• Chapitre 34

    16 avril.

     

    Ses enfants allaient naître très bientôt. Hawk le sentait. Une fois encore il avait eu une vision dans laquelle il avait été tour à tour Mary et l’entité double des jumeaux.

    Momentanément incarné en sa femme, il avait senti sur son ventre tendu, des mains douces qui le massaient et le soulageaient de ses tiraillements douloureux. Puis, dans ce ventre assoupli par le baume, il avait été les jumeaux en train de se retourner ensemble, prêts à entreprendre la traversée vers la vie, pressés de voir enfin la lumière après ces longs mois d’obscurité. Mieux, ou pire encore, il avait été quelques secondes la vieille femme qui soignait Mary. Par ses doigts, il avait pu toucher la peau soyeuse de celle qu’il adorait.

    La savoir vivante et en sécurité provisoire apaisait un peu la tristesse qui l’avait envahi. En regardant sa sœur solitaire et prostrée assise non loin de lui, il se rappelait qu’il venait de perdre deux de ses plus fidèles amis. D’autres, des imprudents, avaient payé la rage meurtrière de celui qu’entre eux ils appelaient le Dragon noir. Une rage qui enflait au fur et à mesure que les rangs de ses adeptes s’éclaircissaient, forces de l’ordre comprises.

    En effet, s’ils n’avaient vraiment adopté la cause des Mutants, beaucoup de gops refusaient désormais de les pourchasser sans une bonne raison. Autant parce qu’ils craignaient la vindicte des nombreux ralliés à ce mouvement que tous appelaient maintenant « la Roue Universelle », que parce qu’eux aussi avaient entendu le discours édifiant du Rassembleur et en avaient tiré la conclusion que peut-être on leur mentait au sujet de ces gens pour le moins pacifiques en les dépeignant comme des guerriers assoiffés du sang des « normaux ». Ce revirement était également dû au fait que, travaillés au corps par Alexeï et ses amis, bon nombre de médecins pratiquaient à présent une médecine saine, sans abus de psychotropes et autres pilules visant à annihiler la libre pensée.

    Ne pouvant plus attaquer les mutants de front et en toute légitimité comme auparavant, le Dragon et ses sbires intriguaient en coulisse.

    À leur instigation s’étaient créées des milices composées de tristes sires que leurs actes répréhensibles exposaient au chantage du grand manipulateur secret de la Maison Blanche. Pour ne pas encourir ses foudres mortelles, ils dénonçaient ou arrêtaient eux-mêmes de braves gens dont ils convoitaient la place ou les biens. Il ne faisait pas bon être grand et brun, même si l’on n’avait pas les yeux bleus.

    TV7 se faisait l’écho de cette nouvelle vague de violence injustifiée et totalement incontrôlée. On accusait ouvertement Solomon Mitchell d’en être à l’origine. Son auréole pâlissait auprès des Sages qui lui étaient jusqu’alors demeurés fidèles. La plupart souhaitait sa démission sans oser la lui demander. Il continuait à les tenir au creux de sa main par la peur et le chantage. Ne savait-il pas tout sur chacun d’entre eux depuis longtemps et plus encore depuis le raid astral des mutants sur la Maison Blanche ?

    Il exerçait sur eux une oppression mentale aussi forte que celle qu’eux-mêmes et leurs prédécesseurs avaient fait peser sur le Monde depuis plus de vingt ans.

    Un monde qui se réveillait, se libérant petit à petit de ce joug grâce aux idées véhiculées par la Roue et par ses adeptes de plus en plus nombreux. Fidèles à leur nature pacifique, les Mus agissaient en douceur afin de ne pas ajouter la violence à la violence. Pas question pour eux de se comporter comme ces missionnaires d’autrefois qui, au nom de leur Dieu, imbus de ce qu’ils croyaient être leurs divines prérogatives, pacifiaient et évangélisaient de forces des peuplades qu’ils qualifiaient arbitrairement de primitives, les obligeant à renier leurs propres croyances.

    On en revenait toujours hélas, au rejet de ce qui est différent. Éternel Narcisse, l’Homme ne se plaît qu’en son propre reflet. Lorsqu’il en a le pouvoir, il cherche toujours à façonner les autres à sa ressemblance.

    Hawk Bluestone ne croyait pas qu’un Dieu ait créé les hommes à son image mais plutôt que de tous temps, c’était les hommes qui avaient inventé des divinités leur ressemblant.

    « Accepter les autres comme ils sont et non comme nous voudrions qu’ils soient, disait-il, c’est prendre le risque de tuer le Narcisse que nous portons en nous. Il faut pourtant apprendre à troubler le reflet qui est dans l’eau afin de ne pas s’y noyer. Apprendre à briser le miroir dans lequel nous nous regardons, afin de briser l’ancestrale peur de la différence. »

    En bon rassembleur qu’il était, il ne voulait pas que le ralliement soit un renoncement. Il voulait que la liberté reste un choix, même si ce choix consistait pour certains, à préférer la prison de la peur ; auquel cas ses amis et lui se contenteraient de leur en proposer la clé. À eux de s’en servir ou pas. Ils n’auraient plus l’excuse de l’ignorance.

     

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  • Commentaires

    2
    Samedi 3 Décembre 2022 à 11:22

    Cet homme me plait bien et j'adhère à ce qu'il pense. 

    Les hommes créaient des Dieu et non l'inverse, et après, ils se tournent vers eux quand ils ont besoin d'aide plutôt que de se prendre en main. 

    Bon week-end.

    1
    Samedi 3 Décembre 2022 à 10:19

    J'aime l'avant dernier paragraphe, "Accepter....  eh oui, le monde irait bien mieux, aussi... amitiés, JB

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