• Chapitre 11

     

    5 août 2057

     

    À partir du moment où Mary-Anne avait découvert la paralysie de la mystérieuse et jeune amie de sa mère en même temps qu’elle reconnaissait en elle la femme du rêve précédant son arrivée à Pourrières, ses vacances avaient été riches en rebondissements. Le dernier en date avait été celui qui l’avait contrainte à vivre cette journée. Tandis qu’elle conduisait, muette et renfrognée, vers la destination que lui avait finalement indiquée sa passagère, elle se remémorait les évènements qui l’avaient amenée là.

    Fleur de Lune était paralysée des deux jambes. Un accident stupide avait expliqué Félie au début. Une mauvaise chute dans une ravine. La colonne vertébrale avait été touchée semblait-il. Pas plus de précisions, comme si un lourd secret la retenait d’en dire d’avantage.

    - Voyons maman ! À présent, ça se soigne vite et bien.

    - Je sais mais c’est impossible ! Avait rétorqué Félie

    Sidérée par cette réponse totalement dénuée de sens, pour ne pas dire illogique, elle s’était adressée directement à l’intéressée dont elle n’avait pas encore entendu la voix.

    - Je vous conduirai avec ma voiture si vous voulez. L’hôpital d’Aix est aussi bon que …

    - NON ! Avait hurlé Fleur.

    Puis elle était aussitôt retombée dans son silence buté.

    Félie l’avait regardée suppliante, sans obtenir d’elle ce que ce regard demandait. Alors elle s’était tournée vers sa fille, prête à lui expliquer mais l’autre avait instantanément deviné ses intentions.

    - Non Félie, je ne veux pas !

    Puis elle avait murmuré machinalement, comme pour elle-même sans avoir l’air de comprendre pourquoi elle disait cela :

    - Elle n’est pas prête… Elle n’a pas… Elle ne veut pas…

    - Comment ça ? N’importe quoi ! Je veux bien vous aider au contraire ! S'était insurgée Mary-Anne vexée. Je suis infirmière tout de même !

    - J’ai dit non !

    - Maman, ton amie est tombée sur la tête !

    Peinée et résignée, Félie avait délibérément changé de conversation.

    - Tu iras voir Florabelle et les jumeaux, ma puce, ils t’attendent avec impatience !

    - Maman…

    - Allez, ouste ! À table ! Tu dois avoir faim ! L’avait-elle interrompue avant de l’entraîner tambour battant vers la salle à manger. Là, elle l’avait assise de force devant un repas aussi copieux que savoureux dont elle lui avait enjoint d’avaler jusqu’à la dernière bouchée. Entre temps, Fleur s’était discrètement éclipsée sans même un au revoir.

    Décidément, l’étrangère n’était guère polie. Car elle était américaine comme sa mère à en juger par son accent et bien qu’elle parle un français des plus corrects. Faute d’avoir été bien éduquée, elle avait au moins bénéficié d’une solide instruction. Le pouvoir considérable de l’argent sans doute qui lui permettait en outre de passer ses vacances aussi loin de son pays natal ! Alors pourquoi refusait-elle de se faire soigner ? Pourquoi ?

     

    Et voila qu’à présent, l’étrange étrangère était assise près d’elle, sur le siège passager, son fauteuil roulant replié dans le coffre de la voiture…

    Par la suite, elle n’avait pas reparu à la Villa bleue. Mary-Anne ne l’avait croisée qu’à deux ou trois reprises en se rendant à Aix avec sa mère pour y faire des courses. Félie, qui espérait les voir sympathiser, en avait été pour ses frais. En fait, dès qu’elle l’avait vue, Mary avait éprouvé envers la belle jeune femme une jalousie féroce aussi subite qu’instinctive, mêlée à une irrépressible répulsion. Ces deux sentiments avaient atteint des sommets lorsqu’elle avait appris de sa mère que c’était l’américaine qui lui avait donné le pendentif qu’elle lui avait offert pour ses 30 ans. 

    « Cela fera un très original et très joli cadeau pour votre fille. Prenez-le, je vous en prie ! » Lui avait-elle dit. Elle détestait encore d’avantage le bijou maléfique depuis qu’elle avait remarqué le même autour du cou gracieux et fin de sa rivale.

    - Dis-moi ma chérie, pourquoi ne portes-tu pas le présent que je t’ai envoyé ? Lui avait demandé Félie.

    - Je…je l’ai oublié chez moi. Avait-elle invoqué piètrement.

    Elle ignorait si sa mère avait gobé l’excuse. Intuitive au moins autant qu’elle, celle-ci qui s’attristait de sa jalousie sans objet et de la féroce antipathie qui semblait opposer les deux jeunes femmes, se décida quelques jours plus tard à lui révéler les circonstances exactes de l’accident qui avait causé la paralysie de Fleur et provoqué son amnésie partielle.

    Au cours d’une promenade matinale, Félie avait entendu des gémissements. Elle s’était aussitôt dirigée vers eux et avait découvert Fleur gisant quelques mètres plus bas, au fond d’une ravine légèrement escarpée. Elle avait vraisemblablement glissé dans l’éboulis rocheux. Elle était rapidement descendue près de la blessée. Après avoir constaté la gravité de son état, elle l’avait recouverte du cardigan de laine qu’elle portait.

    Alors qu’elle entamait sa remontée dans le but d’aller chercher du secours, elle s’était arrêtée net, saisissant soudain le sens des paroles apparemment sans suite que marmonnait la gisante :

    - Pas de médecin… Pas l’hôpital… Pas l’hôpital…

    Cette prière lui avait alors semblé si pressante, chargée d’une telle importance qu’elle y avait obéi, faisant fi de ses craintes concernant l'état de la blessée. Aidée de ses amis du hameau, Florabelle et les jumeaux Gaétan et Gédéon, elle avait promptement organisé les secours. Avec mille précautions pour ne pas aggraver ses blessures, ils avaient hissé Fleur hors de la ravine au moyen d’une civière de fortune; puis ils l’avaient amenée à la Villa bleue et l’avaient installée dans la chambre de Mary, située au rez-de-chaussée.

    Pendant tout le temps où ils s’étaient occupés d’elle, soignant du mieux qu’ils pouvaient le plus gros de ses plaies visibles, la blessée n’avait cessé de balbutier la même litanie :

    - Pas de médecin… Pas l’hôpital…

    Durant une semaine entière, ils s’étaient relayés au chevet de cette parfaite inconnue qui n’avait sur elle quand ils l’avaient trouvée ni argent ni pièces magnétiques d’identité. Elle avait une forte fièvre, ne se réveillait pas et ses blessures refusaient de guérir, cependant, aussi incroyable que cela paraisse à Mary, aucun d’eux ne passa outre à la prière inlassablement répétée de la malade. Ils subodoraient qu’elle fuyait les autorités mais aucun d’eux ne l’aurait trahie sans connaître les raisons de sa cavale. Sans savoir pourquoi, la belle inconnue leur inspirait une inébranlable confiance. Ils la protégeaient. Sitôt que l’un ou l’autre, inquiet de son état, faisait mine de céder à cette légitime inquiétude et d’aller quérir un médecin, Dieu sait comment elle devinait et s’agitait sur sa couche, redisant encore et encore :

    - Non ! Pas de médecin… Pas de médecin…

    Et ils obéirent même quand ils eurent constaté que ses jambes étaient insensibles et incapables du plus petit mouvement.

    De temps à autre, elle appelait un certain Hawk, puis repartait dans cette espèce de semi-coma entrecoupé de phases de délire durant lesquelles revenaient sans cesse les mêmes mots : « Pas de médecin… »

    Sa chute avait eu lieu le matin du 1er juin, le jour même où, pure coïncidence probablement, commençaient les cauchemars de Mary. Le 8, elle se réveillait amnésique et paralysée des deux jambes. Hormis son prénom, elle ne se souvenait plus de rien. Pas même de ce Hawk qu’elle avait appelé au secours tant de fois. Elle ne put dire ni d’où elle venait, ni où elle allait quand Félie l’avait trouvée blessée et démunie, probablement délestée par un vagabond, de son argent comme de tout ce qui aurait pu servir à l’identifier. Pourtant, on ne lui avait pas volé son bijou maléfique et c'était cela le plus étrange aux yeux de Mary !

    Pour le reste, elle se remit étonnamment vite. Une semaine à peine. Dès qu’elle fut en état de se débrouiller seule, elle s’installa dans une maisonnette de plain-pied prêtée par des amis parisiens de Félie dont c’était la résidence secondaire.

    Gédéon, électronicien et bricoleur de génie lui avait fabriqué un fauteuil roulant perfectionné. On ne trouvait plus guère ce genre d’article dans le commerce, et pour cause ! Avec l’accord des propriétaires, il avait également aménagé la maison afin d’y faciliter les déplacements de leur protégée. Elle et Félie n’avaient eu aucun mal à sympathiser. Malgré leur différence d’âge, en quelques jours elles étaient devenues les meilleures amies du monde.

    Voilà ce qu’avait appris Mary avant de se consacrer pleinement à ses vacances méritées et d’oublier l’importune Fleur. Elle l’avait évitée soigneusement. L’autre lui avait facilité la tache en se tenant à l’écart de la maison.

    Partagée entre son amour maternel et son sens de l’amitié, Félie se rendait seule chez Fleur de Lune lorsque sa fille était sortie.

    La jeune citadine avait fait de jolies promenades et de superbes randonnées. Elle avait emmené sa mère au restaurant, l’avait volontiers accompagnée chez ses vieux copains… Elle s’était reposée, avait bronzé. Elle avait bien mangé, reprenant juste ce qu’il fallait de poids pour récupérer une taille mince et non plus maigre comme à son arrivée. Elle avait dormi tout son soûl d’un sommeil sans cauchemars ni apparitions d’aucune sorte.

    Tout était allé très bien jusqu’à ce maudit 4 août. La veille. L’autre avait reparu !

    Quittant sa réserve et sa retraite à l’autre bout du village, elle avait débarqué en fin d’après- midi. Un large sourire sur ses lèvres vermeilles découvrait des dents nacrées. Une lueur de triomphe faisait briller ses grands yeux d’azur ourlés de longs cils délicieusement recourbés C’est en tous cas ce que Mary avait cru voir. La jalousie l’égarait ! L’intruse riait en claironnant :

    - Félie ! J’ai retrouvé la mémoire ! Je me souviens de tout ! C’est fantastique !

    « Et vos jambes ? Vous les avez retrouvées ? Vous pourriez peut-être les prendre à votre cou et vous tirer d’ici non ? » Avait pensé Mary.

    Comme si elle avait eu le pouvoir de lire en elle, l’américaine lui avait jeté un regard indéfinissable avant de partir s’enfermer dans la bibliothèque avec Félie, la laissant seule, abandonnée, le cœur empli de rancune. Elle avait l’impression terrible d’être de trop, pire, d’être une étrangère dans la maison de sa mère. C’était elle l’intruse à présent !

    Quand elles étaient ressorties enfin, affichant des mines de conspiratrices, Mary-Anne boudait dans son coin, le visage fermé. Incertaine et gênée, Félie lui avait dit :

    - Fleur doit rejoindre Hawk…

    - Quel Hawk ?

    - Et bien tu sais… Celui qu’elle appelait pendant…

    - Et alors ? En quoi ça me regarde?

    - Tu pourrais la conduire…

    - Elle n’a qu’à demander à Gaétan ou à Gédéon, l’un d’eux se fera sûrement un plaisir de lui servir de chauffeur, pas vrai ?

    - Ils ne peuvent pas… Un voyage imprévu… Mary…

    - Non maman ! C’est impossible, je n’ai plus que deux jours à passer avec toi et il m’en faut deux autres pour rentrer, tu le sais bien !

    - Ma chérie…

    - Non, c’est non!

    Elle se savait vindicative et ce n’était pas son genre mais là, c’était vraiment trop lui demander. L’intéressée n’avait rien dit. Avait-elle deviné le verdict avant qu’il ne tombe ? Félie avait éclaté en sanglots. Inconsolable, elle ne reconnaissait plus sa fille.

    Incapable de résister à ses larmes, Mary l’avait prise dans ses bras puis elle s’était adressée à celle qui avait pris en si peu de temps, une telle importance dans le cœur de sa mère :

    - C’est loin?

    - Un peu plus de 1000 kilomètres. Vous n’êtes pas obligée…

    Elle avait vrillé son regard bleu éclatant et serein dans le sien qui crachait de vertes flammes de haine, attendant une réponse qu’elle connaissait déjà.

    - C’est d’accord ! On part quand ?

    - Demain très tôt, c’est possible ?

    - 4h, ça ira ?

    - Bien !

    Un bref et glacial échange qui traduisait on ne peut plus clairement l’animosité flagrante régnant entre les deux jeunes femmes.

    C’est ainsi qu’elle s’était retrouvée au volant de sa voiture, à 4h tapantes, après avoir abrégé avec hargne entre Félie et Fleur des adieux qui s’éternisaient par trop à son goût.

    Quant à elle, au terme de son périple, elle était censée rentrer à la Villa bleue pour y récupérer ses affaires. Belle fin de vacances, surtout avec les ennuis qui l'attendaient ! Mais qui s'en souciait ?

    Ça faisait maintenant deux heures qu’elles roulaient sans desserrer les dents ni l’une ni l’autre. Le front sur la vitre, Fleur paraissait dormir. À moins qu’elle ne fasse semblant, tout bonnement ! C’était insupportable mais Mary n’était pas prête à briser la glace. Ce fut finalement l’autre qui attaqua après trois heures de ce silence pesant. Presque agressive, sans la regarder, elle demanda :

    - Pourquoi ne portez-vous pas le pendentif de Félie ?

    - Le vôtre vous voulez dire ? Je ne l’aime pas !

    - Pourquoi ? C’est un cadeau de votre mère pourtant.

    - C’est vous qui le lui avez donné !

    - Vous ne m’aimez pas beaucoup !

    - C’est peu dire !

    - Pourquoi ?

    - Les sentiments, ça ne se commande pas !

    - Alors pourquoi m’aidez-vous ?

    - Ce n’est pas pour vous mais pour Félie !

    - Vous jubilez de m’éloigner d’elle, n’est-ce pas ?

    Seul un silence obstiné lui répondit.

    - Vous savez, elle n’ignorait pas que je devrais partir un jour ! Elle comprend plus de choses que vous n’imaginez !

    Même silence buté.

    - Me serais-je trompée à votre sujet ? J’en serais très déçue !

    - Je me moque que vous soyez déçue ! Vous ne me connaissez pas !

    La réponse outrée de Mary avait fusé malgré elle.

    - Si ! Plus que vous ne le croyez !

    Sur ces paroles énigmatiques, elle retourna à son mutisme. Au bout du compte, c’est Mary qui revint à la charge quelques minutes plus tard pour briser cette atmosphère tendue.

    - Qui est Hawk ?

    Il lui semblait confusément avoir la réponse à cette question tout au fond d’elle, mais elle ne l’aurait avoué pour rien au monde à sa déjà trop clairvoyante passagère.

    - Blue Hawk ! Vous le connaissez !

    - Certes pas !

    - Mary -Anne !

    Le ton était dubitatif et un peu moqueur.

    - Alors, qui est ce monsieur Faucon bleu, et qu’est-il pour vous ?

    - Pour vous plutôt ! Vous le saurez en temps voulu.

    - Ce n’est pas une réponse !

    - C’est la seule qui convienne pour l’heure ! Si nous nous arrêtions un peu ?

    Une fois de plus, l’américaine semblait avoir percé à jour l’esprit de Mary que cette conversation chargée de sous entendus avait énervée plus que de raison et qui pensait que décidément, 250 kilomètres avec cette insupportable pimbêche, c’était trop !

    - C’est long pour moi aussi !

    Incroyable ! Avait-elle pensé tout haut ?

    - Je crois qu’il y a une aire de repos un peu plus loin. On pourra se dégourdir les jambes…Euh… Excusez-moi !

    - Ce n’est pas grave ! J’en profiterai pour appeler Hawk.

    Il était vraiment temps qu’elle s’arrête ! Cette femme avait le don de l’agacer au plus haut point À ce rythme, elle ne tiendrait pas le coup et finirait par abandonner son indésirable passagère sur le bord de la route avec son fauteuil roulant pour tout moyen de locomotion !

    « Mais non ! Vous tiendrez, il le faut ! »

    - Arrêtez ! Je déteste ça !

    - Aurais-je encore fait quelque chose de mal ?

    - Vous le savez très bien ! Ne jouez pas les innocentes et cessez de lire dans mes pensées et d’y répondre comme si c’était normal !

    - Je n’ai rien dit ! De toute façon, ce dont vous m’accusez est impossible, n’est-ce pas ? Vous avez dû…rêver. Voilà l’aire de repos, ouf !

    Mary avait la pénible sensation que Fleur se moquait d’elle.

    8h. Elles étaient en Lozère. Elle avait aidé Fleur à se réinstaller dans son fauteuil puis, à sa demande, l’avait laissée se débrouiller seule. Sans plus s’occuper de son indésirable passagère, elle s’était restaurée, avait bu sa part de café très fort préparé par Félie dans une thermos, après quoi elle s’était éloignée pour aller aux toilettes et profiter des sanitaires attenants afin de se rafraîchir un peu. En revenant, elle avait retrouvé Fleur à la même place, perdue dans ses pensées, immobile, aussi figée qu’une statue, le regard vague.

    Elle avait craint un moment que celle-ci ne soit retombée dans son amnésie. Elle lui avait touché l’épaule, la faisant sursauter.

    - Ça va ? Vous avez pu appeler votre… ami ?

    - Oui, nous pouvons repartir si vous voulez ?

    Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle se rappela un détail troublant. Il y avait bien une cabine visiophonique sur le parking mais un écriteau où était inscrit en grosses lettres rouges « En panne », était apposé bien en vue sur la porte. Quant à elle, comme tout un chacun, elle n’avait plus de visio portable dans la voiture. Pour des raisons de sécurité, cette pratique encore autorisée un an auparavant, avait été interdite par la CDC. Elle réitéra sa question:

    - Vous avez appelé Hawk ?

    - Oui ! Je vous l’ai déjà dit il me semble !

    Elle persistait dans son mensonge ! « Qu’à cela ne tienne c’est son droit le plus strict ! » Se dit Mary.

    - Je ne mens pas !

    - Ne me prenez pas pour une demeurée ! Vous ne pouviez pas…

    - Je l’ai appelé ! Vous refusez de comprendre, n’est-ce pas ?

    Apparemment déçue, elle se tut et se détourna d’elle, qui cependant l’entendait encore dans sa tête :

    « Vous savez la vérité ! Elle est en vous mais vous ne voulez pas la voir ! »

    C’était terrifiant, impossible ! Elle divaguait ! Elle éclata d’un rire nerveux et écrasa la pédale d’accélérateur. Tant pis pour la vitesse ! Elle n’en était d’ailleurs plus à une infraction près. À la fin de cet interminable et infernal voyage, n’aurait t’elle pas allègrement dépassé son kilométrage annuel autorisé ? Qui s’était préoccupé de cela avant de l’entraîner dans cette folle aventure ? Pas Félie ! Ni cette cinglée à côté d’elle ! Le compteur grimpa à cent…

    - Arrêtez ! Ne faites pas de bêtises !

    - Auriez-vous peur en fin de compte ?

    - Non mais ça n’en vaut pas la peine !

    - Qu’en savez- vous ?

    - Vous n’échapperez à rien de ce qui vous attend !

    Elle avait lâché cette affirmation sibylline presque trop bas pour que Mary puisse l’entendre.

    À midi, après une courte pause déjeuner, elles reprirent la route sans mot dire, comme au début de leur périple. Deux heures plus tard, à la demande de Fleur et à un endroit précis indiqué par elle, elles embarquèrent un nouveau passager. Mary le fit monter sans discuter. Elle était lasse de poser des questions auxquelles personne ne daignait jamais répondre clairement. Fleur l’appelait Loup. Elle paraissait le connaître parfaitement. Il lui ressemblait d’ailleurs comme un frère. Il prit place à l’arrière, la remercia en l’appelant par son prénom. Elle ne s’était pourtant pas présentée. Elle ne s’en étonna même pas.

    Avant de parvenir à destination, elle prit encore trois auto-stoppeurs du même acabit. Il y eut Vent d’été puis Jeronimo et enfin Déborah. Trois autres membres de la famille du fameux Loup sans doute ! À moins que ce ne soit de celle de Fleur. De toute façon, ils avaient tous l’air d’indiens métis, issus de la même tribu aux yeux bleus, celle à laquelle appartenaient de toute évidence les membres de la secte incriminée sur Canal 7 Infos.

    Bon sang, elle était dans de sales draps ! Voilà qu’elle transportait des criminels recherchés ! Mais en était-elle encore à ça près ?

    Chaque fois Fleur de Lune lui indiquait précisément où s’arrêter et chaque fois, le nouveau passager surgissait à la seconde et à l’endroit prévu comme s’il avait été prévenu de l’heure exacte de leur arrivée alors qu’elle savait pertinemment, elle, que c’était impossible. À aucun moment dont elle se souvienne, Fleur ne l’avait avertie de la chose. Elle n'avait passé aucun appel avant leur départ. Elle n’avait pu le faire en roulant pas plus qu’elle ne l’avait fait au cours de leurs brefs arrêts. Mary le savait et Fleur savait qu’elle savait.

    Cinq voix dans sa tête lui susurrèrent en chœur :

    « Tu sais Mary mais tu ne veux pas savoir ! »

    - Cessez de me prendre pour Jeanne d’Arc !

    « Pas d’ironie, amie ! »

    - Je ne suis pas votre amie !

    Miséricorde ! Voilà qu’elle discutait avec des télépathes, autant dire les pires des anormaux ! Cette idée s’était imposée à elle, fulgurante et cette fois, Fleur ne la démentit pas.

    En fin d’après-midi, ils arrivaient en Bretagne.

    La suite du voyage avait été de mal en pis. Un véritable enfer pour Mary-Anne ! Les autres à l’arrière et Fleur à ses côtés, ne cessaient pas de se parler de cette étrange façon, totalement inaudible pour une oreille normale. Alors pourquoi les entendait-elle dans son crâne. C’était comme un incessant bourdonnement qui lui mettait les nerfs à vif.

    Ils la rendaient folle, à tel point qu’elle avait fini par exploser :

    - Taisez-vous ! Vous avez compris ? Taisez-vous ou je vous débarque illico ! Si vous continuez vous finirez à pieds, vous entendez !

    Le silence dans sa tête, s’était fait si brutalement que pendant une seconde, elle s’était crue enfin seule.

    - Excusez-nous Mary-Anne ! Nous sommes tellement heureux de nous revoir que nous avons oublié que vous pouviez nous entendre. Nous pardonnez-vous? C’est Fleur qui avait articulé ces mots à haute et intelligible voix comme le font tous les gens normaux pour être entendus de leurs semblables.

    - Non ! Je ne pardonne rien dut tout ! Et d’ailleurs, je n’entends rien n’est-ce pas ? Avait-elle éclaté, blême de rage. Je suis seulement très fatiguée, alors je deviens dingo mais ça vous est bien égal hein ! Vous vous êtes imposée à moi, vous m’avez imposé vos amis. Je vous hais tous autant que vous êtes bande de tarés !

    C’est vrai, elle les haïssait soudain avec une violence insoupçonnée, eux et celui qui les attendait au bout de la route.

    - Mary-Anne…

    « Laisse Fleur, n’insiste pas ! Tu vois bien qu’elle n’est pas encore prête. Elle ne peut comprendre ! »

    Et hop ! Encore un petit coup de télépathie ! Et à quatre en même temps s’il vous plaît !

    Le plus étrange, c’était qu’elle les « entendait » de mieux en mieux, même si elle s’évertuait de toutes ses forces à le nier. Elle n’était pas anormale, elle ! Mais le pire à présent c’est qu’elle parvenait elle aussi à discerner leurs pensées, y compris celles qui ne lui étaient pas destinées ! C’est exactement ce qui s’était produit durant cette bizarre joute verbale entre elle et Fleur où s’étaient mêlés répliques à voix haute et échanges télépathiques entre ladite fleur et les autres zigotos anormaux.

    « Vous voyez, elle est plus que réceptive ! Je le savais ! Il avait raison ! »! Avait jubilé Fleur

    «  Qui ça il ? » S’était-elle demandé. Elle pressentait que la réponse était proche.

    « C’est vrai Mary ! » Lui avaient répondu simultanément les cinq voix.

    Eh oui ! Elle les entendait mais eux aussi l’entendaient et c’était bien là le hic. Comment parvenir à leur cacher ses pensées ? Pouvait-elle construire dans son esprit, un mur si haut qu’ils ne pourraient le franchir, tout comme elle l’avait fait sous hypnose chez Jézabel ?

    - Vous ne résistez pas à l’hypnose Mary-Anne ! Pas encore !

    - Qu’en savez-vous ? Et pourquoi pas encore ?

    - Nous savons tout de vous et bientôt, vous aussi vous saurez tout !

    - Je sais qui je suis !

    - Pas vraiment!

    - Vos énigmes m’agacent !

    Et voilà, ça recommençait ! Elle parlait avec… Avec qui au juste ? Avec les cinq ? Avec un seul d’entre eux ? Lequel ? Était-ce par télépathie ou normalement ? Elle était persuadée de les avoir entendus tous en même temps… Elle ne savait plus ! C’était terrifiant ! Elle ne s’habituait décidément pas ! Elle avait même cru les entendre rire d’elle.

    - Je vous en prie ! Laissez-moi tranquille ! Je vous conduis à votre rendez-vous et vous m’oubliez, d’accord ?

    « Impossible ! »

    Cette fois, elle en était sûre, le cri unanime avait émané des cinq. Un cri du cœur et en écho de ce cri, elle avait entendu des milliers d’autres voix qui scandaient :

    « Impossible… Impossible… Impossible ! »

    - Pourquoi ? Dites le moi !

    Les milliers de voix lui avaient répondu :

    « Tu sais pourquoi ! »

    Alors avait ressurgi en elle l’appel presque oublié :

    « Viens… Viens… Viens ! »

    C’était tout près maintenant. « Il » l’appelait. C’était l’homme de son rêve. Elle seule semblait l’avoir entendu. Les autres dans la voiture demeurèrent impassibles.

     

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  • Commentaires

    2
    Samedi 8 Octobre 2022 à 16:02

    Si tu as une smart télé et que tu as un abonnement à Prime vidéo, compris dans Amazon Prime, regarde la série Continuum, et là, tu verras pas mal de similitudes avec ton texte. 

    Bon week-end.

    1
    Vendredi 7 Octobre 2022 à 19:54

    Pauvre Mary-Anne tout de même avec cette histoire.... belle soirée, JB

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