• Chapitre 49

    1er juillet, les bords du lac Baïkal

     

    Le voyage de retour s’était effectué sans anicroches. Solomon n’avait pas cru bon d’envoyer des troupes fraîches à leurs trousses. Avait-il admis que la partie était perdue ? Hawk en doutait. Ce diable d’homme ne renonçait jamais ! Il devait plutôt être en train de digérer cette défaite -là en ravalant sa rage. Il ne tarderait pas à concocter un autre plan contre son ennemi. N’ayant plus de nouvelle de sa première équipe de tueurs depuis qu’elle lui avait annoncé son entrée sans combattre à Ielo où ne l’attendaient que d’inoffensifs paysans, il en avait conclu fort justement qu’elle avait échoué dans sa mission.

    Il ignorait encore, qu’elle avait péri en totalité sous les coups des mutants. Ce qu’il savait en revanche, c’est que les chiens de la deuxième meute qui s’étaient exagérément vantés d’avoir tendu un traquenard imparable au gourou et à ses acolytes, étaient sur le point de rentrer à la niche les oreilles et la queue basse. Il préparait à ces idiots une punition à la hauteur de leur totale inefficacité !

    Sitôt sorti de l’hébétude où les avait plongés les mutants, secoués jusqu’à la nausée par les visions cauchemardesques émanant de leur propre esprit, ils l’avaient joint lui servant une histoire cousue de fil blanc selon laquelle les mutants, supérieurs en nombre, les avaient eus par surprise et les avaient assommés, ligotés à moitié nus à des arbres avant de s’enfuir avec leurs voitures ! Un conte à dormir debout qu’il n’avait pas gobé parce qu’il ne pouvait croire que ces monstres les aient épargnés. Lui, ne l’aurait pas fait !

    Les suppositions de Blue Hawk s’avéraient justes. Son pire ennemi comprenait qu’à présent, il avait récupéré Mary-Anne Conroy-Defrance et qu’il avait désormais trop d’avance sur lui ! De plus, entouré de ses amis dont ses informateurs lui avaient dit qu’ils se trouvaient en grand nombre à Moscou, le gourou des mutants devenait provisoirement inaccessible. Provisoirement, car une guerre n’est terminée que lorsqu’a eu lieu le dernier combat. Et sur ce point, Hawk ne se trompait pas non plus, Solomon préparait une vengeance à la mesure de la haine grandissante qu’il lui vouait.

    L’expédition au grand complet avait donc quitté Ielo à l’aube du 26 juin. Laissant sur place leurs voitures à bout de souffle, ils avaient réquisitionné les quatre-quatre des Forces Spéciales, plus puissants et confortables. Ils avaient chargé les coffres spacieux avec leurs propres réserves de carburant et avec les provisions offertes par les Ielotes reconnaissants. Puis abrégeant les adieux, ils étaient partis.

    Gertrud les avaient suivis la mort dans l’âme. Elle était toujours recherchée et Hawk lui garantissait la sécurité. Non seulement elle quittait son pays d’accueil mais encore, elle perdait tout espoir de revoir les siens. Suivre les mutants, était un crime bien pire que ceux qu’elle avait commis à la Forteresse. Pire que d’avoir fait évader une prisonnière top secret !

    Ces méfaits-là, elle ne les regrettait pas ! Mary et les jumeaux étaient devenus sa seule famille, son unique raison de vivre depuis qu’elle savait avoir perdu ses enfants à cause de sa trahison envers le tout puissant État Unique ! Or, voila que désormais, elle allait devoir les partager avec cet étranger aux yeux bleus. Avec tous ses semblables aussi qui les couvaient des yeux tels d’inestimables trésors. Ce qu’ils étaient. Mais elle aurait tellement voulu qu’ils ne le soient que pour elle. Elle s’étranglait lorsqu’elle était obligée d’appeler Sacha et Macha par ces foutus prénoms que leur donnait leur père ! Il avait force de loi et ne transigeait pas sur ce point. Ce rustre, avec son père, sa sœur et ces deux grand-mères inconnues qu’elle allait devoir affronter, l’avaient privée de son statut privilégié auprès de ses protégés. Elle n’avait même pas le droit de voyager avec eux. Ce bonheur était réservé à ce maudit Hawk, à Fleur et au grand-père. Elle n’était pas très loin de les haïr tous autant qu’ils étaient. C’est elle qui avait renoncé à tout pour les sauver ! Sans son intervention, Mary aurait fini par mourir à force de mauvais traitements. Et ses bébés avec elle ! Ils étaient où pendant ce temps-là ?

    Ainsi pensait Gertrud Baumann en montant à contrecœur dans la voiture conduite par celui qu’on lui avait présenté comme étant l’ex-fiancé de la jeune femme. Avant que le convoi ne s’ébranle, Hawk s’était approché d’elle et lui avait répondu. Oui, il avait bel et bien répondu à ses pensées les plus secrètes ce sorcier !

    - Un jour, vous pourrez rejoindre les vôtres sans danger Gertrud ! Mais en attendant, je vous promets que si vous y mettez de la bonne volonté, vous serez heureuse et en sécurité parmi nous. Nul n’oubliera votre sacrifice. Nous savons tous ce que nous vous devons. Mary vous aime et les enfants ont besoin de vous. Vous serez une troisième grand-mère idéale pour eux.

    Elle s’était mise à pleurer, honteuse d’avoir été si aisément percée à jour. Lûba n’avait pas menti, ces gens-là avaient vraiment des dons effrayants ! Elle s’en souviendrait.

    - Soyez sans inquiétude, répondit encore le gourou décidément trop perspicace à son goût, nous respecterons votre intimité mentale. Si je vous ai sondée, c’est juste afin que vous compreniez qui nous sommes. Nos dons ne font de nous ni des sorciers ni des démons ni les membres d’une secte diabolique. Nous ne sommes que des humains qui jouissons de toutes les facultés originelles des humains au contraire de la majorité des gens de ce siècle. Au contraire de vous Gertrud !

    C’est donc Hawk, Fleur et leur père qui avaient subi durant plus de mille kilomètres, le mutisme obstiné de Mary qu’on avait privée de son seul repère en la personne de Gertrud. Assise à l’arrière près de Fleur qui la soulageait de temps à autre d’un des jumeaux, elle ne desserra pas les dents, refusant de répondre aux affectueuses sollicitations de sa belle-sœur ou de son beau -père et ne répondant à son mari que par monosyllabes lorsqu’il lui demandait si tout allait bien. Elle ne brisait ce silence que pour murmurer des mots doux aux bébés.

    À mi-parcours, Hawk décida de la forcer dans ses retranchements en lui imposant sa présence, espérant contre toute attente quelle s’adoucirait ou bien qu’elle se révolterait, laissant apparaître la Mary d’autrefois. Tout plutôt que cette attitude fermée, presque amorphe qu’elle leur opposait depuis le départ d’Ielo ! Ce fut pire ! Elle renonça même à parler aux jumeaux, se rencognant en tremblant de crainte contre la portière afin de mettre entre elle et cet étranger qui était son mari, autant de distance que le permettait l’exiguïté de la banquette arrière. Quand un cahot la projetait contre lui et qu’il se risquait à passer un bras protecteur autour de ses épaules pour amortir le choc, elle lui lançait un de ses regards de biche effrayée qui lui mettait le cœur en lambeaux. Il s’enfonçait alors plus encore dans la poignante solitude où elle le jetait par ce refus de toute approche, même la plus anodine.

    Mais il ne céda pas.

    Elle dut le supporter jusqu’à la datcha de la famille Andrevski. Fleur et son père se relayaient au volant afin qu’il profite au maximum de ses enfants, à défaut d’être accepté par leur mère. Eux au moins ne répugnaient pas à dormir dans ses bras et elle ne refusa pas de les lui confier tour à tour. C’était déjà ça ! Il renoua avec eux le dialogue télépathique entrepris dans la forêt d’Ielo, tout en s’enivrant de la douce fragrance de la peau de sa femme, à la fois si proche et si lointaine. Il se défendait âprement de la tenir serrée contre lui malgré le désir violent qu’il en avait. Il se contenta d’écouter les battements effrénés de son cœur qui faisaient écho aux siens. Il tentait d’oublier que pour elle, ce n’était pas l’amour mais la crainte qui le lui faisait battre plus fort et plus vite.

    Le pire restait à vivre. Il lui suffisait de se rappeler la douleur qu’il avait éprouvée quand il avait dû admettre que sa femme ne le reconnaissait pas, pour imaginer ce que seraient les retrouvailles entre la mère et la fille.

     

    Pauvre Félie ! Elle s’effondra sous le choc. Hawk l’avait pourtant avertie du risque mais elle avait refusé tout net d’y croire. Lui-même n’avait-il pas trop espéré ?

    Elle souffrit encore d’avantage dans son cœur de mère quand elle vit la place que tenait la grande femme aux courts cheveux grisonnants qui monopolisait l’attention de sa fille. Cette Gertrud Baumann la couvait telle une mère poule et Mary s’accrochait à elle comme à une bouée de sauvetage.

    Rien, non rien ne l’avait préparée à cela ! Sa propre fille la regardait comme on regarde une étrangère. Pire, Mary, sa Mary se rétracta instinctivement lorsqu’elle la prit dans ses bras, incapable de réfréner l’élan d’amour maternel qui la porta vers elle quand elle passa le seuil de la datcha, un jumeau sur chaque bras.

    Dieu merci, il y avait les jumeaux ! Eux au moins la reconnaissaient pour leur grand-mère, exactement comme s’ils l’avaient connue depuis leur naissance. Océane et Petit Faucon étaient bien les enfants de Blue Hawk, les dignes héritiers de leur incomparable famille Mu dont ils portaient tous les espoirs !

    Quand elle les tint enfin contre elle sous le regard hostile de Gertrud, elle fut presque consolée de la peine immense qu’elle éprouvait face à cette Mary si différente qu’elle ne semblait plus être la chair de sa chair. Seule l’enveloppe était restée la même !

    Mary ! Elle se tenait au milieu de la grande salle de séjour où s’étaient réunis tous ceux qui l’avaient attendue si longtemps et qui n’avaient pu faire partie du voyage vers Ielo. Il y avait également tous les membres de l’expédition. On fêtait le retour de l’enfant prodigue ! Elle était visiblement effrayée et montrait un visage fermé. Elle n’avait pas reconnu Jézabel non plus bien sûr ! Ils avaient tous le cœur serré de tristesse en la regardant. Ils l’avaient tant cherchée qu’ils pleuraient intérieurement de n’avoir retrouvé qu’une étrangère craintive. Hawk qui la scrutait plus intensément que les autres, fut le seul à voir le voile qui ternissait par instant l’émeraude de ses yeux. Elle souffrait instinctivement de la douleur qu’elle infligeait involontairement aux autres. Il avait déjà ressenti cela la première nuit à Ielo quand il avait lâché la bride à son chagrin. La seule chose qui avait survécu de l’ancienne Mary, était cette forte empathie envers autrui qu’elle possédait en tant qu’infirmière dans son autre vie. Un don qu’elle avait encore développé lorsqu’elle avait totalement accepté sa nature d’Élue.

    Oui, Mary souffrait. Pourquoi tous ces gens qu’elle ne connaissait pas, paraissaient-ils avoir tant de peine ? Il lui semblait que c’était sa faute ! Elle n’y pouvait pourtant rien ! On lui avait dit que tous la connaissaient alors qu’elle n’en reconnaissait aucun. Ni cette Félie qui était sa mère ni cette autre femme enceinte, Jézabel, qui se disait son amie. Aucun de ses visages inconnus n’accrochait sa mémoire. Elle n’avait jamais vu Brise dont elle avait pourtant mis l’enfant au monde. Et ce bel homme qui ne ressemblait pas aux géants bruns et qui avait l’air tellement épris de Fleur que ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, elle ne le connaissait pas non plus alors qu’ils avaient été fiancés d’après ce qu’il lui avait dit ! Dans ce cas, pourquoi en avait-elle épousé un autre ?

    Tous, ils attendaient d’elle qu’elle se souvienne ! Or, la seule chose dont elle se souvenait c’est que sa vie avait commencé à Ielo, avec Gertrud ! C’est là qu’elle voulait retourner. Elle ne voulait surtout plus ressentir ce gouffre de chagrin que la souffrance de tous ces gens ouvrait en elle. Elle savait pourtant qu’elle ne pouvait plus fuir. Elle chercha du regard la seule personne qui puisse la comprendre mais Gertrud avait l’air aussi perdue qu’elle.

    Elle allait devoir admettre toutes ces vérités qu’on lui assénait. Hawk était vraiment son mari, le père de ses enfants. Pour eux, parce qu’elle ne pouvait les priver de leur papa, elle allait devoir assumer un passé qu’elle ne reconnaissait pas comme le sien. Un passé dont elle ignorait presque tout.

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  • Commentaires

    2
    Dimanche 18 Décembre 2022 à 16:55

    Il va falloir qu'elle s'adapte, la situation est difficile !

    1
    Dimanche 18 Décembre 2022 à 11:11

    Une situation qu'il n'est pas aisé à assumer.... amitiés, JB

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