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Les rêves d’Élisa" -Liberté - Chapitre 5
… Harassée par sa longue journée de cueillette, Ehi Sha s’est endormie d’un coup dans la hutte de bois que Roh Ahr Anh a construite pour eux deux et leur enfant à venir, dans un coin isolé du village de son Clan, celui des Chasseurs où ils ont décidé de s’installer jusqu’à sa délivrance.
- Tu ne dois pas être seule quand notre petit naîtra, a-t-il décidé. La guérisseuse de ma tribu sera là le moment venu ! Je n’aime pas être séparé de toi mais il le faut !
Elle s’est pliée à la farouche volonté de son compagnon, un peu déçue de ne plus pouvoir le suivre lors des grandes chasses de la saison chaude, mais en même temps rassurée d’avoir une guérisseuse aussi aguerrie que Mah Rah pour l’assister le jour où son enfant viendra au monde ! Reb Kaha n’a en effet rien à envier à sa vieille amie.
Elle se sent heureuse au sein de ce clan étranger, acceptée et entourée. Bien que sans aucune animosité de leur part, elle sait qu’elle est un peu enviée par les autres jeunes femmes de la tribu qui n’ont pas encore trouvé de compagnon. N’est-elle pas l’unique compagne du beau Roh Ahr Anh ? Elle sait aussi que plus d’une, en secret, guette du coin de l’œil l’évolution de sa grossesse. Si elle mourait en couche, il en serait plus d’une prête à consoler le jeune chasseur ! Elle ne peut leur en vouloir ! Pour elle, il a brisé la tradition qui veut qu’un homme dans la force de sa jeunesse, ait plus d’une femme pour combler ses ardeurs et faire grandir le Clan !
- Je n’ai besoin que de toi ! La rassure-t-il chaque fois qu’une belle et jeune femelle pose son regard de louve affamée sur lui !
Voilà près de quatre fois les doigts de ses deux mains qu’il est parti avec Rah Faëh, son frère aîné et une dizaine des plus fiers chasseurs de la tribu.
II lui a promis d’être là pour la naissance de leur enfant. Un fils, elle le sait ! Elle rêve si souvent de ce petit être qui pousse en en elle. Son ventre ressemble de plus en plus à une outre de peau gonflée d’eau ! Elle a peur qu’il ne puisse tenir sa promesse. D’habitude, une expédition de chasse ne dure pas plus que trois fois les doigts de ses deux mains. Il devrait déjà être rentré. Elle approche de son terme ! Pourtant en dépit de sa fatigue de plus en plus grande, elle s’entête à parcourir de longues distances à seule fin de tromper son angoisse. Elle revient chaque fois fourbue mais ses deux sacs en peau d’ours, remplis d’herbes médicinales si utiles à Reb Kaha.
C’est ce qu’elle a fait aujourd’hui encore avant de s’écrouler sur sa couche de paille odorante pour y sombrer dans un sommeil lourd et sans rêve.
Soudain une voix surgit tout près d’elle, contre sa joue. Une voix qui ressemble à celle de Roh Ahr Anh et qui murmure à son oreille : « Réveille-toi Élisa ! Réveille-toi ! »
Elle ne comprend pas ! Le nom qu’il prononce n’est pas le sien, il lui ressemble mais ce n’est pas le sien ! Elle se rappelle, c’est celui de cette autre elle-même bien plus tard dans le temps ! Elle se réveille en sursaut alors que la voix, de plus en plus insistante ne cesse de répéter : « Réveille-toi Élisa »
Elle ouvre les yeux puis, se redressant à grand peine, elle se lève, bien décidée à obéir à cet ordre aussi impérieux que suppliant.
Il est revenu, ne peut-elle s’empêcher de penser ! Jonathan est revenu.
Pourquoi ce nom du futur et pas celui de son présent, s’avise-t-elle soudain en se dirigeant d’un pas mal assuré vers la porte de la hutte ?
L’aube commence tout juste à poindre. La voix est toujours là, comme si elle parlait directement dans sa tête. « Réveille-toi Élisa ! Réveille-toi ! »
Elle sort dans les première lueurs de ce matin étrange.
- Je suis réveillée Roh Ahr Anh ! C’est moi Ehi Sha ! Où es-tu ? Lance-t-elle à la semi pénombre brumeuse qui recouvre encore le village.
« Réveille-toi Élisa ! » S’entête la voix qui semble surgir de nulle part et de partout à la fois.
Une frayeur ancestrale lui tenaille les entrailles tandis qu’elle s’avance en essayant de deviner d’où l’appelle Roh Ahr Anh.
Le soleil d’un seul coup, jaillit de derrière la colline qui surplombe le village, éclairant de ses rayons pourpres les huttes endormies. Personne d’autre qu’elle ne paraît avoir entendu l’appel de Roh Ahr Anh. En fait, aucun autre son que cette voix, ne lui parvient ! C’est comme si toute autre vie que la sienne et celle émanant de la voix, avait déserté le village.
Cette idée vient de naître en elle, comme une terrible certitude !
Le village est désert. Tous les membres du Clan des Chasseurs, hommes femmes, enfants, se sont évanouis, avalés par la nuit, elle en est sûre !
Elle se dirige vers une hutte, y entre… vide ! Il en est ainsi de toutes les autres. Ne reste plus qu’elle et cette voix qui l’appelle. Si c’était Roh Ahr Anh, il se serait déjà montré.
La terreur la submerge ! Quelle est cette puissante et funeste magie qui a dévoré toute vie dans le village ?
Et à qui appartient cette voix puisqu’elle est persuadée à présent qu’il ne peut pas s’agir de celle de son bien aimé compagnon ?
L’appel insistant se répète, à la fois dans sa tête et plus loin devant elle. Surmontant sa peur, elle avance, déterminée à découvrir de quel être il provient.
Au soleil du matin a soudain succédé une espèce de brume grise qui s’ouvre à chacun de ses pas, puis se referme aussitôt sur elle, lui masquant le paysage et ce qui se cache au-delà, homme ou bête s’adressant à elle avec la voix de Roh Ahr Anh . Elle semble s’élever du sol en même temps qu’elle tombe du ciel.
Celui qui l’appelle est-il un sorcier capable de faire naître le brouillard ? Capable aussi de voler la voix des autres pour tromper ?
Que lui veut-il ? L’entraîner hors du village pour la tuer et se repaître de son essence de vie ?
Ou peut-être a-t-il été envoyé par l’esprit de Roh Ahr Anh afin de la guider vers lui ? Une vision terrible s’impose à son esprit : son bien aimé compagnon git quelque part, gravement blessé et il a besoin d’elle.
L’être ne lui veut aucun mal, au contraire ! Il est là pour l’aider !
Au moment-même où elle comprend cela, la brume se déchire et l’être apparaît devant elle. Il n’est qu’à quelques pas, de dos. Il s’est arrêté de marcher en même temps qu’elle. Doucement, comme pour ne pas l’effrayer d’avantage, il se retourne et lui fait face, droit et raide.
Ce n’est pas un animal ! Pas un homme non plus, même si cela y ressemble. Il est plus grand qu’elle. Plus grand que Roh Ahr Anh ou aucun autre des hommes de la tribu des Chasseurs qui sont déjà eux-mêmes, plus grands que les mâles du Clan de la caverne.
Il se tient debout comme un humain sur deux longues jambes dont les pieds sont recouverts d’une matière inconnue, comme le reste de son corps, remarque-t-elle soudain. Partagée entre la panique qui lui hurle de s’enfuir et une curiosité dévorante, elle continue à observer l’Être qui ne bouge pas et qui s’est momentanément tu… Deux bras presque humains sont tendus vers elle. Deux yeux très bleus, presque humains la regardent. Ils sont étonnamment fixes et pourtant, ils lui parlent : « Réveille-toi Élisa » lui disent-ils …
Un hennissement se fait entendre. Weena ! Élisa se réveille brusquement. Où est-elle ?
Encore engluée dans son rêve étrange, elle a du mal à se souvenir. La voix de « l’Être », résonne toujours dans son esprit embrumé.
« Réveille-toi Élisa » la suppliait-il avec la voix de Jonathan. Sa voix oui, mais déformée, métallique, comme l’est celle, honnie, de la monstrueuse « Machine » de la Sphère.
Une voix qui l’appelle de là-bas, de ce monde enfoui, forclos, maléfique, qui retient Jonathan prisonnier.
Dehors, sa jument hennit de frayeur ! Pourquoi ?
Faisant fi de la douleur de ses membres, elle se lève, débloque la porte et sort. Elle se dirige vers l’arrière de la cabane, dans le bois. Toujours attachée comme elle l’a laissée la veille, au tronc de l’arbre par sa longe, la jument effrayée, rue désespérément pour essayer de se libérer.
- Tout doux Weena ! Murmure t’elle pour la calmer, tout en scrutant les alentours.
Un craquement dans l’ombre épaisse de la futaie fait de nouveau renâcler la jument.
- Du calme ma belle, du calme ! Répète-t-elle tous les sens en alerte.
Son cœur bat la chamade tandis qu’elle flatte sa jument pour l’apaiser. Nouveau craquement suspect sous les arbres…
- Calme-toi, il faut que j’aille voir. Dit-elle à Weena.
Avant de sortir de la cabane, elle a eu le réflexe de saisir son arc et son carquois. Lâchant la jument toujours effrayée, elle encoche une flèche et se dirige résolument vers la source inquiétante du bruit. L’aurait-on suivie ? Et qui ? Un membre du village armé de mauvaises intentions, vu qu’il ou elle se cache d’elle ? Qui à Liberté, lui voudrait du mal ? Et surtout, pourquoi ?
Elle s’avance prudemment, aux aguets, tournant la tête à droite et à gauche, quand brusquement, émergeant d’entre deux hauts fûts, il est là, devant elle, l’être de son rêve.
Un robot androïde comme elle se souvient d’un coup en avoir déjà vu ! Où et quand ? Sa mémoire se dérobe…
Ses yeux d’un bleu surnaturel la regardent avec insistance. Ses deux bras sont tendus vers elle, comme pour lui dire d’approcher… ou de le suivre. Et sa voix, pas celle de Jonathan comme dans le rêve, mais en réalité celle de la « Machine » de la Sphère lui dit, ou plutôt lui ordonne : « Réveille-toi Élisa »
Tags : roman, rêves, Elisa, Liberté, chapitre 5
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Commentaires
Là, ce n'est pas l'homme qu'elle aime... on a bien un peu peur pour elle... amitiés, JB