• Chapitre 16

    Octobre 2057

     

    Jean-Hubert intensifiait ses travaux d’approche. Il creusait les fondations d’une relation dont il espérait beaucoup. Ce n’était pas pour rien qu’il était architecte. Il poursuivait son œuvre de séduction par une cour à l’ancienne en bonne et due forme. Romantique à souhait, il multipliait les petites attentions, la touchait à force de galanterie surannée, de gentillesse et d’humour. Tant d’efforts, loin de la réconforter, ne faisaient que l’emplir chaque jour d’une honte sans merci. À chacune de ses visites, elle s’enlisait un peu plus dans le mensonge qu’elle lui avait servi la première fois qu’elle avait consenti à sortir avec lui : elle vivait un grand chagrin d’amour et ne se sentait pas prête à entamer une autre relation suivie. Il devrait être patient, ne pas attendre d’elle autre chose qu’une amitié sincère sans ambigüité.

    Si encore elle n’avait menti qu’à lui !

    Il n’y avait que sa mère, cette traîtresse qui connaisse la vérité sur les problèmes avec lesquels elle se débattait. Les infractions successives qu’elle avait commises durant son voyage en Bretagne et qui allaient de la vitesse excessive à un fort dépassement de son potentiel en KA, lui avait valu un retrait de permis instantané pour une durée encore indéterminée, ainsi que la confiscation tout aussi immédiate de sa voiture.

    Seule la bonne conduite dont elle avait toujours fait preuve avant de commettre ces délits, avait empêché que l’intraitable CDC ne la prive à vie de son BACI. En attendant, elle n’avait plus de moyen de locomotion autre que ses pieds ou les transports en commun. À tout le monde, elle avait raconté que sa vieille guimbarde avait rendu l’âme et terminé sa route à la casse, compactée, fondue et recyclée. Elle était donc bien contente de profiter de la générosité de son chevalier servant qui s’était lui-même institué son chauffeur particulier autant que bénévole.

    Quant à lui, il profitait de cette position de force pour assurer son emprise et parvenir à ses fins avec elle en dépit de la distance qu’elle s’évertuait à maintenir entre eux. Il était amoureux. Sûr de la gagner un jour à sa cause. Il pensait disposer de moyens infaillibles pour emporter la victoire.

    Tout lui était bon. Il l’invitait dans les meilleurs restaurants, l’emmenait aux concerts les plus courus, lui offrait les fleurs les plus rares, les parfums les plus précieux, l’inondait de « petits » cadeaux tous plus originaux et coûteux les uns que les autres.

    Ce fut une broche en émeraudes en forme de papillon, une boîte à musique en bois de santal jouant le « Clair de lune » de Debussy qu’il avait dénichée dans la boutique d’un antiquaire hors de prix, un flacon de cristal ouvragé contenant le plus capiteux des parfums dont le nom évocateur était « Déclaration ». Il ne manquait pas de ressources dans tous les sens du terme et il les mettait à ses pieds sans compter.

    - Rien n’est trop beau pour vous Anne ! Ne manquait-il jamais de lui dire quand elle le grondait pour ses folies.

    Lui seul l’appelait Anne, pour se démarquer de ses amis. En particulier de ce pauvre crétin qui l’avait fait souffrir en l’abandonnant, à coup sûr ! Pensait-il. Avait-il conscience cet imbécile, du trésor qu’il avait perdu ?

    Elle avait apprécié qu’il ait ainsi voulu marquer sa différence même si cela donnait un tour particulier à leur relation que les autres n’avaient pas manqué de noter, bien entendu. Elle-même l’appelait Hubert depuis quelques jours. Un point de plus à son actif.

    Elle ne savait trop comment composer avec lui. Pour rien au monde elle n’aurait voulu le faire souffrir, il lui en coûtait déjà trop de lui jouer une si abjecte comédie en acceptant ses présents et sa cour empressée.

    Elle savait ce qu’il voulait mais ne pouvait décemment lui donner ce qu’elle avait refusé à Hawk, même si elle ne comprenait pas pourquoi puisqu’elle se jurait ne pas aimer cet homme méprisable qui la hantait encore tel un fantôme encombrant. Heureusement, Hubert connaissant ses réticences, respectait l’espèce de deuil d’amour qu’elle observait. Ce qui ne l’interdisait pas de se dire et se redire : « Je la veux et je l’aurai ! J’y mettrai le temps qu’il faudra mais elle sera à moi ! » .

    Elle l’admirait pour sa constance et sa ténacité, elle ne l’aimait pas ! Pour le reste, elle appréciait à leur juste valeur l’amitié et le réconfort qu’il lui apportait sans rien lui demander en retour. Il aurait largement mérité plus que cette affection qu'elle lui octroyait par défaut, encore trop occupée qu'elle était par le souvenir d’un autre, elle en convenait. Il était drôle, attentionné, patient. Il savait écouter. C’était de surcroît un créatif, passionné par son métier dont il parlait si bien qu’il savait le rendre intéressant aux yeux des autres. Pour faire bonne mesure, il ne manquait pas de charme: viril, bien fait, pas une once de graisse n’alourdissait sa taille ni ses hanches étroites. Il avait du tonus à revendre, une joie de vivre contagieuse et ce qui ne gâtait rien, la maturité en plus. Elle savait tout de lui, ce qu’il lui avait confié autant que ce qu’elle avait lu en lui.

    Deux évènements majeurs l’avaient fait souffrir sans pour autant l’aigrir. Le plus cruel avait été la mort de Chloévane, sa toute jeune femme qu’il adorait. Elle avait succombé au choléra au cours des vagues d’épidémies qui avaient ravagé le monde. Cela avait été une double perte puisqu’elle était enceinte de six mois.

    Le deuxième, moins douloureux et plus proche, avait été la rupture de ses fiançailles cinq ans auparavant, avec une snob uniquement préoccupée de fortune et de rang social.

    - Une femme froide et sans cœur ! Tout le contraire de vous Anne !

    Que savait-il de son cœur. Il en ignorait autant la duplicité nouvelle que la douleur cachée, omniprésente. En fait, Hubert ne savait d’elle que ce que Surprise lui avait raconté or son amie ignorait toujours l’essentiel. Elle ne pouvait se résoudre à lui dire toute la vérité. Depuis la Bretagne son cœur était comme mort. Il ne servait plus à grand chose, sinon à ménager cet homme brave et bon qui l’aimait déjà si fort. Trop pour son propre bien ! Dieu fasse qu’il ne souffre jamais de cette relation à sens unique ! Pauvre Hubert qui ne doutait pas un seul instant de parvenir à la séduire, qui s’efforçait de devancer ses moindres désirs alors qu’il ne pouvait en combler aucun. Elle s’était reniée elle -même en reniant celui qui pouvait les assouvir tous…

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 14 Octobre 2022 à 14:33

    Ce n'est pa bien ce qu'elle lui fait, le pauvre ne le mérite pas. 

    Bonne fin de semaine.

    1
    Jeudi 13 Octobre 2022 à 19:48

    Une relation amoureuse à sens unique, dès lors compliquée.... amitiés, jill

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