• "Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 21

    Elle a dormi deux bonnes heures sous la surveillance de Chloé puis elles sont reparties.

    Dans un coin de son esprit, les images qu’elle a vues sont restées, telles des points d’interrogation. Ou des ponts vers quelque chose d’important qui lui échappe encore.

    Le babillage parfois insupportable de son amie d’enfance, la vraie, lui manque plus qu’elle ne saurait l’avouer.

    Celle qui la précède sous le soleil écrasant, ne parle que très peu si ce n’est pour la houspiller de temps à autre quand elle perd trop de terrain. Cette Chloé là n’a rien gardé du caractère primesautier de son alter ego du XXIe siècle. Ce n’est pas qu’elle soit désagréable ou le contraire au demeurant. Elle est juste d’une redoutable efficacité, à la fois comme guide et comme soutien moral. Comme soutien tout court chaque fois qu’elle trébuche, harassée par la chaleur qui ne désempare pas !

    Elle est pour Élisa une présence amicale certes, mais sans plus. Bob aussi, bien qu’il ait répété mille fois qu’il n’était pas programmé pour ça, était capable de se montrer amical quand il le fallait. En réalité, plus rien ne subsiste de leur incroyable complicité, de leurs bavardages futiles, de leurs incontrôlables fous-rires. La Chloé qui marche devant elle, pourrait se mettre à le faire de la même façon raide et mécanique que Bob, qu’elle n’en serait pas étonnée. Régulièrement, elle se retourne pour vérifier que sa protégée la suit d’assez près mais comme tout le reste de sa personne, même son sourire lui paraît factice !

    Elle n’en démord pas ! Ce n’est pas sa Chloé. Une copie incroyablement conforme, mais une copie. Si c’est cela, ce fac-similé, qu’on lui a envoyé pour l’aider, ça ne fonctionne pas !

    Autant elle s’était prise d’affection pour Bob, au point que sa défection l’a terriblement peinée, autant elle commence à détester la créature qui prétend être son amie. « la titiller », disait-elle ! On est loin de ça ! Elle ne la titille pas, elle la torture ! L’allure rapide qu’elle la force à suivre, est inhumaine !

    - Eh ! Tu pourrais ralentir un peu s’il te plait ! Lance-t-elle en jugulant sa hargne !

    - Impossible Élisa ! On doit atteindre le prochain refuge avant la nuit !

    - Tu en as de bonnes toi ! Tu débarques ici fraîche comme une rose, moi, ça fait un bail que je marche figure-toi !

    - Je sais ! Et toi, est-ce que tu sais depuis combien de jours, de mois, tu essaies de rejoindre la Sphère ?

    - Oui…Non…Je ne sais plus…

    - C’est bien ça le problème. Bon, on va s’arrêter. Juste un peu. Et on va parler ! Je crois que ça s’impose.

    - Et tu me diras enfin qui tu es réellement ?

    - Tu sais qui je suis Élisa ! Ton amie de toujours et pour toujours !

    - Un fantôme d’amie. Une illusion. Un robot sans cœur ! Tu es Terminator et tu veux la peau de Sarah Connor!

    - Ha ha ha ! C’est marrant que tu te rappelles ça ! J’avais réussi à te convaincre de regarder toute la saga avec moi ! C’était pas ta came ! C’est ce que tu m’as dit avant de te laisser embarquer ! Et ça c’est confirmé ! Tu te souviens ?

    - Je… je crois. Quand je suis sortie de ta piaule, j’étais d’une humeur massacrante et j’avais un mal de crâne terrible !

    - C’est ça ! Et ta vengeance a été à la mesure de ce que je t’ai fait endurer !

    - Un repas avec ma mère et avec Patrick de passage à la maison ! Á l’époque, il en pinçait un peu pour toi et du coup, il a été d’un lourd ! Toi, tu ne savais plus où te mettre ! Tu avais déjà des vues sur un pote de l’université ! Qu’est-ce que j’ai pu rigoler de tes dérobades pour résister aux avances maladroites de mon frère !

    - Ce n’était pas très gentil tout de même, ni pour lui, ni pour moi !

    - T’inquiète ! Il était un peu balourd niveau drague mais aussi, assez intelligent pour comprendre rapidement qu’il tombait sur un bec ! Il s’en est vite remis, crois-moi !

    - Et moi alors ? Me faire subir ça, tu n’as pas eu honte ?

    - Pas du tout ! Après trois  ou quatre  Terminator à la suite, je ne sais plus combien exactement, je trouve que la punition a été assez gentille !

    Emportée par leur souvenir commun, elles ont atteint un gros bloc de rochers en surplomb, qui leur offre suffisamment d’ombre pour une la pause dont elle a tant besoin, au contraire de Chloé qui, comme d’habitude, ne montre aucun signe d’épuisement. Son souffle est toujours aussi régulier, pas de trace d’essoufflement. Alors qu’elle-même est fourbue, en nage, la respiration courte et haletante. Son « amie » lui semble aussi fraîche et reposée que si elle sortait d’un bain parfumé ou d’une séance de massage.

    Elle se laisse tomber plus qu’elle ne s’assied, à l’ombre bienfaisante des rochers, épongeant avec le bas de sa tunique, la sueur qui dégouline de sa figure à son cou. Elle sait qu’en faisant ça, elle étale sur son visage la poussière du chemin. Pas besoin d’un miroir pour être sûre qu’elle ressemble à un épouvantail.

    - Comment fais-tu ?

    - Quoi ?

    - Pour rester aussi pimpante après des heures de marche sous cette chaleur étouffante ? Tu ne transpires pas, tes pieds nus ont l’air neufs, et ta robe semble sortir du pressing !

    Pas de réponse pour ne pas changer !

    - Regarde- moi ! Je suis sale à faire peur, fatiguée à mourir. J’avance comme un soldat obéissant, pourtant, je ne sais même plus pourquoi j’avance.

    - Pour ne pas mourir Élisa !

    - C’est sûr que ça ne risque pas de t’arriver, à toi, vu que tu es déjà morte ! Tu ne réponds pas hein !

    - Parce que ça ne servirait à rien Élisa ! Ça ne te servirait à rien !

    - Pourquoi ?

    - Parce que, je te le répète, la seule chose qui importe c’est que tu te souviennes ! Tout a été fait pour ça jusqu’ici. Mais tu résistes !

    - Si tu savais comme j’en ai marre d’entendre ce discours fumeux !

    - Alors fais un effort ! Tiens par exemple. Est-ce que tu te rappelles le jour du cirque ?

    - Attends… Je crois oui ! C’était le jour de mes 20 ans non ?

    - Exact ! Continue !

    - Ma mère et mon frère m’avaient offert une sublime robe rouge, bien trop moulante à mon goût…

    - Merci bien ! La robe, c’était MON cadeau ! Tu m’en as assez voulu d’ailleurs ! Tu disais que j’avais fait exprès de l’avoir choisie aussi rouge, aussi courte, aussi ajustée ! Et tu avais raison sur toute la ligne ! Ta mère et ton frère étaient morts de rire quand ils ont vu ta tête au moment du déballage ! Et quand tu as consenti à l’essayer, j’ai cru qu’ils allaient s’étouffer !

    - Tu as raison, je me souviens maintenant. J’aurais pu t’arracher les yeux tellement je t’en voulais ! Patrick lui, m’a offert les chaussures assorties. Des talons de presque 10 centimètres ! Á moi ! Vous vous étiez donné le mot !

    -  Rien qu’un peu !

    -  Alors la place pour le cirque Marini…

    - Ça, c’était le cadeau de ta mère ! Et c’était deux places. Une pour toi, une pour moi.

    - Quoi.. que…

    - Nous y sommes allées ensemble, avec ma voiture.

    - Mais non… Elle était en panne … Tu…n’étais pas là.

    - J’étais là ! La panne c’était une semaine avant !

    - Tu..Tu n’as pu revenir me chercher. J’ai pris un taxi.. L’accident. Mon coma.

    - Hou la ! Tu mélanges tout ! Il y a bien eu un accident cette nuit-là ! Le chauffeur de taxi a été tué sur le coup, c’est vrai ! Quant à sa passagère, une jeune femme de ton âge, elle s’en est sortie mais gravement blessée ! Trauma crânien, les deux jambes brisées, la colonne vertébrale sévèrement touchée… Le lendemain les actus annonçaient qu’elle était dans le coma et risquait de ne jamais se réveiller. Et si elle finissait par émerger, ce serait pour terminer tout le reste de sa vie en fauteuil roulant. Mais ce n’était pas toi !

    - Pourtant…

    - Bon ! Reprenons depuis le début. On part toutes les deux à Sarlat. Tu es très excitée. Moi beaucoup moins mais c’est ton cadeau d’anniv’ alors ! Et puis tu n’as pas de voiture donc... Tu as mis ta robe rouge et tu n’arrêtes pas de tirer dessus parce que tu la trouves trop courte !

    - Attends…Tu vas trop vite.

    Elle ferme les yeux et plonge tête baissée dans ses souvenirs… Sa mère et Patrick sur le seuil de leur maison à Saint-Cirq… Ils crient en agitant les bras tandis que la voiture démarre :

    - Amusez- vous bien les filles et soyez prudentes sur la route

    - Vous inquiétez pas, je vous la ramène ! Leur répond…Chloé.

    Elle se rappelle à présent. La robe trop courte qu’elle tire désespérément sur ses cuisses nues. Les rires moqueurs de son amie…

    - Ah ah ha ! Pour une fois que t’es en nana, J’ai fait très fort là !

    - Te moque pas ! Je ressemble à..

    - Á une jolie fille, enfin, dans une jolie robe qui lui va comme un gant !

    -Trop serré le gant, je te jure ! Et puis ce rouge…

    - Pour une belle brune comme toi, c’est top !

     

    - Elle était vraiment courte et trop moulante cette foutue robe !

    - Je vois que ça te revient ! Bien ! Maintenant, on est au cirque. Continue.

    - On est au premier rang, à l’aplomb de la piste. Comme quand j’étais gosse ! Toi, tu aurais préféré être un peu plus haut dans les gradins, pour mieux voir disais-tu. Moi…

    -Têtue comme une mule, tu y tenais à ta place près de la piste.

    - J’en rêvais ! Ça faisait des années que je n’étais pas retournée au cirque. Après la mort de mon père et de mes deux autres frères, Patrick ma mère et moi, nous avons mis une croix sur tant de choses…

    - Et ensuite ?

    - Il.. Il y a cet homme, pas très loin, à quelques sièges au même niveau. Il n’arrête pas de me mater.

    - Il ne te matait pas ! Trop vulgaire comme expression pour cet homme-là ! Il te dévorait des yeux oui !

    - Fichue robe !

    - Il regardait la fille dans la robe, je t’assure. Un regard… étrange ! C’était comme s’il te reconnaissait. Et toi, tu ne te rappelles pas si tu l’avais déjà rencontré avant ? 

    - Je crois que si ! Je te raconterai après.

    - Non, maintenant ! C’est important que tu racontes dans l’ordre où ça te revient. Continue !

    - Pourquoi ? Tu questionnes alors que tu sais déjà de toute façon !

    - C’est vrai ! Mais c’est à toi de raconter pour que tout te revienne ! Ok ?

    - D’accord. Il me fixe, c’est vrai, comme si nous nous étions déjà vus. Et plus il me fixe, plus ça me fait le même effet. Mais je n’arrive pas encore à mettre le doigt dessus. Et puis le spectacle est beau et très prenant, alors je lâche le type des yeux pour ne rien rater !

    - Et ? Tu te rappelles les numéros ?

    - Pas vraiment. Il y a ces yeux d’une couleur peu ordinaire, d’un vert mordoré, qui me brûlent. Je les sens posés sur moi. Ça me stresse parce que je ne comprends pas pourquoi je n’arrive ni à faire l’impasse sur cet homme, ni à me souvenir où je l’ai déjà vu. Puis l’entracte arrive. Je suis très énervée. Je sors prendre l’air.

    - Pourquoi ?

    - Ce mec qui ne cesse de me regarder, ça me tape sur le système ! Ça me fait flipper même ! Toi tu restes assise pour garder ma place… Je suis dehors. La nuit est tombée. Il y a un banc près d’un réverbère. Je m’assieds. Soudain, je vois l’homme s’approcher. Il s’assied à son tour. Près de moi. Il me parle mais je suis tellement sidérée que je ne comprends pas ce qu’il me dit. J’entends l’annonce de Monsieur Loyal. Le spectacle va reprendre. Alors je me lève comme un automate, pour regagner le chapiteau. Il ne me suit pas. C’est en rejoignant ma place près de toi, que je percute enfin. Il a dit « Bonsoir Élisa »

    - Á ce moment-là, tu ne sais pas encore d’où tu le connais ?

    - Non ! Je regarde le spectacle sans le voir vraiment. Ce « Bonsoir Élisa » me trotte dans le crâne. Jusqu’au clou de la soirée. Le dompteur, la danseuse sur son podium de verre et ce tigre, énorme, majestueux, impressionnant, tous crocs dehors à la demande de son dresseur, pour faire peur juste ce qu’il faut au public médusé ! Un ballet stupéfiant de force, de maîtrise, de beauté et de grâce entre ces trois personnages fantastiques. La belle, la bête et le prince dompteur ! Puis c’est le drame, ou ce que j’ai alors cru être un drame. Un coup de tonnerre dehors, violent, sans préavis, comme il y en a parfois l’été. Face au félin, Le dompteur nous tourne le dos. Le tigre prend peur, il s'agite et se met à feuler. Il tourne et retourne en rond sur la piste. Son maître peine à le calmer Soudain, il se dresse de toute sa hauteur contre les barreaux de la cage, coinçant le dompteur acculé. La bête, est tournée vers nous, vers moi. Pourquoi ai-je l’impression que c’est moi que l’énorme tigre regarde en rugissant férocement? Puis, tous les projecteurs s’éteignent d’un coup et moi, la gourdasse de service, je tombe dans les pommes !

    Quand je reviens à moi, la lumière est revenue sous le grand chapiteau. Le spectacle est terminé. Je suis dans les coulisses, entourée par une partie des artistes, dont le dompteur et sa partenaire. Il y a toi aussi bien sûr, très inquiète. Mais surtout, il y a l’homme aux yeux mordorés, penché vers moi. Si près, bien trop près. Je suis tellement troublée que j’en retombe dans les vapes. La honte quoi !

    - Normal ! Tu as cru que le dompteur allait se faire déchiqueter ! Et après, il se passe quoi ?

    - Je reprends connaissance. Les Circassiens vaquent à leurs occupations. Le démontage du chapiteau a commencé. Curieusement, sans savoir comment j’y suis arrivé, je suis dehors, avec l’inconnu…

    - Qui n’en est pas vraiment un, on est bien d’accord. Il t’y a portée ce beau mâle ! J’en aurais presque été jalouse si je n’avais pas été aussi amoureuse de mon mec !

    - Et toi, tu étais où ? Ah oui, tu m’attendais dans la voiture, pendant que moi, j’étais blottie sur le banc, sous le réverbère, contre le fameux beau mâle, à tenter de reprendre tout à fait mes esprits à l’air frais de la nuit !

    - Et tu les reprenais tes esprits ?

    - C’était difficile. La proximité de Jonathan me troublait tellement que j’avais du mal à respirer.

    -Tu l’avais donc enfin reconnu ! Moi, je ne savais toujours pas qui il était ! Tu ne me l’as dit qu’après. Je ne savais rien de l’épisode chaud bouillant de votre première rencontre ! Qu’est -ce que je t’en ai voulu de m’avoir caché ça !

    - J’étais sûre de ne jamais le revoir alors j’avais tout fait pour l’oublier très vite. Quand notre rencontre a eu lieu, tu n’étais pas là. Tu étais malade. Une saleté de virus intestinal ! Je n’avais pas envie de t’en parler ! Pour quoi faire puisque j’étais persuadée qu’il n’y aurait jamais de suite à notre histoire ! Un coup de foudre, un feu de paille tout de suite éteint. Á quoi bon te raconter ?

    - Pourtant, le soir du cirque, tu as compris que rien n’était fini ! Mais tu es plus entêtée qu’une mule hein ! Tu ne lui as pas dit que tu l’avais reconnu ton beau conférencier. Et tu l’as laissé partir ! Bon sang ! Le hasard le remettait sur ta route et tu n’as rien fait pour le retenir ?

    - J’ai su bien plus tard que le hasard n’avait rien à voir dans cette deuxième rencontre.

    - Que s’est-il passé entre vous sur ce banc ?

    - Rien. Juste des regards. Le sien qui me sondait, le mien qui le fuyait. Une furieuse envie de nous jeter l’un sur l’autre et de nous embrasser, comme la première fois. Mais parce que je n’ai rien dit et que j’avais l’air d’aller mieux, il s’est tu lui aussi et il m’a reconduite jusqu’à ta voiture, où il m’a laissée à tes bons soins, avec ce : « Au revoir Élisa ! Nous nous reverrons. » Si j’avais parlé, notre destin n’en aurait été scellé qu’un peu plus tôt !

    Je l’ai gommé de ma mémoire pendant 5 ans. Jusqu’à ce jour où il est venu frapper à la porte de chez nous.

     

     

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 10 Mars 2023 à 10:34

    Un métier que je n'aurais pas pu faire 

    Bonne journée à toi 

    Bises 

    1
    Vendredi 10 Mars 2023 à 10:13

    Côté cirque, dompteur, dompteuse, dans la cage aux fauves, faut une sacrée confiance en ces félins... amitiés, JB

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