• Chapitre 40

    17 juin, Ielo

     

    Lûba avait mal dormi. Son petit village jusque là préservé était en grand danger. Un danger qui se rapprochait très vite. Ils arrivaient. Tous ! Les bons comme les mauvais. Tous ceux dont elle avait prédit la venue à une Gertrud plus que sceptique.

    - Sais-tu que dans mon monde, celui où vivent des êtres civilisés au contraire d’ici, tu serais arrêtée, lobotomisée et enfermée comme l’a été Mary ? Tes soi-disant dons de voyance, c’est anormal et l’anormalité est toujours un délit que je sache. Alors arrête de me faire chier avec ça. Je ne crois pas à tes trucs de sorcière ! Ce sont des fariboles d’un autre âge !

    Lui avait-elle encore dit la veille alors qu’elle s’évertuait une fois de plus à l’avertir de ce péril dont l’ombre menaçante grossissait au-dessus de leur tête.

    - Tu as tort ! Et quand tu t’en rendras compte, ce sera trop tard, crois-moi ! Lui avait elle répondu.

    « Oui, tu as tort hélas ! Si tu savais pauvre incrédule »

    Pensait-elle, les yeux clos sur la vision sombre de l’avenir qui attendait Ielo.

    Bien que la route soit encore longue pour ceux qui devaient venir, ils allaient trouver le chemin du village. C’était une question de temps.

    Le temps ! Une notion très subjective au regard des nombreuses années de paix qu’avait connues la petite communauté ielote oubliée de la civilisation. « Le trou du cul du monde » comme disait en ricanant l’irrespectueuse Gertie !

    Une semaine, un mois, est-ce que cela comptait ? La foudre tomberait bien assez tôt ! Car elle tomberait, quoi qu’en dise l’Allemande. Comme dans les légendes de sa lointaine enfance, le Bien et le Mal allaient s’affronter en un sanglant duel. Tant pis pour les innocents qui se trouveraient au milieu du champ de bataille !

    Cette fois hélas, c’était leur vie que les deux ennemis éternels allaient jouer sur le grand Échiquier du Destin. Sa vie, celle des villageois, celle de l’incrédule Gertrud qui se moquait de ses prédictions, la traitant de « Vieille folle superstitieuse ». Et l’enjeu de ce mortel combat, c’était Mary et les jumeaux.

    Elle avait grandi avec cette vision manichéiste. Une vision malheureusement trop souvent vérifiée depuis la nuit des temps.

    Les forces de la lumière ne sont-elles pas perpétuellement en guerre contre celles de l’obscurité ? C’est toujours le bien contre le mal, le bon contre le mauvais, le beau contre le laid, la sagesse contre la folie, les dieux contre les démons. Toute chose dans l’univers présente cette ambivalence. Toute médaille a son revers. Le feu qui chauffe la maison est le même que celui qui ravage lors des incendie. L’eau qui désaltère les assoiffés, peut aussi noyer. On peut mourir de faim tout comme on peut mourir de trop manger... le soleil qui est la vie, dessèche et brûle. L’amour est douceur mais il engendre trop souvent jalousie, rivalité, haine !

    Les exemples sont si nombreux qu’il faudrait plus d’une vie pour les énumérer tous ! Il en est ainsi de cette dualité des choses que toute bataille même la plus juste aux yeux de qui la mène, a son prix de larmes et de sang. Si ce qu’elle avait vu se confirmait, la facture serait lourde pour Ielo.

    Elle avait parlé de danger à Gertrud sans trop en préciser la nature. Elle voulait la mettre en garde, pas la faire fuir avec ses protégés. Nul ne pouvait se dérober à son destin et le sien était d’être là quand le Faucon viendrait chercher ses petits !

    Lûba le savait bien, elle qui s’était si souvent rebellée contre les diktats de ce puissant souverain et en avait été chaque fois durement punie. À force de mauvais coups de ce sort tout tracé, elle avait fini par écouter la voix de la sagesse qui s’exprimait par la bouche d’Akulina, sa mère. Elle savait de quoi elle parlait, elle qui avait accepté stoïquement la disparition de son mari et celle de son fils ainé au cours d’un des plus rudes hivers qu’ait jamais connu Ielo ! Le thermomètre était descendu bien en dessous de – 70° cette année là. Ils ne l’avaient pas écoutée quand elle leur avait dit que partir chasser par ce temps, c’était courir à la mort. Ils n’étaient jamais revenus et on n’avait pas retrouvé leurs corps. La future guérisseuse n’avait alors que huit ans !

    « Ce qui doit être sera ! Nulle page n’est blanche, tout est écrit pour chacun d’entre nous, dans le grand Livre de la Vie ! Celui qui cherche à fuir son destin ne fait jamais qu’en retarder l’inéluctable marche ou à en dévier provisoirement le cours ! » Rabâchait sans fin mamouchka.

    Oui, Lûba avait appris à ses dépens, combien la brave femme avait raison. Gertrud n’allait plus tarder à apprendre à son tour cette nécessaire leçon. Peut-être alors cesserait-elle de courir après l’impossible et de vouloir ce qu’elle ne pouvait avoir. Elle serait bien obligée de se plier à la loi du destin lorsqu’elle devrait rendre Mary et les jumeaux à celui qui venait les chercher. Mais pour l’heure, elle se rebiffait encore, aussi mutilée que sa protégée décervelée, et bien plus têtue qu’une vieille mule.

    À quoi bon lui apprendre qu’elle allait devoir la quitter ? Sa folle amie ne l’aurait pas crue !

    La mort l’attendait ! Cela aussi elle l’avait vu cette nuit. Mourir pour mourir, elle accueillerait la faucheuse avec la satisfaction du devoir accompli. Mais ce ne serait pas avant d’avoir vu le Faucon magnifique se poser à Ielo, foi de Lûba !

     

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 9 Décembre 2022 à 15:40

    Ce sont des températures extrêmes, je passe mon tour !

    1
    Vendredi 9 Décembre 2022 à 10:50

    Par moins 70° ce n'est pas rien.... en effet, brrrr, amitiés, JB

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