• "Les rêves d’Élisa" - Chapitre 25

    Huit jours qu’ils marchent, cheminant le jour et ne faisant vraiment halte qu’à la presque tombée de la nuit.

    Ils ont dû s’arrêter avant d’avoir atteint le huitième des refuges qui jalonnent le long parcours menant à Liberté.

    Jacob ne va pas bien. Voilà maintenant quatre jours qu’il se traîne sans se plaindre. Il s’est juste étonné d’avoir perpétuellement le nez qui coule et quelques difficultés à respirer. Martha a mis ces symptômes alors bénins sur le compte de la teneur grandissante de pollens en suspension dans l’air

    - Un phénomène courant en cette saison ! A-t-elle expliqué au pauvre Jacob que de nombreuses crises d’éternuement contraignaient à s’arrêter régulièrement tant elles le fatiguaient.

    - Mais Élisa ne semble pas avoir ce genre de problème, pourquoi ?

    - Elle est moins sensible que toi ! Regarde, chez elle ça se traduit par des yeux rouges et larmoyants ! Vous développez des allergies très normales pour tous ceux qui n’ont respiré toute leur vie que l’air aseptisé de la Sphère ! J’ai connu ça moi aussi !

    - Et toi Jonathan ? A demandé Élisa en s’adressant à celui qui ne la quitte plus d’une semelle depuis le cauchemar qui a scellé leur réconciliation.

    - Ce truc m’a épargné ! A répondu l’intéressé. Allez savoir pourquoi !

    -Toi, tu n’es pas comme tout le monde ! Á croire que tu as toujours vécu dehors ! Tu n’es pas normal !

    A jeté Martha d’un air faussement envieux.

    - Je ne m’en plains pas ma vieille amie ! J’aurais mauvaise grâce à le faire !

    - Et ça va durer longtemps ? S’est inquiété Jacob qu’une nouvelle crise venait de laisser rouge et suffocant.

    - Ça dépend ! D’après ce que j’ai vu avec nos autres rescapés, personne ne réagit de la même façon ! Mais ça finira par passer ! Ton organisme va s’habituer ! Les crises vont s’espacer, s’atténuer et disparaître. Fais-moi confiance et prends ton mal en patience

    L’a rassuré Martha.

    Hélas, rien ne s’est amélioré, au contraire. Aux crises d’éternuement ont succédé des quintes de toux sèche de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes. Puis la fièvre s’est installée. Mais Jacob ne voulait pas retarder leur progression, alors il a continué à avancer tant bien que mal, soutenu par Élisa qui ne cachait plus son inquiétude.

    Aujourd’hui, après ces quatre jours durant lesquels l’état du pauvre homme n’a cessé de s’aggraver, Jonathan a décidé de s’arrêter bien qu’ils n’aient fait que la moitié du chemin prévu pour la journée. Dès le départ, pour ménager leurs deux protégés, Martha et lui ont décidé qu’ils s’en tiendraient à la cadence journalière de vingt à vingt-cinq kilomètres. La cabane censée les accueillir pour la nuit est donc encore à une dizaine de kilomètres. Dix bornes de trop pour Jacob qui, même s’il s’en défend, serait bien incapable de poursuivre, atteint comme il l’est par bien plus grave qu’une simple allergie aux pollens.

    - On s’installe ici ! Ordonne Jonathan péremptoire.

    Puis, sans laisser à quiconque le temps d’émettre un avis contraire, il répartit les tâches :

    - Élisa mon cœur, tu vas allumer le feu ! Tu sais comment faire maintenant ! Je suis sûr que tu t’en sortiras très bien ! Toi Martha, tu installes Jacob le mieux possible en attendant mon retour ! Couvre le bien ! Il faut qu’il transpire. Dès que le feu sera allumé, prépare-lui une de ces potions dont tu as le secret.

    - Où vas-tu ? Demande la jeune fille qui a déjà commencé à rassembler du petit bois.

    - Couper des branches dans le boqueteau que tu vois là-bas ! Quand le feu sera prêt, viens m’y rejoindre, je vais avoir besoin de ton aide. Il va nous falloir une cabane assez solide pour tenir au moins trois jours.

    - D’accord, je vais faire vite et j’arrive,

    Martha a étendu Jacob sur sa propre cape, le couvrant soigneusement avec les trois autres. Agenouillée près de lui, elle a pris note à la fois du ton de commandement de Jonathan et de sa tendre complicité avec Élisa. Hier encore, elle en aurait pris ombrage mais aujourd’hui elle a un sujet d’inquiétude autrement plus sérieux  que les mensonges par omission du jeune homme envers sa protégée : Jacob risque de mourir par sa faute. Si elle culpabilise à ce point, c’est parce que de toute évidence, elle s’est lourdement trompée sur la gravité des symptômes présentés par l’homme qui tremble malgré l’amoncellement de couvertures. Il ne souffre pas d’allergie, il est malade ! Très malade même !

    Dans la Sphère, toute pathologie infectieuse a été éradiquée depuis des lustres. Les bactéries et autres virus n’y ont pas leur place. L’air soigneusement filtré, les mesures draconiennes d’asepsie, ont éliminé tout risque de contamination par quelque micro-organisme que ce soit. Il en va de la survie des habitants de ce monde forclos où la moindre épidémie serait meurtrière. Voilà d’ailleurs pourquoi les membres des équipes d’extraction  prennent garde d’être parfaitement sains avant chaque expédition de sauvetage, sacrifiant dès leur retour dans la Sphère, aux règles drastiques d’hygiène érigées en lois par les Maîtres d’En-Haut.

    Comment a-t-elle pu oublier que dehors les invisibles agents pathogènes pullulent ? Elle aurait dû se souvenir que si le système immunitaire des « sphériques » en dormance puisque inutile, se réactive automatiquement dès qu’ils se retrouvent à l’air libre, il ne le fait hélas pas de façon égale pour tous ! Car si les reclus des Sphères ont été formatés, uniformisés à outrance, lorsqu’ils retrouvent leur vraie nature humaine, ils retrouvent en même temps et pleinement cette spécificité qui fait qu’aucun être humain n’est pareil à un autre ! Les Maîtres des Sphères n’ont fait que gommer cette spécificité, ils n’ont pu l’annihiler comme ils l’ont fait de la maladie. Par le formatage, ils ont voulu effacer les différences mais dans les Sphères aussi, en dépit de tous leurs stratagèmes pour robotiser leur main d’œuvre, il y a des forts comme Jonathan, Élisa ou elle-même et des plus faibles, comme Jacob. Aujourd’hui mais un peu tard, lui reviennent en mémoire les cas d’infections mortelles qui ont suivi les premières extractions.

    - Le feu est prêt Martha, murmure Élisa en lui touchant doucement l’épaule, la tirant de ses sombres réflexions. Je vais aider Jonathan !

    - Va, jeune fille, je m’occupe de notre malade !

    - Il…Il va s’en sortir ?

    - Je ne sais pas petite ! Je vais faire tout mon possible en tout cas, je te le jure !

    - Dans mes rêves, vous saviez guérir ! Vous allez le sauver, n’est-ce pas ?

    - Je te promets d’essayer, je ne peux te promettre de réussir ! Tu te souviens de tes rêves, c’est bien ! Rappelle-toi cependant que ce n’était que des rêves et même pas les tiens ! Ni les miens d’ailleurs !

    - Je sais ! Mais là, dans la réalité, vous savez vraiment faire des tas de remèdes comme la guérisseuse de mes rêves ! Je crois en vous Martha ! Guérissez Jacob, je vous en prie !

    - Ta confiance me touche Élisa, je vais tout faire pour ne pas la trahir ! Va maintenant, Jonathan doit t’attendre !

    Comme si elle craignait de ne plus le revoir à son retour, elle s’agenouille près de son vieil ami et embrasse son front brûlant de fièvre. Elle se moque de savoir si elle risque ou pas d’être contaminée par les immondes bestioles microscopiques qui ont envahi l’organisme de Jacob ! La Machine avait raison finalement, l’air du dehors est réellement dangereux pour les humains qui ne respirent que de l’air filtré depuis quinze siècles !

    Elle se relève puis d’un pas lourd d’inquiétude elle s’en va rejoindre Jonathan.

    C’est la première fois qu’elle est confrontée à une vraie maladie, elle que la Machine n’était plus loin de considérer comme une malade incurable, bonne pour la suppression. Ce qu’elle l’était ! Dans la Sphère en effet, les seuls maux nécessitant des soins sont les dérèglements comportementaux des plus infimes aux plus profonds, tels ceux dont elle était affectée. On les traite à grands coups de pilule du sommeil, de casque anti-rêve, de simple révision ou de reformatage intégral comme celui qu’elle aurait subi si Jonathan n’était pas venu la libérer. Dans la Sphère, en somme, on se contente de remettre en état les machines déréglées et on met à la casse celles qui ne sont plus réparables !

      Mais là, c’est autre chose ! Comment peut-on guérir le mal insidieux dont souffre Jacob ? Se demande-t-elle rongée par l’angoisse.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 1er Février 2023 à 18:15

    Une Sphère sans état d'âme... amitiés, jill 

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