entreprise à empoisonné les racines à l'époque, pour qu'il meurt tout à fait ! C'est en pensant à mon pauvre arbre, que j'ai écrit ce livre

    3
    Dimanche 21 Août 2022 à 23:05

    Le cri du "coeur" ! Amitiés, jill

    2
    Dimanche 21 Août 2022 à 22:09
    colettedc

    Cher arbre, non, tu ne vas pas mourir mais revivre à leur insu ; ça c'est certain !!! Bonne soirée Anne-Marie, bisous

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