• Chapitre 7

    5 octobre, 16 h

     

    L'Avocat général arrivait au terme d'un long réquisitoire durant lequel il n'avait pas manqué de se servir contre elle de la tentative suicidaire d'Antonio pour la libérer. Une tentative manquée, heureusement mais qui s'était néanmoins soldée par la mort de deux gops et par une agression caractérisée sur le Président de la Cour. Lequel, grièvement blessé, était à l'hôpital en soins intensifs.

    Mensonge !

    Il était seulement enfermé chez lui, malade de trouille. C'était facile à vérifier mais qui se souciait encore de vérité ? Quant à la mort du mutant, c'était une victoire contre ces créatures sataniques. Pour le reste, aidé d'une phraséologie théâtrale et à grands renforts d'arguments irréfutables, il avait voulu établir définitivement dans l'esprit de chacun, l'évidente culpabilité de Mary-Anne Conroy-Defrance.

    « Notre société sans taches a élevé cette femme, l’a choyée sans se douter qu’elle réchauffait en son sein pur le pire des serpents, qu’elle le nourrissait, l’abreuvait de ses bienfaits. Cependant, Mary-Anne Conroy -Defrance ne pouvait que finir par trahir cette merveilleuse mère nourricière puisque que sa génitrice n’ayant pas hésité à s’acoquiner avec un monstre, elle porte en elle les gènes maudits des mutants. Ce fait à lui seul suffit à la condamner ! » Dit-il.

    Ses amis étaient consternés. Ça commençait fort ! Quant aux hochements de tête marquant l’acquiescement des jurés à ce début de réquisitoire, ils n’auguraient rien de bon pour la suite. Ils se félicitaient d’avoir réussi à convaincre Félie de continuer à se tenir à l’écart. Elle était à l’abri, Dieu merci !

    « C’est vrai, poursuivit-il. Sa mère est une normale mais les gènes de son père sont une incurable tare. Madame Conroy-Defrance le sait bien qui n'est pas présente en dépit de l'injonction qui lui en a été faite. Elle a refusé de témoigner. Elle se cache car elle sait qu'elle aussi pourrait un jour avoir à comparaître en tant qu'inculpée. Elle savait qu'en épousant un anormal, elle se mettait hors la loi ! »

    Ineptie ! Quand ses parents s'étaient mariés, on ne voyait pas encore des anormaux partout et aucune loi n'existait à ce sujet! Mais à quoi aurait-il servi de le clamer, on ne l'aurait pas écoutée. Elle garderait cet argument pour sa défense tout en sachant d'avance qu'il ne servirait à rien.

    Inconsciemment peut-être, ou à dessein qui sait ? L'Avocat général ne s'était pas tourné vers des jurés tout acquis mais vers un public où pouvait se trouver des sceptiques. Des journalistes intègres, des amis lents à renier une affection de longue date ? Les millions de rebelles au régime ou de potentiels sympathisants de la secte qui assistaient en direct et par écran interposé à ce procès sans précédent ? C'est à eux tous qu'il s'adressait pour les convaincre définitivement de ce qu'ils encouraient s'ils se laissaient aller à penser que peut-être, la jeune femme n'était pas coupable de grand chose et que ces diables de géants aux yeux bleus n'étaient pas aussi dangereux qu'on le prétendait. Il prit la pose, balaya la salle du regard puis, regardant enfin le jury, il enchaîna :

    « Monsieur le Président, mesdames et messieurs les honorables membres du Jury, pour toute conclusion je me permets de vous remettre en mémoire ce que l’on disait autrefois : Quand un membre est pourri, on l'ampute. Quand un fruit risque de faire moisir tous les autres, on le retire du panier. Quand un chien a la rage, on le pique ! Mais vous le savez, aujourd’hui, notre monde a aboli toute violence et notre Justice est moins sommaire.

    Aujourd’hui, de la même façon que lorsque vous souffrez d'une baisse de forme ou d'une névrose passagère vous êtes soignés par une médecine compétente, nous remplaçons le membre pourri par un membre sain. Aujourd'hui, les chiens n'ont plus la rage car nous avons vaincu ce fléau comme tant d'autres. Aujourd'hui, nous guérissons les criminels en annihilant leurs néfastes pulsions. C'est à cela que sert la peine de lobotomie.

    Et parce qu'il faut tout de même qu’ils réparent leurs erreurs, ils subissent une peine d’utilité planétaire plus ou moins lourde en fonction de la gravité des méfaits qui leur sont imputés. Cela suffit généralement à les remettre définitivement dans le droit chemin. Après quoi ils retournent libres et guéris dans le giron magnanime et protecteur de la Société.

    Mais les criminels dont cette femme fait partie, cela est prouvé à présent, sont atteints d'un mal qu'aucune médecine ne peut éradiquer. Non, Mary-Anne Conroy-Defrance ne souffre pas d'une banale névrose et la rage dont elle est atteinte est d'une forme nettement plus pernicieuse que celle dont souffraient les animaux que nous piquions par le passé. Son cerveau n'est pas comme le nôtre. C'est une mutante ! À ce titre, elle est dangereuse, anormale, définitivement contaminée comme chacun de nous pourrait l'être au contact de ces fous assassins si nous les laissions en liberté.

    Nous devrions la tuer puisque nous ne pouvons la guérir et pourtant, nous ne le ferons pas ! Car au contraire d'elle, nous sommes humains ! Depuis bien longtemps, nous avons supprimé les exécutions capitales tant il est vrai que nul n'a le droit de vie ou de mort sur autrui. Seuls les criminels comme celui d'hier s'arrogent encore ce droit.

    Nous ne l'avons pas tué, seulement neutralisé parce qu'il menaçait la sécurité de ce tribunal. Lui a tué. Il a assassiné de sang froid deux honorables et courageux serviteurs de l'Ordre et de la Paix. Et nous avons tous vu de quelle incroyable et effroyable façon il l’a fait !

    Puis il s'est suicidé afin d'échapper à la Justice. N'est-ce pas la preuve de l'anormalité absolue de ces gens-là qui préfèrent la mort à un jugement équitable ? La preuve de leur culpabilité ? La preuve de la culpabilité de cette femme qui, croyez-le, si elle avait disposé des moyens pour le faire, eût attenté à ses jours elle aussi ? Mais nous ne lui en avons pas laissé la possibilité, à aucun moment. Car seule la Justice doit décider de son sort !

    Mesdames et messieurs, rappelez-vous : il n'est pas si loin le temps où les Maîtres de l'Apocalypse entraînaient dans le suicide des millions d'innocents crédules, en leur promettant un monde meilleur dont seule la mort ouvrait la porte. Déjà, ces faux prophètes usaient d'un maléfique pouvoir de persuasion pour les convaincre de se tuer ou de se laisser tuer. Ceux qui tombèrent ainsi dans leurs pièges étaient des femmes, des hommes, des enfants, des êtres humains comme nous le sommes. Et voilà que nous sommes de nouveau confrontés au même phénomène, en mille fois pire ! Car la secte des mutants est mille fois plus dangereuse et puissante que celle des gourous qui sévirent lors de la Grande Crise. Et les pouvoirs dont elle dispose et dont vous n'avez eu qu'un faible aperçu hier - faible mais ô combien meurtrier - sont mille fois plus pernicieux et ne relèvent hélas pas de la simple manipulation d'esprits affaiblis par la maladie, la faim ou la misère ! Et cette femme est l'une d'entre eux. Voilà pourquoi nous devons la condamner !

    Nous avons lutté et travaillé durement pour faire de notre monde un havre de paix et de sérénité. Nous avons vaincu la maladie sous toutes ses formes. Celle des Hommes et celle de la Terre. Mais ces gens-là ne sont pas malades ! Cette femme n'est pas malade ! Ce sont seulement des animaux nuisibles et à ce titre, nous nous devrions de les supprimer ainsi que cela se pratiquait autrefois car ils menacent notre intégrité physique et mentale, notre système de vie, la sagesse durement retrouvée de notre Monde.

    Cette sagesse qui fait l'équilibre de notre société et que les Hommes de l’entre deux siècles avaient perdue. Aujourd'hui, notre société, notre Justice ne recourent plus à la barbarie. Oui, nous punissons les coupables mais en leur permettant, guéris de leurs pulsions criminelles, d'être encore utiles à la communauté qu'ils menaçaient.

    Et vivants !

    Seuls les pires d'entre eux, les irrécupérables, sont isolés du reste de l'humanité à seule fin de leur ôter radicalement tout moyen de lui nuire. C'est ce que nous devons faire pour Mary-Anne Conroy-Defrance en raison des crimes qu'elle a commis : l'empêcher à tout jamais de nuire !

    Monsieur le Président, mesdames et messieurs les jurés, je requiers donc pour elle, la peine maximale : lobotomie et internement à vie en QHI, sans possibilité de remise de peine! »

    Un silence quasi religieux accueillit la conclusion logique de ce réquisitoire sans pitié. Ses amis étaient sous le choc et même le cliquetis des téléscripteurs portables se tut quelques secondes avant de reprendre à un rythme étourdissant.

    lobotomie… QHI… À vie…

    Les mots, effroyables pour ceux qui aimaient Mary-Anne, résonnaient, définitifs, sinistres, synonymes d’une non-vie à perpétuité pour cette belle jeune femme courageuse.

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  • Commentaires

    4
    Dimanche 6 Novembre 2022 à 10:53

    C'est le remède universel, la lobotomie chez eux !

      • Dimanche 6 Novembre 2022 à 12:34

        Avec l'enfermement, c'est l'asservissement absolu

    3
    Golondrina63Auv
    Dimanche 6 Novembre 2022 à 06:50

    Pas top comme issue

    Bon dimanche 

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    2
    Samedi 5 Novembre 2022 à 19:52

    Quelle triste sentence !! Amitiés, jill 

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