• Chapitre 18

    Janvier 2059

     

    Les unités surentraînées des Forces Spéciales Gops et les espions à la solde du Gouvernement Mondial étaient en effervescence. La chasse contre les mutants et leurs alliés s'intensifiait. Les membres de la Roue, plus que jamais assimilés à des adeptes forcenés d'une secte extrêmement dangereuse, faisaient l'objet de fortes mises à prix pour leur capture. La prime était même très attractive pour tout gop qui parviendrait à en attraper ne serait-ce qu'un seul : un demi million de dryes, une grosse somme justifiée par le fait que les mutants paraissaient avoir disparu de la surface de la terre depuis le suicide de l'un des leurs lors du procès de Mary-Anne Conroy-Defrance.

    En revanche, les dénonciations anonymes faisaient rage et les pauvres innocents qui en pâtissaient, disparaissaient à jamais de la circulation, tout comme leurs délateurs lorsque les forces de l'ordre mettaient la main sur eux Mais ces choses là se faisaient dans la plus totale discrétion. Nul n'entendait jamais parler de ces milliers de bavures et nul ne les soupçonnait avant d'en être soi-même victime. C'était alors trop tard.

    Ce climat de délation sauvage obligeait Hawk et ses amis à rester dans l'ombre et les forçait en outre à d'incessants déplacements. Désormais, plus une seule cache n’était sûre bien longtemps.

    Cette fuite en avant perpétuelle pesait à Hawk et l'empêchait de se concentrer sur les opérations de recherche de sa femme. Pourtant, il ne désespérait pas. Avec son état-major habituel, il préparait activement le quatrième Rassemblement qui devait se dérouler incessamment sur le sol africain, en plein désert saharien.

    Toujours miné par l'absence de Mary, il suivait néanmoins de près les développements de la politique mondiale. Ça bougeait pas mal depuis la formation du quatrième gouvernement des Sages que la Roue avait infiltré à l'insu de tous.

    Oui, depuis mars 2058, le ver était dans le fruit. Il s'agissait d'un Élu, insoupçonnable parce que notable parmi les notables de la planète depuis longtemps. Il avait été choisi de longue date par Hawk lui-même pour cette mission délicate et périlleuse et avait, pour la remplir, mené une vie publique qui le mettait bien en vue. C'est donc le plus naturellement du monde qu'à l'instar des autres, il avait été désigné par ses pairs pour siéger dans ce nouveau gouvernement. Son nom de code était Adam, en référence à la pomme dans laquelle il était le ver. Depuis, il jouait le sale rôle de pourri parmi les pourris tout en informant secrètement les siens des manigances des hôtes de la Maison Blanche.

    Si l'originel Gouvernement Unique de la Terre - le GUT comme disait la populace - avait été à sa création, véritablement composé de femmes et d'hommes sincères, décidés à sauver un monde en perdition, il n'en était plus de même à présent. On aurait pu penser qu'après l'horreur de la Grande Crise, cette sagesse retrouvée et si chèrement acquise, durerait. Mais hélas, les Hommes n'apprennent rien !

    Ils finissent toujours par retomber dans leurs erreurs et oublient qu'on ne donne pas impunément le pouvoir suprême. Pas plus qu'on ne le reçoit sans risquer de se perdre. Même les plus saines des démocraties l'ont démontré : le pouvoir pervertit. Les plus idéalistes finissent par s'y brûler les ailes, oubliant que les rênes qu'ils tiennent en mains ne leur appartiennent pas en propre, qu'ils leur ont été confiés par le peuple. Ils finissent par oublier qu'au-delà de leurs ambitions personnelles, c'est le peuple qu'ils représentent, le peuple pour lequel ils travaillent. Ils oublient qu'à l'origine, pouvoir, est un verbe d'action, pas un verbe d'État. Ils oublient qu'ils n'ont la possibilité d'agir que parce que d'autres, confiants en leur compétences, leur ont donné le mandat pour le faire à leur place, tout en gardant le droit de leur demander des comptes pour ces actions. Insensiblement, ils détournent à leur profit cet octroi du peuple. C'est ainsi qu'au fil du temps le verbe pouvoir est devenu le vocable Pouvoir et que les hommes et les femmes à qui il est confié, ont la fâcheuse tendance à finir par s'identifier au vocable. Ils deviennent le Pouvoir.

    Voilà pourquoi il leur est si difficile de renoncer à ce qu’ils sont !

    Les hôtes provisoires de la Maison Blanche ne faisaient pas exception à cette triste règle. Le rôle privilégié de Sage, qui plus est dans un gouvernement planétaire, c’est à dire bien plus gratifiant que celui de simple président élu à la tête de son pays, possédait un redoutable attrait : placés là par les pairs de tous les peuples de la planète, les désignés devenaient en quelque sorte, les maîtres du Monde. Il y avait là de quoi finir par faire tourner la tête aux plus sages d'entre les Sages. De quoi leur donner très vite l'envie de garder le plus longtemps possible cette bien trop provisoire suprématie.

    Si en 2037 ils avaient unanimement fixé la durée maximum de leur mandat et par extension celui de ce premier GUT et des suivants à cinq ans, dès la formation du quatrième, en 2052 ils avaient fait passer leur mandat à six ans « Afin de se donner un peu plus de temps pour finaliser leurs actions.» Arguèrent-ils.

    En ce qui concernait les Sages installés en mars 2058, ils s'empressèrent, eux, de voter en chœur le septennat comme limite à la durée de leur propre mandat.

    « Sept ans, dirent-ils, c'est tout juste le temps qu'il faut pour assurer la pérennité des grands projets »

    Mais il semblait que même sept ans, ce soit trop peu aux yeux de certains !

    Grâce à Adam, la Roue put vérifier ce qu'elle soupçonnait déjà. Un petit groupe de Sages plus dévorés d'ambition que les autres, avait réussi à se maintenir en place lors de la formation du deuxième GUT. Quinze d'entre eux, issus du premier, avaient brigué un deuxième mandat et nul ne leur avait dénié ce droit. Pendant ces cinq années, la tâche avait été rude pour remettre à flot une économie mondiale exsangue et pour commencer à réparer les blessures infligées à la Terre. L'ampleur de ce qu'il restait encore à faire, en rebutait plus d'un et les candidats ne se bousculaient pas aux portes de la fastueuse Maison Blanche, miraculeusement épargnée par les multiples attentats terroristes qui avaient frappé tous les grands édifices gouvernementaux durant les années noires de la Grande Crise.

    Dieu sait comment - corruption, chantage et autres magouilles - ce noyau dur parvint à survivre au deuxième puis au troisième gouvernement, asseyant chaque fois un peu plus sa domination sur les nouveaux, les amenant à force de pots de vin, de menaces voilées ou de mensonges éhontés, à adhérer à ses thèses de moins en moins démocratiques.

    Les Sages ainsi manipulés finirent même par penser qu'ils agissaient pour la bonne cause. Ils cautionnèrent les yeux fermés, toutes les actions visant à atteindre l’objectif mis en place avant leur arrivée. Quant à ceux qui n’étaient toujours pas prêts à se plier de bonne grâce, ou ils cédèrent face à la puissance de coercition de ce noyau implacable, ou ils disparurent opportunément de la scène gouvernementale et furent remplacés par de malléables « moutons ».

    « On » leur fit comprendre - et ils comprirent vite - que cet objectif essentiel consistait à éviter l'anarchie afin de maintenir la paix et la sécurité de la planète. Pour ce faire, un seul moyen : continuer à entretenir la peur dans les populations. Cela allait du soutien actif de l'OMS, au contrôle de la presse et du Net, en passant par des actions de répression sévères. Le tout justifiant un lourd budget pour développer les forces de l'ordre et mettre en place un service de renseignement véritablement efficace…

    Ensuite, il leur fallut évidemment des boucs émissaires pour renforcer cette emprise de la peur. Les jeunes impatients de la Roue et les imprudents qui avaient voulu croire que le Monde était prêt à les accueillir en son sein maternel, arrivèrent à point nommé pour endosser ce rôle taillé sur mesure.

    La présence à la Maison Blanche de ces anciens Sages d'année en année, passait inaperçue. Une bonne partie des médias étant à la botte de l'État, tout ce qui pouvait filtrer sur ce sujet épineux et controversé passait invariablement pour fausses rumeurs et désinformation. Quel pouvoir n'a pas subi la malveillance de petits journalistes véreux en mal de notoriété et pour lesquels un reportage à sensation représente le tremplin idéal pour la gloire, pour le Pulitzer même, pourquoi pas ?

    En outre, à part quelques célébrités notoires mises à dessein en avant pour capter l’intérêt du public, les Sages restaient étonnamment discrets et se montraient peu en dehors des grosses manifestations officielles. Ils formaient à eux tous une espèce de « Præsidium suprême » sans identité définie, sans leader désigné

    C'était même ce qui rendait ce gouvernement quasiment inattaquable. En effet, si l'on peut assassiner un homme, l'enlever, le compromettre, le faire chanter, on ne peut le faire d'une entité anonyme composée d'une centaine d'hommes et de femmes qui ne se rencontrent en chair et en os qu'une fois par mois pour le traditionnel Conseil des Sages. Pas d'information à la presse pour ce rendez-vous mensuel, un jour et une heure différents chaque fois et chaque fois, une garde redoublée mais si discrète qu'elle en devenait invisible. Le reste des réunions informelles ne se faisait que par vidéo conférence.

    S’il n'y avait pas de président reconnu à la tête du Gouvernement Unique, les Sages de la Maison Blanche avaient pourtant un maître. Celui-là même qui en avait poussé d'autres à se maintenir en place, tout comme lui, au-delà des cinq premières années. C'était également lui l'instigateur de la chasse aux mutants. Adam venait tout juste de confirmer et de compléter les informations encore imprécises glanées à Munich sur ce « On » funeste qui paraissait régner à Washington. Il s’appelait Solomon Mitchell. C'était lui que la taupe de la Roue avait pour mission impérative de surveiller.

    Quant à la Mission de Hawk, à chaque Rassemblement, elle se dessinait pour lui un peu plus clairement : éradiquer la dernière des grandes maladies, la plus profondément implantée dans l'esprit de l'humanité à grand renfort de bourrage de crâne et de médications redoutables : la Peur avec un grand P dont lui et les siens représentaient les vivants symboles, les microbes et les virus à éliminer à tous prix. Ce lavage de cerveau quotidien d’une population mondiale malléabilisée, s’était encore intensifié depuis le procès de Mary. Le rôle de pourfendeur du mal et de la haine dont les anciens l'avaient chargé, lui pesait chaque jour d'avantage.

    Il tenait bon cependant, puisant en la foule immense et puissante des Mutants rassemblés, la force dont il avait besoin pour poursuivre son pénible combat contre la douleur. Il retrouverait sa femme. Cet espoir le faisait vivre et aller de l'avant. Autre chose aussi, une infime lueur dans la nuit profonde de sa peine, qu'il ne pouvait encore expliquer.

    Avec ses fidèles, il peaufinait les trois objectifs qu'il s'était fixés après ce quatrième Rassemblement qui décuplerait le Pouvoir de la Roue : continuer à chercher Mary, prendre le contrôle de TV7 info, la principale chaîne télévisée de propagande gouvernementale déjà bien infiltrée par son mouvement et enfin, organiser un raid astral punitif sur la Maison Blanche lors du prochain conseil des Sages.

    Le but de ce troisième objectif était d'instiller la peur chez les semeurs de peur patentés. Ce serait également pour Hawk, l'occasion de se montrer enfin à son pire ennemi sans pour autant se mettre en danger. Ses amis l'en dissuadaient mais il était déterminé. Il sentait qu'il était temps pour lui de se faire connaître, de prouver à ceux qui le pensaient, que le leader des Mutants n'était pas un couard. Il espérait que son apparition inspirerait au si discret maître de Washington une peur au moins égale à celle qu'il avait lui-même éprouvée en entrapercevant le visage de son ennemi lors de sa fugitive vision. Peut-être qu'alors, Solomon Mitchell se dévoilerait d'avantage aux yeux du Monde et qu'il étalerait un peu plus son jeu à ceux des Mus…

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 16 Novembre 2022 à 21:40

    Oui l'espoir, l'espérance qui ne fait pas baisser les bras, amitiés JB

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