-
Chapitre 21
Février 2058
Hubert l’appelait régulièrement. Il était toujours aussi amoureux et se languissait de la revoir. Elle avait de plus en plus de mal à supporter qu’il lui répète sans cesse son amour ou qu’il la presse de réfléchir à la date de leur mariage. Elle était trop préoccupée pour le faire sereinement. Antonio n’avait plus donné signe de vie depuis sa guérison. Peut-être avait-il été reprogrammé avant son départ de Marne- la- Vallée.
Pas cela mon Dieu ! C’eût été atroce et injuste ! L’inquiétude pour le sort de son « protégé » la rongeait mais elle n’osait faire appel à celui qui pouvait la renseigner. Il savait lui, elle en était sûre mais il tenait sa promesse de ne plus interférer dans sa vie tant qu’elle ne l’appellerait pas. Il devait en outre la haïr pour ce qu’elle avait fait. N’était-elle pas fiancée à un autre ?
Le journal étatique d’Info7 ne parlait plus qu’épisodiquement de la secte des mutants. Si on mentionnait encore parfois des arrestations isolées de ces « dangereux terroristes », pour le reste il semblait qu’un voile pudique ait été jeté sur les évènements. Par ailleurs, aucun des autres médias autorisés par le Gouvernement des Sages, n’évoquait ces prisonniers particuliers ni le triste sort qui leur était réservé dans le fameux camp australien qu’avait mentionné Antonio. Camp dont au demeurant, la majorité des gens ignorait l’existence.
Ils devaient penser que les mutants, malgré la gravité de leurs exactions, étaient traités comme les autres criminels. Et bien sûr, nul d’entre ces braves gens ne savait quoi que ce soit des exécutions sommaires dont ils avaient été les victimes. S’en seraient-ils offusqués s’ils avaient su ? Mary en doutait.
Désormais, le pendentif de la Roue ne la quittait plus. Le Pouvoir se développait trop en elle pour qu’elle prenne le risque de l’enlever. Il lui arrivait bien trop fréquemment de se livrer à des actes impulsifs que ces dons qu’elle avait encore beaucoup de difficultés à contrôler, suscitaient à son corps défendant.
En fin de compte, elle avait hâte de revoir Hubert. Elle se persuadait que sa présence solide et rassurante, constituerait à elle seule le meilleur des dérivatifs à ses angoisses au sujet d’Antonio et le plus sûr des remparts, tout en comblant le vide infini de sa vie. Un vide qu’il lui arrivait de meubler avec l’image d’un homme qu’elle s’efforçait encore de maudire.
Elle restait en éveil, vivait le plus normalement possible afin de ne pas ranimer la maladive curiosité de Surprise à qui aucune de ses sautes d’humeur, aucune de ses mines soucieuses, aucun de ses airs absents n’échappaient. Quand elle gaffait malgré elle, elle guettait sur les visages des personnes qu’elle côtoyait, la moindre expression de soupçon. Une tête qui se tournait vers elle un peu trop ostensiblement et elle se disait qu’elle avait encore fait une bêtise sans même s’en rendre compte. Bien trop souvent hélas, le pendentif soudain chaud sur sa poitrine, lui donnait raison ! Une seconde d’inattention, un instant même très bref de relâchement et l’un ou l’autre de ces pouvoirs fâcheux se manifestait. Une réponse instinctive à une question pas encore posée, un objet qui apparaissait dans sa main à peine évoqué et elle avait l’impression que tous les regards se braquaient sur elle, qu’on allait la montrer du doigt. Elle se contraignait à ne pas s’enfuir en courant car le plus souvent dans le feu de l'action, ce qu’elle faisait passait heureusement inaperçu.
Ce fut bien pire quand elle dut se séparer de son talisman protecteur !
Hortensia, qui revenait des sports d’hiver, ne l’avait pas encore vu. Dès qu’elle l’aperçut, la toujours aussi irascible surveillante le qualifia de « colifichet m’as-tu vu, inutile et insalubre » et décréta qu’il n’avait pas sa place dans « son » service. Il était même totalement contraire aux règles les plus élémentaires d’hygiène et de tenue de l’établissement : pas de bijoux ostentatoires, pas de parfum entêtant ni de maquillage voyant, les cheveux courts ou attachés, cachés sous la coiffe blanche, un uniforme propre, désinfecté et impeccable en toutes circonstances. Dixit Hortensia !
Elle retira donc le « colifichet » incriminé. Pendant une semaine, elle obéit à l’intraitable Vésuve. Résultat prévisible, elle enchaîna catastrophe sur catastrophe. Le simple fait de venir travailler la mettait en danger. Elle décida alors de porter le pendentif sans sa chaîne, bien caché, épinglé à son soutien-gorge Ce fut le regard inquiet et méfiant d’un hospitalisé au chevet duquel elle accourut avant même qu’il ne l’ait sonnée, le cachet qu’il n’avait pas encore réclamé à la main, qui la convainquit de contrevenir aux ordres d’Hortensia. Ce regard-là, un court instant, l’avait implicitement accusée d’être anormale !
Pire, elle avait encore failli se « couper » quand Surprise lui avait annoncé sa grossesse récente !
Elle savait déjà !
- Alors pas trop m… fatiguée ? S’était-elle reprise à temps, juste avant que la jeune femme ne lui avoue son doux secret. Moi, je suis crevée, le service est d’un lourd aujourd’hui. Vingt entrées en trois jours, tu te rends compte ? Avait-elle ajouté rapidement.
Mais le regard intrigué de son amie avait été une chaude alerte. À la suite de ces deux incidents significatifs, elle invoqua une grosse fatigue pour solliciter d’Alexeï en personne, huit jours de repos.
Il les lui accorda, lui trouvant en effet une « petite mine » qui lui faisait craindre pour son amie un triste retour à l’état dépressif qu’elle avait connu avant ses dernières vacances. État dont il avait su la cause par sa femme : un inguérissable chagrin d’amour que cette fois ils imputaient à une trop longue séparation d’avec un fiancé adoré.
Tags : septième, rassemblement, chapitre 21, attente, Antonio, silence, inquiétude, travail, pouvoir, danger
-
Commentaires
Je lis, je ne commente pas toujours, bises.