• L'Arbre -Livre 1- Chapitre 19-Le maire

    Le maire

     

    Notre paisible petite commune n’a pas été préparée au malheur qui a fondu sur elle. Rien dans ses archives ne témoigne qu’elle ait connu au cours des siècles passés semblable cataclysme. Rien ni jamais depuis qu’elle fut fondée sous l’empire romain.

    En dépit des évènements indubitables qui ont débuté dans le quartier nord et des témoignages effrayés des gens que nous avons recueillis lors de cette nuit fatidique, beaucoup de nos concitoyens sont demeurés incrédules, d’autant que nous n’avons alors rien ressenti dans le centre. Il leur a fallu se rendre sur les lieux, faisant fi de l’interdiction, pour y croire enfin.

    Un séisme par ici, cela défie en effet toutes les lois de la probabilité !

    Nous avons vécu des inondations certes, localisées à la ville basse et dues à des pluies diluviennes, dites décennales, que ne peuvent résorber d’anciennes et inadéquates canalisations dont notre conseil étudiait par ailleurs le remplacement au cours de l’année. Quelques tempêtes mémorables également dont les rafales de vent titanesques et impitoyables ont fait s’envoler de vieilles toitures et déraciné des arbres centenaires…Mais ça, jamais !

    Dans les semaines qui suivirent il y eut d’autres secousses de plus en plus rapprochées, de plus en plus violentes. Tout le contraire de répliques dont la fréquence et l’intensité ont généralement plutôt tendance à décroître. Elles s’étendirent de la périphérie nord où avaient eu lieu les premières, au centre de la ville, semant sur leur passage une espèce de psychose de fin du monde telle qu’on en connaît à chaque changement de siècle. Un vent de panique se mit à souffler sur tous les habitants. Il se transforma en ouragan lorsque de longues balafres commencèrent à défigurer les édifices publics. Cela débuta par les remparts moyenâgeux qui ceignent la vieille ville ; ils se lézardèrent dangereusement, menaçant les riverains habitant en contrebas. Ensuite ce fut le tour de la mairie, une haute bâtisse d’après guerre en briques rouges, pompeuse et laide, j’en conviens, édifiée sur une grande place pavée, au-dessus d’anciens souterrains ; elle commença à se craqueler sur toute sa façade puis à s’affaisser un peu plus à chaque secousse. L’église enfin, une vénérable vieille dame du XVe siècle, classée monument historique et qui avait courageusement défié les bombardements et les outrages du temps, vit son clocher s’effondrer dans le fracas assourdissant de ses trois lourdes cloches de bronze. Heureusement, il n’y eut pas de victimes ! Dès l’apparition de la longue lézarde qui courait des soubassements jusqu’à mi-hauteur, un large périmètre de sécurité avait été installé.

    La panique encore maîtrisée avant cet accident, céda le pas à l’hystérie collective. La ville entière vacillait sur ses fondations tandis que sa population, ébranlée, tremblait d’une peur irraisonnée.

    Alors commença un exode tel celui qui avait eu lieu lors de la Deuxième Guerre mondiale, à cela près qu’il s’effectua par camions et fit la fortune des déménageurs à des dizaines de kilomètres à la ronde. Petit à petit, la ville se vidait de ses habitants qui partaient dans leur famille, chez des amis, dans leur résidence de vacances ou ailleurs, n’importe où et dans n’importe quelle condition pourvu qu’ils puissent échapper au fléau qui s’abattait sur leur vie. Ils fuyaient un occupant anonyme. En effet, la thèse du séisme n’avait pas résisté à l’investigation poussée des experts.

    En tant que premier magistrat, je n’ai pu partir de suite malgré ma peur et l’envie irrésistible qui me prenait parfois de plier bagages comme mes concitoyens. Comme le capitaine d’un navire en perdition, il me fallait rester à mon poste jusqu’à la découverte de l’ennemi impitoyable qui se terrait sous nos pieds. Un ennemi si incroyable qu’aucun être humain sensé n’aurait jamais pu imaginer qu’il existât, dont aucun savant respectable n’aurait osé avancer le nom sous peine de passer pour fou à lier. Et pourtant…

    « L'Arbre -Livre 1- Chapitre 18- La voisineL'Arbre1-Chapitre 20-L'Arbre »

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    3
    Samedi 27 Août 2022 à 15:38

    C'est l'exode, tout le monde fuit. Les femmes et les enfants d'abord, j'espère !

    Bon week-end.

    2
    Vendredi 26 Août 2022 à 22:39
    colettedc

    Et pourtant, oui, en effet, Anne-Marie, hélas !

    Bonne toute fin de soirée. Bisous

    1
    Vendredi 26 Août 2022 à 22:14

    Quand on ignore le nom d'un mal grandissant, plier bagage semble si naturel... mais.... l'affronter c'est plus courageux... amitiés, JB

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :