• Chapitre 5

    Le box des accusés - une espèce de stalle dotée d'un banc à dossier rivé au sol - dominait la salle comble et bruissante. On lui ôta les menottes et on la fit asseoir un peu plus rudement que nécessaire. Dans le public, quelqu'un toussota. L'attente était palpable. Le rideau allait se lever sur une tragi comédie dont le dénouement était connu de tous. Mais il fallait néanmoins qu'elle se joue.

    L'huissier proclama solennellement :

    - Mesdames et messieurs, la Cour ! Veuillez vous lever  s'il vous plait !

    Tous prirent place. Le Président, ses assesseurs, le Procureur, l'Avocat général… Seul l'espace réservé à la défense demeura vide, ce qui suscita moult questions dans l'auditoire.

    Puis vinrent les jurés, dignes et plus raides que la justice. Un seul coup d’œil sur eux suffit à Mary pour comprendre qu’ils ne seraient pas aussi impartiaux que l’exigeait leur rôle. Les greffiers s'installèrent posément devant le clavier de leur ordinateur, prêts à y consigner méticuleusement chaque minute de ce procès historique, tout en se disant in petto : « Que de tintouin pour cette roulure ! » Eux aussi, à l'instar de presque tous ceux qui étaient présents en ce premier jour dans l'imposante salle d'audience du Tribunal de Lille, étaient tout acquis à la juste cause de l'accusation. Pour tous, elle était coupable. Le verdict ne faisait aucun doute !

    Le Président tenait son marteau en l'air, comme négligemment.

    - Mademoiselle Conroy-Defrance, avant que ce procès ne débute, voulez-vous faire amende honorable ou revenir sur vos déclarations ?

    - Quelles déclarations monsieur le Président ?

    - …

    - Peut-être voulez-vous dire mes non-déclarations ?

    Elle était presque heureuse de lui avoir d'entrée coupé le sifflet.

    - Ne soyez pas insolente mademoiselle ! La Justice n'est pas une galéjade.

    « Tiens, un méridional ! » Pensa-telle fugacement.

    - Et vos boutades ne sont pas les bienvenues ! N'avez-vous vraiment rien à dire qui puisse influencer favorablement la Cour ?

    - La coupe est pleine, il faut la boire !

    Derrière leurs écrans de télé, tous ceux qui, une fois déjà, l’avaient entendue prononcer cette sentence sibylline, se souvinrent et retinrent leur souffle.

    - Cessez de vous moquer, vous n'êtes pas le Christ mademoiselle et nous n'allons pas vous crucifier que je sache !

    - Peut-être pas mais le sort que vous me réservez n’est guère plus enviable, non ?

    - Cela suffit mademoiselle Conroy-Defrance ! Est-ce tout ce que vous avez à nous dire ?

    - C'est tout ! Alea jacta est !

    Le Président ne releva pas cette nouvelle incartade et ordonna la lecture des différents chefs d’accusation.

    Les plus lourds d’entre eux justifiaient à eux seuls l’emprisonnement à vie assorti de l’habituelle mesure de lobotomie visant à supprimer toute pulsion criminelle. On y avait pourtant mêlé sans hésitation des délits presque mineurs au regard des autres tels la pratique illégale de la médecine, le vol de voiture - pauvre Hubert, double victime du monstre !- ou, plus ordinaire encore, le dépassement du kilométrage annuel autorisé, l'excès de vitesse et la conduite sans permis !

    Qu'une simple infirmière ait pu commettre autant de crimes ne pouvait s'expliquer que par un autre délit, tout aussi lourdement punissable : coercition avec l’ennemi public numéro un de l'État unique.

    Ennemi qui de surcroît, était une secte d'anormaux notoires dotés de facultés paranormales à caractère démoniaque. Ce dont on l'accusait en bloc était un fatras de contre-vérités. Ainsi comment pouvait-on à la fois assimiler la guérison spontanée à un crime et dans le même temps, accuser celle qui l'avait commis de pratique illégale de la médecine ? D'ailleurs, depuis quand aider son prochain était-il devenu un délit ?

    L'audition des témoins fut une édifiante comédie qui dura quatre jours. Soudoyés ou non, tous ne dirent que ce que l'accusation voulait bien qu'ils disent. Les questions dirigées, interdisaient toute dérobade. Le témoignage de ses amis devint par le fait inutile. Ils ne purent même pas se réfugier dans un silence obstiné comme elle-même l'avait fait lors de ses interrogatoires. Le Président les sommait de répondre sous peine d'être accusés à leur tour de complicité avec elle et avec les mutants !

    Mary ne leur facilita pas la tâche en refusant de leur faire subir les contre -interrogatoires auxquels elle avait droit en tant qu'avocat à sa propre défense.

    Seule Surprise perdit tout contrôle. Lorsqu’elle vint à la barre pour la première et la seule fois, principal témoin à charge contre sa meilleure amie, elle était presque à terme. Elle regarda Mary dans son box. Les remords et la honte l'étouffaient. Elle prenait pleine conscience du mal qu'elle lui avait fait et des conséquences prévisibles et terribles de sa trahison. Elle se mit à pleurer et, en un flot de paroles entrecoupées de sanglots houleux, elle essaya vainement de revenir sur ses déclarations. Elle hurlait, hystérique en se tenant le ventre à deux mains :

    - J'ai menti monsieur le Président ! Elle n'a rien fait ! J'ai tout inventé …C'est ma grossesse…Je vous en prie, croyez-moi ! Mary… Pardonne- moi… Je ne voulais pas…. Pardonne- moi… Je t’en prie… J'ai menti… J'ai menti !

    - Madame Andrevski ! Nous pouvons comprendre que votre amitié passée avec l'inculpée vous fasse éprouver quelques tardifs remords de l'avoir dénoncée mais vous l'avez fait de votre plein gré, afin que justice soit rendue. Vous ne pouvez ainsi revenir sur vos déclarations ! Vous avez prêté serment ! Reprenez-vous !

    Elle trépignait, ivre de colère et de chagrin.

    - Mais puisque je vous jure que j'ai menti ! Vous m'entendez, j'ai menti ! Vous devez me croire, j'ai menti !

    Elle s'effondra soudain, à bout de forces et de larmes. On dut l'évacuer sur une civière.

    Le Président suspendit l'audience. Quand elle reprit, une heure plus tard, il annonça que madame Andrevski, très affaiblie physiquement et psychologiquement par sa grossesse avancée, ne paraîtrait plus à la barre. Son état de surexcitation ainsi que les propos contradictoires qu’elle y avait tenus, nuisaient à la fiabilité de son témoignage, le rendant invalide. Ce qu’il ne dit pas, c’est que de ce témoignage prétendument invalidé, on garda tout ce qui arrangeait l’accusation et qu’on effaça consciencieusement des minutes du procès la fâcheuse intervention de Surprise revenant mal à propos sur ses premières déclarations.

    Pour Hawk caché en Bretagne et qui suivait les évènements à la télé comme n'importe qui, sans autres nouvelles d'elle que ce que diffusait quotidiennement la presse à scandales sur les supposées mœurs dissolues de la jeune femme, ce mois écoulé avait été un enfer. Il la revoyait pour la première fois depuis son incarcération. Elle était si belle en dépit de sa pâleur et d'un amaigrissement inquiétant ! Belle et toujours fermée à ses tentatives d'investigation mentale.

    « Pourquoi ? » Se répétait-il inlassablement en se demandant où elle puisait une si cruelle détermination à lui tenir tête. Et surtout, comment y parvenait-elle ?

    Cela lui paraissait impossible. Elle n'était qu'une néophyte comparée à lui. Même lorsqu'elle qu’elle avait cru pouvoir lui résister, il avait toujours pu pénétrer dans le secret de son esprit, parce qu'il était un Mu, un vrai fils de Mutants, connaissant et pratiquant leurs facultés depuis l'enfance alors qu'elle, n'en avait pris conscience que récemment et que de surcroît, elle n'était qu'une métisse, même si son père était Patrick Defrance, premier Rassembleur de la Roue. Peut-être était-ce justement cet étonnant patrimoine génétique qui faisait sa force ?

    Le jour de son arrestation, il avait en vain tenté de briser l'incompréhensible résistance mentale de sa femme. Comme une mouche folle son esprit s'était heurté mille et mille fois à celui de Mary, aussi dur et cerné d'épais remparts que la plus imprenable des forteresses !

    Les forces de police mises en place ce jour-là et les suivants, l'avaient contraint au repli. Il en aurait pleuré de honte et de rage d'être aussi impuissant à venir en aide à celle qu'il aimait. Des tas d'innocents s'étaient fait rafler à cause de son mouvement. Lui-même et sa poignée de fidèles n’avaient échappé que de justesse aux bataillons de gops déployés pour les capturer eux et leurs semblables. Depuis, ces pièges s'étaient multipliés et s'étendaient désormais bien au-delà des frontières du Nord.

    Le lieu d'incarcération de Mary était indécelable même pour les plus affûtés des Mus dont il faisait partie. Le seul moyen de sauver sa femme du sort terrible qui l'attendait restait donc la durée de son procès pendant lequel les plus ardents défenseurs de celle qu'ils appelaient l'Élue de Hawk, avaient décidé de faire une tentative désespérée, jurant aux Anciens qu'ils le feraient sans effusion de sang. Tout fut mis en œuvre pour les en dissuader. Et tous finirent par obéir. Seul Antonio se montrait insoumis, demeurant plus que jamais déterminé à foncer en dépit des ordres reçus. Cette femme merveilleuse l'avait guéri. À ses yeux, cela justifiait tous les risques !

    Quant à Hawk, partagé entre le bien du mouvement dont il était devenu l'âme et le sien propre, il se débattait dans les affres du tourment. Elle ou la Mission, quel devait être son choix ? Il pressentait que c'était là le message que lui laissait Mary en refusant de s'ouvrir à lui. « Pense à ta Mission mon amour ! Des milliers de vies contre une seule. Pourrais-tu me choisir et les mettre en danger ? N'oublie pas que rien ne peut nous séparer tant que nous vivrons ! Alors concentre- toi sur ta Mission, elle est plus importante que moi ! » Croyait-il l’entendre parfois. Pourtant, la seule idée de ce qu'on allait faire subir à la femme qu’il adorait, le rendait fou. Lobotomie, QHI, perpétuité…Ces mots révoltants s'imprimaient dans son esprit et sonnaient le glas de son bonheur. Combattant de l'ombre, il n’était que trop douloureusement conscient qu’il devait se préserver pour amener la Roue au terme d'une mission qui prenait consistance jour après jour. Il aurait donné n’importe quoi pour n’être qu'un simple mortel, un normal ayant droit à une existence normale avec la femme de sa vie !

    L'espoir cependant ne l'abandonnerait pas, celui de la sauver un jour car tant qu'il vivrait, tant qu'elle vivrait, cet espoir le ferait tenir debout. Pour cela, il devait rester en vie ! Ça impliquait de ne pas se faire prendre, de ne pas risquer de se faire tuer ni de faire tuer des innocents. Car c'était ce qui arriverait à coup sûr si lui ou d'autres tentait quoi que ce soit contre un tribunal transformé en camp retranché, plein de gops prêts à tuer eux, et sans le moindre état d'âme !

    Alors, le cœur déchiré, résigné, lui aussi capitula.

    De loin, il regardait son bel amour aller au devant d'un sort effroyable et il se cognait la tête contre les murs humides des souterrains qui lui servaient de repaire, sous le fort de Penthièvre. Des caches secrètes creusées par les Mutants depuis des décennies, comme il en existait des milliers d'autres à travers le monde.

    Des taupes, voilà ce qu'ils étaient ses amis et lui depuis bien trop longtemps. Mais cela allait changer, cela devait changer !

    Pour l'amour de Mary, il y travaillait.

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 4 Novembre 2022 à 14:54

    Il faut qu'il se dépêche, mais ça devrait aller. 

    Bonne fin de semaine.

    1
    Jeudi 3 Novembre 2022 à 19:51

    Quand on apprécie une personne, on fait tout pour elle, comme ici, amtiés, JB

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