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"Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 22
L’automne reprend ses droits. Une pluie fine et persistante a remplacé le soleil écrasant. Elle est trempée jusqu’aux os, en dépit du large capuchon censé la protéger de la tête aux pieds.
Pour faire bonne mesure un sentier étroit et rocailleux a succédé au chemin plat et herbeux qui longeait la rivière. Ça grimpe, ça glisse, ça sinue dans un décor sinistre. Les cailloux rentrent dans ses chaussures. Garder l’équilibre, est un défi de chaque instant. Elle y parvient tant bien que mal en se raccrochant du mieux qu’elle peut aux buissons épineux qui poussent çà et là entre les rochers.. Ses mains sont couvertes de griffures sanglantes que la pluie lave au fur et à mesure. Les efforts qu’elle doit faire en permanence minent le peu d’énergie qui lui reste
Chloé lui a déjà évité quelques chutes dont elle aurait sûrement gardé de douloureuses séquelles, si son étrange vraie-fausse amie n’avait pas été là pour la retenir. Laquelle amie doit probablement bénéficier d’un micro climat personnel, parce qu’elle n’est pas un poil mouillée et qu’elle se pavane allègrement, bras nus, dans sa robe légère qui devrait pourtant lui coller à la peau avec ce qu’il tombe depuis l’aube ! Elle sautille dans la caillasse, aussi agile qu’un chamois, dans ses jolis pieds-nus de prix, inusables à n’en pas douter !
Tout cela est totalement anormal ! Impossible ! Ce qui conforte Élisa, dans l’idée tenace, qu’elle n’a pas vraiment affaire à sa véritable amie d’enfance.
Cette Chloé-là, ne peut être qu’une hallucination née de son épuisement permanent depuis son intoxication. Ou plus certainement encore, la ravissante jeune femme qui caracole devant elle est une parfaite illusion qu’elle a elle-même créée et parée des traits de son amie, pour vaincre l’isolement mortel qui menace de la détruire.
Ouille ! Elle a failli tomber lourdement une fois de plus et son hallucination l’a une fois de plus retenue fermement.
- Ça va Élisa ?
- Maudite pluie ! Maudits cailloux ! J’en ai ma claque !
- Je sais mon petit cœur !
- Qu’est-ce que tu sais ? Il pleut sans arrêt depuis ce matin, tu devrais être aussi trempée que moi, plus même avec cette petite robe d’été qui ne te protège de rien. Tes pieds devraient être en sang après toutes ces heures à se farcir cette rocaille infernale. Mais non, rien de tout ça ! Tu restes pimpante comme une gravure de mode ! Tu n’es même pas décoiffée ! J’en ai marre Chloé, marre, marre, marre ! Je voudrais m’arrêter là, m’endormir et ne plus jamais me réveiller !
- C’est ce que tu fais !
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Rien ! Juste qu’en effet tu vas mourir si tu arrêtes d’avancer !
- Je m’en contrefiche ! Je n’en peux plus !
- Pas question que tu laisses tomber ! Je suis là pour que tu ailles au bout et tu iras, un point c’est tout ! Je t’y obligerai s’il le faut !
- Tu as ce pouvoir ?
- Exactement ! Et Jonathan, tu l’oublies. Il t’attend ! Tu n’as pas le droit de lui faire faux bond après tout le mal qu’il s’est donné !
- Quel mal ? Il est parti ! Il m’a abandonnée !
- Parce qu’il le fallait !
- Je n’y comprends plus rien !
- Pas grave ! Tu finiras par comprendre ! En attendant, fais un dernier effort pour aujourd’hui ! Regarde, tu vois là-bas, en haut du sentier, c’est le refuge. Dans cinq minutes, tu es au sec !C’est vrai, la voici au sec et au chaud. Chloé, qui n’a jamais campé de sa vie a prestement allumé un bon feu de bois dans la petite cheminée de la cabane. Élisa ne veut pas savoir comment elle s’y est prise. Elle n’est plus à un miracle près.
Comble de l’ironie d’un sort plus que facétieux,, à peine étaient-elles rentrées à l’abri, que la pluie cessait de tomber !
Propre, habillée de vêtements secs, réchauffée, elle se laisse aller à une douce euphorie. Assise en face d’elle à la table grossière du refuge, un sourire épanoui aux lèvres, Chloé la regarde avaler la soupe bouillante qu’elle lui a préparée.
Chloé ! Faire de la soupe ! Inimaginable ! Elle qui n’était pas capable de se faire cuire un œuf sur le plat !
Elle va de surprise en surprise, chacune étant plus étonnante que la précédente.
- Et toi ? Tu ne manges pas ?
- Je n’ai pas faim !
- Mais bien sûr ! Suis-je bête ! Tu ne te salis pas, tu n’as ni chaud, ni froid, tu n’es jamais fatiguée, tu ne bois ni ne manges. Et beaucoup plus perfectionnée que Bob, tu n’as même pas besoin de te recharger Mon super fantôme d’amie, ma belle illusion, tu es unique en ton genre !
-Tu vas mieux à ce que je vois ! J’en suis heureuse ! Causons, veux-tu, pendant que tu te restaures !
- D’accord ! Á mon tour de te poser des questions !
- Que veux-tu savoir qui puisse te faire avancer hein ? Sinon je ne réponds pas !
- Pas de problèmes ! Il y a plein de trucs qui me reviennent et je voudrais être sûre que je ne m’embrouille pas encore. T’es-tu mariée avec, comment s’appelait-il déjà ? Éric ! C’est ça, Éric ! Ou ai-je rêvé ton ventre rond ?
- Ce sociologue de pacotille ! Un beau salaud oui ! Tu ne te rappelles pas ? Tu as pourtant ramassé les miettes de mon cœur brisé à la petite cuiller !
- Attends… Je fouille dans ma caboche ! Bordélique si j’en crois le mélange que je fais avec mes vrais souvenirs et.. le reste quoi.
- Quel reste Élisa ?
- Bah… Tu sais bien ! Mes rêves.. Je suppose parce que je ne suis plus sûre de rien ! Revenons-en à Éric. Tu en étais raide dingue.
- Bien. Je constate qu’en effet ça te revient. J’étais amoureuse ! Lui, il s’amusait !
- Oui… Oh misère ! Tu irradiais de bonheur. Tu venais de m’annoncer que tu avais fait un test et que c’était bon ! Moi j’étais catastrophée ! Je n’ai pas eu le temps de te dire pourquoi je ne sautais pas de joie pour toi. Tu courais déjà comme une folle pour crier la bonne nouvelle à ton chéri ! Il ne t’a pas fallu longtemps pour revenir, totalement dévastée.
- Ben quand tu débarques chez ton mec bille en tête, en braillant comme un putois que tu attends un enfant de lui, juste avant de réaliser qu’il est au pieu en plein après-midi et qu’il n’y est pas seul, c’est sûr, ça dévaste !
- J’imagine ! Quand tu m’as raconté ça, entre deux sanglots, j’étais en train de culpabiliser grave !
- Je me doute bien ! Tu m’as avoué après que tu étais au courant ! Que tu venais tout juste de découvrir par hasard, que ce salaud n’était qu’un vulgaire coureur de jupons mais que tu n’osais pas m’en parler !
- Comment dire à sa meilleure amie, que le mec qu’elle vénère et avec lequel elle rêve de faire sa vie, n’est sous ses airs de gendre parfait, qu’un séducteur invétéré ?
- Le pire tu vois, c’est qu’il s’est levé tranquille pépère, qu’il a enfilé son caleçon sans se presser, pendant que la demoiselle se cachait pudiquement sous le drap en marmonnant : « Chéri ! C’est qui cette cinglée ? »
J’ai cru mourir de honte, quand Éric, cette ordure, a ajouté avec dédain : « Ah bon, t’es enceinte ? De qui ? »
Je suis sortie de sa piaule à toute vitesse, avant d’exploser de rage et de chagrin, devant lui et sa pouffiasse. Une fausse blonde !
- Tu le voulais tellement ce sale type ! Il allait jusqu’à parler mariage, famille et tout le toutim ! Quand tu m’as parlé de ça, je ne savais pas encore à quel menteur tu avais affaire ! J’étais tellement heureuse pour toi !
- Je m’y suis laissé prendre ! Je l’avais déjà présenté à mes parents. Eux aussi étaient sous le charme de ce genre idéal. J’ai même arrêté la pilule ! Quelle pauvre conne j’ai été ! Lui, il ne se protégeait pas. Il avait fait le test pour le Sida. Il était OK de ce côté-là aussi !
- Trois jours après, tu faisais une tentative de suicide aux barbituriques, avec une bonne dose d’alcool pour être sûre. Je suis arrivée à temps ! Tu as eu droit à la totale ma pauvre chérie ! Tu n’étais pas belle à voir quand tu es sortie de l’hôpital ! Et tu avais perdu le bébé.
- Heureusement ! C’était la fin de l’année. Tu m’as emmenée chez toi pour les vacances. Patrick était là… tu connais la suite.
- Il ne t’avait pas oubliée autant que je le pensais. Il s’est tant et si bien occupé de toi, qu’à la fin de l’été, vous ne vous quittiez plus. Tu n’as pas repris les cours à la rentrée. Quand il a rejoint ses montagnes bien aimées, tu es partie avec lui !
- Et toi, tu es retournée seule à Bordeaux. Qu’est-ce que j’ai pu rire quand tu m’as raconté au téléphone, tes retrouvailles…Mouvementées avec Éric ! Rien que d’y repenser, je me marre encore !
- Ben oui quoi, le pauvre ! Il était tout seul. Il regrettait le mal qu’il t’avait fait. Il était prêt à réparer ses torts et à se remettre avec toi. Bla bla bla ! Le comble du comble, c’est quand il a eu le culot de me demander des nouvelles de ta grossesse, alors que tout le campus savait ce qui s’était passé pour toi ! Et paf, il a pris mon poing dans sa sale tronche. J’y ai mis toutes mes forces !
- Sacrée Élisa ! Mon amie si adorable, si fidèle et si brave ! C’était ta dernière année à toi aussi. Tu l’as terminée en beauté avec ton master en poche. Puis, un matin de la fin août, un certain Jonathan Sauveur a frappé à ta porte. Une petite semaine plus tard, tu partais avec lui après moult embrassades à toutes les personnes qui t’étaient chères. Dont Patrick et moi, bien sûr !
Tu as bien travaillé ma belle ! Viens voir !
Encore secouée par ce qu’elle vient de revivre, elle se lève et suit Chloé dehors.
La nuit est tombée. Le ciel lavé par la pluie, scintille de milliards d’étoiles. Là-bas, sur l’horizon assombri, s’élève, luminescente et plus proche que jamais, l’immense et inquiétante masse du dôme de la Sphère.
Elle se rapproche… Une crainte irraisonnée s’empare d’elle, la faisant trembler des pieds à la tête.
- Tu as donc si peur que ça ? S’exclame Chloé en a prenant dans ses bras.
Les tremblements refluent mais les images de son dernier rêve lui reviennent en mémoire. Ils la brûlent ! Surtout celle de la salle inquiétante où on l’a forcée à entrer. Elle sent encore la main ferme qui la pousse dans le dos. Elle entend la voix qui l’exhorte :
- Avance, tu ne dois pas avoir peur !
La main, la voix… C’est Jonathan ! Le traître !
- Tu te souviens de quelque chose ? Questionne Chloé sur le qui-vive.
- Ils m’ont obligée, murmure-t-elle. Jonathan m’a obligée.
- Á quoi t’ont-ils obligée ?
- Je…je ne sais plus…
- Il faut que tu te souviennes ! C’est vital !
- Je ne peux pas !
-Tu ne veux pas ! C’est ça qui coince ! Tu es plus butée qu’une mule !
- Je ne peux pas ! Répète-telle en refoulant obstinément cette dernière image qui la torture.
- Je t’en conjure Élisa, cesse de reculer ! Il en va de ta vie, crois-moi. Regarde ce que ton déni provoque. Ajoute Chloé en la forçant à se retourner.
Obéissant à contre cœur, elle regarde. Tout à l’heure plus proche que jamais, la Sphère semble s’être éloignée de nouveau.
« Non, pas la Sphère! Son vrai nom, c’est L’Arche. » Lui souffle Jonathan. Ou du moins croit-elle l’avoir entendu une fois de plus.
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Commentaires
La pauvre n'est pas sortie de l'auberge avec tout cela... amitiés, jill