• Dimanche 30 novembre

     

    Poussée par une curiosité de plus en plus dévorante concernant cette détenue hors norme que seule la Baumann avait le droit d'approcher de près, Andréa avait multiplié plus que nécessaire ses rondes au quatrième sous-sol.

    C'était seulement la deuxième fois depuis son arrivée très discrète, qu'elle en avait la charge. La locataire perpétuelle du mitard avait seriné toute la nuit la même rengaine. Un incessant charabia à moitié étouffé par la couverture, ce qui rendait la chose encore plus usante pour les nerfs. Elle avait eu beau gueuler pour tenter de la faire taire, Andréa n'y était pas parvenue. Avec toute autre, elle serait entrée dans la cellule et lui aurait mis une bonne beigne mais elle n'avait pas le code de la Zéro. À bout de fatigue et de rage, elle s'était soudain rappelé qu'il fallait faire précéder l'ordre du numéro matricule.

    Décidément, cette sans cervelle la rendait folle. Et ce qui la rendait encore plus folle de colère, c'était de ne pas avoir le droit de la voir autrement que par ce minuscule œilleton.

    Elle n'aimait pas les lobos et c'était peu dire ! Celle -là moins encore que les autres. Sûr, elle la distinguait à peine avec cette lumière tamisée mais quelque chose au fond de ses tripes tordues par la haine, lui disait que cette pute, là, dans la pénombre, couchée comme une bête sur sa mince paillasse, était une anormale de la pire espèce. Une de ceux qui étaient la cause de sa mutation brutale dans ce cloaque. Elle était blonde, d'accord mais ça ne voulait rien dire. Oui, c'était une mutante, elle en aurait parié sa paye. Qu'est-ce qu'elle faisait ici cette salope ? La lobotomie et la perpète c'était trop doux pour cette engeance du Diable. Des tarés congénitaux qu'on aurait dû supprimer tous quand on les avait encore sous la main !

    Elle n'avait jamais avoué à personne la véritable raison de cette haine démesurée envers les mutants. Elle n'en avait pas le droit. Pourtant elle aurait voulu pouvoir crier à la face du monde que c’était ces monstres honnis qui avaient causé sa perte et celle de la quasi totalité des gardiens du camp des lobos mutants d'Australie. On les avait dit morts, ses collègues et elle, sauvagement assassinés par leurs prisonniers avant leur évasion.

    Quelle vaste blague !

    Elle aurait pu témoigner du contraire, comme tous ses potes qui avaient subi le même sort qu'elle, si elle en avait eu le droit ! Mais s'ils avaient le malheur de l’ouvrir, ils seraient tous condamnés à une peine bien plus sévère qu'un exil forcé dans une putain de forteresse.

    Pendant ce temps là, les salauds de traîtres qui avaient aidé les lobos à fuir, se la coulaient douce eux ! Enfin, pas si douce que ça ! Ils étaient tout de même obligés de se cacher car s'ils tombaient entre les mains des gops, elle ne donnait pas cher de leur peau ! Mais ils étaient dehors et pas elle ! Et à côté du camp australien, ici c'était vraiment galère !

    Les gardiens n'avaient pas le droit de molester les prisonniers. Quand ils étaient pris en flagrant délit de sadisme, ils étaient révoqués illico presto. Encore que Felipe et elle -même parfois… Mais ils ne s'étaient jamais fait prendre. Car même Jiménez, tout gardien-chef qu'il soit, n'aurait pas échappé à la punition. À part que lui, on ne l'aurait pas révoqué mais simplement relégué dans un minable bloc de police de quartier, définitivement rétrogradé au rang de gardien de quatrième classe, affecté à la surveillance des détentions provisoires des fouteurs de merde. Coller une baffe à un détenu qui n'a rien fait, juste pour le plaisir -il faut bien se détendre un peu- ici c'était interdit.

    Là-bas, c'était autre chose. C'était loin de tout et les services généraux ne faisaient qu'une inspection par an. C'est dire qu'elle, elle ne les avait jamais vus ! En plus le directeur ne voyait aucun mal à ce que les gardiens corrigent un peu ces fumiers de mutants.

    Bon, ils étaient totalement inoffensifs après la lobotomie qu'ils avaient subie mais c'était toujours des mutants après tout ! Même s'ils ne savaient plus que pisser, chier, bouffer, pioncer et bosser comme des dingues. Pires que des bêtes car eux, ils ne pouvaient plus copuler. Pas besoin de les stériliser, la lobo leur avait supprimé définitivement cette envie. Il aurait plus manqué que ça !

    En fait, ils ne savaient faire qu'une chose : obéir. La technique de pointe qu’on utilisait à présent pour faire des lobos de bons robots programmés pour une tâche précise n’existait alors pas encore, heureusement ! Ça aurait été beaucoup moins drôle ! Les mutants du camp australien n'étaient programmés que pour exécuter tous les ordres qu'on leur donnait, même le plus cons. Ses copains et elle ne s'en privaient pas. Ça pimentait leurs journées tellement ces larves obéissaient au doigt et à l'œil à n'importe quoi.

    Pires que des bêtes, vraiment !

    Les chiens de garde, de féroces pitbulls dressés à tuer en cas de besoin, étaient plus intelligents que ces rebuts de l'humanité et eux, on les laissait se monter dessus !

    Andréa se rappelait avec délectation comment elle et ses collègues se défoulaient sur les mutants. Ils y allaient carrément à coups de matraque dans la tronche et ces demeurés ne faisaient rien pour les éviter. Ils braillaient mais se laissaient taper dessus sans chercher à fuir. Ils ne pouvaient pas ! Il leur fallait un ordre pour bouger ! Ils restaient là, les bras ballant, sans avoir l’idée d’essuyer le sang qui coulait sur leur sale gueule de dégénérés !

    C'était si jouissif de se rappeler ce temps-là et si rageant aussi !

    Ouais ! Tout alla bien jusqu'à ce qu'une poignée de gardes commence à changer. Ils devinrent mollassons avec les prisonniers. Ils tapaient moins fort et ne s'amusaient plus à donner des ordres bidon. Puis, peu à peu, ils refusèrent de se joindre aux habituelles bastonnades auxquelles elle et les autres adoraient se livrer. Ils ne rigolaient même plus quand ils les voyaient faire. Pire, ils détournaient les yeux de ces spectacles, comme s'ils en avaient honte. Enfin, ils s'y opposèrent vivement, arguant du règlement du camp : les ordres étaient de faire travailler dur les détenus. Très dur même. Sur ce point, ils restaient d'accord. C'était comme ça dans tous les camps de travail et il n'y avait pas à revenir là-dessus ! En revanche, c'était écrit noir sur blanc, il était interdit de les affamer, de les torturer, de les frapper ou de les punir sans raison. Et Dieu sait qu'ils n'en donnaient aucune à leurs gardiens ! La lobotomie profonde qui les avait totalement réduits à l'état animal, l'agressivité en moins, les rendait parfaitement inoffensifs.

    « Ces actes gratuits sont indignes de nous. Nous traitons mieux nos chiens ! » Disaient-ils

    Comme les fameux actes ne cessaient pas, ils en appelèrent à l'arbitrage du directeur, lui demandant de faire appliquer le règlement à la lettre. Il leur promit d'intervenir mais ne fit rien jusqu'à ce que l'opposition entre les deux factions dégénère en bagarres. D'abord, les tenants du statu quo, supérieurs en nombres, eurent l'avantage puis ils commencèrent à prendre de sérieuses raclées. Andréa et ses copains comprirent alors qu'il se passait des trucs vraiment pas catholiques.

    Ils trouvaient les lobos plus vifs, plus… autonomes. C'est ça, autonomes. Trop éveillés pour que ce soit normal. Comme si la lobotomie n'avait plus le moindre effet sur eux… Comme s'ils faisaient semblants d'être encore sous contrôle…

    Ils n'eurent pas le temps de faire part de leurs soupçons au directeur ni aux neuropsys attachés au camp. Un matin, ils se réveillèrent et ne retrouvèrent plus personne.

    Tous les prisonniers avaient disparu !

    Les neuros, le directeur, les gardiens, tous hébétés ne comprenaient pas ce qui leur était arrivé. Ils se sentaient engourdis, nauséeux. Lorsqu'ils tentèrent de se lever, ils furent pris de terribles vertiges. Ils ne se rappelaient rien. Leur sommeil avait duré trois jours. Les mutants et leurs complices -cent gardiens « retournés » on ne savait comment par les détenus, s'étaient enfuis. Ils étaient sûrement déjà loin !

    Ils se rendirent à peine compte qu'ils avaient uriné sous eux, dans leur lit ou à même le sol, là où l'étrange sommeil les avait pris. Ils voyaient trouble, avaient du mal à parler tant leur langue était pâteuse et comme nouée. Ils restèrent encore deux jours dans le brouillard, incapables de réagir, de coordonner leurs mouvements ou d'aligner trois mots cohérents. Puis ils reprirent leurs esprits et furent bien obligés d'avertir les autorités. Les fuyards avaient cinq jours d'avance. On ne les retrouverait pas ! Ça allait chier en haut lieu !

    Quatre éminents neuropsys chargés d'évaluer la situation, débarquèrent accompagnés de tout un bataillon de gops des Forces spéciales. Ils rendirent rapidement leurs conclusions : Andréa et les autres avaient été, non pas drogués comme leur état le laissait supposer mais hypnotisés en masse. Comment ? Une seule explication possible : les lobos avaient retrouvé leurs démoniaques facultés de mutants. Quelqu'un les avait guéris ! Et ce quelqu'un ne pouvait être que l'un des leurs, sorti momentanément du camp et revenu guéri lui-même par un mutant à l’extérieur, obligatoirement !

    Cela paraissait incroyable, voire impossible au regard des mesures exceptionnelles de sécurité déployées lors des transferts de prisonniers en forteresse ou pour tout autre lieu. Il résulta cependant de l'enquête menée sur place, qu'en effet, trois mutants avaient bien quitté le camp durant presque trois semaines. Ils avaient été choisis, tout à fait au hasard dans le but de servir de cobayes pour une technique améliorée de lobotomie.

    Des prototypes en quelque sorte, destinés à démontrer le bien fondé de cette lobotomie sur mesure, lors du dernier congrès mondial de la médecine qui s'était déroulé en France au mois de janvier. L'un d'eux, les trois peut-être, en étaient revenus guéris et personne n'avait décelé cette guérison. C'était inconcevable !

    Il y aurait bien d'autres punis que les rescapés du camp australien ! Ceux-là, dont Andréa, avaient été soignés, débriefés et mis au secret. Ils avaient été déclarés officiellement morts, de même que les traîtres qui avaient suivi les mutants dans leur fuite. Puis, après leur avoir fait jurer de se taire à jamais, on les avait envoyés moisir dans des forteresses perdues au bout du monde. Le directeur et les neuropsys n'avaient pas été épargnés par ces mesures draconiennes mais nul n'avait eu vent de la punition qui leur avait été réservée.

    Voilà pourquoi Andréa, Johnson, ex-gardienne du camp australien, haïssait à mort la salope du quatrième sous-sol et plus encore Gertrud Baumann qu'elle soupçonnait de la protéger.

    La grosse truie allemande lui gâchait son week-end et elle ne pouvait même pas se venger sur la lobo qui elle, avait empoisonné sa nuit. Elle regarda par l'œilleton. La mutante ravaudait une pile énorme de vêtements de prisonniers. Elle en avait bien pour la journée. Tant qu’il y en aurait, elle ne lèverait pas les yeux de son ouvrage. Et elle s’était fait un plaisir de lui en rajouter un max ce matin. Tiens ! Ce serait marrant d'oublier son deuxième repas ! Faute de mieux, c'était un moyen de se venger un peu de Baumann ! Soudain, Andréa l'entendit bafouiller des mots sans suite. Elle avait déjà entendu des lobos sortir comme ça deux ou trois mots dénués de sens. Ça arrivait parfois. Un petit fil mal débranché lors de la lobotomie, qui laissait des bribes infimes de langage.

    « Coupe…pleine….boire… » Répétait la demeurée d'un ton monocorde. C'était peut-être ça qu'elle chantait cette nuit ? Ah non ! Elle n'allait pas recommencer à la faire chier !

    - Ta gueule ! Hurla-t-elle.

    L'autre continua comme si elle n'avait pas entendu. Bordel de merde, c'était ça, elle n'avait pas entendu son putain de matricule !

    - 1058.01, tais-toi ! Reprit-elle encore plus fort.

    La lobo se tut instantanément.

     


    2 commentaires
  • Samedi 29 novembre, la Forteresse

    Elle s'appelait Gertrud Baumann, elle était allemande et avait 50 ans. C'était une femme à poigne, grande, massive, équilibrée. « Une main de fer dans un gant de velours. » disait-on d'elle. En raison de ses origines teutonnes, de sa haute stature, de ses formes généreuses et bien que ses cheveux blonds grisonnant soient coupés très courts comme le voulait le règlement, on la surnommait la Walkyrie. Elle travaillait en milieu carcéral depuis son divorce, dix ans auparavant. D'abord simple matonne elle était montée en grade en acceptant, cinq ans plus tôt, de venir s'enterrer dans cette forteresse pénitentiaire dont elle était devenue la gardienne en chef du Quartier des femmes et depuis peu, la seule responsable du quatrième sous-sol de cette partie du pénitencier. Avant cela, elle avait été Gertrud Richter une épouse heureuse, épanouie, professeur de lettres à Berlin, mère de deux enfants aimants jusqu'à ce que Hans, son mari ne la quitte pour une donzelle qui avait la moitié de son âge. Lorsque c'était arrivé, sa fille, âgée de 21 ans était mariée et en passe de devenir mère.

    Son fils lui, avait choisi l'armée de métier où il s'était engagé à dix-huit ans. Au moment de la séparation de ses parents, il avait déjà quitté leur domicile pour les USA depuis un an afin d’y accomplir son apprentissage de Soldat de la Paix. Il y était à présent Lieutenant et y avait trouvé une compagne. Une ravissante espagnole. Ils avaient deux enfants.

    Elle s'était donc retrouvée seule à 40 ans, désemparée, ayant perdu toute motivation pour une profession qui lui faisait croiser ce salaud de Richter chaque jour dans l'enceinte de l'université où lui enseignait le droit. Elle reprit son nom de jeune fille, démissionna et se mit à la recherche d'un nouvel emploi, si possible loin de son ex et de sa trop jeune et trop jolie maîtresse.

    L'opportunité s'était présentée bien plus rapidement qu'elle ne l'espérait. En navigant sur le Web, elle était tombée par hasard sur un site de recrutement d'État.

    L'annonce stipulait : « Rech. H, F, casier vierge. 35-50 ans, solide, sans attache, libre de suite pour poste plein tps en milieu carcéral. Sal motiv. Rép rapide souhaitée. ».

    Sans se donner le temps de réfléchir, elle avait aussitôt rempli le formulaire informatique. C'était sa chance, elle le sentait. Très vite, elle avait été recontactée. Elle avait le profil. C'est ainsi qu'après avoir subi avec succès les différentes épreuves théoriques et pratiques du concours ainsi que les tests psychologiques obligatoires, elle avait été admise à suivre la formation accélérée. Trois petits mois durant lesquels elle avait tout appris sur la vie carcérale et sur les postes à pourvoir. Il y en avait peu pour lesquels en plus, les candidats ne se bousculaient pas au portillon.

    Son comportement plus que satisfaisant durant cette formation intensive fit l'admiration de ses instructeurs. Elle répondait à tous les critères requis : caractère bien trempé, endurance, force, détermination, sens aigu des responsabilités et de la discipline, adresse au tir, sens du commandement plus un don inné pour les langues. Elle irait loin !

    Elle fut engagée au grade de simple gardienne, tout en bas de l'échelle, dans une petite prison du Mexique. Elle y grimpa très rapidement tous les échelons. Au bout de cinq ans elle demanda sa mutation pour une structure plus importante. Entrée là dedans par dépit, elle y avait pris goût. Elle l'obtint. On lui proposa la Forteresse en lui spécifiant bien qu'en plus d’être très dure, elle était particulièrement éloignée du monde mais que si elle acceptait, elle y entrerait comme gardienne-chef. Elle avait accepté. Plus loin elle serait de Berlin, plus elle serait heureuse !

    C'était dur, en effet. Ici, on n'accueillait que les fortes têtes en provenance des camps de TUP (Travaux d’Utilité Planétaire), pour une durée allant d'un à trois mois maximum. C'était généralement suffisant pour réduire les rebelles à merci, car dans ce QHI, l'isolation absolue était scrupuleusement respectée et le mitard avait tout d’un avant goût de l'enfer. On y travaillait - sous haute surveillance bien sûr - pour gagner sa croûte quotidienne mais on n'avait pas le droit de parler. Tout détenu qui avait le malheur d'oublier cette règle suprême recevait illico une douloureuse décharge neutralisante avant d’être traîné au trou.

    Bien que d’une extrême sévérité, ce pénitencier était réservé à des droits communs n’ayant subi qu'une lobotomie légère destinée à les rendre plus coopératifs tout en leur laissant un minimum de libre arbitre. Un libre arbitre dont il fallait qu'ils aient bigrement abusé pour y atterrir. Quand ils y avaient purgé leur peine d'isolation, ils avaient compris et regagnaient repentants leur camp de travail puis, plus tard, s'ils y avaient survécu, leur famille. Leur séjour en QHI les préservait définitivement de toute envie de récidive.

    C'était donc somme toute une forteresse comme les autres jusqu'à l'arrivée de la prisonnière du quatrième sous-sol. Laquelle, contrairement aux autres détenus, ne serait pas là que pour un court passage On la lui avait livrée à l'aube, dans le plus grand secret, un mois et demi auparavant, le 12 octobre.

    « C'est une locataire peu ordinaire ! » Lui annonça-t-on. Il suffisait de la voir pour en être convaincu. Elle l'inscrivit sous le matricule 1058.01. Les quatre premiers chiffres désignaient le mois et l'année de son incarcération. Le 01 lui, indiquait qu'elle était la première du genre à subir la perpète en QHI. Vu sa prostration et la fixité de son regard, c'était une lobo lourde. Le cas le plus lourd que Gertrud ait vu de sa vie !

    Elle était grande et mince, maigre plutôt, très belle en dépit de l'état lamentable dans lequel on la lui amenait. Elle n’avait sur le dos qu'un tailleur froissé, trop léger pour la saison, celui qu'elle portait probablement le dernier jour de son procès. Ses pieds étaient nus dans des chaussures qui avaient dû connaître des jours  meilleurs, elles aussi peu adaptées à la rigueur de l’hiver. Les collants avaient probablement rendu l'âme depuis le temps ! Elle avait le crâne rasé de près comme tous les lobotomisés mais un fin duvet blond commençait à repousser. Bien qu'elle ait déjà considérablement changé depuis son procès - le crâne rasé y était pour beaucoup - Gertrud la reconnut. Elle avait suivi toute l'affaire retransmise en mondovision.

    C'est vrai que cette lobo là n'était pas comme ses habituées de droit commun. C'était une moitié de mutante par son père. Cela ne justifiait néanmoins pas son incarcération dans SA forteresse. Ne gardait-on pas ces anormaux ailleurs, dans des prisons qui leur étaient réservées?

    Les gardes qui l'avaient escortée étaient aussitôt remontés à la surface, dans le bureau directorial. Ils y apportaient la puce, contenant la totalité de son dossier, « classé Secret Défense, c'est une politique ! » lui dirent-ils avec des mines de conspirateurs.

    Secret Défense !

    Elle s’avisa qu’en septembre, quasiment à l’époque où se déroulait le procès et avant même son issue, tout le personnel de la Forteresse était passé à l’infirmerie pour se faire proprement injecter à la base du cervelet, une espèce d’implant microscopique censé brouiller les ondes mentales. Elle avait entendu parler de cette méthode mais ne l’avait jamais personnellement expérimentée. C’est donc avec un brin d’angoisse qu’elle s’était soumise comme les autres à l’implantation dans son cervelet de la minuscule « bestiole » électronique sans obtenir la moindre explication sur les raisons de cette opération. L’arrivée de cette prisonnière très spéciale lui avait donné la réponse !

    Ce procès n'avait-il donc été qu'une mascarade, ainsi que sa nouvelle détenue l'avait elle-même clamé alors, Gertrud s'en souvenait parfaitement ? Les crimes qu'on lui imputait, pour odieux qu’ils soient, en masquaient-ils de bien pis dont même la presse étatique - toujours si soigneusement informée pourtant - n'avait pas eu vent ?

    Les gardiens- chefs pouvaient consulter les dossiers des détenus, cela faisait partie de leurs prérogatives. Elle savait qu’elle ne serait pourtant pas autorisée à lire celui-là. Seul le directeur en aurait connaissance. Le rapport explosif contenu dans la puce intégrée à cette si petite carte, allait être enfermé dans un coffre dont lui seul avait le code. Même son adjointe n'y aurait jamais accès. Elle inséra dans son lecteur celui que lui avaient remis les gardes. Son contenu très sommaire constituait la seule base de renseignements qu'elle aurait de la misérable loque qui se tenait devant-elle, totalement apathique, attendant qu'on la mène à ce qui allait devenir son tombeau.

    Elle s'appelait Mary-Anne Conroy-Defrance. Elle n'avait que 31 ans. Ici, jamais plus elle n'entendrait son prénom. Elle était désormais 1058.01 pour le reste de ses jours. Gertrud s'avisa avec tristesse que la pauvre verrait défiler un tas de gardiennes après elle-même, sans pouvoir en faire le compte. Les lobos lourds n'ont plus la notion du temps. Peut-être était-ce mieux ainsi. Elle ne verrait pas les années défiler. Cette idée la fit frissonner malgré la dureté dont elle se targuait. Elle espérait que 1058.01 mourrait bien avant cela ! Et surtout, que jusqu'à la fin de sa carrière de gardienne- chef, que ce soit ici ou ailleurs, elle ne rencontrerait pas d'autre perpète. Cette prisonnière était le seul cas de réclusion criminelle à perpétuité qu’elle n’ait jamais rencontré. Le seul à ce jour en fait ! Et il fallait que ça tombe sur elle ! Une rude responsabilité !

    Bien sûr, elle était payée pour ce boulot. Bien payée même ! Et elle avait toujours su faire la part des choses en gardant pour elle les sentiments et les émotions qui l'agitaient parfois à son corps défendant. Elle se devait d'être impitoyable ! Les femmes qu'elle gardait n'étaient pas là par hasard. Ce n’était pas des anges injustement condamnés. Elles s'étaient endurcies à forces d'épreuves, de mauvais traitements et de travaux pénibles et dangereux dans les camps. Pour une fois, étrangement, lorsqu'elle avait posé les yeux sur cette jeune femme à l'air tellement inoffensif, elle avait eu l'impression que son salaire ressemblait à s'y méprendre aux trente deniers de Judas.

    C'est presque estomaquée qu'elle avait lu sur son ordre de mission le régime particulier qu'allait devoir subir cette prisonnière exceptionnelle. Elle n'avait jamais eu à appliquer de si cruelles conditions à un détenu. Celles-là étaient d'une sévérité sans égale et concernait exclusivement le matricule 1058.01 : elle devenait à vie, l'unique pensionnaire de la cellule zéro habituellement destinée à la très dissuasive « mise au trou » des éléments perturbateurs. Le mitard, transféré à l'étage supérieur pour la circonstance, était normalement situé au dernier niveau de la forteresse - qui en comportait cinq - le fameux quatrième sous-sol.

    C'était une cellule exiguë de deux mètres cinquante sur deux. Très fraîche l'été, très peu chauffée l'hiver, elle était propre mais sommairement meublée d'une étroite couchette scellée au mur du fond, d'un lavabo et d'un WC chimique, hygiène oblige ! Le plafond, à trois mètres de hauteur, était inaccessible. En son milieu, une petite lampe sous globe diffusait en permanence une faible lumière. Pas de fenêtre bien sûr. Le tout était fermé électroniquement par une lourde porte blindée munie d'un œilleton de surveillance et d'une trappe pour passer la nourriture, tous deux également à commande électronique. Le mitard, qui occupait à lui seul ce dernier niveau plus petit que les autres, était en quelque sorte un émule des anciennes oubliettes. L’atteindre ressemblait à un parcours du combattant. Peu de matonnes aimaient à s’y risquer. Ça leur foutait le bourdon disaient celles qui l’avaient effectué avant l’arrivée de 1058-01.

    Il fallait en effet partir des douches, emprunter un escalier en colimaçon si étroit qu'on n'y pouvait tenir à deux de front, puis un long couloir humide, mal ventilé, mal éclairé qui menait à une espèce d'antichambre en face de la cellule zéro. L'antichambre de la mort ! Le reste du niveau servait de débarras. On y entreposait notamment les sacs de linge à réparer qui descendaient là par un monte-charge. Cette tâche ingrate de raccommodage serait désormais dévolue au matricule 1058-01 qui devrait l’accomplir assise sur son grabat, sous la maigre lumière émanant du haut plafond.

    La nouvelle prisonnière allait donc être confinée dans ce trou à rats, vingt-quatre heures sur vingt-quatre en dehors du jour de la douche qui coïnciderait avec celui de la promenade, une fois par quinzaine. Courte promenade qu'elle ferait aux aurores avec sa gardienne attitrée, elle en l'occurrence. Elle n'aurait aucun contact physique avec les matonnes qui ne pourraient que l'entrevoir dans cette déprimante semi-pénombre.

    Seuls Gertrud, le directeur et son adjointe seraient autorisés à la voir autrement qu'à travers l'œilleton. En son absence, quelle qu'en soit la durée et pour quelque motif que ce soit, la sortie serait supprimée. Naturellement, aucun contact non plus avec les autres détenues du quartier des femmes qui se trouvait deux étages au-dessus, dans l'aile Est de la forteresse.

    À l'opposé, dans l'aile Ouest, se trouvait le quartier des hommes sous la férule de Felipe Jiménez, secondé par Angelo Battistini. Le quartier ouest bénéficiait toujours de son mitard au quatrième sous-sol. Le premier niveau était le seul qui soit situé en surface. On y trouvait l'aire d'accueil des détenus avec ses deux bâtiments de transfert vers leurs quartiers cellulaires respectifs, l'aire de livraison et son bâtiment de stockage temporaire. C’est au premier niveau également que le directeur et son adjoint jouissaient de leur domaine privé, pour ne pas dire privilégié : cours et jardins, bureaux mitoyens avec ascenseur personnel menant aux étages inférieurs, logements de fonction. Ils y bénéficiaient aussi d’un mini complexe sportif climatisé comprenant sauna, piscine chauffée, salle de musculation, salle de projection tridi, bibliothèque. L’ensemble des quartiers directoriaux était protégé par une coupole de verre sécurit suffisamment mince pour laisser passer la lumière du jour comme si on se trouvait dehors et suffisamment solide pour résister à toute agression extérieure, qu'elle soit naturelle ou humaine. Un palace en enfer !

    Les cours de promenades elles, étaient situées dans l'enceinte-même de la forteresse, exactement entre les deux mètres cinquante séparant les deux hautes et épaisses murailles bétonnées qui la composaient. Elles ressemblaient donc plus à des chemins de ronde qu’aux habituelles cours des anciennes prisons. Celles des droits communs, l’une à l'est, l’autre à l'ouest, jouxtaient les deux bâtiments de transfert auxquels elles étaient reliées par un sas blindé. Leur promenade terminée, les prisonniers rejoignaient leur sphère de détention souterraine par un étroit escalier.

    Ces cours étaient juste assez grandes pour qu'une vingtaine de prisonniers par rotation, s'y promènent deux fois par semaine encadrés par cinq matons armés de neutros à pleine puissance paralysante. Le silence y était de rigueur même pendant cette courte heure de détente.

    Les deux cours de promenade des détenus des mitards, étaient également à l'intérieur de l'enceinte. Elles avaient été construites tout exprès pour eux après qu’une loi pour l’humanisation des QHI ait été votée. Elles étaient coincées entre les deux épaisses murailles. Espèces de donjons rectangulaires sans toit, d'un mètre cinquante de large sur quatre mètres de long, elles étaient entourées par leurs propres murs qui venaient renforcer ceux de l’enceinte qu’ils surélevaient ainsi de deux mètres. L’ensemble ressemblait à une tour si haute qu’on n’en voyait presque plus le rectangle de ciel au- dessus. Là aussi on accédait à la sphère de transfert par un sas blindé puis aux sous-sols par un escalier. Eux n’avaient droit qu’à une demi-heure, une seule fois au cours de leur séjour, par mesure d’hygiène. Et c’était une faveur pour des rebelles censés être à l’isolement total !

    C’est dans l'enceinte sud que se trouvait le grand sas d'entrée, commandé par deux lourdes portes blindées à double battants dont l'ouverture et la fermeture se faisaient électroniquement, de l'intérieur, par le poste central de vidéo surveillance situé également au sud. C’était un petit bâtiment en forme de tour carrée, peu élevé, dont les murs étaient tapissés d’écrans de contrôle tridi allumés en permanence. C’était aussi dans ce poste que se trouvaient les ordinateurs commandant tous les systèmes électroniques de la Forteresse : verrouillage et déverrouillage des portes, antennes de brouillage, liaisons externes et internes etc.

    Au deuxième niveau ou premier sous-sol se tenaient les quartiers des gardiens chefs et de leurs adjoints ainsi que ceux des simples matons. Chaque secteur de fonction comprenait les chambres des gardes de nuit ainsi que le bureau personnel des gardiens chef où se faisait l’inscription des détenus à leur arrivée.

    La salle de repos, la bibliothèque, la salle de sport et le réfectoire étaient communs aux deux secteurs. C’est également à cet étage que se trouvaient les chambres froides, les infirmeries, les réserves de nourriture non périssables, les magasins de vêture, ceux d'outillage et ceux des diverses fournitures nécessaires à la vie de toute la population de la Forteresse.

    Le troisième niveau - le deuxième sous-sol - était consacré à la détention. Chaque aile était bâtie sur trois paliers. Les deux premiers édifiés en mezzanines, était consacrés aux cellules, cent pour chacune et dominait le troisième où se tenaient les ateliers de travail, les cuisines et le réfectoire des droits communs légers. Les plus « méchants » locataires des QHI séparés du reste de l’espace cellulaire par un sas blindé, mangeaient dans leur cellule. Les différentes strates du niveau carcéral étaient reliées par des escaliers couverts et par de longs couloirs entrecoupés de sas de sécurité.

    Le quatrième niveau - le troisième sous-sol - était l'étage sanitaire. On y trouvait, propres à chaque aile, les douches et les vastes buanderies où les prisonniers affectés à cette tâche faisaient tourner à longueur de journée quatre grosses machines qui lavaient tout le linge de la prison. D'immenses salles de séchage tendues de kilomètres de fils d'étendage, complétaient les lieux. Seuls les pensionnaires des mitards accédaient aux cours de promenades à partir des douches.

    Le cinquième niveau - le fameux quatrième sous-sol - était donc strictement réservé aux mitards, dont la cellule unique, dans chaque aile, portait le numéro zéro.

    Il va sans dire que mises à part les mensuelles livraisons de nourriture et celles - plus espacées - assurant le renouvellement des fournitures, la visite ponctuelle d'un médecin ou d’un psy, la descente plus ponctuelle encore d'un service sanitaire, la Forteresse fonctionnait en quasi complète autarcie.

     

    Pour en revenir à l'étrange recluse de la Zéro, pensionnaire à vie du mitard des femmes, il n'était pas question qu'elle coûte trop cher à l'administration pénitentiaire. Il était stipulé qu'elle n'aurait droit qu'à deux repas quotidiens, contrairement aux autres qui en avaient trois : un à six heures, le deuxième à onze heures trente, le troisième à dix-huit heures trente. 1058-01, elle, ne bénéficierait que du premier et du dernier qui ne seraient constitués que du strict nécessaire à sa survie et au travail qui lui serait confié dans sa cellule dont elle devrait, à l'instar de chaque détenu, assurer quotidiennement le nettoyage après son frugal petit déjeuner. Les seules paroles que Gertrud ou Andréa, sa remplaçante lors de ses repos, seraient autorisées à lui adresser, seraient des ordres brefs précédés de son numéro matricule. Elle était en effet programmée pour ne répondre que de cette façon à quelque sollicitation que ce soit.

    Ce régime était encore plus drastique que celui qu'on appliquait dans les cas extrêmes et uniquement pendant la durée limitée de la mise au trou qui n'excédait jamais deux semaines. Les détenus craignaient le régime du mitard, même les hommes les plus endurcis. Les matons le qualifiaient de « dur de dur » Pourtant, aux yeux de Gertrude, il faisait à présent figure de paradis à côté de celui qu'allait endurer à perpétuité sa prisonnière.

    Ce samedi matin-là, après une semaine de garde éprouvante et intensive partagée entre les détenues ordinaires et celle du quatrième sous-sol, la gardienne-chef de l'aile des femmes allait pouvoir regagner son domicile, situé à une vingtaine de kilomètres de la Forteresse. Elle passait la main à Andréa Johnson, la garce qui briguait sa place. Elle ne l'aimait pas et réprouvait sa façon cruelle de traiter les prisonnières mais elle se consolait en se disant que cette peau de vache n'avait pas le droit d'approcher sa « cliente ».

    De plus, telle qu'elle la connaissait, pendant ce week-end de liberté sans la Walkyrie, elle aurait d'autres chats à fouetter que la misérable loque de la Zéro.

    Andréa était une boulimique du sexe, que la présence austère et réprobatrice de Gertrud empêchait de s'adonner à son passe-temps favori. Baumann savait que son adjointe se rattrapait sitôt qu'elle avait le dos tourné. Elle passait alors le plus clair de son temps à entretenir sa réputation de mangeuse d'hommes. Elle ne se gênait pas non plus pour rogner largement sur celui qu’elle était censée consacrer à son travail !

    Tous les gardiens y étaient passés et y repassaient chacun à leur tour. Pas de jaloux ! Pas même Felipe Jiménez, son amant en titre qui assistait en se pourléchant à ses ébats avec les autres. C'était la seule condition qu'il lui avait imposée et qu'elle avait acceptée ravie de l'aubaine. Elle aussi était une voyeuse patentée. Le reste du temps, la roulure le passait à asticoter les prisonnières, juste pour les faire sortir de leurs gonds et avoir ensuite le plaisir de les mettre au trou.

    Avant de lui laisser la relève et ses instructions, Gertrud alla jeter un coup d'œil à l'hôte de la Zéro et lui porter son premier repas. Si frugal qu'elle se demandait comment 1058 tenait encore debout. Il n'était composé que de cent grammes de pain rassis trempé dans une gamelle de lait tiède légèrement sucré coupé d'eau. Le dimanche, de sa propre initiative et sans en rien dire à personne, elle ne mettait que du lait bien chaud très sucré parfois agrémenté d’une bonne dose de café et elle ajoutait un gros morceau de pain. Tout aussi discrètement, à 11 h30, elle lui glissait un morceau de viande dans le tas de linge qu'elle avait à raccommoder. Pas de régime de faveur ce dimanche à venir. Ce n'était pas le genre de Johnson !

    Il était six heure moins cinq, 1058.01 dormait encore. Recroquevillée en position fœtale sous la hideuse couverture marron, la tête dépassant à peine, elle tournait le dos à son observatrice. Elle marmonnait pendant son sommeil. Gertrud aurait juré qu'elle chantait.

    Impossible ! Ça ne pouvait être que du baragouin incompréhensible, tout juste assimilable en la circonstance au ronronnement des chats !

    Elle écouta plus attentivement et en resta interdite. C’est une voix de petite fille qu'elle entendait. Une toute petite fille qui fredonnait une berceuse ! Elle frémit en écoutant les paroles qui s'élevaient doucement dans le silence épais de cette tombe :

    « Petite Mary,

    Lorsque vient la nuit,

    Ferme tes beaux yeux

    Sur tes rêves bleus.

    Demain le soleil

    Verra ton réveil.

    Mais en attendant

    Dors bien mon enfant… »

    Comment était-ce possible ? D'après ce qu'elle avait lu sur eux, les lobos nouvelle génération - plus profondément mutilés que ceux qu'elle voyait ici - ne parlaient pas. Ils poussaient des cris inarticulés, couinaient comme de chiots quand ils avaient mal. Ils grognaient quand on les agressait mais se calmaient sitôt que l'on en proférait l'ordre. Quand un reste de réflexe humain les poussait à s'exprimer, ils le faisaient par onomatopées ou par de ridicules borborygmes mais ils ne parlaient pas ! Elle rêvait sûrement et le rêve faisait ressurgir des réminiscences de son enfance. Ça devait être l’explication, elle n’en voyait pas d'autre. Dieu ! La fillette qui survivait aux confins de la conscience de cette morte-vivante, la petite Mary de la berceuse probablement, avait une voix d'ange !

    Ce fut à contrecœur qu'elle aboya à travers l'œilleton :

    - 1058.01 silence ! Debout ! Mange, lave-toi et nettoie ta cellule !

    La pauvre fille sursauta et se tut instantanément.

    Elle se dressa sur sa couchette comme un ressort puis elle se leva et vint prendre sa gamelle dont elle dévora le contenu à toute vitesse. Elle était visiblement affamée. La maigre pitance qu'on lui servait ne pouvait suffire à la rassasier. Lorsqu'elle eut fini, elle nettoya minutieusement le quart en fer blanc, le remit sur le rebord près de la trappe puis, elle enleva l’informe et large tunique de toile grise et rêche qui lui servait d'unique vêtement. Elle se lava sommairement, se rhabilla et commença à ranger sa cellule en y mettant le soin tout mécanique du parfait robot qu’on avait fait d’elle.…

    Gertrud se détourna.

    La colère et la pitié l'envahissait, tous sentiments qu'elle s'interdisait généralement parce qu’elle devait à sa fonction d’être dure et insensible en toutes circonstances. C’est même précisément pour ces qualités qu’elle avait été recrutée. Mais aujourd’hui, la vue de cette créature sans âme qui avait été une femme jeune et belle, une femme, appréciée, aimée peut-être et que la lobotomie et l'enfermement vouaient désormais à une vie totalement exempte de sentiments, suscitait en elle colère et pitié. Elle haïssait le système cruel qui la condamnait à une mort lente pire que la mort elle-même ! Elle se força à la regarder encore une fois avant de s'éloigner : elle était devenue maigre à faire peur !

    Et pourtant…

    Puis, habitée par une honte qu'elle ne s'expliquait pas, elle remonta et rejoignit Andréa au rez-de-chaussée pour lui donner les consignes de rigueur jusqu'à son retour le lundi suivant. Comme 1058, bien qu'elle ne soit pas lobotomisée, Johnson obéirait aux ordres sans se poser de questions et surtout, sans les dérangeants états d'âme de sa gardienne-chef. États d'âme qu’elle ne soupçonnait pas, fort heureusement ! Si elle avait su, la garce n’aurait certainement pas manqué de se servir de cet argument pour la descendre en flammes auprès des autorités compétentes !


    1 commentaire
  • Les deux seules personnes avec lesquelles il osait partager sa souffrance étaient sa sœur et Félie. La mère de Mary avait trouvé refuge chez les Mus. Elle les suivait désormais dans tous leurs déplacements, soutenant son beau-fils de toute sa maternelle affection. Ensemble, ils évoquaient l'absente, se nourrissant du même espoir de la revoir un jour, vivante et jouissant de toutes ses facultés.

    Hubert et Jézabel avaient eux aussi été conviés à ce Rassemblement munichois. Depuis le procès de celle qu'il vénérait toujours, le jeune architecte avait totalement rallié la cause de son rival et bien que ce dernier sache qu'il aimait toujours Mary, il appréciait énormément sa présence.

    Ils n'avaient pas besoin de parler d'elle pour savoir à quel point elle leur manquait mais ils évitaient d'un commun accord de prononcer son nom. Hawk sentait encore parfois les ondes de rancœur qui émanaient de l'ex-fiancé de sa femme. Hubert se disait souvent à juste titre d’ailleurs, qu'avec lui au moins, elle aurait mené une existence sereine et sans danger. Mais il se reprenait toujours en s'avouant qu'elle n’aurait pu l’aimer lui, comme elle aimait son mari et il pleurait en silence de l'avoir deux fois perdue, sûr que Blue Hawk lui aussi, versait d'amères larmes dont il espérait en secret, qu'une part au moins était due aux remords de n'avoir pas su protéger son épouse.

    Et il avait raison ! Hélas !

    Quant à Jézabel, elle était désormais totalement intégrée au mouvement. Sa passion effrénée pour Loup l'avait entraînée bien plus loin qu'elle ne l'aurait imaginé lorsqu'elle était tombée éperdument amoureuse de son « sujet d'étude » comme elle disait alors. Ce que son tempérament de feu lui avait d'abord fait prendre pour une passade, volcanique mais peu durable, s'était mué en un amour puissant et exclusif. Elle aurait tout abandonné pour suivre Loup, si Hawk lui-même ne lui avait pas demandé de garder contact avec la confrérie des thérapsys à seule fin de se faire parmi eux, de nouveaux et utiles alliés.

    Leur position privilégiée au sein du corps médical, leur permettait en effet de contrecarrer discrètement les manœuvres de l'OMS qui avaient si bien réussi jusque là. C'est sous couvert de leur très respectable et très reconnue profession qu’en toute légalité ils parviendraient petit à petit à défaire ce qu'eux-mêmes avaient fait alors qu'ils se croyaient à juste titre de parfaits serviteurs d'une parfaite médecine. Pour cela il leur faudrait en premier lieu sevrer leurs patients de leur dépendance aux anti-D et autres médicaments agissant à leur insu sur leurs neurones, puis briser sous hypnose leurs effets pernicieux sur le psychisme. Cela demandait non seulement du temps mais encore une totale discrétion.

    En outre, leurs fichiers permettraient aux Mus de prendre part dans l’ombre à la guérison profonde et définitive de bon nombre de ces malades qui, inconscients de l'être et en suivant ces traitements répétés, obéissaient aveuglément aux directives de l'OMS, croyant ainsi préserver leur santé autant que leur normalité. C'était à cette condition, en unissant leurs forces que disparaîtrait petit à petit la maladie du siècle : la peur de l'anormalité et toutes les autres peurs qui en découlaient. À l'instar des lobotomisés mais d'une façon bien plus sournoise, la population mondiale avaient été depuis trop longtemps privée de son libre arbitre, il était temps de le lui rendre !

    De leur côté, Alexeï et Surprise ne restaient pas inactifs. Bien que très surveillés en raison de leurs trop amicales relations passées avec Mary, ils luttaient en secret contre la désinformation organisée par le Gouvernement Unique tout en feignant officiellement haut et fort afin d'être crédibles, de soutenir son action et de se réjouir de la merveilleuse efficacité de sa Justice. C'était pour eux un véritable crève-cœur mais il en allait de leur sécurité et de celle de leurs familles respectives.

    « Notre ex -amie était un monstre ! Si nous avions su, jamais nous ne l’aurions fréquentée ! Elle nous a odieusement trompés mais fort heureusement, elle a été condamnée ! Ce n’était que justice après une telle trahison ! »

    Voilà ce qu'ils soutenaient, le cœur secrètement déchiré d'avoir à mentir aussi honteusement et d'ajouter, la mine contrite : « Nous voulons qu'on nous laisse en paix désormais. Nous n’avons plus qu’un souhait, c’est d’oublier cette maudite affaire qui a bien failli démolir notre vie ! À présent, nous désirons plus que tout profiter de notre petite fille encore si fragile ! »

    Le bébé s'appelait Marie-Rêve. Elle était née dans la douleur et les larmes le lendemain de la condamnation de Mary, le 7 octobre. Surprise avait perdu les eaux en sortant du tribunal.

    Sa délivrance avait duré plus de douze heures, comme si l'enfant elle-même avait rechigné à naître dans un monde aussi pourri. La minuscule fillette était chétive. Elle n'avait poussé son premier cri qu'après de longues et angoissantes minutes. Chacun en Matobs s'était accordé pour dire que cet accouchement difficile, anormal en cette époque, était la conséquence directe des manœuvres démoniaques de la mutante. Surprise, plus déchirée que jamais, n'avait rien pu faire d'autre que d'accréditer cette thèse. N'était-ce- pas exactement ce qu'elle avait pensé après coup, lorsque Mary leur avait révélé qui elle était vraiment ?

    La comédie de la haine qu'elle devait continuer à jouer aux yeux de tous lui était insupportable ! Elle aurait tant aimé être auprès de Félie et de Blue Hawk dans la cruelle épreuve qu'ils traversaient par sa faute. Elle aurait fait amende honorable, imploré leur pardon à genoux. Elle aurait rendu à Hawk le pendentif que Mary l'avait forcée à prendre le jour de son arrestation. Depuis, elle le conservait pieusement. Chaque fois qu'elle le regardait, le chagrin et le remords l'envahissaient. Elle pleurait alors toutes les larmes de son corps et rien ne parvenait à la consoler. Pas même l'adorable petite fille nichée au creux de ses bras. Bien au contraire. Qu'elle soit vivante tandis que celle qui avait permis cela croupissait en prison, ajoutait encore à ses remords

    Cette nuit du 28 octobre donc, dernier jour du Rassemblement et fermeture officielle de l'immense foire exposition internationale, les Mus faisaient le bilan de ce qu'ils avaient appris durant toute cette semaine. Ils étaient confirmés dans leur opinion que si « on » leur avait déclaré une guerre aussi acharnée, c'était parce qu'ils étaient les seuls à avoir percé à jour les agissements du Gouvernement. Les seuls à savoir clairement que les « Sages » n'étaient pas aussi sages qu'ils voulaient le faire croire.

    Oui ! C'était pour cela qu'on les pourchassait, non pas parce qu'ils étaient les membres d'une prétendue secte satanique ainsi que l’avait toujours cru l’opinion publique jusqu’à présent. Car il semblait bien désormais que de moins en moins de monde croit en cette fable. Restait cependant le fait qu'ils étaient des « anormaux » et cela nul encore en dehors de leurs alliés avérés, ne le contestait. Or, cette anormalité elle, faisait encore trop peur.

    Ce qui ressortit de ce bilan, c'est que toutes leurs informations étaient recoupées par une seule : un nom qui revenait souvent, celui de ce « on » à l'aura si malfaisante: Solomon Mitchell, un fils de pasteur, élu parmi les Sages et qui paraissait avoir une considérable influence sur la majorité d'entre eux. Un frisson d'appréhension avait traversé l'échine de Hawk à la mention de ce personnage inquiétant. Pendant une brève seconde, il l'avait visualisé et bien que sa vision soit trouble, la surprise l'avait cloué sur place. Il connaissait cet homme. Il était sûr de l'avoir déjà vu…Mais où ? Cette impression fugitive lui avait laissé un arrière-goût d'amertume dans la bouche et un sentiment de désespoir profond mêlé de peur et de haine. Par dessus tout, il avait su d'instinct que c'était cet homme qui était responsable du sort de sa femme.

    Cette nuit là, après qu'il se soit rendu compte qu'aucune des informations collectées ne le mènerait à Mary, il réunit son état -major ainsi que Félie, Hubert et Jézabel. Leur présence était à ses yeux, indispensable en raison même des liens privilégiés qui les unissaient à l'absente. Puis avec ce nombre restreint de fidèles, il en appela au Pouvoir des dix mille autres membres de la Roue disséminés à Munich et dans ses environs, concentrant et canalisant cette force incomparable sur le petit groupe uni par la paume de leurs mains. Tous ensembles, ils constituèrent un vaste et puissant réseau de pensées confondues qu'ils lancèrent à travers l'espace. Ils espéraient ainsi capter les ondes psychiques de Mary. Ils n'interrompirent ce signal d'appel qu'à l'aube. Ils n'avaient à aucun moment réussi à entendre le chant de vie de la Sirène. Déçus et harassés par ces longues heures de veille, ils rompirent le contact et s'éloignèrent, laissant le Faucon seul avec sa peine. Ils ne le virent pas rester quelques secondes immobile, comme tendus vers quelque chose que lui seul avait perçu. Quelque chose de ténu et d'indéfinissable…Quoi ?

    Le lendemain il regagnait la Bretagne avec une Félie plus découragée que jamais. Il s'était attaché à ce petit bout de femme qu'un optimisme forcené avait tenu jusque là debout contre vents et marées. Lorsque devant elle il s'avouait vaincu, terrorisé à l'idée que chaque jour qu'elle passait loin de lui, rapprochait sa bien aimée du seuil fatidique pour les lobotomisés, c'était elle qui lui remontait le moral.

    - Elle survivra fils, crois- moi ! Elle est comme sa mère, solide comme un roc et comme elle est plus grande que moi, elle est encore plus solide, alors tu vois ! N'abandonne pas mon petit !

    - Mais si elle dépasse le seuil sans mourir, elle ne sera plus jamais celle que nous avons connue !

    - Nous la retrouverons avant et sinon, tu la sauveras Hawk. Ton amour la sauvera et le mien aussi. Et celui de tous ceux qu'elle a sauvés. Accroche-toi fiston. Il faut y croire !

    Et il la croyait. Mais à présent, c'était elle qui était vaincue et désespérée. Elle qu'il lui fallait consoler. Alors, à elle seule, il parla de cette chose indéfinissable qu'il avait perçue après leur départ.

    - Nous allons la retrouver Félie. Je ne sais pourquoi mais je le sais, je le sens au fond de mes tripes. Crois-moi !

    À son tour, elle s'efforça de le croire

    Le 24 novembre, quelques centaines de fidèles les rejoignaient à Kerhostin pour y célébrer le mariage de Jézabel et de Loup. Nul n'osait évoquer l'absente mais tous y pensaient avec une indicible émotion. C'était ici qu'elle était devenue l'épouse de leur Rassembleur. Et il y avait cette femme qui l'avait trahie et dont la présence en rebutait plus d'un. Elle avait publiquement demandé pardon à Hawk puis elle lui avait rendu en sanglotant, le pendentif que Mary lui avais mis de force dans les mains le jour où par sa faute elle avait été arrêtée. Félie lui avait tourné le dos, refusant de la voir. Hawk avait pris sur lui pour ne pas en faire autant. Il avait remis le bijou autour de son cou puis, à contre cœur, il avait pardonné. Il l'avait fait pour Alexeï. Pour Mary surtout. Son si généreux amour dont le dernier geste de liberté avait été un geste de pardon.

    Le mariage avait eu lieu. Plus d’une fois il avait failli hurler de douleur en se remémorant le leur. Dans le petit village breton et alentours, tout lui parlait de Mary : la minuscule église, le vieux prêtre, la falaise au menhir, l’hôtel du bord de mer… Être là sans elle lui arrachait le cœur et les tripes. Il mourait intérieurement mais pour ses amis, il avait tenu bon.

    À présent comme cette autre nuit et malgré le souvenir de cet autre mariage, la fête battait son plein. Il avait fait son devoir. Il n'en pouvait plus. Revenu en force, le chagrin l'étouffait. Il s'esquiva discrètement prenant le sentier qui menait à la crique qui avait abrité leur amour. Il s'étendit sur le sable, face aux flots murmurant. Là il laissa les souvenirs le submerger : les mains de Mary sur sa peau brûlante, sur sa chair érigée…les baisers, les caresses partagées… La douceur incomparable de son corps de femme sous ses lèvres et sous ses doigts impatients…Tout lui revenait, le torturant jusqu'à l'insoutenable.

    Il se releva enfin et frappa les rochers de ses poings comme il aurait voulu frapper les murs qui emprisonnaient Mary. Il hurlait sa rage, sa colère, sa frustration et son chagrin mais elle ne l'entendait pas. Elle ne l'entendrait plus jamais. Et lui non plus ne l'entendrait plus jamais ! Son espoir était vain. Le sang s'écoulait de ses jointures écorchées. Il ne sentait rien.

    Il pensa que désormais il ne serait plus capable de sentir autre chose que le vide affreux de l'absence de sa bien-aimée. Alors, à pas pesants et désespérés, il se dirigea vers l'océan qui seul pouvait le délivrer du poids de sa peine. Ce furent Fleur et Félie qui le retinrent de mettre fin à ses jours. Enlacé par les deux femmes, il laissa enfin libre cours à sa douleur immense trop longtemps refoulée.

    - C'est ça, pleure mon frère ! Lui dit Fleur en le berçant tendrement contre elle. Même un homme aussi fort que toi a le droit de pleurer.

    - Oui, laisse toi aller mon petit ! Ta sœur a raison, tu as bien le droit d'être malheureux, comme tout le monde ! Mais ne perds pas espoir ! Ça, tu n'en as pas le droit ! Moi, sa mère, je te l’interdis. Pleure mais ne meurs pas, la Roue a besoin de toi. J'ai besoin de toi

    Tous les trois, ils mêlèrent leurs larmes et leurs souvenirs. Cette nuit là, le Faucon renonça à mourir d'amour.

     


    3 commentaires
  • 28 octobre, parc des expositions de Munich

    La nuit était tombée. À la fin de ce dernier jour, la foule avait déserté les allées. Le silence avait fait place au brouhaha incessant et aux piétinements erratiques des visiteurs. Chacun se souviendrait de cette magnifique exposition et beaucoup déjà espéraient sa réédition dans les années futures.

    « Un monumental succès ! » Commentaient les médias sans se douter un seul instant du but véritable de cette « grandiose manifestation pluriculturelle ! »

    Tandis que de loyaux hommes de main démontaient les stands, sous la plus vastes des bulles et sous couvert d'agapes réunissant les exposants et les organisateurs, se déroulait en fait le dénouement du Troisième Rassemblement de la Roue

    Hawk et ses amis faisaient le point sur la multitude d'informations collectées pendant ces huit jours. Ils en extirpaient minutieusement tout ce qui concernait Mary. Car après un mois, on parlait encore d'elle. Les informateurs involontaires s'étonnaient qu'on ait déployé un tel luxe de précautions et de moyens pour mettre au secret une seule personne. Car en effet, puisque l'on ne parvenait plus à mettre la main sur le moindre mutant - depuis la mort d'un des leurs lors du procès, ces salauds ne se montraient plus - elle serait la seule de son espèce au fond de son QHI, totalement à part des autres prisonniers, bien gardée par des geôliers munis eux aussi d'implants de brouillage.

    Dans les sphères autorisées, nul n'ignorait que les espèces de cons qui se faisaient encore arrêter aujourd'hui, n'étaient que de fantoches sympathisants de la secte abhorrée qui avaient le culot - la stupidité surtout - de le clamer haut et fort. Le pire, c'est qu'il y en avait de plus en plus et que ces abrutis allaient finir par engorger les prisons ! Des abrutis qu’il fallait entretenir et nourrir ! Ça faisait un sacré gaspillage d’argent qui venait s’ajouter au reste. Les mesures de protections exceptionnelles des sites d'incarcération coûtaient déjà assez cher comme ça aux contribuables mondiaux et elles étaient bien inutiles puisque depuis la mémorable et cuisante évasion des lobos détenus dans le bush australien, il n'y avait plus qu'un seul de ces monstres qui soit incarcéré : la Conroy-Defrance.

    Lors de son procès, on avait bien essayé de s'en servir comme appât pour en capturer d'autres. Manque de pot, ça n'avait pas marché ! Un mutant isolé - pauvre débile - avait tenté de la libérer mais, face à l'échec de sa tentative, il avait préféré se suicider plutôt que d'être pris. Son amant, sûrement ! Les autres n'avaient pas levé le petit doigt. Elle ne devait pas être si importante que ça à leurs yeux. Ou alors ces salauds se doublaient de pétochards ! Peu importe ! Depuis, ils faisaient profil bas. On n'entendait plus guère parler d'eux et bientôt, on n'entendrait plus parler de leur complice. Elle pourrirait, oubliée de tous au fin fond de son trou perdu. Nul ne savait où.

    Ou ceux qui avaient décidé d'arrêter Mary-Anne Conroy-Defrance s'étaient trompés sur toute la ligne, ou elle était tenue en réserve pour d'autres plans. Plus tard. Qui le savait ? Et celui qui le savait se garderait bien de les dévoiler !

    La rumeur disait que le gourou de la secte courait toujours. Elle disait aussi que la prisonnière l'avait rencontré en personne mais que même sous la torture, elle ne l'avait pas trahi. Belle récompense pour sa loyauté ! Elle disait encore que si le but caché était de se servir de cette traîtresse pour l'attraper lui, alors pourquoi le lieu de son incarcération était-il tenu si secret ? On aurait dû au contraire laisser traîner de ci de là quelques pistes qu'il aurait pu suivre, quelques leurres où il se serait laissé prendre un jour ou l'autre. Si plan il y avait, il était issu d'un cerveau machiavélique car il n'y avait aucune trace de la femme et aucun bruit ne circulait sur le lieu où elle était retenue.

    Mais les mutants aussi étaient machiavéliques. À coup sûr ils connaissaient les emplacements des QHI et savaient depuis longtemps qu'aucun des leurs n'y était emprisonné à l'heure actuelle ! Dans ces conditions, pourquoi y aurait-on enfermé la femme ? Ça aurait été trop facile pour le gourou ! À moins que le tordu qui avait concocté tout cela adore jouer au chat et à la souris ? Conclusion, elle était ailleurs que dans l'un des cent QHI existant ! « On » voulait qu'elle crève lentement mais sûrement. « On » pensait que le gourou était un malin et qu'il préparait minutieusement son coup, quitte à risquer la vie de sa complice car les chances de survie en QHI d'une femme - lobo qui plus est-étaient minces.

    De toutes les façons, il finirait par se montrer et par commettre une erreur qui lui serait fatale, qu'il tente ou non de sauver la femme ! Le Gouvernement mondial ne préparait-il pas une opération de grande envergure contre les mutants et leurs adeptes ? Une opération qui forcerait ces rats à sortir de leurs égouts ! La prisonnière, qu’elle soit en QHI ou ailleurs, avait peu d'importance finalement !

    « On » avait décidé de les avoir et « On » les aurait, si nombreux et organisés soient-ils.

    Bien sûr, que les Sages voulaient leur peau ! Ce n’était ni une improbable rumeur, ni une nouvelle pour Hawk comme pour les siens qui le savaient depuis longtemps ! Mais ce « On » évoqué par les informateurs involontaires, à les en croire, le voulait lui, le gourou détesté, plus encore que tous les autres.

    Qui était-il ? Un Sage parmi les Sages plus acharné que ses collègues contre les mutants ? Pourquoi avait-il choisi Mary comme bouc émissaire ?

    À moins que ce ne soit comme otage pour l'avoir ? Pourquoi effectivement, si tel était son but, l'avoir mise si totalement au secret ?

    Oui, pourquoi, puisque semblait-il, les services de renseignement gouvernementaux ignoraient encore les liens réels qui existaient entre eux ?

    Pour le moment, elle n'était encore à leurs yeux habituellement si perspicaces, qu'une petite infirmière inconnue dont le seul crime avait été de « se faire avoir » par ces salauds de mutants. Des salauds qui, en dépit des pouvoirs extraordinaires qu'on leur prêtait, n'avaient pas été foutus de venir la délivrer !

    Hawk n'était pas loin de penser comme eux. Qui étaient-ils et à quoi leur servait leur magnifique Pouvoir puisqu'ils ne pouvaient - pour l'instant du moins- rien entreprendre pour sauver Mary ? Pourquoi lui-même, malgré toute la force de son amour, ne parvenait-il pas à la joindre ? De quoi sa douce et innocente épouse était-elle l'enjeu pour que le tout puissant Gouvernement mondial s'en soit pris aussi sévèrement à elle ?

    Aujourd'hui, il se battait contre une ombre indéfinie, malfaisante et contre la douleur de l'absence. Mary lui avait fermé la porte avant d'être mutilée et à présent, la lobotomie la privait plus encore de tout moyen de communication, de toute faculté parapsychologique. Elle était doublement prisonnière puisque son esprit amputé ne lui laissait même plus la possibilité que possède tout être humain emprisonné de s'évader par la pensée. Combien de temps son corps amaigri tiendrait-il ? Combien d'années allait-elle passer à tourner en rond dans sa cage comme un fauve ?

    Et lui, combien de mois encore, combien d'années lui faudrait-il pour admettre qu'elle n'était plus là, que leur histoire d'amour n'aurait été qu'un épisode très court dans sa vie et qu'il lui fallait aller de l'avant ainsi que le lui conseillait les Anciens, pour le bien de la Roue ? Ces mêmes Anciens qui, se prévalant de leur âge, l'enjoignaient de faire son deuil de sa femme, de l'oublier au plus vite et de se chercher dès à présent une nouvelle compagne parmi les siens.

    Une furieuse envie de leur casser la gueule l'avait saisi quand l'un d'eux, délégué par les autres, l'avait entrepris sur l’épineux sujet de sa descendance à assurer.

    - Tais-toi ! Avait-il lancé le ton rogue. Et ses yeux bleus fulminaient.

    - Je te comprends, c'est encore trop tôt mais il te faudra bien y penser un jour ou l'autre ! Avait insisté l'émissaire, un vieil ami de son père que ce regard incendiaire n'effrayait pas.

    La sagesse et la force d’âme qui étaient les siennes de par sa naissance l'auraient poussé à suivre leurs conseils s'il n'avait été aussi épris de Mary. Pour elle il les avait défiés. Pour elle il avait délaissé la jolie Mu qui lui était soi-disant destinée et qui, reprenant espoir, avait depuis quelques jours recommencé à lui faire les yeux doux. Elle ne manquait pas d'atouts ni de charme mais elle n'était pas Mary, sa sirène aux yeux d'émeraude, son étoile, son Élue, son seul amour !

    Depuis un mois, il n'était plus que l'ombre de lui-même, au grand désarroi de ses proches que son état dépressif inquiétait. Il tournait et retournait une seule idée dans sa tête : il aimait encore Mary. Jamais il ne pourrait cesser de la chérir mais elle, elle était devenue incapable d'aimer. Comme de toutes les autres facultés humaines, la lobotomie l'avait privée de celle-là. S'il ne la retrouvait pas à temps, plus jamais elle n'aimerait. Plus jamais elle ne l'aimerait lui. Alors deviendrait caduque la promesse qu'ils s'étaient faite le jour de leur mariage que, plus encore que l'intangible lien entre les membres de la Roue, le lien d'amour entre eux serait indissoluble.

    Ce qui le blessait plus que tout, c'était de n'avoir pu lui dire adieu. Elle ne l'avait pas voulu et ce refus, parce qu'il ne le comprenait pas, le détruisait à petit feu, affaiblissant aux yeux des Mutants son aura de leader. Déjà quelques uns parlaient de se choisir un nouveau Rassembleur qui ne soit pas lui, aveuglé par le chagrin au point de ne plus voir ce qui était important pour la Roue. S'ils ne l'avaient pas encore fait c'est que malgré tout, la majorité des membres de la Roue respectait le deuil du Faucon. Ils espéraient que, fidèle à sa Mission, il allait très bientôt réagir et retrouver en lui l'énergie et le courage nécessaires pour reprendre son envol afin que le sacrifice de l’Élue ne soit pas inutile.

    Pour eux en effet, il s'agissait bien d'un sacrifice, ils le comprenaient tous et l'admiration qu'ils en concevaient pour Mary, confinait à la dévotion. Hommes, femmes, jeunes et vieux, ils auraient volontiers risqué leur vie pour la sauver si cela avait été possible sans affaiblir la Roue, sans que la Mission ait à en pâtir. Car morts, comme ce fou d'Antonio, ils ne servaient à rien et ils savaient que jamais les chasseurs lancés à leurs trousses n'avait été aussi nombreux ni aussi déterminés.

    Ils étaient nés avec cette haute idée qu'une mission sacrée leur avait été confiée et que pour la bien remplir, ils devaient se rechercher les uns les autres, se rassembler de plus en plus nombreux afin de renforcer ce fabuleux pouvoir qu'ils détenaient sans savoir ni pourquoi ni comment ni d'où il leur venait.

    Ils savaient aussi que toutes les grandes causes de l'histoire ont leurs martyrs. La leur, sans nul doute à leurs yeux, était désormais Mary-Anne Bluestone, épouse du Rassembleur. S’il fallait qu'elle meure pour faire tourner la Roue plus loin…Toutefois, si l'opportunité se présentait de la sortir de sa prison, ils la saisiraient sans hésiter car grâce à son plaidoyer magnifique, bouleversant et tellement sincère, déjà les choses changeaient. Ainsi, la notion d'exemple se retournait contre ceux qui avaient voulu le donner. Ô oui elle était devenue un exemple pour beaucoup ! Un exemple de courage, de volonté, de probité, d'abnégation. Le symbole de la tolérance et de la liberté pour tous ceux qui vivaient dans l'ombre ou asservis malgré eux à des lois qu'ils trouvaient de plus en plus iniques et oppressives.

    Le fait que Mary ait profité de ses derniers instants de libre parole, non pour clamer son innocence en se jurant victime des Mutants mais pour lancer un véritable cri d'alarme contre l'intolérance, la leur rendait très chère.

    Elle avait déjà tant fait pour eux, avant même de devenir l'épouse de Blue Hawk. Sans les connaître et tout en avouant les haïr, elle avait néanmoins pris le risque incroyable de guérir Antonio. Grâce à son intervention, les lobos détenus en Australie avaient recouvré santé pour la plupart et liberté pour tous. Ceux qu'on n'avait pu totalement guérir étaient bien soignés et on ne désespérait pas de parvenir à leur rendre un jour toutes leurs facultés. Elle avait mis au monde le bébé de l'une d'entre eux. Elle avait fini, par amour pour Hawk bien sûr, par les choisir eux au détriment de sa sécurité et aujourd'hui, elle payait le prix fort pour ce choix contre-nature ! Déshumanisée, incarcérée à vie Dieu seul savait où ! Elle payait pour eux tous. Elle payait sciemment car savait avant que ces ordures ne la lobotomisent, le terrible coût de sa décision.

    Tous, ils savaient par cœur chaque mot de son plaidoyer. Des mots pesés, réfléchis, choisis dans un but précis : défendre ceux que leurs différences mettaient au ban de la société bien pensante souhaitée par le gouvernement des Sages. Ils l'entendaient encore et l'entendraient toujours proclamer fièrement :

    « ….Je ne me défendrai pas…Notre société ne demande plus à un noir de se défendre de n'être pas blanc… Être différent est-il condamnable ? Alors je suis coupable car je refuse de nier ma différence… Vous me croyez différente de vous mais ne l'êtes-vous pas autant de moi que moi de vous ? En quoi ma différence serait-elle plus condamnable que la vôtre ?… Quiconque diffère de la normalité décrétée par la Loi, se soumet à cette loi ou il meurt ! Est-ce juste ?… Combien parmi vous se sentent différents et en ont peur ? … Avant d'être un anormal selon la Loi, l'être humain qui n'entre pas dans le moule n'est-il pas en premier lieu un être humain ? … »

    Oui, chaque mot de ce plaidoyer sans haine était désormais gravé en eux en lettres d'or ! Ils n'étaient pas les seuls à en avoir été secoués. Les autorités qui avaient pourtant la main mise sur les médias, avaient laissé faire sans mesurer l'impact que pouvaient avoir ces mots prononcés dans l'urgence, croyaient-ils, par une femme qui, se sachant condamnée, avait choisi, pauvre folle, de se défendre seule.

    Or Mary avait eu tout le temps pour peaufiner son discours et tout ce qu'elle avait dit avait fait mouche, semant la graine de la rébellion dans plus d'un esprit déjà habité par le doute. Et là où il n'y avait pas doute justement, elle l'avait semé. Les graines avaient germé. Elles commençaient à porter leurs fruits. Le nombre de sympathisants et de ralliés à la Roue, augmentait sans cesse depuis le procès, multipliant les appuis des Mutants dans le monde des normaux et donnant au mouvement de Hawk et à sa mission, un coup de pouce inespéré.

    Voilà pourquoi les amis du Rassembleur pensaient que le Destin de Mary avait été scellé de toute éternité.

    N'avait-il pas lui-même dit, sur la falaise bretonne, lors du rite du savoir célébré pour elle, qu'elle était le ferment entre les deux mondes ? Cette espèce de prophétie semblait s'être réalisée. Hawk devait le comprendre, tout comme eux comprenaient sa douleur d'avoir perdu une si merveilleuse compagne. Ils ne renonçaient pas à la retrouver mais, ainsi qu'elle l'avait voulu, la Mission passait en premier. Aussi, en dépit de leurs craintes de perdre le chef qu'ils s'étaient choisis, étaient-ils tous venus, à sa demande expresse, à ce Troisième Rassemblement qui les voyait réunis plus nombreux que jamais.

    Bien qu'amoindri par le chagrin, Hawk les « entendait » plus qu'ils ne le croyaient et puisait en eux, en leur confiance, la force dont il avait besoin pour poursuivre la lourde tâche qu'ils lui avaient confiée.


    3 commentaires
  • Munich, 21 octobre 2058

    Le parc des expositions grouillait de monde. Anonymes au milieu de la foule des visiteurs ordinaires, circulaient des milliers de membres de la Roue venus du monde entier. Très proche du dernier, le Troisième Rassemblement avait été programmé plus tôt que prévu en raison de l’arrestation et de l’incarcération de Mary-Anne. Tous les participants se remémoraient le cœur lourd, le deuxième qui avait eu lieu dans la liesse générale lors du mariage de leur leader avec la jeune femme et tous ressentaient empathiquement le chagrin qui l’étouffait. L'absence de son épouse bien aimée le minait. Une absence qui ressemblait plutôt à une disparition définitive. N'aurait-il pas mieux valu qu'elle soit morte ?

    C'était la journée inaugurale de ce meeting pluriculturel organisé par les alliés de la Roue. Ce genre de manifestation donnant lieu à une énorme affluence, servait à merveille leurs desseins. Bien qu’elle soit placée sous haute surveillance en raison même de son importance, curieusement nul dans les sphères gouvernementales ne paraissait imaginer que les mutants puissent s’y aventurer juste après le retentissant procès de l’une des leurs. Ces pleutres qui n’avaient rien fait pour la secourir n’étaient décidément bons qu’à se terrer comme des rats !

    À moins que les responsables de la sécurité internationale ne s’avisent qu’il n’était décemment pas possible d’arrêter tous les individus de grande taille qui se baladeraient forcément dans l’immense parc le temps de la manifestation.

    Il faut dire qu’après le fiasco de l’unique intervention d’un de ces dégénérés dans la salle d’audience, la peur suscitée par les monstres de la secte maudite avait baissé de plusieurs crans. Dès lors, perdus dans la cohue, les Mutants, les Élus et tous les alliés du mouvement passaient inaperçus. Nul ne pouvait entendre leurs télépathiques conversations tandis qu'ils circulaient, badauds parmi les badauds, devant les nombreux stands en faisant mine, ainsi que le faisaient les autres visiteurs, de s'intéresser aux multiples animations proposées à la curiosité des chalands. Et Dieu sait qu'il ne manquait pas de centres d'intérêt pour les milliers de gens qui se pressaient dans les immenses bulles de verre climatisées abritant l'exposition !

    Toutes les formes d'arts y étaient représentées. Elles se côtoyaient harmonieusement mêlant judicieusement le summum de la modernité au charme désuet du passé: cinéma, théâtre, danse, musique, peinture, sculpture, littérature, gastronomie, architecture, décoration, artisanat…

    On pouvait assister à des spectacles de cirque ou de cabaret, à des mini concerts de musique allant du classique d’avant la Grande Crise aux rythmes « Néo-Tech » du moment. On découvrait les toutes dernières productions holographiques mais il était également possible pour ne pas dire tendance de revoir - pièces rarissimes pour collectionneurs passionnés - de vieux films sur bandes, ceux en noir et blanc oubliés par la re colorisation étant les plus recherchés. Çà et là on pouvait s’extasier comme des gosses devant un cracheur de feu, une troupe d’acrobates virtuoses, un duo de clowns hilarant ou un magicien particulièrement habile.

    L’un d’eux, prestidigitateur hors pair qui captivait son public par ses tours de passe-passe, n’était autre qu’un Mu. Qui aurait pu deviner que sa prestation était vraiment magique ?

    Fins gourmets et gourmands se bousculaient devant le stand intitulé : « Alimentation et gastronomie à travers les pays et les siècles. » qui proposait à la dégustation les mets les plus variés dont certains, peu ragoûtants, prétendaient s'inspirer de la préhistoire et provoquaient chez les plus audacieux dégustateurs d'intempestifs et très désagréables problèmes digestifs qu'ils allaient évacuer en courant dans les multiples sanisettes disséminées dans chaque bulle.

    Ce premier jour fut celui des officiels, parmi lesquels deux ou trois figures emblématiques de Sages de la Maison Blanche qui se pointèrent, entourés d'une véritable armada de gardes du corps et ne restèrent que le temps de se montrer un peu et de serrer quelques mains sous l'œil des caméras avant de s'éclipser. Seuls restèrent ceux pour lesquels ces énormes manifestations publiques étaient une aubaine médiatique sans pareil et ne représentaient aucun danger potentiel. Au contraire des Sages qui n'avaient accordé aucune interview, ceux-là, sourire de commande aux lèvres et le verbe haut, venaient chacun à leur tour parader devant les stands.

    Dès qu'ils apparaissaient, ils se retrouvaient cernés par des dizaines de micros et de caméras devant lesquels ils rivalisaient de grandes déclarations pour attirer sur eux l'attention générale, ignorant totalement que d'autres « capteurs », bien plus indiscrets que les micros de la presse audio visuelle, étaient branchés sur leurs esprits, véritables mines de renseignements pour les Mus qui se partageaient le soir venu les informations ainsi glanées. Hélas, rien ne filtra sur le lieu d'incarcération de Mary ni ce jour-là ni les suivants.

    Sur ce sujet, la seule chose qui leur fut confirmée, c'est que la « monstrueuse créature » avait été lobotomisée dès le lendemain de son procès et conduite tout de suite après, sous bonne garde, dans un pénitencier d’État. Le lieu de son incarcération était tenu si secret que seules quelques rares personnes en avaient connaissance et que ces personnes étaient toutes munies de brouilleurs mentaux. À leur retour, les gardes convoyeurs, bien que toujours sous contrôle de leur implant, avaient subi un lavage de cerveau en règle.

    On savait que la femme pervertie par les mutants, purgeait sa perpète dans un pénitencier lui-même hyper protégé par des murailles élevées hérissés d'antennes de brouillage-psy. Mais lequel ? Les services de renseignement de la Roue en avait répertorié une centaine dans le Monde, tous aussi bien protégés les un que les autres depuis l'évasion spectaculaire des lobos du camp australien. Par mesure d’extrême sécurité, on était même allé jusqu’à implanter des brouilleurs psys dans le cervelet de toutes les catégories de personnel pénitentiaire, des directeurs aux simples cuisiniers ! Mais Mary n'était pas dans un camp de travail. Or l’expérience avait prouvé que nul ne s'évadait des forteresses d'État qui n'avaient rien à voir avec les camps justement. Pas de plein air pour les prisonniers de ces lieux totalement clos. Juste une sortie dans une courette entourée de hauts murs, journalière pour les moins sévères, hebdomadaire pour les plus durs.


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique