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Chapitre 56
5 Août, Washington. L’antre du Dragon
Hawk tressaillit malgré lui. On lui avait désobéi. Mary approchait et il ne pourrait pas l’empêcher de tomber dans le piège. Rien ne pouvait l’arrêter. Elle l’aimait.
L’immuable locataire de la maison Blanche depuis plus de vingt ans était devant lui et le dévisageait, comme lui-même le faisait depuis quelques instants en cachant sa stupeur derrière un masque impassible.
« Oh Mary mon amour ! »
Il s’était mis sciemment dans les griffes du Dragon. Mais il avait manqué de vigilance et le piège s’était refermé sur lui. Dès son arrivée à Washington, il s’était rendu directement à la Maison Blanche. Là, il avait passé sans difficulté aucune les barrages mis en place par Solomon pour les Mutants. Pas pour lui ! En effet, comme prévu les plantons l’avaient laissé passer. C’était à l’intérieur, derrière les grilles qu’on l’attendait. Il était animé d’une telle haine, d’une rage si froide qu’il ne lui avait fallu qu’un regard pour libérer le Pouvoir et désarmer les hommes des Forces Spéciales chargés de le neutraliser dès qu’il apparaîtrait. Ils étaient censés l’amener pieds et poings liés et surtout vivant à leur maître. Mais c’était lui qui en avait fait pour quelques heures des pantins amorphes. C’est donc librement qu’il avait franchi les portes du palais gouvernemental. Nul n’avait plus tenté de l’arrêter. Ce géant au magnétique regard d’un bleu intense était impressionnant. Il dégageait une telle aura de puissance contenue qu’on s’écartait à son passage. Il avait trouvé sans peine le chemin du repaire souterrain de Solomon à travers les dédales secrets de la maison Blanche interdits aux personnes non habilitées par le maître de ce lieu. Et ces personnes là se comptaient sur les doigts d’une main. Grâce aux plans que lui avait fournis Phil Adams avant de mourir, il avait pu s’y repérer facilement.
Depuis deux jours, il ne parvenait plus à communiquer avec sa mère. Même se connecter à son esprit était devenu impossible. La ligne était coupée. Son père avait également perdu le contact avec elle. Ce n’était pas bon signe. Il essayait vainement de rétablir la liaison. L’inquiétude le dévorait, aussi n’était-il plus sur ses gardes quand la fulgurance d’un éclair rouge le frappa à l’épaule gauche d’abord puis à la jambe droite. Il s’effondra sur lui-même sous le coup d’une insupportable douleur. C’est délibérément qu’on l’avait blessé alors qu’il suffisait de le neutraliser. « On » voulait qu’il en bave. Dans la semi inconscience où la souffrance le mettait, il senti plus qu’il ne le vit, un homme de haute stature se pencher sur lui. Une aiguille s’enfonça dans son bas. Il fut instantanément paralysé tandis qu’une terrible douleur diluait sa conscience. L’homme était fort. Il le traîna sans mal jusqu’à sa tanière. Ce ne fut que là qu’il s’évanouit.
Quand il revint à lui, il était enchaîné au mur. Son cou, ses poignets et ses chevilles étaient étroitement enserrés dans des anneaux cadenassés. Ses membres étaient encore engourdis par l’injection paralysante et son crâne bourdonnait. Debout devant lui, Solomon se repaissait du spectacle de son ennemi vaincu. Près de lui, sanglée dans un fauteuil roulant, la tête affaissée sur l’épaule droite, pâle et amaigrie, sa mère paraissait inconsciente.
Et voila que Mary n’était plus loin de tomber à son tour dans la gueule du Dragon.
Il n’avait que très peu de marge de manœuvre mais d’où il était placé, probablement à dessein par Solomon, il voyait sans mal le planisphère géant ainsi que l’immense écran de contrôle qu’il avait entrevu lors de ses visions. Tout comme il n’avait fait qu’entrevoir l’homme qui lui faisait à présent face.
« Mary… »
Il ne savait plus s’il devait espérer ou redouter qu’elle recouvre la mémoire. Ce qu’il lisait dans l’esprit de l’innommable créature qui le fixait en jubilant, dépassait de loin tout ce qu’il avait pressenti. Confrontée à l’inconcevable vérité, sa raison vacillait. Écœuré, il s’extirpa en hâte de ce cloaque où son propre esprit déjà vaseux menaçait de s’embourber.
- Alors ! Surpris hein ! S’exclama Solomon.
Son éclat de rire victorieux brisa le silence lourd de leur mutuelle inspection. Une joie haineuse faisait briller les yeux du Dragon noir d’un éclat démentiel.
« Ces yeux Mary…Ces yeux ! »
Surpris ! My God ! Le mot était un milliard de fois trop faible pour décrire ce qu’il ressentait !
« Mary ! »
- On m’amène ta femelle Hawk Bluestone ! Mais ça, tu le sais déjà sorcier, non ? En revanche, malgré ton satané pouvoir, tu n’avais rien deviné à mon sujet, je me trompe?
Oh que si ! Mais il avait nié l’évidence des images, bien que floues, que ses transes lui imposaient.
Un bruit de bottes résonna derrière l’épaisse porte blindée qui protégeait l’antre du Dragon. Il en commanda l’ouverture sans quitter Hawk du regard, guettant sur son visage le signe de sa totale défaite. Mary apparut. Comme dans le cauchemar qu’elle avait fait, trois hommes en noir l’encadraient. L’un d’eux la traîna par les cheveux jusqu’à Solomon puis la força à s’agenouiller devant lui. On lui avait bandé les yeux. Le dragon se pencha vers elle, un sourire cruel sur les lèvres. Il allait enlever le bandeau.
« Mary ! » Hurla mentalement Hawk, espérant que son cri percerait les brumes de son amnésie.
- Madame Bluestone je suppose ? Je ne vous attendais plus ! La chasse a été longue mais vous voilà ! Quelle joie de vous rencontrer enfin !
Il avait devant lui la femme arrêtée puis jugée sommairement un an auparavant sur son ordre. On ne l’avait alors accusée que de coercition avec la secte maudite. Elle avait été très sévèrement punie pour ce crime qui s’apparentait à de la haute trahison ! Ce n’est que depuis peu qu’il avait deviné les liens plus puissants qui l’unissaient au leader des mutants. Intuition largement vérifiée aujourd’hui puisqu’elle s’était présentée aux grilles de la maison Blanche comme son épouse ! S’il avait su avant…Curieusement et entre autres choses, il ne parvenait plus à se rappeler son nom de jeune fille.
Elle était très belle ! Ce serait un ineffable plaisir que de la violer sous les yeux de son mari avant de la tuer elle aussi. Sa traîtrise envers la caste des normaux ne méritait pas d’autre punition ! Quel dommage qu’il ne détienne pas aussi son bâtard! Sa victoire aurait été complète!
« Immonde salaud ! » Pensa Hawk mais il se garda bien de proférer cette injure à haute voix. Le Pouvoir l’avait abandonné, probablement inhibé par la drogue que lui avait injectée Solomon. Il ne pouvait rien! Le rêve de Mary était devenu réalité. Seul le retour de sa mémoire pouvait les sauver tous les trois. Toujours inconsciente, très affaiblie et sans nul doute droguée elle aussi, sa mère ne lui serait d’aucun secours.
Solomon arracha le bandeau des yeux de Mary sans ménagement. Elle garda cependant la tête baissée et les yeux clos.
« Regarde-le Mary, je t’en prie ! » Entendit-elle dans sa tête où tout s’embrouillait. Elle reconnaissait la voix de son mari bien sûr ! Mais elle se mêlait insidieusement à une autre, très réelle celle-là, qui s’adressait à elle avec une fausse cordialité et dont le timbre grave ne lui était pas étranger …Où l’avait-elle déjà entendue ?
La position à laquelle le Gop l’avait contrainte l’humiliait terriblement. Pourtant ce n’était rien comparé à la crainte qu’elle éprouvait pour Hawk et pour Blue Moon. Elle se sentait tellement présomptueuse d’avoir cru qu’elle pourrait sauver son mari et sa belle-mère à elle seule !
Elle s’était présentée au cordon de gardes en faction devant la Maison Blanche, en déclarant hautaine :
- Je suis la femme de Blue Hawk !
Ils l’avaient crue sur parole, d’autant plus qu’elle avait exhibé le pendentif, signe de son appartenance au mouvement proscrit. Ils l’avaient donc menée sans brutalité excessive aux hommes des Forces Spéciales tout juste sortis de l’hébétude provoquée par la décharge de Pouvoir de Blue Hawk.
- Menez-moi à votre maître ! Leur avait-elle ordonné. Je suis la prisonnière évadée de Krépotz’7 !
On lui avait si souvent raconté cette histoire dont elle n’avait pas souvenance, qu’elle finissait par y croire.
- Sale femelle de mutant ! Avaient-ils craché en se saisissant d’elle.
- Vous ! Restez là et surveillez bien ! On ne sait jamais, d’autres pourraient venir à la rescousse ! Et vous deux, venez avec moi !
Avait braillé celui qui paraissait être le chef en s’adressant au groupe d’hommes en noir encore un peu groggy.
Les deux qu’il avait désignés pour le seconder s’était avancés vers elle, menaçants. L’un d’eux l’avait empoignée sans ménagement par un bras, l’autre lui avait violemment agrippé les cheveux tandis que chef détachait le foulard noir imprégné de sueur qu’il avait autour du cou pour lui en faire un bandeau qu’il avait noué très serré sur ses yeux. Ensuite, les trois gardes l’avaient trainée et poussée du canon de leur laser sous le regard médusé de tout le petit peuple de la Maison Blanche.
- C’est la complice des terroristes mutants ! Hurlait le chef en réponse aux dizaines d’interrogations qui fusaient à leur passage.
Elle avait eu l’impression de marcher longtemps à travers un véritable labyrinthe. Petit à petit, le silence avait succédé aux bruits familiers de la vaste ruche gouvernementale. Un silence de tombeau seulement troublé par le claquement des bottes des hommes en noir et par leurs éclats de rire chaque fois qu’elle trébuchait et tombait lourdement sur le sol de marbre, rendue aveugle par le bandeau puant dont les remugles de sueur lui donnait envie de vomir. Ils la relevaient alors brutalement et elle sentait de nouveau le canon d’une arme s’enfoncer dans ses côtes pour la faire avancer.
Une image fugitive l’avait traversée. Elle avait déjà vécu quelque chose de similaire. Cette impression s’était renforcée quand ils l’avaient poussée dans un ascenseur de service, la coinçant contre la froide paroi métallisée. Une panique aussi soudaine qu’irraisonnée s’était emparé d’elle, qu’elle avait maîtrisée à grand peine, se retenant de hurler pour ne pas leur donner la satisfaction de la voir mourir de peur.
C’était le noir…La sensation d’étouffement liée à l’exiguïté de la cabine…L’odeur forte de la transpiration des hommes brutaux et sans vergogne qui se livraient sur elle à d’obscènes attouchements en les ponctuant de ricanements et d’injures ordurières…
Une nouvelle image l’avait traversée puis avait disparu aussi vite que la première. Un endroit sombre…humide et glacial…Des rires…Des coups…La douleur…« Une nouvelle descente aux enfers ! » Pensa-t-elle lorsqu’elle sentit une main d’homme s’insinuer sous sa robe sous les rires gras des deux autres. Elle voulut se débattre mais une gifle violente la repoussa contre la paroi de la cabine. La honte et la rage éveillaient en elle des envies de meurtre.
« Non, pas encore une fois ! » Criait une voix dans sa tête et elle ne savait pas si c’était la sienne ou celle de Hawk.
Puis l’ascenseur avait stoppé. Elle avait encore marché longtemps. Ils s’arrêtèrent enfin.
- On est arrivé ! Dit le chef goguenard.
Elle avait entendu le chuintement d’une porte. Une main rude l’avait poussée pour la faire entrer dans l’antre du Dragon noir. Le lieu suintait la haine et la méchanceté…Et il était trop tard pour se fustiger de sa présomptueuse témérité.
Elle était à genoux, tête baissée, toujours aveugle car elle refusait d’ouvrir les yeux et de les lever, redoutant obscurément l’instant de regarder en face son implacable ennemi. Quand il avait arraché le foulard qui la protégeait encore de lui, ses doigts sur sa nuque l’avait fait frémir d’une instinctive répulsion.
- Alors madame Bluestone, vous ne répondez pas ? C’est très inconvenant ça ! Éclairez donc ma lanterne ma chère, comment votre complice et vous, avez-vous pu vous échapper de Krépotz’7 ?
Elle se tut. Elle sentait la présence de son mari par toutes les fibres de son corps. Pourquoi ne disait-il rien ? Avait-elle réellement entendu sa voix tout à l’heure ? Il l’enjoignait de regarder l’homme qui lui parlait. L’idée l’emplissait d’effroi sans qu’elle puisse s’en défendre.
- Vous m’intriguez au plus haut point jolie madame, savez-vous ? Seriez vous immortelle ou bien fabriquée d’un autre bois que le commun des mutants pour avoir survécu plus de huit mois à la lobotomie et au régime dur de dur des QHI ? Quoi qu’il en soit, merci infiniment de vous être si obligeamment livrée à moi ! Je n’en demandais pas tant mais puisque vous êtes là, je me ferai une joie de disséquer votre cerveau. Il doit différer quelque peu de celui de votre époux. Lui est un pur-sang, pas vous madame ! Non, ce qui m’intéresse ce sont les traces que peut avoir laissé le fameux « fluide » guérisseur des mutants sur vos neurones endommagés !
Elle ne comprenait rien à ce qu’il disait, uniquement concentrée sur cette voix qu’elle tentait d’identifier. Elle croyait pourtant bien la reconnaître. S’il n’y avait eu cette intonation cruelle ni cette mordante ironie… Sans comprendre d’où lui venait cette certitude, elle savait qu’il voulait sa mort autant que celle de son mari et de sa mère. C’était comme s’il avait voulu assouvir une vengeance personnelle ! Que lui avait-elle fait ?
Cependant, plus encore que de mourir, elle craignait de lever la tête et de découvrir le visage du Dragon noir.
Pourquoi Hawk ne se manifestait-il pas ?
- Ta femme est bien timide Hawk ! Car c’est bien ta femme, pas vrai ?
- Tu divagues Solomon ! Si elle t’a dit ça c’est qu’elle est mythomane ! Je ne l’ai jamais vue de ma vie !
Répondit froidement l’homme qu’elle aimait.
- Tu mens !
- Pourquoi te mentirais-je ?
- Et cette expédition pour la récupérer ?
- Accessoirement ! Nous voulions surtout récupérer les enfants qu’elle a mis au monde !
- Les enfants ? Il n’y en a pas qu’un alors !
- Eh non ! Il y en a deux. Tu ne devines donc pas qui est le père ?
- Cesse de m’entourlouper Faucon ! Je ne te crois pas !
- Allons Solomon ! Rappelle-toi le mutant qui s’est suicidé lors de son procès ! C’est lui le père, pas moi ! N’est-il pas le seul à avoir tenté quelque chose pour elle ? Il s’est mis hors la loi de notre mouvement pour ça ! La survie de la Roue Universelle vaut plus que la vie d’une «normale», même si elle a été assez stupide pour s’amouracher de celui qu’elle a guéri ! Nous n’avons décidé de la sauver que lorsque nous avons su qu’elle était enceinte d’Antonio Rivera !
Ça paraissait plausible ! Les certitudes du Dragon s’effritaient. Mary qui se remettait du choc qu’avait provoqué en elle la réponse de son mari, comprit qu’il mentait pour gagner du temps. Elle tourna légèrement la tête vers la source de cette voix aimée et le vit. Il était enchaîné au mur, blessé. Le regard qu’il posait sur elle était faussement froid et indifférent. Un homme très grand était à demi tourné vers lui. Elle ne voyait que son dos. Sa haute silhouette cachait en partie un fauteuil roulant où était assise une femme apparemment évanouie. Blue Moon ! La mère de Fleur de Lune et de Blue Hawk pour laquelle il s’était volontairement jeté entre les pattes du Dragon.
- Voyons Hawk ! Qui crois-tu donc abuser ? Que vient faire ici cette femelle si elle n’est pas ta femme hein ? Je déteste qu’on se moque de moi !
- Je te dis que je ne la connais pas ! Laisse-la partir ! Et libère ma mère aussi ! C’est une affaire entre toi et moi ! Serais-tu lâche pour te cacher derrière deux faibles femmes ?
- Et toi, serais-tu idiot pour persister dans un mensonge aussi flagrant ?
Répondit l’homme retors en assénant u violent coup de crosse sur la blessure de son épaule qui se remit aussitôt à saigner. Elle le vit serrer les dents pour ne pas crier, tandis que Solomon Mitchell se tournait vers elle…
« Mary ! » Hurla Hawk dans sa tête où ce cri résonna comme un avertissement.
Un voile noir se déchira au fond de son esprit.
Papa !
Tags : septième, rassemblement, séparation, USA, Maison blanche, piège, Hawk, Mary-Anne, confrontation, Solomon, souvenirs
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Commentaires
Ah les mensonges, utiles pour gagner du temps, dans une histoire terrible à vivre, amitiés JB
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Ca se complique !