• Les rêves d’Élisa" - Chapitre 17

    Elle obéit, saisie d’appréhension. Le lieu où ils se trouvent réunis tous les quatre est sombre. Beaucoup moins cependant que le tunnel du niveau originel. Une espèce de lueur qui ne ressemble pas du tout à celle que diffusent les héliolumis, descend vers eux. Dans le réduit ainsi faiblement éclairé, il fait froid. Frais plutôt mais d’une fraîcheur presque…agréable qui là encore, n’a rien à voir avec le froid pesant, mortel régnant dans le ventre de la Sphère. Plus aucune trace de l’entrée de la cheminée gravitationnelle ! C’est comme si elle n’avait jamais existé. Ce simple constat l’enferme dans la terrible sensation qu’elle est encore en train de rêver. Encore ?

    - Où sommes-nous ? Demande Jacob qu’elle sent trembler près d’elle.

    Instinctivement, elle lui prend la main, pour le rassurer autant que pour se rassurer elle-même.

    - Tout…tout va bien ! Nous…nous sommes vivants… Chuchote-t-elle, à peine convaincue que ce qu’elle affirme sera encore vrai tout à l’heure, quand ils monteront vers la lumière.

    Car il n’y a pas d’autre alternative que de monter. En ouvrant les yeux, elle a cru apercevoir un…escalier. Le mot lui est venu en même temps qu’elle découvrait la chose ! Et puis ce truc bizarre qui flotte à l’orée de sa conscience : mémoire ancestrale.

    - Non jeune fille ! Mémoire implantée !

    Rectifie sèchement la voix de…de Martha près d’elle.

    - Ne soit pas si pressée ma vieille amie, elle ne peut pas savoir ! La morigène doucement l’homme qui l’a sauvée des griffes de la Machine. Je te trouve d’un seul coup bien dure avec elle !

    - Et toi, trop doux ! Cesse donc de la couver ! Elle n’est pas ta protégée ! Enfin, pas plus que celles et ceux que tu as extraits avant elle ! Ce n’est pas parce que tu…

    - Stop Martha ! N’en dis pas plus !

    Le ton est sans appel. La colère y pointe…

    Colère ! Elle prend à son compte ce nouveau concept qui vient de surgir en elle. Colère ! Ça enfle prêt à exploser, sauvage. Elle a envie de frapper l’homme et la femme qui parlent d’elle comme si elle n’était pas là.

    - Vous avez fini tous les deux ! Hurle-t-elle à présent totalement possédée par cette violence jusqu’alors inconnue d’elle.

    - Du calme Élisa ! S’interpose Jacob que son emportement vient à point nommé de sortir de l’hébétude dans laquelle il semblait se complaire depuis son arrivée dans la cheminée gravitationnelle.

    Choqué par sa réaction il s’est libéré de la main qui lui serrait les doigts à les briser.

    - Il faudrait que je me calme quand ces deux-là me traitent comme si j’étais transparente ? Nous étions des choses en bas Jacob ! Des robots programmés pour obéir à la Machine et à ceux qui l’ont inventée. Ils décidaient et nous faisions ce qu’ils demandaient sans réfléchir ! Sommes-nous encore ces choses sans pensée propre ? Vous je ne sais pas mais moi, depuis qu’on m’a fait courir comme une forcenée pour sortir de ma prison, je me sens libre de réfléchir par moi-même et je refuse qu’on parle  de moi comme d’un objet !

    Elle à bout de souffle presqu’autant qu’après la longue course dans les tunnels. Des larmes s’échappent malgré elle de ses yeux mais elle se sent bien. Plus vivante qu’elle ne l’a jamais été. Soulagée !

    - Bon, on y va maintenant ! Clame t-elle impatiente soudain de voir ce qu’il y a au-delà de cette lueur qui semble l’appeler.

    - Voyez-moi ça ! Elle se réveille la petite ! S’esclaffe Marthe.

    - Vous savez ce qu’elle vous dit la petite ?

    Et des mots qu’elle n’a jamais utilisés lui viennent à l’esprit. Des mots cinglants, aussi brûlants que les décharges punitives des lasers et qui exprimeraient parfaitement sa colère, sa frustration, son ressentiment, son agacement… Tout un tas de sentiments qu’elle n’a jamais éprouvés. Des sentiments interdits à n’en pas douter, donc passibles d’une sanction immédiate et douloureuse de la part des sales petits espions volants de la Machine  toujours à l’affut du moindre manquement aux règles strictes de la Sphère ! Mais elle n’est plus en bas. Elle peut dire ce qu’elle veut désormais !

    - Espèces de salopards prétentieux ! Je vous emmerde lance -t’elle tout à trac sans même comprendre vraiment le sens des termes qu’elle utilise  pour la première fois.

    Un son extraordinaire jaillit de la gorge de l’homme dont elle ignore toujours le nom. Elle sait…. Ou elle se souvient….Ça s’appelle rire. Et c’est…beau !

    - Tu as raison Martha, elle se réveille ! C’est parfait ! Et toi Jacob ?

    -Je…heu…oui…il ya des choses qui me reviennent… mais je me demande si je les ai vécues ou seulement rêvées.

    Balbutie l’intéressé encore surpris par la virulence de sa réaction.

    - Parfait, parfait ! Répète l’homme. Comme tu dis Élisa, allons-y maintenant. Il est temps de quitter ce trou à rats !

    - Qu’est-ce qu’on attend alors !

    - Vos poumons n’étaient pas prêts à respirer l’air non filtré du dehors ma belle, voilà ce qu’on attendait. Assez parlé ! On sort de là !

    Rétorque Martha d’un ton sec qui paraît indiquer qu’elle n’a pas apprécié d’être remise à sa place.

    Sans savoir pourquoi, Élisa se surprend à penser qu’en d’autres circonstances, elle se serait bien entendue avec cette femme qui l’a manifestement prise en grippe. Plus bizarre encore, elle s’avise d’un seul coup qu’apprécier ou non quelqu’un dans la Sphère, n’a pas cours. Que l’idée même y est totalement inenvisageable pour ne pas dire inexistante. « Concept inconnu. Interdit ! » Clame la voix impersonnelle de CVUT7007 dans sa tête en vrac.

    -Magne-toi gamine ! Lance la voix acerbe de celle que dans son for intérieur, elle surnomme la sorcière sans savoir ni pourquoi, ni ce que ça veut dire.

    - J’arrive ! répond-elle en s’élançant vers le trio déjà parvenu presqu’en-haut de la volée de marches abruptes.

    Si l’impatience lui donne des ailes, une crainte irraisonnée la fait trébucher. Une main forte et secourable la retient à temps. Il est revenu sur ses pas pour l’attendre. Quelque chose lui dit qu’il a toujours été là pour la préserver du danger.

    - Doucement Élisa ! Ce serait dommage de te casser une jambe si près du but ?

    - Je ne suis pas votre protégée comme dit votre comparse ! Je peux me débrouiller seule ! Lance-t-elle hargneuse en se dégageant de la poigne solide qui la hisse vers la lumière !

    - Ok Mademoiselle ! Ne sois pas si susceptible ! Il n’y a pas de mal à se laisser aider, crois-moi ! Surtout qu’on n’est pas encore tirés d’affaire !

    - On va nous poursuivre ?

    - Non ! Les gardes ne s’aventurent pas hors de la Sphère ! Comme tous ceux d’en bas, ils sont formatés pour croire que la vie est impossible dehors ! Mais d’autres dangers nous attendent ! Allez viens, on y est !

    Et sans plus tenir compte de ses réticences, il lui fait franchir la dernière marche.

    Son grand corps devant elle, la protège de ce « dehors » dont la proximité la terrorise autant qu’elle l’attire. « Je ne vais pas mourir, je ne vais pas mourir » se répète-t-elle comme une litanie. Il se recule pour la laisser passer. La lumière éblouissante, l’air frais et vif qui lui fouette le visage. D’un côté, le paysage à perte de vue, de l’autre, l’horizon bouché par l’immense bulle où se devinent les silhouettes menaçantes des hautes tours des Maîtres. Tout cela l’agresse avec une violence inouïe. Une main sur le cœur, elle vacille tandis qu’une fois de plus lui revient la sensation d’avoir déjà vécu ça. Sans Jacob mais avec les deux autres. Et puis soudain, deux voix dans sa tête : « On la perd…réveille-la.Trop dangereux.. »

    Elle sent qu’elle va perdre connaissance. Elle s’accroche à ce qui tournoie dans son esprit de plus en plus embrumé. Deux prénoms.

    - Septime…Serena. Bredouille-t-elle au bord de la nausée.

    - C’est l’air ! Tiens bon ! Tu vas t’habituer et ça ira mieux.

    Fermement maintenue par l’homme, étourdie, elle laisse ses poumons s’acclimater à cet air du dehors qui ne l’a pas tuée dès la première goulée ainsi qu’elle le craignait tant.

    - Qui sont Septime et Serena ? Questionne-t-elle tremblante.

    -Tu ne sais pas ?

    - Je devrais ?

    - Probablement puisque tu connais leur nom !

    - Désolée mais non, je ne sais pas !

    - Septime et Serena sont des Maîtres. Ceux qui se servaient de toi ! Comme Magnus et Maïandra le faisaient pour Jacob. Sans parler de tous les autres privilégiés d’En-Haut qui utilisaient pour leur plaisir, les esclaves de la Sphère que nous avons réussi à extraire depuis que… l’un de nous, mal formaté sans doute, s’est rendu compte de la manipulation odieuse dont ils étaient l’objet.

    - Et celui-là jeune fille, même s’il est trop modeste pour te le dire lui-même, c’est notre Jonathan !

    Complète Martha en train de secouer doucement Jacob à demi effondré sur le sol. Elle a clamé cette louange en jetant sur l’intéressé un drôle de regard, comme une espèce d’avertissement muet.

    Jonathan ?

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  • Commentaires

    2
    Mercredi 25 Janvier 2023 à 09:18

    Je lis difficilement 

    Je vais repasser un de ces jours 

    Merci à toi pour ta gentillesse

    Bises 

    1
    Mardi 24 Janvier 2023 à 18:08

    Des humains robotisés,  ça fait peur, certes fiction, mais jusqu'où sommes nous capables d'aller.... amitiés, JB 

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