• Chapitre 10

    Il était 16 h 25 quand elle prononça, comme pour elle-même et à voix presque inaudible :

    « La coupe est peine, il faut la boire… »

    Mais tout l'auditoire impressionné et silencieux l'entendit clairement. Ce silence quasi religieux fut soudain brisé par une salve d'applaudissements jaillis des rangs de ses amis auxquels se joignirent quelques journalistes plus téméraires que les autres.

    - Libérez-la ! Cria Hubert déchaîné.

    Et d'autres voix scandèrent avec lui :

    - Libérez-la ! Libérez-la !

    - Elle a dit la vérité ! Libérez- la ! Lancèrent Alexeï et Jézabel survoltés.

    Un journaliste indigné, rouge de colère, posa son portable sur le banc pour se jeter toutes griffes dehors sur son voisin qui réclamait à cor et à cris la libération de cette innocente jeune femme. Lui, ne voyait en elle qu'une de ces monstrueuses créatures dont la duplicité était impardonnable. C'est ce qu'il vociférait au bord de l'apoplexie en martelant son adversaire de coups de poings.

    Dans la salle, le ton montait entre tenants et opposants de Mary-Anne Conroy-Defrance. On frisait la mutinerie. Les gops trépignaient sur place, prêts à en découdre avec tous ces fauteurs de trouble.

    Le Président lui-même s'était retenu de hurler avec les défenseurs de l'accusée. Seuls les membres du Jury n'avaient pas besoin de prendre parti se disait-il. Eux pouvaient se permettre de demeurer impavides en regardant le spectacle. Il y a bien longtemps que leur opinion était faite. Le visage hostile qu'ils avaient montré tout au long de ce procès avait suffisamment parlé pour eux. Contenant à grand peine sa frustration, il abattit son marteau :

    - Silence ! Silence ! Ceci est un tribunal, pas un ring ni une salle de spectacle. Le Jury va se retirer pour délibérer. L'audience reprendra pour la lecture du verdict. Que l'on emmène l'accusée !

    Il était 16 h 30. La salle se vida calmement sous les regards menaçants des forces de l'ordre. Les jurés quittèrent leurs bancs, souverains, sûrs d'eux. Il ne leur fallut pas une heure pour régler le sort de Mary-Anne. Forts de leur intime conviction, un à un les douze la déclarèrent coupable pour chacun des chefs d'accusation énoncés. Ils ne lui accordèrent aucune circonstance atténuante, même pas pour les plus bénins d’entre eux.

    Qui se souvenait encore que par le passé, l'anormalité en était une ? À l'issue de ce procès, on se souviendrait au contraire que cette tare précisément, constituait entre toutes, la plus aggravante des circonstances.

    L'accusée se leva pour entendre la sentence. Elle fut sans surprise : lobotomie, internement à vie dans une de ces forteresses loin de tout, aujourd’hui classifiées sous le terme générique de QHI. À la différence près, c’est que les autres pensionnaires de ces pénitenciers très spéciaux réservés aux fortes têtes purgeant une peine « légère » » en camp de travail, n’y étaient provisoirement transférés que le temps de se guérir de leurs accès de violence ou de rébellion. Après quoi ils réintégraient leur camp ou ils étaient libérés s’ils avaient fini leur temps. Pour Mary, traître et mutante, ces mesures particulièrement draconiennes étaient destinées à l'empêcher définitivement de nuire. Ainsi était justifié l'acte de barbarie qu'elle allait subir.

    Le Président savait les ravages causés au cerveau par la lobotomie, en particulier chez les mutants, ainsi que l’avait souligné Mary-Anne dans son plaidoyer et il dut se retenir pour ne pas hurler de rage en prononçant ce terrible jugement. Quel gâchis ! Dieu ! À qui cette belle et innocente jeune femme pourrait-elle nuire enfermée qu'elle serait pour le reste de son existence dans un trou à rats ? Aux rats sans doute !

    Le verdict était sans appel et la sentence exécutoire dès le lendemain ! Il n'y avait plus rien à faire pour Mary-Anne Conroy-Defrance. Rien qui soit en son pouvoir. Pour des raisons évidentes de sécurité, nul ne savait encore où elle allait être internée. Pas même lui ! Parce qu'elle allait devenir une prisonnière hors du commun, les dispositions étaient elles aussi hors du commun. Jusqu’au lieu où elle devait être « opérée » avant son transfert en forteresse qui était tenu secret !

    Dans le public partagé entre l'incompréhension et la joie, il repéra aisément les proches de l'accusée, prostrés et en larmes. Il irait leur parler. Plus tard. Il leur dirait l'étrange expérience télépathique qu'il avait partagée avec leur amie.

    Puis il la regarda, elle, et elle lui rendit son regard. Ce fut tout ! Comme la flamme d'une bougie que l'on recouvre, la lumière s'éteignit dans ses grands yeux émeraude.

    Oui ! C'était fini pour elle. Elle avait beau se dire que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, les lourdes portes de l'oubli allaient se refermer sur elle. Adieu le bonheur avec Hawk, adieu l'amour !

    Si son enfant naissait, jamais il ne verrait la lumière du soleil. S’il naissait ! La Roue valait-elle ce sacrifice ? Des milliers de vie valaient-elles celle de son enfant ?

    Elle avait envie de crier : « Aide moi Hawk mon amour, ne permets pas qu'on m'enterre vivante avec mon bébé ! » Mais elle ne le fit pas car lui, au moins valait tous les sacrifices. Pour lui elle devait garder l'espoir. Pour lui et pour que cet enfant qu'il lui avait fait, connaisse un jour son père, elle vivrait, elle voulait en avoir la certitude ! Mais pour vivre, il lui faudrait d'abord survivre et pour cela, elle allait devoir trouver en elle, au plus profond de son être, la force de résister à ce qui l'attendait. Alors, elle se ferma au monde extérieur. Puis elle recula et recula encore. Très loin, le plus loin possible, aux confins de son esprit, là ou plus rien ne pourrait l'atteindre, jusqu'à ce qu'elle n'entende plus que le murmure de la vie qui continuait. Elle se mit à l’unisson de la pulsion de son sang dans ses veines, des battements sourds de son cœur, du souffle paisible de sa respiration. Puis elle perçut un autre murmure venant de ses entrailles et, du fond de sa retraite mentale, elle en resta muette de surprise.

    Ceux qui la regardaient tandis que les gardes l'emmenaient, virent la statue jusqu'alors marmoréenne redevenir humaine l'espace de quelques secondes. Des larmes s'écoulaient de ses yeux d'où toute lumière s'était enfuie.

    Des larmes de désespoir sans doute, ou de tardif repentir peut-être, pensèrent les millions de téléspectateurs qui les virent en direct avant que l'envoyé spécial accrédité par la Maison Blanche, ne commente abondamment, dans le sens voulu par ses maîtres, le juste verdict condamnant l'accusée à la réclusion perpétuelle sans aucune possibilité de remise de peine.

    « Un exemple pour tous ses acolytes ! Aucun d'entre eux ne doit pouvoir continuer à croire que l’on peut impunément bafouer la Loi et échapper au bras de la Justice !

    Et surtout, n'oublions jamais qu’en plein prétoire, cette femme a eu l'outrecuidance d'assimiler ses juges à des bourreaux et chacun d'entre les honnêtes citoyens du Monde, à un dictateur en puissance ! Puis elle a pleuré, enfin ! Mais qui a été dupe de ses larmes ? Ce procès fera date et nul doute que d'autres suivront. Car où qu'ils se terrent, les mutants ne seront jamais à l'abri. Comme elle le fit autrefois des Maîtres de l'Apocalypse, la Justice les trouvera et les punira ! » Avait-il conclu.

    En route pour l'immense parc des expositions de Munich où devait se tenir le troisième Rassemblement de la Roue, Hawk lui aussi laissaient sans honte couler ses larmes. Sa vue se brouillait en regardant avidement le mini télécran fixé au siège en face de lui. Le casque audio sur les oreilles l'isolant du reste des voyageurs, dans l'Euro TGV qui roulait vers l'Allemagne, comme la plupart des passagers et parmi d'autres millions de téléspectateurs, il assistait en direct à la fin du procès de sa femme. Il avait entendu le sévère réquisitoire de l'Avocat général puis le magnifique mais inutile plaidoyer de Mary. Comme chacun, il avait entendu le verdict et même s'il le connaissait bien avant qu'il ne tombe, contre toute attente il avait espéré la clémence des jurés. Elle avait été si vraie, si juste ! Pourquoi le miracle n'aurait-il pu avoir lieu ?

    Hélas, aucun miracle ne s'était produit et lui se sentait lâche de n'avoir pu, comme Antonio, risquer sa vie pour secourir sa femme. Il serait mort à présent et la douleur qui lui écrasait le cœur, à jamais abolie. Mais alors, le sacrifice de Mary aurait été vain ! Maudite soit la Roue et maudite sa Mission. Son ventre se nouait de la voir si pâle et lointaine, comme indifférente à tout malgré ses larmes, entre ses gardes qui s'en foutaient royalement. Oui, les larmes sillonnaient ses joues décolorées mais ses yeux étaient vides. Il la trouvait presque maigre et maudissait ceux qui lui avaient fait subir cela.

    Il se maudissait lui de n'avoir pas pressenti ce qui allait arriver. Il maudissait sa condition qui, entre tous les dons, qu'il possédait, ne lui avait pas donné, pas plus qu’aux autres Mus, celui de la prémonition lorsqu’il s’agissait d’un proche. Mais n’en avait-il pas toujours été ainsi des « voyants » qui ne voyaient jamais rien de ce qui les concernait de très près. Dieu ! Pourquoi ne s'ouvrait-elle pas à lui ? Elle était déjà recluse et il avait beau essayer de l'atteindre en frappant désespérément à la porte blindée de son esprit, elle ne lui répondait pas et lui, le tout puissant Rassembleur des Mutants, fort de tous ses pouvoirs, ne parvenait pas à percer ce blindage.

    Demain, on allait l'amputer de son humanité. Elle serait alors perdue pour lui ! Pour toujours peut-être s'il n'arrivait pas à la retrouver et à la guérir à temps.

     

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  • Commentaires

    2
    Mercredi 9 Novembre 2022 à 15:49

    Il va y arriver, tu ne vas pas tout gâcher wink2

    1
    Mardi 8 Novembre 2022 à 20:07

    Du pourquoi qui interroge.... amitiés, jill 

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