• Chapitre 24

    Mai 2058

     

    Frustré par l’indécision de sa fiancée de laquelle il n’avait pu obtenir une date précise pour leur mariage, Hubert qui sentait qu’elle lui échappait sans en connaître la raison, accepta un nouveau chantier en Allemagne. Elle lui avait juste dit qu’elle n’était pas prête et qu’il lui semblait que c’était encore trop tôt après seulement quatre mois de fiançailles, surtout qu’il n’était pas souvent là à cause de son travail. Elle comprenait bien, sûr mais…Elle avait même plaisanté en disant qu’elle voulait être aussi sûre de la solidité de leur union que lui l’était de celle de ses fondations.

    Il espérait qu’après ces trois nouveaux longs mois de séparation, elle serait autant en manque de lui qu’il l’était déjà d’elle à la simple idée de la quitter encore. Il partit donc. Remonta dans le train après un dernier et possessif baiser, priant pour que le temps joue en sa faveur.

    Ce dimanche 28 mai, c’était la fête des mères. Jolie coutume que ce siècle n’avait pas changée. Bien au contraire, les traditionnelles valeurs familiales s’étaient renforcées après la Grande Crise, comme pour mieux lutter contre le malheur et la mort qui avaient frappé tant de foyers. Pour y sacrifier, Mary appela Félie. Cette dernière semblait s’être résignée à accepter les fiançailles de sa fille avec l’architecte. À moins qu’elle n’ait deviné l’évolution à la baisse de leur relation devenue très épisodique, au grand dam de Surprise et d’Alex d’ailleurs !

    Leur mutuelle affection avait repris le dessus en dépit des non-dits toujours d’actualité. Pour sceller ce regain d’amour entre elles, Mary avait envoyé à sa mère, comme cadeau pour sa fête, une vieille photo agrandie et encadrée de ses parents au temps où ils l’attendaient. Félie y était ronde, radieuse contre Patrick, fier et protecteur un bras possessif autour des épaules de sa femme. Tous deux souriaient à l’objectif. Au visiophone, Félie pleurait en la remerciant.

    - Rien ne pouvait me faire plus plaisir ma puce ! As-tu des nouvelles….

    - Stop maman ! N’oublie pas que je sais désormais ce que tu penses, même à distance !

    - D’accord mon petit ! Excuse-moi ! Tu sais ce que tu fais après tout !

    Faux ! Elle ne savait plus très bien justement ! Elle se prenait à languir d’un autre qui se faisait volontairement silencieux et pour cause ! Elle ne se résolvait pas à l’appeler bien qu’elle en meure d’envie parfois, alors qu’Hubert lui, ne cessait de lui crier son amour par le moindre de ses regards et qu’il était toujours officiellement son fiancé. Mais toujours par sa faute, il était loin lui aussi ! Et s’il lui manquait, ce n’était hélas qu'en sa qualité d'ami.

    Cet après-midi-là, le couple Andrevski étant parti chez les Moret-Montarel pour la circonstance, elle se retrouvait seule et se sentait abandonnée après son coup de fil à sa mère. Il faisait beau. Le printemps était magnifique. Elle décida donc de sortir pour tromper son ennui autant que pour oublier ses soucis.

    Flâner sans but, humer l’air embaumé au milieu des autres promeneurs de ce dimanche, voilà qui lui ferait le plus grand bien. Elle marchait sans hâte, s’arrêtant devant les vitrines quand elle la vit ! Une toute jeune femme, enceinte jusqu’aux yeux, presque à son terme. Elle suait la peur. Faible mot pour décrire les bouffées de panique sauvages qui parvenaient à Mary, submergeant son esprit. Au creux de ses seins, le pendentif se mit à la brûler.

    Danger !

    Elle reconnut sans peine l’une des « leurs » bien qu’elle ait les cheveux coupés très courts. Grande, brune, ses yeux d’azur terrorisés lui mangeaient le visage. Elle était épuisée, aux abois, pourchassée. Sa grossesse avancée l’empêchait de courir mais aux regards qu'elle jetait fréquemment par-dessus son épaule, il était clair qu’elle fuyait un invisible ennemi. Haletante, elle arriva droit sur Mary. Leurs yeux se croisèrent, se reconnurent. Ceux de la fuyarde se firent suppliants, implorant muettement son aide. Son prénom s’imprima dans sa tête : Brise.

    « Au secours ! » Hurlait-elle en silence.

    Résolument, Mary s’avança vers elle les bras tendus. En même temps qu’elle lui transmettait télépathiquement : « Je vais vous aider », elle lui dit à voix haute, d’un ton joyeux :

    - Brise ! Mon Dieu, il y a si longtemps ! Quel bonheur de te revoir !

    - Ma chère Mary ! Si je m’attendais ! Je n’en crois pas mes yeux ! S’exclama ladite Brise en lui tombant littéralement dans les bras.

    « Merci ! » Lança-t-elle soulagée.

    « Mais de rien ! » Répondit-elle de la même façon.

    Comme il était facile de communiquer ainsi tout en montrant une toute autre façade aux piétons qui les croisaient sans se douter de quoi que ce soit ! Ils ne voyaient que deux vieilles amies qui se retrouvaient par hasard.

    Ce don-là, comme les autres, s’affinait de jour en jour. Elle n’était plus, comme aux premiers temps, totalement perméable aux pensées des autres. À présent, capable de filtrer ce qu’elle voulait « entendre », elle pouvait également sonder profondément les esprits à seule fin d’en apprendre plus sur ceux qui constituaient un risque pour elle.

    Pour l’heure, elle n’avait pas besoin de sonder Brise pour savoir qui elle était et ce qu’il lui arrivait. Elle apprenait d’elle tout ce dont elle avait besoin pour la secourir utilement. La « Mu » avait pris la fuite pour ne pas être arrêtée comme l’avait été son mari le matin- même, dénoncé par un voisin trop curieux.

    Nuage - c’était, son prénom - faisait partie de ces jeunes impétueux en rupture avec la Roue. Il n’avait pas voulu rentrer dans le rang et s’était installé à Lille avec sa jeune épouse enceinte. Sans la protection de son pendentif, il avait baissé sa garde, laissant entrevoir sa nature anormale à ce brave homme, pas méchant pour deux sous mais que la peur des sectes et du satanisme qu’on lui instillait chaque jour - comme à tout un chacun- rendait méfiant et soupçonneux plus que de raison.

    En revenant de sa quotidienne promenade matinale, Brise avait vu deux gops armés l’emmener, flasque et inconscient. Depuis, elle errait dans la ville sans oser demander l’aide de quiconque. Mary pensa qu’elle aussi s’était découverte devant Alexeï.

    « Il ne te trahira pas. » Lui transmit sa nouvelle protégée.

    « Que le ciel t’entende ! »

    Tout en devisant gaiement comme deux amies l’auraient fait, elles continuèrent à faire télépathiquement connaissance. Mary ne s’étonna pas que Brise sache déjà tout d’elle et des deux « sauvetages » qu’elle avait effectués au mépris de sa propre sécurité, suscitant chez les membres de la Roue - pour lesquels l’Élue de Hawk était vite devenue une célébrité - à la fois inquiétude et admiration. Pour une femme qui prétendait les haïr et abhorrer leur Pouvoir il y a peu de temps encore, elle agissait de façon bien contradictoire pour ne pas dire inconsidérée !

    Les deux jeunes femmes paraissaient marcher bras dessus-bras dessous alors qu’en réalité, prête à s’écrouler tant elle était lasse, Brise s’appuyait de tout son poids sur Mary. Son ventre lourd la tiraillait, son dos la faisait souffrir, elle marchait depuis si longtemps !

    Le bébé, un petit garçon, s’était retourné, prêt à venir au monde et pressé de le faire semblait-il.

    Dès qu’elles furent chez elle, Mary la fit coucher, la borda comme une enfant, l’embrassant sur le front pour la réconforter. La future maman s’endormit aussitôt, recrue de fatigue. À 23h, elle perdait les eaux. Après deux heures de travail, parfaitement secondée par Mary et par le Pouvoir qui les unissait, elle accouchait d’un merveilleux bébé de quatre kilos cinq. Ainsi que l’avait perçu Mary-Anne, c’était un beau petit garçon qu’en guise de remerciement Brise décida d'appeler Patrick.

    Décidément, rien ne leur échappait puisqu’elle n’eut pas le temps de poser la question qui la titillait que déjà la jeune accouchée lui répondait :

    - Oui, le Pouvoir est inné chez nos petits, tout comme il l’est pour les enfants des Élus ! Même s’ils doivent travailler d’avantage pour le développer. Toi, tu sembles être une exception car bien que tu l’aies découvert très tard et rejeté avec violence, tu l’as finalement maîtrisé très vite ! Ce doit être dû aux gènes de Patrick. Il était l’un des plus puissants d’entre nous.

    - Et aujourd’hui ?

    - Aujourd’hui, tu es enfin réellement des nôtres. Cela seul compte !

    Elle tenait son enfant entre ses bras, le regardant émerveillée.

    - Comment te remercier Mary ?

    Elle ne répondit pas. L’émotion la submergeait. C’était le premier enfant de la Roue qu’elle voyait et c’était elle qui l’avait mis au monde. Un jour, peut-être…

    - Lui aussi en rêve tu sais ! Pourquoi ne l’appelles-tu pas ?

    - Comment sais-tu …

    - Nuage a rompu avec la Roue, pas moi !

    - Je ne peux pas !

    - Dis plutôt que tu ne veux pas ! Vous êtes aussi fiers et obstinés l'un que l'autre.

    Elle n’eut pas à répondre à cette allégation. Épuisée par l’accouchement autant que par l’angoisse de cette longue journée, Brise s’était endormie d’un coup. Mary lui retira doucement le nouveau-né des bras, lui donna les soins qui s’imposaient et le déposa, propre, enveloppé d’une moelleuse serviette, dans le couffin douillet destiné à la petite fille de Surprise. Elle lui en achèterait un autre, voilà tout ! Puis elle recouvrit la jeune mère et s’installa confortablement dans un relax pour les veiller elle et le bébé.

    C’est seulement alors que toute la tension accumulée depuis le début de l’après- midi retomba, la laissant étourdie. Elle mesurait soudain les conséquences de ses actes. La présence chez elle de Brise, criminelle recherchée par les gops, la mettait en péril ! On l’avait peut-être vue entrer avec elle dans l’immeuble. Elle prit quelques minutes pour sonder ses voisins de palier puis elle fit mentalement et minutieusement le tour du bâtiment et de ses habitants…

    Rien ! Pas l’ombre d’une pensée soupçonneuse ! L’arrivée de l’inconnue au bras de la demoiselle du quatrième n’était néanmoins pas passée inaperçue. C’est là que résidait le danger. Elle ne pourrait garder bien longtemps ses deux invités sans attirer la curiosité des gens. Elle allait devoir accepter un secours qu’elle répugnait encore à demander.

    Le lendemain, elle répandit la nouvelle que l’une de ses cousines, perdue de vue depuis des années, était venue lui rendre une visite impromptue. Elle en avait effectivement une quelque part dans le monde, elle ne savait où et elle comprenait désormais pourquoi elle ne l'avait jamais rencontrée. En épousant Ophélia, Patrick avait vraiment totalement coupé les ponts avec le reste de sa famille.

    - Et son mari ? Fut la question que les curieux lui posèrent.

    - Il voyage beaucoup à cause de son métier mais il doit passer la chercher dans deux ou trois jours ! Répondit-elle.

    Trois jours maximum, c’est le temps qu’elle donnait à Brise pour se rétablir. Elle ne pouvait sans risque lui en accorder d’avantages. Elle comptait pour cela sur les extraordinaires facultés des Mus. Elle espérait que ces trois jours suffiraient pour organiser le départ de la jeune mère et de son bébé en toute sécurité. Elle servit le même mensonge à ses amis, sûre qu’ils comprendraient leur besoin à toutes deux de se retrouver en toute intimité et ne viendraient donc pas les déranger.

    Dans la journée elle sortit acheter des vêtements pour le nouveau-né. Le prétexte était tout trouvé, sa meilleure amie attendait un enfant. Elle fit également le plein de couches et de produits de toilette. Pour la nourriture, le lait de sa mère suffirait au nourrisson. Elle tira de sa garde-robe quelques vêtements pour Brise. Quoique un peu trop courts ils feraient l’affaire. Puis à contre cœur certes, elle se décida à appeler Hawk.

    « Tu as raison » Lui dit mentalement Brise qui se réveillait d’une courte sieste.

    Puis elle ajouta de vive voix :

    - Ne t’inquiète pas Mary-Anne, il sait !

    - je me doute bien qu’il sait mais il attend que je le lui demande clairement !

    - As-tu besoin de mon appui ?

    - Non, je dois le faire seule.

    - Tu l’aimes, n’est-ce pas ?

    - Trop pour ma tranquillité !

    Elle osait enfin se l'avouer clairement et devant témoin de surcroît.

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  • Commentaires

    2
    Samedi 22 Octobre 2022 à 11:32

    Un nouveau-né, quelle belle nouvelle et pour le mariage, là, j'ai des gros doutes. 

    Bon week-end.

    1
    Vendredi 21 Octobre 2022 à 20:11

    Bienvenue à cet enfant, dans ce roman... amitiés, jill

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