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Chapitre 12
Carnac, 5 kilomètres
La route défilait sous ses roues. Elle en avait oublié de manger, de se reposer. Ses bras ankylosés pesaient des tonnes sur le volant. « Eux » n’avaient manifestement aucun besoin particulier. Ils n’avaient rien demandé en tous cas et l’avaient laissée conduire en paix après son dernier coup de colère. Aucun n’avait proposé de la relayer bien qu’elle soit recrue de fatigue, comme s’ils avaient compris que tenir le volant, se concentrer sur la route, constituait un exutoire à son trop plein de pensées dérangeantes. Ces derniers kilomètres étaient les plus longs. Elle se sentait impatiente, résignée, affolée. Tout se bousculait. Elle mourait d’envie de les laisser là et de faire demi-tour. Elle pouvait encore fuir !
« Non Mary ! Tu ne peux plus, je t’attends ! »
Dieu, c’était « lui » ! C’était sa voix rauque et douce à la fois !
« Tu sais Mary ! Tu sais qui je suis ! »
Tout en elle hurla « NON !!! »
Des silhouettes sombres se profilaient devant elle, menaçantes dans la pénombre grandissante. Elle coupa le moteur dans un état second, certaine sans qu’on le lui ait soufflé, qu’elle était arrivée là où elle devait aller. Lasse au-delà de tout, elle posa la tête sur le volant. Elle ne vit pas les autres descendre. Quand elle se redressa, seule Fleur était encore assise près d’elle et regardait dehors.
Les silhouettes n’étaient en fait que celles de menhirs et de dolmens qui n’avaient rien de menaçant. Elle reconnut presque soulagée, les célèbres alignements de Carnac interdits au public depuis bien longtemps. « Il » était là, au milieu des mégalithes érodés par les siècles et plus encore par des années de tourisme irresponsable. Il se tenait debout, les bras croisés sur d’impressionnants pectoraux, puissant et dominateur ainsi qu’il l’avait toujours été depuis qu’elle l’avait entrevu, même flou alors, la première fois dans son cauchemar. C’était bien lui, le compagnon que Fleur avait appelé au secours, son amant sans nul doute qu’elle était venue rejoindre, le fameux Blue Hawk ! En matière de fantaisie dans le choix de leurs prénoms, ces gens-là avaient apparemment tous piqué dans le folklore indien !
Qu’importe ses origines réelles ou supposées, le Faucon bleu était incontestablement l’inconnu de ses nuits infernales.
Ses amis, calmes et solennels, l’entouraient, le saluaient et il les serrait tour à tour entre ses bras. Ils n’avaient pas besoin de paroles pour communiquer et curieusement, leur joie évidente de se revoir la blessait. Incapable de se mouvoir, Fleur attendait que Blue Hawk s’approche enfin d'elle. Ce qu’il fit à pas souples et mesurés, comme pour faire durer le plaisir de l’attente.
Stupéfaite, Mary-Anne se figea. C’est de son côté qu’il venait ! Il ouvrit la portière et se pencha vers elle, la fixant comme pour l’hypnotiser. Un sourire à la fois tendre et triomphant étirait les lèvres sensuelles dont elle se souvenait à présent avec une diabolique précision. Il montait jusqu’à son regard si bleu. Car elle savait que ses yeux étaient bleus, bien que l’ombre de la nuit tombante s'étale de plus en plus dense. Sa pensée la pénétra :
« Je savais que tu viendrais. Je t’appelle depuis si longtemps Mary ! »
Puis il lui tendit la main, l’invitant à sortir de la voiture.
Ce premier contact l’électrisa si violemment qu’elle se recula vivement, manquant de tomber si bien qu’il dut la retenir. Durant une infime seconde, elle se retrouva à son corps défendant, blottie contre son torse presque nu. C’en était trop ! Sur le point de défaillir, elle s’arracha à son étreinte et s’enfuit en courant, poursuivie par son rire moqueur et victorieux. N’était-elle pas là comme il le désirait ?
Vexée, elle observait son manège de loin. Il était passé du côté de Fleur. Il n’eut pas besoin du fauteuil roulant. La faisant précautionneusement pivoter vers lui, il se contenta de lui sortir les jambes. Puis il s’agenouilla devant elle, posa une main sur chaque genou...Leurs fronts se touchaient. Que de tendresse dans ce simple geste ! Bizarrement, à les voir si proches, Mary-Anne sentit la jalousie lui griffer méchamment le cœur. Cela ressemblait bien à d’amoureuses retrouvailles ! Ils devaient se dire des tas de choses et naturellement, elle n’entendait rien !
Voilà qu’ils avaient placé leurs mains paumes contre paumes. Elle avait déjà vu ce geste quasi rituel ainsi que l’étrange halo bleuâtre qui les enveloppait maintenant l’excluant de leur monde secret. Alors, sans y croire en dépit des faits, elle assista à l’impensable prodige. Sans jamais rompre le contact de leurs paumes ni de leurs fronts, il se leva, attirant vers lui Fleur de Lune qui se dressa à son tour, sortit de la voiture et s’avança dehors. Elle marchait ! Seulement soutenue par le contact de leurs paumes et par la lumière bleue, elle marchait vers les autres… La lueur magique s’évanouit. Elle vit Hawk prendre sa compagne dans ses bras pour l’étreindre de toutes ses forces. Lèvres closes, Fleur le remercia. Cette fois Mary entendit parfaitement et le merci et la réponse tout aussi télépathique du jeune homme :
« C’est moi qui te remercie de me l’avoir amenée ! Cela n’a pas été facile, je le sais mais elle est là et c’est l’essentiel ! »
Ils parlaient d’elle, pourquoi ? Pourquoi affirmait-il l’avoir attendue elle, puisqu’il venait de retrouver celle que visiblement, il aimait par dessus tout. Ces démons étaient-ils donc polygames en plus de leur déjà évidente et condamnable anormalité ?
Quel rôle avait-elle à jouer dans leur histoire ?
Encore et toujours des questions !
Ils parlaient d’elle pourtant jamais elle ne s’était sentie aussi seule ni aussi désespérée…
7 août, la Villa bleue
Il était minuit passé. Plus épuisée encore qu’avant le début de ses vacances, Mary-Anne était de retour en Provence. Elle n’avait qu’une hâte, se coucher, dormir et ne pas se réveiller car le cauchemar qu’elle avait vécu en Bretagne avait été bien pis que l’autre. Félie, qu’elle avait prévenue en route de son retour tardif, l’attendait avec une impatience non déguisée.
- Il fallait te coucher maman, j’avais ma clé !
- Je voulais savoir si tout s’était bien passé.
- Mais oui ! Ta fleur a retrouvé son jardinier. Tout va bien pour elle et en plus, elle remarche, formidable non ! Pour ne pas dire miraculeux !
Le ton était acerbe mais elle n’y pouvait rien. Félie de toute façon n’avait pas l’air étonnée, juste contrariée. Mary aurait juré qu’elle connaissait déjà la nouvelle !
- Et toi ma chérie, qu’as-tu trouvé ?
Ça n’avait rien d’une question anodine, là encore elle l’aurait parié. Ce voyage avait eu un arrière goût de complot qu'elle n’appréciait pas du tout. Elle répondit néanmoins à sa mère mais ne lui confia rien de ce qu’elle avait découvert là-bas. Elle se sentait par trop trahie !
- Je n’avais rien à trouver maman. J’étais juste le chauffeur que je sache. Le trajet a été long et ennuyeux. Quant à la Bretagne, la presqu’île de Quiberon doit être belle mais je n’en ai pas vu grand-chose, à part qu’elle semble être devenue le fief d’une tribu d’indiens ! Vrai, il n’y manquait que les tipis ! Pardonne-moi, je suis vannée. Je vais dormir. Je rentre à Lille demain.
Félie eut l’air déçu.
«À quoi s’attendait-elle ?» Se dit Mary en étouffant un bâillement. Elle n’embrassa pas sa mère, pas plus qu’elle ne prononça l’habituel « Bonne nuit, fais de beaux rêves ! » qu’elles partageaient à l’heure du coucher. Sans un mot, avant de s’apitoyer sur le regard triste de Félie, avant d’avoir à subir d’autres questions de sa part surtout, elle referma sur elle la porte de la chambre que l’autre avait occupée. Sa chambre ! Maussade, la tête vrillée de douleur, elle n’avait plus qu’une envie : dormir, bien qu’elle sache que cela lui serait difficile. Et pour cause !
Elle revoyait Hawk solitaire et vaincu sur la falaise. Un faucon aux ailes brisées. Bien fait ! De repenser à tout ce qu’elle avait appris là-bas, la haine lui mangeait le cœur à petites bouchées cruelles. Plus encore que les autres c’est lui qu’elle haïssait. Elle le maudissait de l’avoir précipitée dans un abîme sans fond et sans lumière. À cause de lui, elle était comme morte à l’intérieur. Aussi disloquée que l’avait été le corps de sa maîtresse au fond de la ravine. L’une de ses nombreuses conquêtes et pas la dernière à en juger par les évènements de cette nuit fatale. Puissent-ils en crever tous les deux de lui avoir fait si mal !
« Tu m’entends salaud ! Je te hais!» Pensa-t-elle très fort avec une rage décuplée par le chagrin, sûre qu’il capterait le message. Elle savait maintenant qu’il pouvait effectivement l’entendre en dépit de la distance qui les séparait.
Dès qu’elle avait su, elle avait fui, rejetant les sentiments puissants qui avaient jailli entre eux sur la falaise bretonne. Comment avait-il osé lui faire subir cette ignominie qui faisait désormais d’elle une réprouvée ?
Cruelles, les images de ce qu’elle avait vécu là-bas, se ruaient à l’assaut de son esprit. Elle les revoyait, encore et encore, les remâchant jusqu’à l’indigestion :
Après avoir guéri Fleur de Lune, il était revenu auprès d’elle. En le sentant approcher, elle avait fermé les yeux comme dans son rêve. Ce rêve qu’elle avait rejoint et vers lequel elle se dirigeait sans le savoir, nuit après nuit, depuis le 1er juin. Elle sentait encore son souffle tiède contre ses mains pressées sur ses paupières. L’ordre résonnait à l’infini dans son crâne douloureux :
« Ouvre les yeux Mary ! Regarde-moi ! »
Elle avait résisté, gardant les yeux clos, comme le fait un enfant effrayé qui croit que le danger n’existe pas s’il ne le voit pas. Pour la rassurer, il avait repris à voix haute :
- Regarde-moi, ne crains rien, je ne suis pas un danger pour toi. Rappelle-toi ce que je t’ai déjà dit : je suis la réponse à toutes tes questions !
- Non, je vous en prie ! Laissez-moi repartir ! Je ne veux rien savoir de vous !
- Pas encore. Avant, que tu le veuilles ou non, je dois t’apprendre qui tu es et qui nous sommes. C’est pour cela entre autre que je t’ai … appelée !
De ses mains fermes et chaudes, il avait saisi les siennes, l’obligeant à les écarter de son visage puis il avait ordonné encore une fois :
- Ouvre les yeux ! Regarde-moi !
Elle n’avait pu résister plus longtemps à cette injonction. En levant enfin les yeux sur les siens si bleus, elle avait alors reçu un choc terrible.
Ce qu’elle y voyait était impossible, inconcevable ! Cela défiait toute logique et toute raison. Elle ne le connaissait pas, il ne la connaissait pas ! Comme il l’avait déjà fait tant de fois, il s’était adressé directement à son esprit :
« Je te connais Mary, tout comme tu me connais au fond de toi même si tu continues à nier l’évidence ! Ce que tu lis dans mon regard, c’est l’expression de ce dont mon cœur est empli. Et ce n’est ni du domaine de la logique ni de celui de la raison. Accepte mon amour ! Accepte la vérité ! »
« NON ! »
C’est psychiquement qu’elle avait d’instinct crié sa réponse. Le regard d’océan déchaîné de Blue Hawk toujours rivé au sien, l’avait pénétrée jusqu’aux tréfonds de l’âme, semant en elle la confusion la plus totale. Un trouble inconnu la faisait trembler. Le désir de cet homme, son amour - car c’était bien du désir et de l’amour fou qu’elle lisait dans ses yeux - effleuraient ses sens, la faisaient chavirer dans un maelström d’émotions contradictoires où elle se débattait, ballotée entre la haine et l’envie de se noyer dans ce regard où la passion faisait rage.
« Je suis patient mon amour, tu m’aimeras comme je t’aime ! C’est écrit ! »
De nouveau, elle avait fui échappant pour la deuxième fois à l’emprise démoniaque de ces prunelles magnétiques. Elle s’était réfugiée dans la voiture tandis que lui, Fleur et les quatre autres, unis par l’esprit, célébraient sans elle leurs retrouvailles. Elle n’était pas de leur monde et ne souhaitait pas en faire partie. Parmi eux, elle se sentait moins que la dernière roue du carrosse. Elle était loin de se douter alors, à quel point elle était à la fois proche et loin de la vérité. Elle s’était endormie, pelotonnée sur le siège du conducteur. Un sommeil sans rêve l’avait aussitôt saisie.
« Évidemment puisqu’il est là ! » Avait-t-elle pensé confusément juste avant de sombrer.
C’est une autre pensée fugace qui l’avait réveillée, écho de la précédente, née du trouble qui l'envahissait à l'idée que justement, il était tout près d'elle, magnifique de virilité. Dieu ! Cette proximité troublante la faisait brûler d'un traître désir qu'elle se devait d'arracher de son corps et de son cœur avant qu'il ne soit trop tard. C'est à cela qu'il répondait et elle ne voulait pas entendre sa réponse.
« Il est déjà trop tard Mary ! Viens ! »
- Viens ! Avait-t-il répété tout haut la main tendue.
- Ne me touchez pas ! Avait-t-elle hurlé, révulsée en jaillissant de son siège.
Il s’était éloigné en riant et sans plus s’occuper d’elle, il avait rejoint les cinq autres. Ulcérée, mais aussi bravache et emplie de jubilation d’être ainsi capable de lui tenir la dragée haute, elle avait mentalement lancé :
« Tu me trouves rétive n’est-ce pas Faucon ? Eh bien ce n’est que le début ! Je te jure que tu ne m’auras jamais ! Plutôt mourir ! »
Même si elle ne le voyait pas très bien dans le noir, elle avait perçu son demi-sourire ironique et tendre quand il s’était tourné légèrement vers elle pour l’inviter à le suivre. Elle l’avait fait, attirée plus que domptée par son formidable magnétisme.
« Serais-tu télépathe ma chérie ? » N’avait-il pu s’empêcher d’ironiser.
Ils étaient là tous les six, grands, impressionnants. Elle se sentait tellement étrangère au milieu d’eux ! Pourtant les autres lui avaient dit en la regardant arriver :
- Nous t’attendions !
Elle avait droit au « tu » à présent, qu’est ce que cela cachait ? Leader incontesté de ce petit groupe d’illuminés de par son incomparable charisme, Blue Hawk avait pris la parole. :
- Il est temps d’aller à la « Pierre levée » mes amis ! Êtes-vous prêts?
- Oui ! Avaient clamé cinq voix unanimes.
- Et toi ma douce ?
- Je ne suis pas votre douce ! Je ne vais nulle part avec vous et je ne suis pas à vos ordres, c’est clair ? J'ai rempli mon contrat, je m'en vais à présent !
- Impossible ! Tu viens avec nous ma rebelle !
- Pas question !
- Je t’y forcerai !
Cette joute oratoire semblait énormément amuser ses comparses dont les sourires de connivence lui tapaient sur les nerfs. Mais ils s’impatientaient aussi, comme si le temps leur avait été compté.
- Il faut y aller Hawk, bâillonne-la si nécessaire mais qu’elle vienne ! L’avait pressé Fleur de Lune.
- Vous espèce d’hypocrite, taisez- vous ! C’est une affaire entre lui et moi ! Avait-elle craché.
- Tu as raison mon cœur, viens ! Avait-il acquiescé en l’entraînant à l’écart afin qu’ils puissent régler leurs comptes plus discrètement.
Elle avait bien tenté de se défendre mais il était plus fort qu’elle. Elle n’avait que sa rage à lui opposer.
- C’est un enlèvement ma parole ! Vous vous croyez tout permis ? Qui êtes-vous à la fin ? Un chef terroriste ? Un gourou ? Vous savez que les sectes sont interdites. Vous ne regardez donc jamais les infos ? Vous n’avez pas vu les arrestations de vos congénères à la télé ?
Il se taisait, attendant que cesse le flot de ses questions.
- Vous savez que vous ressemblez à ces…à ces fous dangereux…
Elle n’avait pu continuer, ramenée en arrière par le souvenir de la peur qu'elle avait éprouvée en l'imaginant appréhendé avec les autres.
- C’est vrai mon amour, tu as eu peur pour moi ! Ce fut comme un baume sur une plaie à vif. Tu vois bien que tu m’aimes !
Cet homme était vraiment barjo ! Il lui parlait d’amour comme s’il la connaissait depuis des années alors qu’elle ne l’avait jamais vu en chair et en os avant ce jour funeste !
- Tu t’obstines ma douce ! Allez, viens maintenant ! Nous avons besoin de toi, tu es le septième élément de la Roue.
« Quelle roue ? C'est quoi ce charabia ? » S’était-elle dit, énervée.
« Tu es là pour que je te l'apprenne ! » Lui avait-il répondu télépathiquement.
C’était extrêmement agaçant ce don ignoble qu’avaient ces gens de lire aussi facilement dans votre pensée.
- Je refuse ! Avait-elle rétorqué âprement.
- Tu ne peux pas ! J’ai des moyens très persuasifs tu sais !
- Essayez donc !
- Ne me tente pas !
Sa poigne de fer s'était refermée autour de ses bras avant qu'elle n'ait eu le temps de s'enfuir une nouvelle fois en courant. Ses yeux, rivés aux siens luisaient de colère et de quelque chose de bien plus dangereux.
- Folle que tu es ! Crois-tu pouvoir me résister ?
- Oui ! Lui cracha-t-elle au visage.
Son étreinte se resserra. Il lui faisait mal. Quelle folle audace l’avait poussée à le défier ainsi ? Il était trop tard pour les regrets. Sans savoir comment, elle s’était retrouvée prisonnière de ses bras, pressée violemment contre le corps puissant. Terrifiée, comme vidée de ses forces, elle avait assisté impuissante et fascinée à la transformation qui s’opérait en lui. Il était tendu de rage, son regard acéré d’oiseau de proie lançait des éclairs. Penché sur elle, il était sauvage et menaçant.
Puis, contre le sien, elle avait soudain senti s'emballer le cœur du Faucon. Insensiblement, de cruelle, son étreinte s’était faite voluptueuse, caressante. Il ne cherchait plus à la soumettre, elle ne cherchait plus à s’échapper.
Elle fondait, se liquéfiait contre lui. D’eux-mêmes, ses bras se nouaient autour du cou de l’homme, se glissaient sous les cheveux, sur la nuque ployée vers elle…Un même gémissement montait à leurs lèvres et lui si grand, tremblait comme un enfant en lui murmurant des mots qu’il était incapable de réprimer :
- Amour…Amour…Je savais que ce serait ainsi entre nous mais à ce point…C’est fort, si fort… Tu me rends fou… Je t’aime… Je t’ai toujours aimée… Tu es ma destinée, l’autre moitié de mon cœur…Ma douce… Ma sirène… Tu es à moi… Je te désire…. Je te veux… Mary….
Elle se grisait de ces paroles, frémissait contre son corps brûlant…Elle avait tout oublié, le décor, les autres un peu plus loin… Il n’y avait plus qu’eux deux au milieu des pierres chargées d’histoire, plus que la flamme qui les consumait, plus que leurs corps soudés, sa bouche dans ses cheveux, ses propres lèvres caressant le cou où battait follement une veine…Elle aurait voulu qu’il l’embrasse… Elle voulait…
Elle n’avait pas eu le temps de mettre un verrou à ses pensées que déjà, il se penchait sur sa bouche en balbutiant :
- Moi aussi mon amour ! Moi aussi…
Et ses lèvres affamées avaient pris possession des siennes les entrouvrant pour mieux la goûter, pour mieux boire à son souffle. Elle répondait ardemment à la danse sensuelle de sa langue tout en se pressant encore plus étroitement contre lui, à la rencontre de son désir. Éperdus de volupté, leurs corps avaient commencé à se mouvoir sur le rythme éternel de l’amour tandis que leurs esprits entreprenaient un dialogue passionné.
« Hawk… Hawk… Hawk…» Ne cessait d’implorer Mary, sans savoir très bien ce qu’elle implorait. «Viens…Viens…Viens… » Lui répondait-il inlassablement.
Ce fut cet appel tant de fois entendu qui la fit brutalement retomber sur terre. Elle réalisa subitement ce qu’elle s’apprêtait à commettre.
Ce n’était pas possible ! Il l’avait ensorcelée ! Elle ne pouvait expliquer autrement la trahison de son corps qui se consumait encore d’un coupable désir ! Elle s’était laissé aller comme une catin, dans les bras d’un inconnu, à quelques mètres seulement de sa maîtresse et de ses amis qui n’avaient pas dû en perdre une miette et qui n’allaient probablement pas manquer de se gausser d’elle et de sa stupidité !
Pauvre petite oie blanche, naïve et romantique, tellement en mal d’amour qu’elle était prête à se donner au premier venu ! Comment avait-elle pu ? Comment pouvait-elle encore demeurer ainsi, alanguie, avide de ses baisers, de ses caresses, terriblement frustrée, incapable en dépit de sa colère et de sa honte, de se détacher de lui ?
« De nos baisers, de nos caresses Mary ! » Avait-il soufflé à son esprit empli de confusion puis tout près, trop près pour sa tranquillité, il avait chuchoté à son oreille :
- Je t’apprendrai ma douce, avant la fin de cette nuit, tu sauras ce que peut être l’amour entre nous, total, jusqu’à l’assouvissement. Et tu aimeras mon amour, tu aimeras !
Ces mots, son arrogante assurance et l’idée qu’ainsi enlacés ils formaient pour les autres un couple d’amoureux très crédible, la révolta soudain avec une violence inouïe.
- Non ! Jamais ! Hurla-t-elle en s’arrachant enfin à l’insidieuse tendresse des bras qui la tenaient toujours captive.
- Tu n’étais pas captive mon amour ! Cesse donc de te mentir ! Murmura-t-il encore très bas pour n’être entendu que d’elle.
Elle s’était déjà éloignée de lui d’au moins deux mètres pourtant elle l’entendit clairement et elle fut la seule à l’entendre. En deux enjambées, il la rejoignit.
- Jamais ! Répéta-t-elle, d’avantage pour elle-même que pour lui.
- Bientôt ! Répliqua-t-il. Allons-y maintenant, les autres nous attendent ! Nous devons former la Roue, le moment en est venu !
Elle ne comprenait toujours rien à ces propos fumeux. « Quelle roue bon sang? Quel moment ? » S’interrogea-t-elle.
Cette fois, il ne daigna pas répondre. Il se contenta de la prendre fermement par la main sans lui demander son avis et l’entraîna bon gré mal gré derrière lui rejoindre ses amis. Incroyablement épuisée par ce qu’elle venait de vivre, elle le suivit sans mot dire, victime résignée d’elle ne savait quel obscur sacrifice. Il ne la lâcha pas lorsqu’ils se rapprochèrent les uns des autres et se donnèrent la main. Elle se retrouva donc entre Hawk et Fleur de Lune. Sans comprendre comment elle y était arrivée, elle fut instantanément ailleurs. Ils étaient à présent sur une haute falaise déchiquetée, battue par le vent et surplombant les flots écumants. Les vagues grondaient en contrebas, s’acharnant sur les rochers. Baigné de lune sous le ciel bleu nuit, se dressait un gigantesque menhir, bien plus haut et large que ceux qu’elle avait vus à Carnac. C’était donc ça la fameuse « Pierre levée » qu’avait évoquée Hawk.
Sombre, inquiétant, le mégalithe dominait les arrivants et semblait diffuser une intense magie. On eût dit le gardien immuable de ce lieu hors du temps pourtant son intuition lui soufflait qu’il n’avait pas toujours été là.
« Tu as raison ! Il était enfoui sous des tonnes de sable, dans une crique en bas de la falaise. Nous l’avons remonté et planté à cet endroit qui est pour beaucoup d’entre nous, un lieu de ralliement »
Comment ils l’avaient remonté, ça, il ne le disait pas ! Ces gens là paraissaient capables de tout !
« Sais-tu à quel point ? »
« Non »
« Si, tu le sais Mary ! »
Les autres acquiescèrent en silence. C’était horripilant !
Le petit groupe se dirigea vers la pierre sacrée, emmené par Hawk qui ne l'avait toujours pas lâchée. Parvenus derrière le menhir, face à l’océan, il la libéra enfin et ils commencèrent le rite pour lequel eux, au contraire d’elle, étaient venus de leur plein gré. D’abord, ils formèrent ce qu’ils appelaient la « Roue » : un cercle humain parfait alternant hommes et femmes. Une espèce de ronde en fait, qui les réunissait, bras tendus et paumes accolées.
- Voici la Roue, cercle de la vie et du sang qui en est le rouge symbole ! Prononça solennellement le Faucon.
« Quel charabia grandiloquent ! » Se dit-elle.
Elle allait tourner les talons quand, à sa grande stupéfaction, autour de cette étrange ronde apparut un triangle d’or luminescent qui flottait à hauteur de leur taille, la base vers la mer, le sommet exactement où se trouvait Hawk, deux ou trois pas à l’aplomb de la « Pierre levée ». Il tourna la tête vers elle et l’emprisonna dans la lumière de son regard, l’empêchant de fuir.
- Viens mon aimée ! Ordonna-t-il. Sans toi la Roue est incomplète. Tu en es le centre, le moyeu sans lequel elle ne pourrait tourner. Tu es notre étoile d’émeraude, celle qui illuminera le cœur du symbole qui nous lie et que nous portons autour du cou ! Viens Mary-Anne Conroy-Defrance !
En dépit de sa farouche volonté de lui résister encore, elle n’avait pu qu’obéir à la voix rauque et grave, quasi hypnotique, qui l’invitait à les rejoindre, à entrer au centre du cercle magique, face à celui qui l’appelait depuis juin. Tremblante d’appréhension mais décidée à comprendre, elle franchit le triangle lumineux, étonnée de ne ressentir qu’un léger chatouillis. À peine avait-elle pris place dans le cercle qu’une douce aura bleutée, à présent irisée de vert, les enveloppa tous.
« C’est ta lumière Mary ! Celle qui brille dans tes yeux. Elle se mêle désormais à la nôtre ! » Lui expliqua Hawk
« Je suis dedans cette fois ! Je ne suis plus exclue ! » Pensa-t-elle, presque heureuse.
- Tu n’as jamais été exclue ma douce ! Maintenant, concentre-toi ! Ferme les yeux, ouvre ton cœur et ton esprit car il est temps pour toi d’apprendre la vérité !
Avait répondu Hawk à voix haute. Puis il avait ajouté avec une ombre de réticence ou de … culpabilité ?
- Surtout Mary et quoi qu’il arrive, souviens-toi d’une seule chose : je t’aime !
Alors, sans quitter la falaise bretonne, le cercle qui reconstituait grandeur nature le pendentif que lui avait offert Félie et qu’ils portaient tous autour du cou, s’était mis à tourner autour d’elle…
Et la Roue libéra le Pouvoir.
Et elle délivra le Savoir.
Tags : septième, rassemblement, Bretagne, rencontre, Hawk, rassemblement, roue, savoir
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Commentaires
Quelle emprise il a cet homme, il me fait peur.
Par contre, voir son visage, j'aurais bien aimé.
Bon dimanche.