• L'Arbre 2-Chapitre 11-Le Voyageur

    Le Voyageur

     

    Nous ne sommes plus très loin. Je le sens par toutes les fibres de mon vieux corps fatigué.

    Sur le siège arrière, dans sa caisse en plastique inconfortable, assommé par les gouttes qu’il a dû ingurgiter de force afin de ne pas être malade en route, Pirate dort.

    Pirate le bien nommé selon son maître. Moi, je préfère l’appeler  le Chat, tellement il me rappelle celui d’autrefois. Borgne comme l’était le fascinant matou du Jardin oublié, ce chat là est cependant beaucoup plus ombrageux que ne l’était l’éternel ami de l’Arbre et de la Dame verte. Lui au moins, ne me faisait pas la gueule comme Pirate n’a cessé de me la faire depuis que son maître nous a officiellement présentés, persuadé qu’il était que nous sympathiserions au premier coup d’œil.

    « Pssssccchhhhh ! MEOUWWW ! » A fait l’animal en hérissant le poil sitôt qu’il m’a vu ! C’est bien la première fois que je fais cet effet à un chat ! Je n’en ai d’ailleurs jamais croisé de si renfrogné sur mon chemin. C’est tout juste s’il n’a pas sorti les griffes quand j’ai voulu le caresser ! Il ne m’aime pas pour sûr !

    Grand bien lui fasse. Je ne vais pas laisser un greffier de mauvais poil me gâcher mon plaisir !

    Pour être heureux, je le suis ! Enfin, je retourne là- bas ! Je l’ai trouvé mon héritier spirituel ! Il était temps ! J’étais prêt à renoncer et à emporter mon fabuleux secret dans la tombe.

    Étant donné son âge et le mien – il a 40 ans et j’en avoue 86 - il pourrait être mon petit-fils. Si je m’étais marié bien sûr ! Ou du moins si j’avais semé mes graines à tous vents, ce qui n’est pas le cas ! Ni pour le mariage ni pour les semailles désordonnées. Sur ce plan, il semble prendre le même chemin que moi. Lui non plus n’est pas marié et pas plus que moi, il ne se connaît d’enfants cachés. Ce célibat plus ou moins librement consenti, n’est pas notre seul point commun. Comme je l’ai fait tant que j’en ai eu la force, il voyage sans cesse, bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons que moi. C’est pourquoi, toujours par monts et par vaux, il n’a pas eu le temps de se mettre en quête de l’âme sœur.

    - Pourtant, m’a t-il confié le regard triste et lointain, une fois, je l’ai rencontrée, la femme idéale ! Mais elle m’en a préféré un autre. Elle était si belle, si parfaite à mes yeux, qu’aucune de celles que j’ai fréquentées par la suite, n’a pu souffrir la comparaison ! J’ai fini par me faire une raison, jamais je ne trouverai sa pareille, alors j’ai cessé de chercher. Je me suis contenté de liaisons passagères. De celles qui ne demandent aucun engagement, ni à l’un ni à l’autre.

    Je le sentais encore tellement affecté par cette histoire, que je lui ai demandé de me la raconter,

    - En échange peut-être, vous livrerai-je mon propre secret. Lui ai-je proposé, sans savoir encore d’où me venait l’étrange certitude qu’il en était digne

    Alors il me l’a décrite sa villageoise princesse.

    Dès qu’il a commencé à l’évoquer, je n’ai eu qu’à fermer les yeux pour la voir et, en surimpression de cette image idéale qu’il me décrivait, j’ai retrouvé sans peine les traits de celle qui n’a jamais quitté ni mon esprit ni surtout mon cœur. C’est à ce moment précis je crois bien, que j’ai su que je tenais la perle rare, l’héritier apte à recevoir mon plus précieux legs…

    Et nous voilà en chemin vers ce lieu magique dont la simple évocation après tant et tant d’années, fait encore battre mon vieux cœur de façon totalement désordonnée.

    Existent-ils toujours ces deux êtres hors du commun ? Ou n’ont-ils jamais existé ailleurs que dans ma folle imagination ? Peut-être vais-je au devant d’une amère déconvenue ! Quoi qu’il en soit, je dois savoir et pour cela il faut que j’aille là bas ! Ensuite et enfin, je pourrai mourir.

    Mon chauffeur ne parle pas beaucoup. Il est presque aussi taciturne que son chat. Il m’a pourtant paru un peu plus disert lors de notre première rencontre là-bas, dans mon bistrot favori.

    Je me souviens. À peine a-t-il eu franchi la porte tintinnabulante que je l’ai repéré. Il faut dire qu’il ne ressemble en rien aux habitués de cet endroit, une faune hétéroclite de baroudeurs de tout poil qui semblent attirés par ce lieu suranné, petit îlot incongru d’un autre âge, coincé entre deux hauts bâtiments hyper modernes au centre de la grande ville enfumée. Un îlot de lumière falote, comme une balise au milieu de l’immense océan bétonné, irrésistible fanal pour tous ces voyageurs au long cours qui aiment à s’y retrouver pour raconter encore et encore leurs nombreux périples autour de la terre. En fait, ce troquet là, Dieu seul sait pourquoi - la magie d’Internet sans doute - est devenu le Q G de tous les aventuriers de la planète, une espèce en voie de disparition soit dit en passant ! Un minuscule point sur la carte du monde, la capitale secrète, quasi microscopique de tous les voyageurs à l’ancienne tel que je le fus en mon temps ! Des hommes et des femmes qui se reconnaissent entre eux par un tatouage : une rose des vents au centre de laquelle se détache la silhouette d’un randonneur, sac au dos et bâton de marche à la main.

    Ah ça non, mon nouvel ami veston-cravaté, son attaché-case comme prolongement naturel de sa main, n’avait certes pas l’allure d’un vagabond ! Impeccable, tiré à quatre épingles, les chaussures bien cirées, je l’imaginais mal en vadrouille sur des chemins poussiéreux, chaussé de grosses groles de marcheur usées par des milliers kilomètres d’errances hasardeuses !

    Cet homme-là puait le fric à plein nez, les voyages en classe affaire dans des avions hypersoniques, les hôtels cinq étoiles et les bagnoles de luxe ! Pourtant, dans ses yeux, j’ai cru déceler une lueur spéciale, comme celle qui s’allume dans les regards de mes amis routards lorsqu’ils sont sur un nouveau départ. En dépit de ses trop fines pompes de citadin friqué, j’ai eu l’étrange sensation que ses chaussures de marche, il les portait en bandoulière au fond de son cœur…

    Alors quand il est entré - tout à fait par hasard pour demander son chemin dans cette ville inconnue, m’a-t-il avoué plus tard - et qu’il s’est dirigé d’instinct vers ma table, je me suis dit que c’était le destin qui me l’envoyait. J’avais devant moi un homme aussi plein de doutes que son compte en banque était plein de fric, je le sentais. Un homme mûr, au regard tourmenté, presque triste mais dans les yeux duquel brillait, à son insu semblait-il, une étincelle que la vie et ses péripéties aussi douloureuses soient-elles, n’avait pas réussi à éteindre. Un étincelle qui me rappelait très fort celle qui avait brillé autrefois dans les yeux d’un tout jeune homme épris de liberté, d’aventures et de grands espaces : moi !

    - Je suis architecte. M’a-t-il confié presque aussitôt.

    - Et moi, je suis un vieux voyageur fatigué ! Lui ai-je répondu du tac au tac.

    - Ah ! Vous m’avez pourtant l’air encore bien vert !

    - Ne soyez pas bassement flatteur jeune homme, je suis bien plus usé que mes chaussures, croyez-moi !

    - Et vous, me croiriez-vous si je vous disais que je suis encore plus usé que vous-même et que vos chaussures réunis ?

    - Je vais peut-être vous étonner mais je vous crois.

    - Pourquoi ?

    - Je le lis dans vos yeux. Et qu’est-ce qui vous fatigue à ce point ?

    - La vie que je mène, toujours par monts et par vaux, la solitude…Le fait d’avoir renié mon idéal pour le fric…J’avais rêvé d’autre chose, de belles réalisations, d’une femme et d’une joyeuse marmaille qui m’auraient attendu à la maison…

    - Et ?

    - Rien de tout cela ! Il y a bien longtemps que je ne bâtis plus de châteaux en Espagne ni même de simples cabanes au Canada. Je bétonne cher monsieur. Je bétonne à tout va en oubliant mes états d’âme de jeune architecte frais émoulu de son école ! Et la seule compagnie que j’aie lorsque je rentre de mes chantiers, c’est un matou borgne et taciturne qui ne me témoigne qu’une souveraine indifférence à chacun de mes retours. Il faut dire que je l’abandonne bien trop souvent. Mon travail…Vous comprenez. Et vous ? Marié, des enfants ?

    - Non ! Jamais eu le temps ! Et moi, je n’ai même pas un chat, un chien ou un canari pour me tenir compagnie. J’ai un appartement en ville au septième, rien à voir avec le septième ciel, dans une de ces tours toutes identiques, les pieds dans le béton et le bitume, la tête dans les nuages de fumée…Un petit studio d’étudiant alors que j’ai quitté les bancs de l’école depuis belle lurette. Une chambre-salon, une kitchenette, une minuscule salle de bain, le tout rempli de mes souvenirs de voyage entassés à la va comme je te pousse et dans le fouillis desquels se reposent définitivement mon vieux sac à dos, mes groles et mon bâton de marche qui ne me servent plus guère depuis que je voyage en première classe ! Sans tous ces trucs ramenés des quatre coins du globe, mon home sweet home serait froid et vide malgré son volume restreint. Qu’importe, de toute façon mon vrai foyer est ici. J’y passe le plus clair de mon temps. Pour tout vous avouer, il n’y a que dormir que je n’y fais pas. Quiconque me cherche sait qu’il me trouvera ici parmi mes congénères routards, à partager avec eux le pot de l’amitié et les récits de voyage. Et vous, qu’est-ce qui vous amène chez nous ?

    - Un chantier. Le nouveau complexe hôtelier prévu à la périphérie nord de la Cité, dont j’ai conçu les plans et dont je vais superviser la construction. Vous devez en avoir entendu parler, non ?

    - Ah, ça !

    - Comme vous dites !

    - Un truc énorme à ce qu’il paraît, qui a déjà son armée de virulents  opposants !

    - Dont vous faites partie ?

    - Oh que non ! Je ne me mêle pas de tout ça moi ! J’y connais que dalle d’abord et ensuite, je suis un vieux père tranquille qui ne vit plus qu’à travers ses souvenirs. J’ai entendu dire que ce sera quasiment une petite ville dans la ville à soi tout seul votre complexe. Ouais ! Un truc énorme  et qui va coûter chérot à la collectivité locale !

    - Énorme, c’est le mot et très cher, pour ça oui ! Une commande de la région persuadée que cette mise va lui rapporter gros. L’essor du tourisme, une clientèle friquée et tout le tralala !

    - Vous n’avez pas l’air emballé !

    - Je vous l’ai dit, je suis fatigué !

    - Je peux comprendre. Mais alors pourquoi continuez-vous dans ce sens ?

    - Parce que tout le pognon que j’empoche en sacrifiant mes rêves d’antan me permettra peut-être de réaliser le plus fou  d’entre tous !

    - Et c’est quoi ce rêve ?

    - Trouver un coin encore vierge pour y construire une espèce de paradis dont les plans sont dans ma tête depuis ma sortie de l’école d’architecture. Un truc de doux dingue selon mes amis de l’époque, qu’aucun mécène, aucune collectivité n’accepterait de soutenir, c’est pourquoi je compte bien m’auto financer si j’achète le terrain et que j’obtiens des autorités compétentes les permis de construire ! Une œuvre de visionnaire utopiste m’a dit mon maître lorsque je lui ai exposé mon projet !

    - Et vous l’avez trouvé votre coin ?

    - Non, pas encore mais je ne désespère pas. Le monde est grand, certes, mais je le sillonne depuis si longtemps que je finirai bien par tomber dessus par hasard. Quand je le verrai, je le reconnaîtrai, j’en suis sûr ! Et alors…

    - J’imagine ! À quoi il est censé ressembler cet endroit merveilleux ?

    - J’aurais du mal à vous expliquer vu que je ne l’ai pas encore découvert mais il sera beau, vert…Des arbres à profusion...Une rivière, un plan d’eau…Un Paradis perdu sur cette terre bétonnée du Pôle Nord au Sud à cause de gens comme moi…Enfin….comment vous dire ? Je suis sûr qu’un tel endroit existe quelque part, qui n’attend que moi…Je le sens en moi, comme un appel…

    Le cœur tremblant d’une émotion fantastique, je l’écoutais, ce jeune homme galvanisé par ses rêves, ce bâtisseur manifestement né pour autre chose que les tours de verre et de béton, parler de MON Jardin oublié comme s’il l’avait déjà vu !

    L’impression fugace que j’avais eue lorsqu’il était entré et s’était dirigé vers moi, devenait soudain une certitude : j’avais enfin trouvé mon héritier.

    Ainsi débuta notre étrange amitié, laquelle allait connaître son aboutissement dans quelques kilomètres.

    Nous approchons du but. Les forces du Jardin, insoupçonnables pour un néophyte, se déploient devant nous. Sans en comprendre la raison, je sens qu’elles ne sont pas amicales comme elles le furent pour moi autrefois. Il me semble aussi que cet impalpable déploiement est bien plus étendu que dans mon souvenir. La désertification autour du Jardin oublié s’est amplifiée. De deux ou trois kilomètres, on est passé à presque dix sans voir le moindre village habité. Dieux du ciel, la puissance de l’Arbre s’est bigrement renforcée depuis mon passage !

    Elle est à présent bien visible sur la ligne d’horizon ma forêt sauvage. La Forêt interdite comme disent les gens de la grande ville de laquelle nous sommes partis. Elle est aussi sombre et dense que ce que je me rappelle mais elle m’apparaît nimbée d’une aura d’hostilité que je perçois en dépit de la distance. Cela forme comme un dôme transparent mais bien réel sur lequel j’ai la sensation que nous allons nous cogner tels des insectes fous lorsque nous tenterons d’y pénétrer. L’Arbre et la Dame tiennent décidément plus que jamais à leur tranquillité ! J’en viens à me demander si je suis bien avisé de leur amener un étranger aussi pétri de louables intentions soit-il. Mais comme il a partagé ses rêves avec moi, je tiens à partager le plus beau d’entre les miens avec lui. Fasse le ciel que je ne sois pas en train de commettre la plus monumentale erreur de toute ma vie !

    Quand j’y songe avec un brin d’objectivité, je suis obligé de me demander pourquoi cette soudaine inquiétude au sujet de mon nouvel ami ! Surtout en ce qui concerne l’accueil que l’Arbre est susceptible de lui réserver. Une autre pensée que la mienne propre s’insinue dans mon esprit. Il me semble, ô oui, il me semble bien que c’est celle du Chat borgne, plus vivace que jamais.

    « Sombre idiot ! » Me dit-elle. « Qu’est-ce qui t’a pris de sympathiser avec ce barbare incapable de comprendre la magie du Jardin ? Il est à peine capable de se comprendre lui-même ! Quant à me comprendre moi, n’en parlons même pas ! Il est plus vide qu’une coquille de noix ! »

    Curieusement, l’insidieuse voix qui me feule son mécontentement dans les neurones, semble provenir de la caisse ou Pirate dort toujours. Feint de dormir plutôt, j’en jurerais !

    « Et toi, as-tu jamais essayé de le comprendre ? » M’entends-je lui répondre mentalement.

    Fichtre ! Voilà que je télépathise  avec un malotru de chat ! Pire, je n’en suis pas autrement étonné. Et ce matou mal embouché qui a failli me griffer lorsque nous avons été présentés, je suis soudain certain que c’est Chat. Le chat de mon Jardin oublié ! Le copain à multiples vies de l’Arbre et de la Dame verte.

    L’air de rien je le questionne :

    «  Au fait matou mal aimable, à combien de vies en es-tu ? »

    « En quoi est-ce que ça te regarde faux frère ? » Me crache-t-il. « Est-ce que je te demande ton âge moi ? Ou combien il te reste de vraies dents, vieux débris ? »

    « Eh beh ! Je t’ai connu plus aimable Chat ! Ainsi je ne me suis pas trompé, c’est bien toi ! »

    «  Eh oui Voyageur, c’est moi en chair, en poils et en os ! En griffes et en crocs aussi, tâche de ne pas l’oublier ! Bon sang de chat, qu’est ce qui se passe dans ta vieille caboche pour t’être acoquiné avec cet olibrius qui ne pense qu’à bétonner le peu d’espace encore vierge de cette planète ?  »

    «  C’est bien à toi de me critiquer Chat ! Et toi alors ? Qu’est ce qui t’a pris de te réincarner chez lui ? »

    «  Je n’ai pas choisi vois-tu ! Ma sœur et moi nous sommes nés dans la rue et nous y aurions crevé de faim s’il ne nous en avait pas sortis ! »

    « Et bien moi non plus je n’ai pas choisi ! J’étais tout tranquille, à ma table habituelle dans mon petit troquet favori où je ne demandais rien à personne, quand il y est entré pour demander un renseignement et qu’il s’est comme par hasard dirigé droit vers moi ! On a sympathisé tout de suite ! C’est un type bien malgré tout le mal que tu parais penser de lui ! »

    «  C’est ça ! Mon œil unique ! Un type bien qui n’a d’autre but que de se remplir les poches en faisant construire partout dans le monde, le même genre de tour sans âme et constamment enveloppée de nuages pollués que celle où il me tient enfermé à longueur d’année ! Un jour qu’il ne faisait pas attention et malgré les avertissements de Minette, ma petite sœur, sur la correction qui m’attendait si j’étais surpris, je l’ai jeté mon œil sur les plans qu’il pond sans même y penser. C’est d’un moche ! »

    « Moche pour toi, je veux bien l’admettre mais il a de beaux projets aussi, il me l’a dit ! Il rêve de revenir en arrière question bétonnage à outrance, vois-tu !

    « Tu parles ! C’est de l’esbroufe ! Il t’a bien entortillé, c’est tout ! Et toi, tu ne marches pas, tu cours les yeux fermés ! Pauvre naïf ! »

    « Tu me parais bien amer Chat ! Décidément, je trouve que tu as rudement changé ! Au fait, tu me parles de ta sœur, pourquoi n’est-elle pas ici avec toi ? »

    «À force de m’entendre parler du Jardin, de l’Arbre, de la Dame, des oiseaux et tout le toutim, elle a voulu s’envoler de la tour pour aller voir et elle en est morte ! Voilà pourquoi ! Tout est de ma faute ! Si tu savais comme je m’en veux ! »

    Pauvre Chat ! J’en reste muet de saisissement et de chagrin pour ce félin si fier qui n’a jamais fait de mal à personne. Cet être bizarre à nul autre de son espèce pareil, qui pleure à sa façon, enrage, aime et parle à mon esprit alors qu’il n’est à dire vrai qu’un animal !

    « Et toi, tu n’es qu’un âne bâté ! Pire même si je peux me permettre de le dire de cette façon, tu n’es qu’un pauvre idiot d’humain borné ! »

    Je suis tellement estomaqué par cette furibarde réaction de « l’animal » que j’en éclate de rire. Un rire énorme, tonitruant, incontrôlable qui tourne vite à la crise de hoquet.

    Notre chauffeur qui évidemment ne peut se douter de notre échange mental très vif, sursaute, donne un malencontreux un coup de volant si brutalement que la voiture dérape et part en zig zag sur la route. Avant d’avoir eu le temps de dire ouf, nous nous retrouvons dans un fossé en contrebas de la chaussée, à quelques mètres d’une intersection, secoués, endoloris de toute part mais vivants. Non sans mal, nous sommes parvenus à nous extirper du véhicule dont heureusement les portières ne se sont pas bloquées. Les airbags ne se sont même pas déclenchés sous le choc ! J’ai encore envie de rire mais je m’abstiens devant l’air furax de l’architecte. Je me contente de numéroter mes abattis et de compter les horions qui les décorent …

    - Bordel de merde! Mais qu’est ce qui vous a pris ?

    Fulmine mon jeune ami comme moi contusionné de partout, le front en sang ! Il est pâle comme la mort et très en colère, je le conçois !

    Je ne sais que lui répondre ! Je serais bien en peine de lui expliquer que c’est une réflexion de son chat qui a provoqué mon fou rire !

    Le Chat !

    - Où est Pirate ?

    Ma question le surprend. Il est encore tout estourbi par le choc que nous venons de subir.

    - Pirate ? Bon sang, il doit être assommé dans sa caisse pauvre bête ! Restez là, je vais voir.

    Il a vite fait de remonter !

    - Putain ! Sa caisse est ouverte mais il n’est plus là ! Il a dû en profiter pour s’enfuir ce vaurien de matou ! Depuis le temps qu’il en rêve !

    - Comment le savez-vous ? Vous parlez chat au moins ?

    - Non, mais je commence à le connaître ! Depuis la mort de sa sœur, il paraissait attendre que j’ouvre les fenêtres pour la rejoindre. Je sentais bien qu’il allait de plus en plus mal, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai emmené avec moi cette fois ! Je crois que je peux dire adieu à mon petit compagnon ! Maintenant qu’il a retrouvé la liberté, je ne le reverrai pas de sitôt ! Jamais sans doute ! Dieu seul sait où il est à présent !

    « Et moi ! » Me dis-je, car je sais avec certitude où court à toutes pattes véloces ce sacré Chat !

    - Bon, c’est pas tout ça, qu’est-ce qu’on fait maintenant ! On n’est plus très loin mais ça fait quand même encore une belle trotte et je ne pense pas que mes vieilles jambes me porteront jusque là-bas ! La voiture doit encore pouvoir rouler, elle n’a pas l’air trop amochée, faudrait la sortir de là mais comment ?

    - On pourrait aller chercher de l’aide non ? Il m’a semblé entendre un bruit de tracteur vers là bas !

    - Vous êtes sûr ? Il n’y a plus un hameau habité par ici, du moins pas que je me souvienne ! Vous pourriez plutôt appeler un dépanneur. Vous avez votre portable je suppose ?

    - J’avais ! Vous pensez bien que c’est le premier truc auquel j’ai pensé! Introuvable le portable ! Je crois que la dernière fois que je l’ai vu, il était posé devant moi sur le tableau de bord. Il a dû passer par la vitre quand on a versé dans le fossé. Il est sûrement quelque part par-là, hors d’usage ! Quand la guigne s’y met … Et vous, vous en avez un ?

    - Euh…Non, désolé ! Je l’ai laissé à l’hôtel ! On va bien retrouver le vôtre, il fonctionne peut-être encore…

    - Pas la peine ! On n’aura pas le temps, vous avez vu la couleur du ciel ! Il ne va pas tarder à pleuvoir et m’est avis que ça va tomber dru.

    - On peut allez voir par là ; il y a un village, ça c’est sûr ! Et si vous dites que vous avez entendu un tracteur on a peut être une chance qu’il y ait quelqu’un dans le coin et de quoi téléphoner à un dépanneur…

    - Alors ne perdons plus une minute, allons-y  avant que le ciel nous tombe sur la tête. J’ai senti des gouttes ! Ah ça, vous pouvez dire que vous nous avez mis dans un beau pétrin avec votre fou rire intempestif !

    Et nous voilà partis, cahin-caha sur la petite route de campagne vers le hameau paumé d’où provient effectivement, aussi improbable que cela puisse me paraître, un bruit qui ressemble à s’y méprendre à celui d’un tracteur…Un tracteur ! Il y a une paye que je n’ai vu un de ces engins aujourd’hui totalement obsolètes en face des machines sophistiquées et multifonctions qui « travaillent » seules au milieu des champs.

    Un éclair zèbre le ciel plombé tandis que les roulements de tonnerre au loin donnent raison à mon compagnon d’infortune.

    Nous avons beau hâter le pas, lorsque les premières grosses gouttes de l’averse s’écrasent sur nos têtes nues, je sais d’avance qu’aide ou pas au bout du chemin, nous serons trempés bien avant d’arriver au hameau.

    « Passe au large ! » Me dit une voix grave et hostile que je suis seul à entendre.

    « Non ! Pas question ! Pas si prêt de mon rêve ! » Lui réponds-je avec hargne et détermination…

     

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  • Commentaires

    3
    Jeudi 15 Septembre 2022 à 17:15

    Je suis comme Colette, je sais où  va le chat, mais l'accueil pour les humains ne sera peut-être pas le même. 

    Bonne fin de journée.

    2
    Jeudi 15 Septembre 2022 à 03:20
    colettedc

    Chat-Pirate, je connais sa destination, oui, et il s'y rendra c'est certain ... bon jeudi Anne-Marie. Bisous

    1
    Mercredi 14 Septembre 2022 à 21:58

    Une sortie mouvementée... amitiés, JB 

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