• Chapitre 54

    1er août, l’Odysséus

     

    Mary se réveilla glacée, tremblante et en larmes.

    Poussée par une espèce d’instinct, la veille elle avait décidé de partager à nouveau le lit de son mari. Depuis deux ou trois jours, il avait l’air particulièrement préoccupé. Sa mère bien sûr ! Elle avait pensé que sa présence à ses côtés l’apaiserait. Ce matin-là, la tension de Blue Hawk avait été si palpable qu’elle l’avait ressentie comme s’il avait fait partie d’elle.

    Elle ne pouvait nier le courant magnétique qui passait entre eux, les liant malgré son amnésie persistante. Il lui semblait de plus en plus évident que ce qui le touchait la touchait en retour. Et la réciproque était vraie. C’est la raison pour laquelle elle s’était tenue éloignée de lui ces derniers jours. Mais en le voyant si sombre au fur et à mesure que se rapprochaient les côtes américaines, elle avait fait marche arrière. Voilà pourquoi au cours de cette nuit, elle s’était retrouvée lovée contre lui au creux du grand lit.

    Elle s’ébroua. Près d’elle la place de Blue Hawk était vide et froide. Il n’était pas dans la cabine. Était-ce la frustration qui l’avait fait quitter le lit conjugal ? Il ne l’avait pas touchée. Comme la première fois, c’est uniquement dans le sommeil qu’elle s’était blottie contre lui. À cet instant précis, la chaleur de ses bras lui faisait cruellement défaut. Le terrifiant cauchemar qui l’avait brusquement réveillée, revenait en effet avec force et précision.

    Il avait pourtant commencé comme un conte de fée.

    …Elle était la princesse d’un château fort aux épaisses murailles, éprise d’un chevalier à l’armure étincelante, aussi beau et courageux que l’étaient ceux des contes merveilleux que lui narrait sa mère pour l’endormir quand elle était petite, croyait-elle d’un seul coup se rappeler. Tout le monde l’appelait Blue Hawk, dit le Faucon. Magnifique sur son fier destrier, il s’apprêtait à partir combattre le Dragon noir qui terrorisait la contrée. Ce serait un duel à mort. Elle avait si peur pour lui qu’elle essayait de le retenir. Au loin, retentissait à l’infini le ricanement démoniaque du Dragon, tandis que les relents fétides de son haleine brûlante se faisaient sentir jusqu’aux abords du château.

    - Je vous aime ma mie ! Mais je dois accomplir ma mission. Je reviendrai, je vous en fais la promesse ! Lui disait-il. Soudain, il ne fut plus là. Elle ne percevait presque plus son aura. Il était trop loin d’elle, confronté au Mal. Il était en grand danger !

    Sans réfléchir, elle enfourcha l’étalon blanc que son père lui avait offert avant de mourir. C’était un cheval ailé dont le front était marqué d’une étoile verte. Il s’envola, l’emportant à travers le ciel qui s’obscurcissait. Elle allait au secours de son chevalier bien aimé. Elle le sauverait, dût-elle y perdre la vie.

    À l’approche de la forteresse du dragon noir bâtie à même le roc de la montagne, la puanteur était telle qu’elle en suffoqua, à demi asphyxiée. L’odeur était celle de la haine, de la violence, du mal et de la mort. Rétive, sa monture recula. Des talons, elle l’enjoignit d’avancer mais le bel étalon se cabra, les naseaux écumants de frayeur. Elle mit pied à terre et monta seule à l’assaut de la forteresse couronnée de lourds nuages sombres. Elle n’avait pas fait dix mètres qu’une horde de cavaliers féroces, tout de noir vêtus, lui tomba dessus. Ils se saisirent d’elle et la traînèrent par les cheveux jusqu’à leur Maître. Là, ils la forcèrent à s’agenouiller devant lui.

    Elle leva les yeux et le reconnut. Elle en frémit d’angoisse et de désespoir. Il y avait bien longtemps de cela, elle avait déjà vu la bête hideuse et assoiffée de sang qui parlait en vomissant des flammes. Des flammes pourpres qui venaient à présent lécher le bas de sa longue tunique verte tandis qu’il crachait, haineux :

    - Regarde catin ! Vois ce que j’ai fait de ton preux chevalier et de sa mère !

    Elle obéit, découvrant Blue Hawk et une belle femme qui lui ressemblait. Lui était enchaîné au mur, presque nu, ensanglanté. Sa mère était immobile, sanglée sur un siège noir. Elle eut une fugace sensation de déjà vu…Ils n’avaient l’air ni humiliés ni vaincus et dardaient sur le Dragon, leur regard bleu et fier si semblable.

    - Libère-les Dragon ! As-tu besoin de deux faibles femmes pour me vaincre ? Serais-tu lâche ? Dit son brave chevalier.

    - Non pas Faucon ! C’est juste qu’elles doivent périr elles aussi afin que ma victoire sur toi soit totale ! Tu les regarderas mourir ! Garde donc tes injures, elles ne m’atteignent pas !

    Désespérée, elle fixait Blue Hawk. Elle était venue le sauver et ils allaient périr tous les trois. Soudain, dans son esprit elle entendit sa voix grave et douce.

    « Mary, aide-moi ! Aide-nous ! Toi seule le peux ! Rappelle-toi ma Sirène et nous vaincrons ! »

    « Que dois-je faire Hawk ? » Répondit-elle de la même manière, à peine étonnée d’en être capable.

    « Fouille ta mémoire mon amour ! Tu possèdes les clefs du Pouvoir !»

    La voix grinçante du Dragon retentit, rompant l’invisible lien qui l’unissait au Faucon. Il l’avait senti.

    Sa colère grondait. Une joie mauvaise s’alluma dans son regard.

    - C’est donc toi la sorcière ? Mais tu ne peux plus rien contre moi. Je t’ai ôté le Pouvoir ! Tu as perdu Faucon, elle a tout oublié ! Je vais vous tuer l’un après l’autre. Ta mère d’abord, puis elle, et toi pour finir ! Après quoi je dégusterai vos inestimables cerveaux. Il n’est pas de met plus délicieux à mon palais délicat !

    Son rire cynique résonnait, faisant trembler les hauts murs de sa forteresse.

    - Je vais vous tuer, oui ! Mais avant je veux que tu me voies prendre ta femme !

    Il s’approchait d’elle…Elle ferma les yeux, cherchant désespérément en elle les clés dont lui avait parlé Blue Hawk. Elle sentit le souffle brûlant de la gueule infernale du Dragon noir sur ses cheveux. Elle voulut hurler mais aucun son ne put franchir la barrière de sa gorge nouée d’effroi…

    Et elle se retrouva assise dans un grand lit vide, inondée de sueur froide. Une migraine atroce la taraudait et une mortelle angoisse lui étreignait le cœur. Elle se souvint que juste avant de se réveiller, elle avait vu quelqu’un d’autre entrer dans la Forteresse du Dragon.

    Où était son mari ?

    - Hawk ! Cria-t-elle.

    Dans la pénombre de la cabine, elle le sentit approcher

    - Hawk…Où étiez-vous ?

    - Je suis là maintenant, calme-toi !

    - Je…J’ai peur !

    - Ce n’était qu’un cauchemar mon amour !

    - Mais…

    - Il n’y a pas de dragon ma douce

    - Comment savez-vous ? Ne vous moquez pas !

    Elle le sentit pénétrer dans son esprit. Ça la brûlait comme dans le rêve.

    - Ne faites pas ça ! Vous me faites mal ! Arrêtez, je vous en prie ! Hurla t-elle en se tenant la tête à deux mains.

    Elle sentit aussitôt refluer la vague de son étrange et douloureuse intrusion. Elle eut néanmoins le temps de percevoir l’étonnement et la joie qu’il avait éprouvée à sa réaction. Cet homme était décidément anormal ! Il lui faisait mal et ça le réjouissait !

    - Ma chérie, pardonne-moi si je t’ai fait souffrir ! Mais tu as senti que je te sondais ! Tu l’as senti Mary ! C’est ça qui me rend heureux ! Je m’abstiendrai à l’avenir ! Je m’abstiendrai jusqu’à ce que tu sois totalement guérie.

    - Je ne suis pas malade Hawk

    - Je sais mon ange ! C’est seulement que tu n’as pas encore recouvré tous tes moyens d’avant !

    - Quels moyens ? Et avant quoi ?

    - Ne t’en fais pas ma douce, ça te reviendra, j’en suis sûr à présent ! Allez, dis-moi plutôt ce qui te préoccupe pour que tu aies fait un tel cauchemar alors que tu ne rêvais plus !

    C’était si frustrant qu’il en sache plus sur elle qu’elle n’en connaissait elle-même ! Il la prit dans ses bras, très doucement pour ne pas l’effaroucher.

    - Allez, dis-moi mon cœur !

    - N’y allez pas Hawk ! Cet être malfaisant veut votre mort !

    - Qui veut me tuer Mary ?

    - La bête de mon cauchemar ! C’est un homme puissant et mauvais qui veut vous tuer. Je le sais, je le sens ! N’y allez pas, je…Je ne veux pas que vous mourriez !

    - Pourquoi Mary ?

    - Je…Les enfants ont besoin de vous…Vous…Vous êtes leur père.

    Ses yeux bleus plongés dans les siens insistaient. Elle comprit qu’il croyait à la prémonition de son rêve. Qu’au contraire d’elle, il en comprenait toutes les significations cachées et que rien ne le ferait renoncer à sa mission. Elle s’accrocha à lui suppliante.

    - Ne partez pas ! Vous êtes mon mari. Je vous…Je ne veux pas vous perdre encore une fois.

    - Tu ne m’as jamais perdu et tu ne me perdras jamais ! Je te le jure mon amour !

    Serrée contre lui, elle entendait les battements désordonnés de son cœur. Ou bien était-ce les siens propres ? C’était le moment ou jamais…

    - Aimez-moi Hawk ! Aimez-moi maintenant !

    Son souffle se précipita. Il ferma les yeux. Le pouvoir qu’elle détenait sur lui la grisait. Du bout des doigts elle caressa le torse musclé qu’elle avait si souvent admiré en douce. Il frémit.

    - Mary...Sais-tu ce que…

    - Oui Hawk…Fais-moi l’amour, j’ai envie de toi !

    Elle avait attiré sa tête et murmuré cette supplique contre sa bouche. Le tutoiement lui était venu naturellement. Ou revenu… Il capitula et s’effondra sur le lit en l’entraînant au-dessus de lui, toujours captive de son étreinte.

    - Je suis à toi Mary, fais de moi ce que tu veux.

    Penchée sur lui elle l’embrassa et but son souffle rauque de désir. Elle étancha enfin la soif qu’elle avait de lui depuis si longtemps et qu’elle avait si ardemment refoulée…

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  • Commentaires

    2
    Jeudi 22 Décembre 2022 à 13:55

    Enfin une lumière d'espoir !

    1
    Jeudi 22 Décembre 2022 à 10:52

    On et heureux pour Mary, pauvre d'elle... certes une histoire romancée, mais prenante, amitiés, jill

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