• L'Arbre1-Chapitre 20-L'Arbre

    L’Arbre

     

    J’ai gagné…

    Quand ils ont découvert la véritable origine des effroyables calamités qui s’abattaient sur leur ville, il était trop tard ! Ils ne pouvaient plus rien faire pour enrayer la lèpre qui la rongeait sans risquer de l’aggraver encore.

    Ils ont bien essayé de me détruire, de nous détruire mais ils se sont vite rendus compte que l’instabilité chronique du sous-sol, résultant de la présence ancienne de multiples souterrains, rendait toute entreprise contre les racines du mal périlleuse, voire suicidaire.

    Ils ne possédaient pas le moindre élément susceptible de les éclairer, rien qui pût expliquer le développement aussi subit qu’anarchique et totalement simultané, des racines de tous les arbres de la ville et de sa périphérie. Dans les ouvrages consacrés à l’arboriculture qu’ils consultèrent, ils ne trouvèrent pas trace d’un tel phénomène. Lequel, étudié à la loupe, fut imputé dans le doute à diverses causes possibles dont aucune ne satisfaisait les scientifiques.

    Outre l’hypothèse hautement fantaisiste de certains doux dingues invoquant à qui mieux mieux les petits hommes verts, on parla de pesticides, de détergents industriels, de pluies acides, d’engrais chimiques…On accusa même les effets rétroactifs du tristement célèbre nuage radioactif en provenance de Tchernobyl. On avança la thèse que tous ces paramètres réunis avait peut-être constitué un formidable agent mutagène, responsable de la naissance d’un micro organisme inconnu ou de la mutation d’un fongus jusque là inoffensif, ou encore de l’apparition d’une enzyme nouvelle, particulièrement active, qui aurait hyper accéléré la végétation de nos racines et leur croissance anormale…

    En désespoir de cause et sans preuves à l’appui, leurs esprits cartésiens soumis à dure épreuve, ces messieurs et dames de la sacro sainte science, déclarèrent à la presse :

    «  C’est et cela restera l’un de ces insondables mystères que nous réserve notre mère Nature ! »

    Dépités, ils abandonnèrent les lieux puis, en dernier, tel un capitaine courageux, à son tour le premier magistrat quitta la ville comme on quitte un navire en train de sombrer…Dans leurs bagages ils emportèrent toutes leurs questions demeurées sans réponses.

    S’ils ne comprenaient pas c’est que leur misérable psychisme humain trop limité en était totalement incapable. Alors que nous le pouvons, hormis un petit nombre d’entre eux, ils ne savent pas voir l’invisible ni entendre l’inaudible. Du moins, ils ne savent plus. Ils ne comprennent pas parce qu’ils ont oublié combien la nature peut se montrer rebelle et insoumise, combien elle est apte à se régénérer en dépit des cruelles blessures qu’ils lui infligent depuis toujours.

    L’espèce humaine ! La pire espèce comme le dit un de leurs écrivains !

    Des créatures corrompues, arrogantes, prétentieuses, imbues d’un pouvoir dont elles usent et abusent impunément pour dominer les autres espèces, brandissant leur prétendue supériorité pour s’arroger le droit exclusif de clamer : « Je pense, donc je suis ! »

    Mais qui sont-ils donc ? Ou que sont-ils donc d’autres que des prédateurs, les pires de tous, qui s’attaquent sans vergogne à leur environnement, ce que nos frères animaux qu’ils appellent péjorativement des bêtes, ne font pas, eux qu’ils classent pourtant tellement en-dessous de l’humanité sur l’échelle de la création !

    Comment ces êtres mesquins auraient-ils pu, ne fût-ce qu’un millionième de seconde, envisager l’idée folle qu’ils étaient non pas des victimes, mais plutôt des coupables désignés à la vindicte d’un arbre ?

    Les déniant aux autres occupants naturels de la Terre, de toute éternité ils se sont attribué tous les sentiments, de l’amour à la haine en passant par le chagrin, le désir de vengeance ou même la pitié. Mais ils se montrent le plus souvent dépourvus de réelle compassion envers leurs semblables, alors comment pourraient-ils prendre en considération les autres créatures ? Ou leur prêter des émotions ? Je les ai aimés, je les hais désormais ! Et je me refuse à les prendre en pitié ! L’ont-ils fait pour Elle, ou pour moi ?

    J’ai gagné. Totalement !

    Les uns après les autres ils sont partis, forcés et contraints avant que tout ne s’effondre. La ville est déserte. Elle m’appartient. Seuls sont restés, n’ayant nulle part où aller, les animaux domestiques lâchement abandonnés par leurs maîtres et mon ami Chat qui a renoncé à suivre les siens dans leur exil. La faune des terriers et des galeries souterraines a repris sa place dans l’entrelacs des racines qui ont envahi les sous-sols. Les oiseaux sont revenus nicher dans les ramures accueillantes de mes frères les Arbres.

    C’en est fini des vrombissements hargneux des moteurs, des vapeurs empoisonnées vomies par les pots d’échappement ! Les parkings sont déserts et les artères de la cité à jamais tranquilles. Les rues excavées ou soulevées par nos assauts vengeurs, étalent leurs plaies béantes. Les trottoirs pleins de trous, couverts par endroits de gravats et de débris de verre, n’accueillent plus les pas nonchalants ou pressés des piétons.

    Les jardins et les parcs dévastés n’abritent plus les jeux des enfants. La petite rivière qui a repris son cours paisible, regorge de poissons que ne piégeront plus les pêcheurs du dimanche.

    Les écoles ne résonnent plus du bourdonnement studieux des élèves. Cours et préaux désertés ne retentiront plus jamais des rires et des cris des gamins à l’heure de la récré.

    Dans les usines totalement silencieuses, les machines ne tourneront plus. Les hautes cheminées ne cracheront plus leurs fumées nocives et nauséabondes.

    Les maisons vides à présent meurtries de lézardes et d’éboulis, offrent au néant le regard chassieux de leurs fenêtres éborgnées, aux vitres éclatées et aux volets branlants. Les magasins abandonnées en catastrophe au plus fort du « séisme », pillés lors de la débandade générale, sont envahis par des hordes de rats qui se disputent âprement les restes de nourriture avec les chiens et les chats errants qui retournent rapidement à l’état sauvage.

    Les cloches de l’église ne feront plus jamais entendre leur voix d’airain. Elles se meurent tristement, étouffées sous les décombres du clocher écroulé…

    Notre vengeance accomplie, nous avons stoppé net notre souterraine expansion mais les habitants des villages alentours n’en demeurent pas moins éloignés de cet endroit qu’ils pensent frappé d’une terrible malédiction. Les rares téméraires qui, dévorés de curiosité, y ont risqué une incursion, ont découvert une vision d’apocalypse qui les a faits s’enfuir à toutes jambes en proie à une frayeur indicible. Ils contribuent largement à la légende qui est née concernant la ville morte, en colportant le bruit qu’elle serait hantée par une entité démoniaque. Un fantôme d’outre-tombe dont ils auraient senti la présence maléfique, dangereuse et dotée d’un appétit vorace pour les âmes trop tendres…

    Pour donner corps à cette légende naissante et empêcher ainsi toute intrusion humaine indésirable, mes amis végétaux et moi nous avons dressé autour de la ville désertée, une invisible muraille où viennent se buter les esprits aventureux ou mal intentionnés.

    Que ce Jésus qu’ils appellent Dieu nous pardonne de l’avoir plagié, j’aurais tout aussi bien pu apposer une pancarte avec cette mise en garde : « Heureux les cœurs purs, à eux seuls ce royaume interdit sera ouvert ! ». Seulement voilà, l’écriture ne fait pas partie des fabuleux moyens d’expression dont je dispose !

    J’ai gagné !

    Mais cette victoire, pour éclatante et absolue qu’elle soit, ne me satisfait pas autant que je l’aurais cru puisque Elle n’est pas là pour la partager avec moi.

    Elle n’est pas revenue. Comment aurait-elle pu ? Et elle demeure toujours sourde à mes appels répétés. Pourtant, je sais, qu’elle est vivante. Les arbres qui peuplent le parc de la prison où elle est recluse me l’ont fait savoir. Elle leur parlait, elle ne le fait plus ! Les gardes-chiourmes qui se prétendent médecins de l’esprit l’ont tellement empoisonnée, annihilée à force de médicaments qu’elle ne peut plus m’entendre. Oui, elle vit, si on peut appeler ça vivre. Son esprit se désagrège ! Si je suis enfin parvenu à le percevoir, je n’y capte que des bribes de pensées décousues de plus en plus incohérentes. Je vais finir par la perdre bien plus irrémédiablement que si elle était morte pour de bon ! Encore un peu de ce traitement et ils parviendront à la rendre folle. Je suis un bien piètre ami ! J’ai détruit sa ville mais je ne peux rien faire pour l’aider sinon continuer à l’appeler en désespoir de cause.

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  • Commentaires

    5
    Dimanche 28 Août 2022 à 10:41

    C'est pire que Tchernobyl après l'explosion de la centrale. 
    Il a puni les hommes, mais il s'est puni lui-même. 

    Bon dimanche.

      • Dimanche 28 Août 2022 à 15:09

        Je pense que si la Nature tout entière décidait de se "venger" de nos exactions, ce serait pire que l'explosion d'une bombe à neutrons

    4
    Dimanche 28 Août 2022 à 07:28

    Merci pour cette suite 

    Oui n'écoutons pas tout 

    Tout n'est pas que vérité 

    L'arbre le sait 

    Bon dimanche 

    3
    Dimanche 28 Août 2022 à 06:02

    L'homme, la pire menace pour l'homme sur terre... la faune et la flore à côté sont des saints ! Amitiés, JB

    2
    Dimanche 28 Août 2022 à 03:36
    colettedc

    Pauvre Arbre, il faut continuer de l'appeler ; un jour, qui sait ! Bon dimanche Anne-Marie. Bisous

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