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Chapitre 27
Mi-février, un commando organisait un raid astral dans la grande salle de réception de la Maison Blanche qui seule pouvait contenir le mensuel Conseil des Sages en son entier. Obéissant aux conseils de ses amis, Hawk n’en fit pas partie. « Le temps n’est pas encore venu de te montrer à visage découvert » lui dirent-ils.
Cette opération-là, sans danger pour les Mus, fut également un succès. L’apparition instantanée de douze géants enveloppés d’une bulle bleue iridescente aux abords de la Maison Blanche puis à l’intérieur, fit d’abord lever un vent de panique chez tous ceux qui y assistèrent. Comment ne pas être terrifié par douze mutants encore plus grands que ce que les reportages sur leur arrestation avaient montré ? D’autant qu’ils flottaient à deux mètres du sol, impressionnants de force et de calme. Pour la plupart des témoins du prodige, c’était non seulement la première fois qu’ils voyaient ces démons d’aussi près, mais encore qu’ils étaient directement confrontés à leur diabolique pouvoir. Des démons qui les regardaient de haut - et pour cause- mais sans leur faire le moindre mal. Ils se contentaient de les fixer de leurs yeux si semblables et bleus. Ils les regardaient et leur parlaient sans remuer les lèvres. Paralysés par la peur, sans en comprendre vraiment le sens, ils écoutèrent les mots qui s’imprimaient directement dans leur cerveau et ils se sentirent aussitôt apaisés, comme guéris d’un terrible mal. D’aucuns s’avisèrent que les créatures ressemblaient plus à des dieux descendus tout droit de l’Olympe qu’à des ressortissants de l’Enfer et tous furent étrangement déçus de les voir se dissoudre sous leurs yeux comme par enchantement.
La terreur des Sages fut plus grande encore lorsqu’ils se matérialisèrent au dessus d’eux et la crainte indicible qui s’empara d’eux, les bloquant sur leur siège, ne fut pas apaisée d’un regard, au contraire. Les douze paires d’yeux les fixaient, menaçantes. Les mots qu’ils entendirent dans leur tête, les images qui s’y imprimèrent, semèrent en eux la plus totale confusion. Adam lui-même n’eut pas à feindre beaucoup pour paraître aussi effrayé que les autres. Jamais il n’avait assisté à une telle démonstration de force de la part de ses amis. En effet, comme s’ils en avaient honte ou qu’ils en souffraient, ils faisaient très peu étalage de leurs incroyables talents, ne les utilisant qu’en cas d’extrême nécessité.
Seul Solomon semblait de marbre, inaccessible à la peur. Goguenard, il regardait les autres en proie aux affres d’un tourment intérieur si violent, qu’ils en étaient devenus gris, les traits déformés de tics incoercibles. Certains pleuraient, d’autres se débattaient contre d’invisibles démons. Le Révérend regardait comme s’il savait ce qui leur arrivait et comme si lui-même n’était pas atteint. Ce qui était le cas. Les douze anges vengeurs avaient d’abord concentré leur pouvoir télépathique et hypnotique sur l’assemblée des Sages qui s’entre regardaient comme s’ils avaient appris d’épouvantables secrets les uns sur les autres. Là encore c’était vrai. Pendant quelques minutes, les Mus leur avaient donné la faculté de lire dans les esprits. En même temps qu’ils découvraient les plus noirs secrets de leurs congénères, ils pouvaient déchiffrer l’horreur que les autres ressentaient en découvrant les leurs : ambitions, corruptions, calculs sordides, vices inavouables, désirs terre à terre, jalousies, rancœurs, peurs cachées…
C’est ce flot d’informations visqueuses affluant en vrac dans leur esprit qui les abattit plus sûrement que ne l’aurait fait une décharge paralysante de neutro mais c’est cela aussi qui les fit réaliser que le seul dont on n’avait pas étalé les noires pensées était Solomon. Lequel se retrouva aussitôt épinglé par cent paires d’yeux soupçonneux, devenant vindicatifs à la vue de son sourire ironique. Sourire qui s’effaça bien vite face à la pression quasi insupportable qu’exerçaient sur son esprit tous ces regards mauvais focalisés sur lui. Il perdit en un instant toute sa superbe.
C’est ce moment précis alors qu’il était vulnérable, que choisirent les douze pour se rassembler au-dessus de lui et de lui seul, tout en maintenant leur emprise sur les autres. Il se leva tentant de fuir mais l’incroyable force mentale déployée par les Mutants et les regards accusateurs des Sages pesant sur lui, le maintinrent assis, cloué à son siège, comme enserré par de solides mais intangibles liens.
Ainsi aidés par le pouvoir des géants qui le désignaient de l’index, les Sages toujours télépathes purent sonder profondément le Révérend et extirper de son cerveau malade, toute la noirceur qu’il abritait. La vérité la plus crue se fit jour. Ils découvrirent les motivations réelles de Solomon Mitchell, sa soif de pouvoir absolu née d’une mégalomanie galopante, ses manigances pour les maintenir sous sa funeste emprise, ses plus noirs desseins et ses pires exactions qui allaient du simple chantage, au meurtre pour asseoir sa domination sur le Gouvernement Unique. Pire que cela, ils apprirent tout des travaux qu’il menait en secret pour former un gouvernement selon ses désirs et une armée à la mesure de sa mégalomanie. Ils surent que le but poursuivi par Mitchell était leur propre élimination progressive de l’assemblée des Sages.
Cet homme-là n’ambitionnait rien moins que de devenir le Maître du Monde !
Les douze enfoncèrent le clou en dévoilant aux femmes et aux hommes déjà terriblement choqués, ce que leur idole déchue pensait d’eux. Ils en furent si mortifiés qu’ils sortirent enfin de leur hébétude et s’avancèrent en bloc vers Solomon, lui montrant un poing vengeur.
Tout s’était passé dans le silence stupéfait qui avait suivi l’irruption magique des Mutants. Un silence lourd troublé par instant par les sanglots de ceux qui ne supportaient pas la vérité sur eux-mêmes dans le regard des autres. Mitchell savait ce qui s’était passé. Apparemment bien mieux renseigné que ses collègues, il savait presque tout des pouvoirs télépathiques et de suggestion de cette engeance du Diable. Il avait senti son cerveau trituré, malaxé, disséqué plus méthodiquement que ne le ferait jamais son analyseur de pensées et il n’avait pu s’en défendre. Il devinait ce que ces abrutis avaient découvert et qu’il devait démentir de toute urgence. Plus que jamais il haïssait ceux qui avaient permis cela Il se dressa de toute sa hauteur. Les Sages reculèrent d’un pas.
- Bande d’idiots ! Ce n’est pas moi que vous devez craindre mais eux ! Hurla-t-il en pointant l’index là où s’étaient tenus les mutants quelques secondes plus tôt.
Car ils n’étaient plus là. Ils avaient disparus aussi vite qu’ils étaient venus. À tel point que beaucoup pensèrent avoir été victime d’une hallucination collective. Mais alors… Tout ce qu’ils avaient entendu. Et vu ! Tout ce qu’ils savaient désormais les uns sur les autres, en particulier sur Solomon… Tout cela n’avait-il été que le fruit de leur imagination ?
- Vous avez été manipulés ! Ne croyez pas ce qu’ils vous ont soufflé ! Ils veulent nous déstabiliser ! Vous ne vous rendez donc pas compte qu’ils cherchent à foutre le Gouvernement en l’air ?
C’était peut-être vrai mais ce qu’ils avaient appris sur les autres, ce qui avait été dévoilé d’eux-mêmes était vrai aussi ! Jamais ils n’oseraient s’avouer les uns aux autres ce qu’ils avaient vécu.
La disparition soudaine des Mutants leur avait ôté tout pouvoir télépathique et ils avaient beau s’épier, ils ne « lisaient » plus rien dans les esprits de ceux qui les épiaient de même. Ce qu’ils voyaient, c’était les relents de peur qui ternissaient encore les regards.
- Ne vous laissez pas influencer par ces anormaux ! Ne les laissez pas détruire tout ce que nous avons eu tant de mal à construire ensemble ! Je vous en prie mes amis, ne me retirez pas votre confiance !
Ils retournèrent s’asseoir mais le cœur n’y était plus. S’ils avaient rêvé, c’était un affreux cauchemar qu’ils avaient fait ensemble. Un cauchemar qu’ils n’étaient pas prêts d’oublier et qui laissait sans réponse un tas questions: avaient-ils réellement vu les géants dans leur bulle bleue ? Où était la vérité ? Qui mentait ? Qui manipulait qui ?
Désormais, les graines du doute étaient semées.
Elles allaient germer, pousser, grandir et envahir leurs pensées en permanence comme les mauvaises herbes finissent par envahir même les jardins les mieux entretenus.
Le combat des chefs allait pouvoir commencer. Ils allaient d’abord s’épier et se dénoncer puis, avant d’être par trop affaiblis, ils allaient se liguer et comploter pour éliminer le plus dangereux d’entre tous : Solomon Mitchell ! Et même s’ils ne parvenaient pas à le détrôner, il y avait fort à parier que le Messie noir de la Maison Blanche, poussé dans ces derniers retranchements, allait commettre quelque irréparable erreur et se dévoiler. Le bel édifice gouvernemental unique qu’il avait patiemment construit en incontestable Maître de l’échiquier qu’il était, était à présent bel et bien fissuré. Il ne restait aux Mutants qu’à attendre qu’il s’écroule et qu’apparaisse enfin au grand jour l’imposture des Sages et de leur Maître.
Hélas, il y avait eu des conséquences tragiques à ce magistral coup de force de la Roue. Des conséquences qu’elle n’eut pas le temps d’empêcher.
Une centaine d’innocents qui étaient restés sur place, encore ébahis par l’apparition des Mutants dans leur bulle, se réunirent pour en parler jusqu’à plus soif, désireux de partager encore et encore cette magique expérience, oublieux de l’interdiction stricte de tout rassemblement, a fortiori devant le palais gouvernemental. Ils furent promptement arrêtés et emprisonnés sans autre forme de procès. Le lendemain, sur ordre de Solomon, ils furent extraits de leur prison et conduits par ses sbires dans des locaux secrets où ils furent interrogés sur ce qu’ils avaient vu. Le fait qu’ils aient osé encenser les mutants, qu’ils les aient considérés comme des héros, les rendaient suspects, voire complices de ces anormaux notoires. Ils furent torturés durant une semaine. Fous de douleur, ils finirent par avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis, dont celui grave entre tous de connivence avec l’ennemi. Ils allèrent jusqu’à dénoncer d’autres innocents.
Solomon et les neuropsys à sa solde, essayèrent même sur quelques uns d’entre eux qui avaient le malheur de ressembler aux mutants, leur prototype d’analyseur psy, causant à leur cerveau d’irréparables et mortels dommages. Quand on eut soutiré des survivants les informations les plus diverses et les plus erronées, on se rendit compte que leurs aveux n’étaient d’aucune utilité alors on les exécuta et on jeta leurs corps martyrisés dans des fosses communes. Pour les familles on justifia ces disparitions en leur annonçant le départ de leurs proches pour des camps de travail éloignés. Une punition exemplaire, à la hauteur du délit commis : réunion illicite et protestataire devant la Maison Blanche.
Adam catastrophé n’avait rien pu faire sans risquer de se trahir et de mettre en danger ceux qui l’entouraient dans sa mission. La Roue avait encore besoin de lui.
Tags : septième, rassemblement, séparation, guerre d'influence, Mus Maison Blanche
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Il y en a plus d'un qui rêve d'être le maitre du monde parmi les dictateurs.