• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 18

    Sans Bob, les journées paraissent plus longues.

    Le temps ne s’écoule plus, il s’étire. Quand vient le soir, elle a la pesante sensation d’avoir enduré une double peine. Et ce monde désespérément vide l’angoisse au plus haut point. Elle irait même jusqu’à penser que depuis que le robot l’a lui aussi lâchement abandonnée, il est encore plus désert qu’avant. Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion née de son extrême fatigue. Elle ne s’est pas vraiment remise de son intoxication alimentaire. Du coup, elle ne mange pas comme elle le devrait ! D’autant plus qu’elle n’a pas recouvré assez de force ni d’envie, pour chasser du petit gibier comme le faisait Bob. Pas d’avantage qu’elle n’a le courage de pêcher. Quant aux multiples sortes de baies qui garnissent les buissons, depuis qu’elle a été malade, elles ne l’attirent plus du tout. Et il y a trop de fruits qu’elle ne connaît pas ! Alors c’est du bout des dents, l’appétit ne revenant pas, qu’elle picore, piochant avec parcimonie dans ses rations de survie qui s’épuisent autant qu’elle.

    Indifférente à tout ce qui n’est pas le sentier devant elle, elle marche d’une façon presque aussi mécanique que le robot. Á cela près que lui au moins, de son pas égal et infatigable de machine, avançait vite et régulièrement.

    Elle traîne !

    Chaque refuge lui semble plus loin que le précédent.

    La Sphère également, paraît s’éloigner au fur et à mesure qu’elle progresse au sein de ce paysage uniformément morne et vide. Il arrive même qu’elle la perde totalement de vue des heures durant !

    Comble de malchance, elle pourrait tout aussi bien marcher les yeux fermés à présent, vu qu’elle a perdu sa précieuse carte, elle ne sait plus où.

    Qu’importe ! Elle continue à mettre un pied devant l’autre, accrochée à la longe de Weena qui la tire patiemment, ne s’arrêtant que pour brouter l‘herbe au bord du chemin.

    Élisa profite des pauses de la jument, pour croquer un morceau de viande séchée, ou une des pilules nutritives que Bob lui a laissées, boire quelques gorgées d’eau, masser ses membres endoloris. C’est au cours de ces instants de repos, que les derniers mots du robot, lui martèlent le crâne : « C’est pourtant là que tu retournes ! C’est là que tu dois absolument revenir ! C’est de là dont tu… »

    Qu’allait-il ajouter avant d’être stoppé net par elle ne sait quelle volonté puissante  émanant de la Sphère. Parce qu’à ce moment précis, elle en a la ferme conviction, « On » l’a empêché d’en dire plus. Puis on l’a rappelé et on l’a probablement puni d’avoir failli désobéir aux ordres, de la seule façon que connaissent ces gens-là. Á  l’heure qu’il est, elle en est sûre, le pauvre Bob doté de bien trop d’humanité, est désactivé !

    «…C’est de là dont tu… » Quoi ?

    Elle a beau chercher, aucune suite logique ne vient combler la phrase inachevée.

    Depuis que le robot l’a laissée seule sans préavis, elle marche jusqu’à épuisement total.

    Trois jours qu’il a disparu. Trois jours qu’elle aligne les kilomètres en évitant de s’arrêter, ne fût-ce qu’une seconde sur les innombrables questions qui se bousculent dans sa tête dès qu’elle n’y prend pas garde. Elle se contente de suivre les sentiers balisés par … Par qui ? Tout lui échappe !

    Lorsqu’elle arrive au refuge, elle s’occupe de la jument, fait une toilette sommaire, grignote juste ce qu’il faut pour subsister, puis elle s’écroule sur la première couchette à sa portée et s’enfonce aussitôt dans un sommeil lourd, profond, sans le moindre rêve.

     

    Aujourd’hui, c’est son quatrième jour de solitude. Elle a marché plus encore que d’habitude. Il faisait déjà nuit lorsqu’elle a atteint la cabane blottie entre les arbres en haut d’un promontoire rocheux.

    C’est de loin la pire journée qu’elle ait eu à endurer depuis qu’elle a fui Liberté. Non seulement il n’a cessé de pleuvoir depuis l’aube, mais en plus, Weena elle aussi l’a abandonnée.

    C’était pendant la courte pause qu’elle s’était octroyée pour enfiler le long manteau à capuche censé la protéger de la pluie, avant de prendre son léger repas de midi. Elle avait donc détaché la jument afin qu’elle puisse brouter librement et boire tout son soûl à la rivière qui longeait le sentier. Elle était si fatiguée qu’elle s’était assoupie à l’abri du haut rocher saillant où elle s’était assise pour manger. Lorsqu’elle s’était réveillée en sursaut, comme mue par un affreux pressentiment, Weena avait disparu !

    Elle avait eu beau l’appeler et la siffler comme le lui avait appris Jonathan, la jument n’avait pas répondu !

    La chercher ? Mais où la chercher par ce temps ? C’était inutile, elle le savait ! Les jours raccourcissaient, elle l’avait bien remarqué. L’automne était proche ! Elle ne pouvait se permettre de ralentir.

    Quelques minutes…Juste quelques minutes pour verser toutes les larmes de son corps. Evacuer ainsi, le désespoir qui menaçait de l’engloutir définitivement. C’est ce qu’elle s’était accordé sous le maigre abri du rocher. Puis, tandis que la pluie redoublait, comme pour la narguer, elle avait bourré son sac à dos de tout ce dont elle pensait avoir besoin pour la fin de son périple et avait repris la route d’un pas aussi lourd que l’était son cœur.

    Elle ne devait plus être très loin de la Sphère à présent. L’immense et haute masse du dôme terni par les siècles ne disparaissait plus de son champ de vision.

    Trempée jusqu’aux os, transie de froid, plus seule et désespérée que jamais, elle n’a même plus la force de pleurer. Ni de manger d’ailleurs ! Elle n’a qu’une envie, s’allonger sur la première couchette venue et dormir.

    Dormir, dormir, dormir… Ne plus se réveiller. Ne plus lutter pour atteindre le but qu’elle s’est fixé.

    Quel but ? Pourquoi se donne-t-elle tant de mal ?

    Elle ne sait plus ! Tout se dilue dans sa tête lasse. Les rêves, la réalité, le passé, le présent, le futur, ses souvenirs…

    Au loin, l’orage gronde. L’air est si lourd, si poisseux qu’elle se déshabille avant de s’allonger, nue sur l’étroite couchette près de la porte qu’elle a laissée grand ouverte. Qu’importe ! Elle ne risque rien après tout ! N’est-elle pas l’unique être humain errant sur cette terre de désolation ? Le seul être vivant même !

    Weena est partie ! Elle en vient à se demander si la jument n’est pas que le fruit de son imagination, comme tout le reste. Un rêve de plus qui s’est dissout dans les brumes de son cerveau, où si faiblement désormais, ne s’agitent plus que des ombres informes, indéfinies… Mourantes !

     

    … Réveille-toi ma chérie ! Il est l’heure »

    « Allez, bouge tes jolies fesses grosse paresseuse, tu vas être en retard. »

    « Ouvre les yeux mon amour, Jacob a faim ! Je peux le bercer, pas le nourrir à ta place ma douce ! »

    « Élisa7 ! Élisa7 ! Rendez-vous immédiatement au Centre de Contrôle »

    « Nous sommes en train de la perdre !   II faut faire quelque chose ! »

    « Nous sommes impuissants ! Ils interfèrent ! »

    « Réveille-toi petite Ehi-Shah, ton chasseur est revenu ! »

    « Tu ne crains plus rien Ehi Shah, je suis là ! »

    « Tu perds ton temps avec elle Jon’, elle ne sortira jamais du coma ! »

    « Elle rêve Khaled ! Elle finira par se réveiller ! »

    « C’est toi qui rêve mon ami ! Nous ne pouvons plus attendre, nous devons partir ! »

    « Pas sans elle »

    « Ben alors sœurette ! Tu vas encore longtemps faire ta marmotte ? Allez hop, debout ! »

    « Réveillez-vous damoiselle Élisa ! Vous ne pouvez mourir maintenant ! Je vous en prie, ouvrez les yeux ! Mon cœur vous appartient, je ne puis vous perdre après vous avoir sauvée ! »

    « Maman ? Chloé ? Martha ? Patrick ? Jonathan ? Où êtes-vous ? Ne me laissez pas seule, je vous en prie ! »

    « Ils-Ne-Peuvent-Plus-Rien-Pour-Toi »

    « Bob ? Où es-tu ? Pourquoi m’as-tu abandonnée toi aussi ? »

    « Je-Ne-Peux-Plus-Rien-Pour-Toi »

    « POURQUOI ? »

    « RÉVEILLE-TOI ÉLISA ! »

    Toutes ces voix dans sa tête, qui hurlent des mots qu’elle ne comprend pas. Toutes ces voix perdues qui lui déchirent le cœur et les tympans… Elle ne veut plus les entendre.

    « Nous allons la perdre ! »

    « N’y a-t-il vraiment rien à faire ?

    « Rien ! Hélas ! Résigne-toi Jonathan ! »

    « NON ! Élisa mon amour, je t’en conjure, RÉVEILLE-TOI! »

     

    Nauséeuse, les tempes serrées dans un étau de migraine, frigorifiée par l’espèce de sueur aigre qui la baigne des pieds à la tête, elle se réveille et sort en tremblant de ce rêve étrange où elle était seule, enveloppée, emprisonnée plutôt, dans une espèce de cocon cotonneux au cœur duquel elle dormait profondément.

    Elle dormait et pourtant, elle entendait des voix, plein de voix. Trop de voix !

    La dernière qu’elle ait perçue juste avant de s’enfuir de cet horrible cauchemar, répétait résignée : « Nous allons la perdre ! » Puis quelqu’un hurlait un  « NON ! » désespéré.

    Elle ne rêvait plus depuis le départ de Bob et ça lui manquait terriblement en fait ! Mais si tous ses songes à venir doivent être aussi angoissants que celui-ci, elle préfère largement ne plus y être confrontée !

    Les mots que prononçait la voix inconnue juste avant son réveil tournent sans fin dans son crâne douloureux : « Nous allons la perdre »

    Mais ce qui la fait le plus souffrir, c’est ce NON tellement empreint de désespoir qu’elle en pleure malgré elle. Parce que c’est la voix de Jonathan qui le criait !

    D’un seul coup, tout lui revient de lui ! Tout ce qu’elle a oublié depuis quelque temps. Ou plutôt, elle le comprend à présent, tout ce qu’elle a volontairement chassé de sa mémoire. Á moins que là encore, elle ne se trompe totalement et que ce soit Jonathan lui-même qui ait décidé de fuir ses rêves et ses souvenirs !

    Mais pourquoi ?

    - Je suis réveillée Jonathan ! J’arrive ! Hurle-t-elle à travers les rafales de vent chargées de pluie qui pénètrent dans le refuge par la porte béante !

    « Cesse de te mentir Élisa » Semble lui répondre la voix tant aimée de l’absent.

     

     

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  • Commentaires

    2
    Mardi 7 Mars 2023 à 12:19

    Parfois quand tout s'embrouille ...

    Merci pour ce moment de lecture 

    Demain sur ma page 

    Je vais poster ma participation avec  tes mots proposés 

    Bonne journée 

    1
    Mardi 7 Mars 2023 à 10:09

    Dans sa tête c'est un méli-mélo, la pauvre... amitié, jill 

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